God Save The Foot
·4 novembre 2020
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·4 novembre 2020
Renaissance du phœnix, conte de fée moderne, illustration du fan power ou encore revanche sur le foot business, l’histoire pourtant toute récente de l’AFC Wimbledon est sujette à tous les qualificatifs. Dernier épisode cette semaine de la longue saga de ce club si singulier de South London: le retour tant attendu dans son nouvel antre de Plough Lane. Le football du 21ème siècle laisserait donc encore place au romantisme. Autant savourer cette épopée sans égale !
A l’évocation du nom de Wimbledon, l’amateur de sport songera immédiatement à un célèbre tournoi de tennis sur gazon. Pour autant, le football est bien ancré de longue date dans ce quartier éponyme de Londres puisqu’en 1889 fut formé le Wimbledon Old Central Football Club. Les Dons, surnom du club directement dérivé de son appellation, vont alors évoluer pendant de multiples décennies dans l’anonymat des basses divisions ne rejoignant le foot professionnel qu’en 1977 à la faveur de leur élection à la 4ème division – à l’époque accéder à la Football League, synonyme de professionnalisation, requérait encore un vote de ses membres, le seul succès sportif ne suffisant pas. Seulement onze ans plus tard, signe que ce club ne devait jamais relever de la normalité, le crazy gang du sympathique Vinnie Jones choquait l’Angleterre entière – le commentateur de la BBC parla de “one of the great Cup shocks of all time” – en remportant la FA Cup face au monstre de l’époque, les Reds de Liverpool.
Les lendemains furent pourtant moins glorieux. En 1991, Plough Lane, le stade des Dons déjà dans un état calamiteux, requiert de très coûteux travaux pour se conformer aux prescriptions du rapport Taylor interdisant les terraces, ces fameuses tribunes debout consubstantielles aux stades anglais. Incapable de faire face à de telles dépenses, le Wimbledon FC n’a d’autre choix que d’aller jouer à Selhurst Park, l’écrin de Crystal Palace. C’est le début de la fin mais aussi l’entame d’une longue errance des Dons qui ne joueront plus dans leur antre pendant presque 30 ans.
Sur le terrain, Wimbledon était pourtant devenu en l’espace de quelques années une équipe de premier plan évoluant en 1ère division de 1986 à 2000 et figurant même en 1992 parmi les heureux élus de la bientôt richissime Premier League. La relégation de l’élite du club en 2000 fut tout autant la conséquence de l’impéritie de son propriétaire Sam Hammam, un businessman libanais, que celle de la financiarisation du foot anglais ne laissant que trop peu de chances aux clubs de modeste envergure tel le Wimbledon FC.
Rapidement menacé de banqueroute suite à la descente à l’échelon inférieur, les dirigeants du club annoncèrent dès 2001 leur intention de délocaliser les Dons à Milton Keynes, ville nouvelle créée ex-nihilo dans les années 60 et surtout jusqu’alors célèbre pour son nombre incalculable de rond-points. Dépourvue d’équipe de haut niveau, cette cité de plus de 200 000 âmes implantée 55 miles au nord de Londres était présentée comme la seule solution d’avenir pour les Dons.
Cette catastrophe annoncée fut bien évidemment vigoureusement combattue par les fans des Dons: manifestations, pétition, lettres de protestation, ballons noirs en signe de deuil en tribunes, boycott des matches – seulement 1 054 personnes assistèrent au dernier match de Wimbledon à Selhurst Park – furent au programme. Mais rien n’y fit.
Le transfert à Milton Keynes contrevenait pourtant en tous points à l’essence même du sport et à la nature si spécifique des clubs anglais. Le club de Milton Keynes allait, en effet, dans les faits purement et simplement se substituer, dans la hiérarchie de la pyramide du foot anglais, au club londonien. Pire encore, il ouvrait la voie à un système de franchise à l’américaine autorisant les clubs à s’implanter ici et là au gré des caprices et surtout des intérêts financiers de leurs propriétaires. Scandaleux s’il en est et d’autant plus outre-Manche où les clubs sont l’émanation directe de la community qui les a vus naitre et avec laquelle ils interagissent au quotidien (programmes d’éducation, activités physiques pour maintenir les plus âgés en bonne santé, stages mixant des jeunes de quartiers différents pour prévenir les conflictualités etc…).
Le Wimbledon FC continua à jouer ses matches à domicile à Selhurst Park jusqu’en 2003 puis fit faillite. L’année suivante vit sa dissolution et la création avec l’aval de la Football Association du “Franchise Club” ainsi que ses (nombreux) détracteurs aiment à appeler le nouveau club de Milton Keynes.
