La Grinta
·24 de junho de 2025
Tunis : Rencontre avec un membre des 1948, groupe ultra du Stade Tunisien

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·24 de junho de 2025
Les Ultras 1948 supportent le Stade Tunisien, club de Tunis qui évolue dans l’ombre des deux gros clubs de la capitale. Pas simple de soutenir un club qui manque de moyens et de titres, bien qu’il se maintienne au meilleur niveau. Nous avons rencontré F., membre des 1948 depuis l’origine. Il revient pour la Grinta sur l’évolution du groupe qui se réinvente en permanence. Et sur les questionnements d’un collectif sur la meilleure façon d’occuper les tribunes dans la Tunisie post-révolution.
Au cœur de Tunis, dans le quartier du Bardo, se trouve un stade singulier à l’architecture rappelant les origines ottomanes des Bey. Le club du Stade Tunisien, dont l’équipe est surnommée les « baklawa » en hommage aux pâtisseries offertes par la princesse Zakia Bey après chaque victoire, fait exception dans le paysage local dominé par les deux clubs ultra-populaires. Comme le souligne F., qui soutient le club depuis l’enfance, « il y a un déséquilibre par rapport aux deux autres clubs qui sont méga populaires, ce n’est pas facile de survivre, de l’école au collège tu es presque le seul dans la classe, on est 2-3… tout le reste c’est l’Espérance ou le Club Africain ». L’Espérance de Tunis et le Club Africain, les deux gros clubs de la capitale, ont aussi un budget bien supérieur au Stade Tunisien. « On n’a pas les mêmes sources de revenus que les autres clubs. Ni grosses entreprises, ni investisseurs, ni entreprises ou aides de l’État. On survit d’une saison à une autre. La survie dure depuis longtemps. Malgré cela, on est là. A faire des tifos, à animer les stades. A maintenir le club en Ligue 1. ». Le club, finaliste de la Coupe de Tunisie, se bat pour la deuxième place du championnat.
« You can’t kill boogeyman », tifo déployé sous la bannière Kop of Bardo par les 1948 jumelé avec les Bardo Boys, finale de la Coupe de Tunisie contre l’Espérance de Tunis, 1 juin 2025.
Les ultras du 1948 soutiennent leur club depuis de nombreuses années. S’il nait en 2024, il est constitué des membres des Kaotic, créé en 2007. A la naissance du groupe, les Kaotic sont constitués d’une vingtaine de personnes dans le noyau, une cinquantaine de membres actifs et une centaine de sympathisants, voire plus. « On est des cousins, des frères. Il y a beaucoup de frères dans ce groupe. C’est sa particularité ». F. évoque la solidité et la fidélité du groupe. « On a vécu des moments, c’était la misère. Il n’y avait pas d’argent. Et malgré cela, on était là. Ce sont ces gens-là qui ont contribué à la survie du groupe. ». Quand le stade est inauguré dans leur quartier du Bardo en 2016, ça booste tout le monde, et redonne une dynamique au quartier. Les Kaotic décident de se dissoudre en 2018 sans pour autant cesser de soutenir leur équipe en tribune.
Entre 2018 et 2024, les membres des Kaotic ne sont plus identifiés ultras : ils bâchent aux couleurs du club, le Stade Tunisien. C’est ce qu’ils appellent la « période creuse ». « On était bien à organiser des trucs comme ça, sans le groupe. Organiser des tifos et des animations au sein des tribunes, sans aucun cadre. Que des bâches. On bâchait Stade Tunisien, on bâchait le club. On se déplaçait Stade Tunisien. ». Avec la volonté de créer un vrai mouvement stadiste d’un genre nouveau. « On voulait créer un truc parallèle, de supporters du stade tunisien, puissant. Un mouvement stadiste, pas forcément ultra. On était nombreux à vouloir ça ».
« Sempre presente », 1948
Finalement un nouveau groupe ultra est créé en février 2024, nommé sobrement « 1948 ». Un nom qui célèbre le club, « pour garder cet esprit, cette mentalité stadiste ». Une banderole fait apparaitre le message « sempre presente » (toujours présent), évoquant la survie, moteur du groupe. « La nouvelle identité visuelle est issue de la mort, des morts-vivants, de la renaissance. Que des têtes de morts, des survivants. Revenus de nulle part. Car personne ne s’attendait à notre renaissance. On est resté longtemps à animer sans groupe. ». Ils déclinent cette thématique du « mort-vivant » dans leurs tifos, créant un univers graphique pop menaçant et original. On trouve Freddy les griffes de la nuit, personnage flippant semi mort vivant ou dernièrement Michael Myers, le personnage principal de la série Halloween, brandissant la Coupe lors de la finale de la Coupe de Tunisie contre l’Espérance, le 1 juin 2025 – un tifo réalisé avec l’autre groupe ultra du Stade Tunisien, les Bardo Boys. Cette identité est au cœur de leur univers graphique.