La formulation de la décision du 28 mai 2002 de la commission de 3 personnes de la FA autorisant à 2 votes contre 1 le transfert à Milton Keynes et partant, l’impossibilité du club de repartir de zéro tout en restant dans son quartier londonien est restée tristement célèbre outre-Manche: “not in the wider interests of football“.
De fait, les institutions firent peu de cas de la volonté des supporters de conserver leur club dans leur community. Ces derniers devaient alors prendre leur futur en mains et s’organiser pour passer outre cette sentence mortelle dont la formulation ne fut jamais oubliée, ni pardonnée.
“L’intérêt général” commandait aussi sans doute de permettre au club de Milton Keynes de s’approprier tout l’héritage du club londonien: non seulement son palmarès et notamment sa fameuse Cup de 1987 mais également son surnom de Dons. Un véritable vol en bande organisée !
L’Histoire retiendra que c’est dans un pub de Wimbledon, The Fox and Grapes, que 3 supporters des Dons se réunirent deux jours après la décision de la commission de la FA pour prendre une décision qui allait faire date: créer un nouveau club à Wimbledon.
A peine deux semaines plus tard, l’AFC Wimbledon était né. Ses fondateurs lui trouvèrent un stade dans le quartier voisin de Kingston Upon Thames à Kingsmeadow. La toute nouvelle équipe fut acceptée dans la Combined Counties League, le 9ème échelon du foot anglais soit 7 divisions en-dessous du niveau où le Wimbledon FC évoluait en 2001/2002. Pour aligner les joueurs requis sur le terrain fut organisée le 29 juin au Wimbledon Common, immense espace vert du quartier, une journée de sélection à laquelle tout footballeur était convié. Le Wimbledon Common d’ailleurs aussi célèbre en Angleterre pour abriter les fameux Wombles, personnages de l’émission éponyme phare de la TV anglaise depuis les 70s, que les supporters des Dons ont d’eux-mêmes repris comme mascotte et autre surnom du club.
The Wombles, héros d’une émission TV infantile, devenus surnom et mascotte de l’équipe de Wimbledon
Cette journée de tests au Wimbledon Common attira 230 aspirants joueurs permettant au club de monter une équipe pour le tout premier match de son histoire lors d’une rencontre de pré-saison contre Sutton United. Le succès dans les tribunes fut immédiatement au rendez-vous en championnat puisque le club fraichement né attira une moyenne de 4 657 fans à domicile lors de sa première saison de compétition alors que l’affluence moyenne en Combined County League n’était que de 50 spectateurs.
Le club allait, dès lors, connaitre une ascension fulgurante enchainant 4 promotions en seulement 8 ans pour de nouveau frapper à la porte du foot professionnel en 2011. Cette fois-ci, nul besoin cependant de se soumettre à une élection pour abandonner le monde amateur, c’est sur le terrain et nulle part ailleurs que les Dons obtinrent leur passeport. Le 21 mai 2011 exactement, au City of Manchester Stadium, devant une foule 18 195 spectateurs, le phœnix renaissait définitivement de ses cendres en battant Luton 4-3 aux tirs au but. Dans les tribunes, le peuple de South London présent se mit alors à chanter: “It only took nine years”. A peine neuf ans après leur match inaugural contre Sutton United en 2002, les Wombles retrouvaient (enfin) leur place dans la Football League. Plus historique encore, l’AFC Wimbledon devenait, et est toujours, le premier club fondé au 21ème siècle à accéder à cette Football League.
Le succès acquis sur les pelouses n’avait toutefois pas, loin de là, éteint en coulisses l’animosité entre le club et son rejeton honni de Milton Keynes. Les supporters londoniens et leurs dirigeants, éléments interchangeables puisque exception remarquable le club appartient à ses supporters, n’eurent de cesse de revendiquer leur patrimoine et au premier chef leur palmarès. Ils eurent sur ce point in fine gain de cause en août 2007, date à laquelle le club de Milton Keynes renonça aux trophées de son ancêtre londonien. Signe que le sujet était hautement inflammable, le plus célèbre d’entre eux, la réplique de la fameuse coupe gagnée en FA Cup contre Liverpool, fut certes rapatriée à Londres mais, à des fins de conciliation, entreposée dans une vitrine de la bibliothèque du council de Merton et non au siège de l’AFC Wimbledon.
Autre élément de courroux majeur des fans de Wimbledon, l’appellation Dons que le club franchisé s’était arrogée alors même qu’il n’avait plus de lien géographique avec le quartier londonien correspondant. A ce jour, malgré ses efforts répétés et appuyés, le club londonien n’a cependant pu obtenir que le club de Milton Keynes renonce à ce surnom.
L’opposition au sujet de cette appellation donna lieu à des confrontations houleuses dont les signes les plus tangents furent perceptibles lors des rencontres opposant les deux frères ennemis. Car rencontres il y eut et pour la première fois en décembre 2012 lors d’un match en FA Cup à Milton Keynes. Ce match fit d’ailleurs l’objet d’une controverse au sein des supporters londoniens. Certains d’entre eux appelèrent, en effet, au boycott tant pour ne pas engraisser les finances du club honni via l’achat de billets que surtout pour signifier leur strict refus de reconnaitre l’existence de ce club à la sauce américaine. Quoi qu’il en soit, un contingent de 3 000 fans fit le court déplacement depuis la capitale et le spectacle dans les tribunes pour ce match hautement sécurisé fut pour le moins animé dans les deux camps. Côté Milton Keynes, on invita notamment les londoniens à abandonner tout espoir de récupérer l’appellation Dons.
Côté Londonien, on ne manqua pas de rappeler que le pardon et l’oubli n’étaient pas à l’ordre du jour (“Never forgive, never forget“) tout en soulignant que leur club avait gagné le droit de jouer en compétitions en respectant la logique sportive (“We did it the RIGHT way“).
Et, bien évidemment, on prit un malin plaisir à rappeler qui étaient les seuls et uniques Dons du pays.
Sur le plan vocal, on s’en voudrait enfin de ne pas signaler ce chant bien cinglant que vous nous pardonnerez de ne pas traduire tant sa signification est limpide…
N’allez cependant pas croire que ce rejet manifeste du club de Milton Keynes se limite aux fans de l’AFC Wimbledon. En réalité, c’est toute l’Angleterre du foot du moins sa masse la plus éveillée, celle qui va au stade, qui voue aux gémonies le club franchisé. Preuve en est, la puissante et reconnue Football Supporters’ Association refuse catégoriquement toute adhésion émanant de groupes de supporters des MK “Dons”.
Autre signe tangible de ce rejet: à l’été 2018, lorsque se fit jour l’idée de faire jouer à Tottenham un match de League Cup dans l’antre de MK, Wembley et le nouveau stade des Spurs n’étant pas disponibles, le Tottenham Hotspurs Supporters’ Trust déclara qu’il boycotterait le match, suivant en cela la position de tous les Supporters’ Trust du pays.
Bien conscients du rejet qu’ils suscitent sur tous les terrains outre-Manche, les supporters de Milton Keynes ont désormais pris le parti de l’auto-dérision (à l’anglaise). Mauvaise pioche malheureusement pour eux ! Ils n’ont trouvé rien de mieux à cette fin que de s’approprier (décidément !) un chant emblématique bien connu de tout supporter du Den ou d’ailleurs…
Septembre 2017: évoluant désormais tous deux au 3ème niveau en League One, l’AFC Wimbledon reçoit les MK “Dons” à Londres. La polémique sur l’appellation “Dons” s’enflamme de plus belle. Les Londoniens suppriment délibérément sur le tableau d’affichage le vocable Dons du nom de l’équipe de Milton Keynes. Quant au programme de match, c’est bien simple: il ne mentionne aucune équipe évitant ainsi aux locaux de devoir citer le nom de l’adversaire du jour.
Pas de Dons sur le tableau d’affichage pour Milton Keynes et aucun nom sur le matchday programme !
Suite à ce match, l’English Football League (EFL), structure chapeautant les trois divisions pro en dessous de la Premier League, accusa l’AFC Wimbledon d’avoir enfreint les points 3.4 et 3.5 de son règlement déclarant que [tous les clubs sont requis de se comporter les uns envers les autres “de la meilleure manière” et de ne pas “critiquer injustement ou jeter le discrédit” sur un autre club]. Et l’EFL d’ajouter que “la non reconnaissance des MK Dons porte atteinte à la réputation de la EFL tout en créant les conditions d’une potentielle agitation au sein des supporters des MK Dons, autant d’éléments qui constituent une source d’inquiétude pour la EFL“.
En avril 2018, la EFL décida d’abandonner les poursuites contre le club londonien à condition que “les deux parties entament des discussions afin de dégager une position d’accord pour le futur”. Ces discussions furent acceptées par les deux clubs sous l’égide de la EFL qui fit alors office de médiateur.
Les fondateurs de l’AFC Wimbledon s’étaient fixés deux objectifs lors de la création du club: constituer une équipe compétitive et construire leur propre stade dans le quartier. L’équipe revenue dans le giron professionnel, il s’agissait maintenant de s’atteler à la question des infrastructures. Le stade de Kingsmeadow hébergeant les Dons n’était pas le leur et disposait, en outre, d’une capacité réduite de 4850 places, l’une des plus réduites de la Football League. Difficile dans ces conditions de générer des “match-day revenues” suffisants pour nourrir de plus grandes ambitions.