Les broderies, une tradition ultra.
F. fait partie des artistes du groupe et malgré la distance, il continue de participer quand il le peut à la création des tifos. Malgré l’éloignement, chacun contribue comme il peut. « Les émigrés du groupe, on fait de notre mieux pour booster, donner du temps et de l’argent ». Dans sa vie professionnelle, il crée et réalise ses propres designs et broderies pour les commercialiser, et plusieurs groupes européens font appel à lui. « Le style que j’ai adopté c’est un style ultra. Dans mes broderies, et dans mes peintures, j’utilise beaucoup cette technique ultra. Dans mes idées aussi, ma démarche artistique. Je n’arrive pas à trouver un équilibre entre pro et perso, je tiens à mon identité. En contrepartie j’ai eu du mal à m’intégrer dans le côté galerie ». Vies personnelles et professionnelles sont inextricablement liées.
Le groupe ultra favorise la pratique d’activités artistiques collectives. Et véhicule des valeurs comme la solidarité, l’entraide. « La renaissance du groupe réorganise la vie de quartier. Les gens étaient un peu perdus sans le groupe. On est en train d’intégrer les jeunes au groupe. Avec l’animation, les chants. Le cadre associatif, artistique, c’est vraiment bien. Les créations de musique, les enregistrements…. Trainer dans les studios, faire de la musique, c’est grâce au groupe ».
La décision de recréer un groupe de supporters ultras n’a pas fait l’unanimité au sein des anciens Kaotic. « C’était une décision très compliquée. On est beaucoup à s’opposer à cette décision ». F. est de ceux qui aurait préféré monter un mouvement stadiste. Parce que « avoir un groupe ultra en Tunisie c’est très instable, de nos jours, depuis la Révolution. ». Expatrié depuis 8 ans, et forcément moins présent en tribune, il pose un regard distancié sur la situation. Il avoue en rigolant que l’appellation ultra en Tunisie est un peu « périmée, contaminée ! C’est devenu pourri en Tunisie, il faut trouver une solution ». Il concède que « ce n’est même plus ultra ». En cause notamment les conflits d’intérêt, qu’il condamne. « On ne peut pas être ultra et exercer une fonction de dirigeant au sein d’un club. Tu dois te retirer du groupe. Aujourd’hui ça, ça défonce tout ! Si tu veux exercer une fonction au sein du club, que c’est bénéfique pour le club, tu te retires du groupe. Et inversement ». Des conflits d’intérêt qui remettent en question l’indépendance et l’autonomie des ultras. Et favorisent des liens préjudiciables mêlant ultras, direction et forces de l’ordre qui peuvent conduire à des manipulations, des passages à tabac voire à des incarcérations. Une confusion qui s’ajoute aux problèmes de la répression policière dont les ultras tunisiens font déjà les frais, comme dans de nombreux de pays.
Banderole de soutien à la Palestine, 19 février 2025.
Malgré leurs désaccords, les membres des 1948 sont restés soudés et continuent de soutenir leur club collectivement. Pas question de se désolidariser. Peut-être parce que le groupe rassemble des frères, des cousins. Peut-être aussi parce qu’ils ont connu la galère ensemble. Des moments qui restent comme les meilleurs souvenirs de F. « On n’avait vraiment pas d’argent. On était pauvres… Avant même la création du groupe… on était 7, 8, 9 puis 10, 11… C’était les années de galère, le club ne triomphait pas. Et quand même, on se déplaçait, on montait entasser dans des utilitaires ! On a fait Tunis-Sousse dans des utilitaires, il n’y avait pas de places assises, c’était n’importe quoi ! C’était spontané, naturel. Quand le groupe était pauvre, c’est là où tu vois le vrai visage des gens. » C’est même devenu constitutif de leur collectif. « On est toujours dans la survie. Le fait de ne pas disparaitre, c’est notre point fort. ».
Les membres du 1948 se sont questionnés et se sont redéfinis tout en restant soudés. Un mode « survie » bénéfique. Car la dynamique créée autour du foot permet l’existence d’un collectif uni et solidaire, au-delà des résultats du club. Malgré les divergences d’opinion, les membres semblent rester à l’écart des problématiques d’ego qui sont présentes dans de nombreuses sphères. Le collectif tend à faire avancer les mentalités en redéfinissant l’identité ultra et en l’orientant vers une mentalité stadiste. En espérant qu’ils survivront encore longtemps.
Un immense merci à F.
1948