Après des années de négociation entre les différents councils compétents, les responsables de l’aménagement urbain et les populations locales, le council de Merton approuva en décembre 2015 à l’unanimité le projet visant à transformer le stade de courses de lévriers de Plough Lane en un stade de 11 000 places avec possibilité d’extension à 20 000. Satisfaction d’autant plus grande pour le club et ses supporters que leur nouveau stade devait être érigé à 250 yards seulement de leur antre d’origine.
L’Angleterre n’étant pas la France, il restait alors à réunir les fonds privés (eh oui !) pour financer le nouveau Plough Lane. Épineux sujet que le club allait encore traiter de façon singulière en cohérence avec son ADN hors pair. Hors de question de permettre à un investisseur privé d’entrer à la direction du club – le traumatisme du transfert à Milton Keynes est toujours dans les têtes – en abondant de façon majoritaire le budget de 25 à 30M£ nécessaire pour le futur stade de 9000 places (la capacité initiale avait été revue à la baisse). Comment procéder dès lors ?
La solution prit le nom de “Plough Lane Bond” soit “Emprunt de Plough Lane”. Le principe est des plus simples: pour toute somme investie d’un minimum de 1000£, le bienfaiteur reçoit en retour à échéance de 5, 10 ou 20 ans la somme prêtée assortie d’une majoration au taux maximum de 4%. La logique n’étant ici pas purement financière, les supporters/investisseurs peuvent, à leur choix, opter pour un taux de rémunération inférieur à 4% afin d’amoindrir la charge pesant sur le club.
Le recours à des “bonds” de la part des clubs de football anglais n’est cependant pas chose tout à fait inconnue outre-Manche. Norwich City a ainsi levé 5M£ en 2018, pour un objectif initial de 3,5M£, afin de financer les installations de son academy de jeunes. Un tel investissement de la part de particuliers comporte un réel risque en cas d’infortune avérée du club bénéficiaire. En 2013, le Bury FC déjà en proie à des difficultés financières avait fait appel aux portefeuilles de ses supporters via son Shakers Bond Scheme. La faillite récente des Shakers, surnom du club, a signifié dans les faits pour ses bienfaiteurs la perte avec fracas de l’intégralité des sommes précédemment prêtées.
Autre vecteur de financement, là encore en osmose avec l’esprit du club, les Dons ont recouru au crowdfunding réussissant ainsi à réunir 2,3M£ via la plateforme Seedrs. Objectif dépassé puisqu’à l’origine, ils n’escomptaient recueillir qu’un maximum de 2M£ ! Les contreparties offertes aux fans variaient bien évidemment en fonction des sommes allouées au club: de la mention du nom du supporter sur le “Investors’ wall” du stade dès 10£ donné à un voyage en déplacement avec l’équipe + un titre officieux de vice-président + un accès VIP pour 2 personnes à tous les matches de la 1ère saison à Plough Lane pour le don maximal de 100 000£.
Bien évidemment, le “Plough Lane Bond” – 5,3M£ récoltés à ce jour – et le crowdfunding ne couvrent pas l’intégralité de la somme utile à la construction du stade. C’est toutefois autant d’argent en moins à solliciter auprès de banques privées.
La saison 2020/2021 restera dans les mémoires comme ayant vu l’AFC Wimbledon retourner à Plough Lane après une trop longue errance de 29 ans. Dès l’été, le club et ses supporters piaffaient d’impatience à l’idée de pouvoir de nouveau jouer un match sur leur site historique. Le maillot away des Dons est témoin de cette attente puisque dans son col est inscrite l’aspiration de toute une community: “Back to Plough Lane“.
Le stade est donc aujourd’hui achevé mais les travaux alentours sont toujours pendants puisque, comme c’est souvent la norme de nos jours pour les nouvelles enceintes, sa construction s’inscrit dans un plan plus large d’aménagement du quartier. Sont ainsi prévus, outre la nouvelle enceinte, des espaces de commerce, un club de squash et de fitness, un parking voitures et vélos, un pub ouvert 7 jours sur 7 de même que 600 appartements dont les 114 premiers seront achevés en 2021. Au regard des visuels disponibles, il semblerait que certains d’entre eux offrent une vue directe sur la pelouse. Avis aux amateurs !
Ce mardi 3 novembre, le rêve est donc devenu réalité pour l’AFC Wimbledon qui foula de nouveau après une longue d’abstinence, quoique devant des gradins vides COVID oblige, sa pelouse de Plough Lane. Jour symbolique dont tous les médias anglais sans exception se sont fait l’écho : de la BBC au Guardian en passant par le très sérieux Times.
En réalité, c’est tout le peuple des tribunes d’outre-Manche et d’ailleurs qui a célébré cette soirée historique où un club créé par des supporters pour des supporters est enfin retourné dans sa douce demeure. Comme un pied de nez bienvenu au foot business moderne.