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·19 avril 2020
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Le football est fait de légendes et de figures historiques ayant transformé le jeu. La plupart des passionnés citeront le football total de Rinus Michels, le pressing de Sacchi ou le Tiki-Taka de Guardiola de manière naturelle et spontanée. Mais certains grands noms de notre sport restent méconnus malgré leur impact direct et leur héritage immense. C’est le cas de Viktor Maslov.
Moscou, 1910. La Russie se relève à peine d’une révolution sanglante et s’apprête à plonger dans le premier conflit mondial. L’industrialisation est en marche, les usines fleurissent sur le territoire et les villes russes sont en pleine expansion. C’est dans ce contexte que nait Viktor Maslov, future grande figure du football soviétique.
De sa carrière de footballeur, peu de faits marquants ressortent. Viktor Maslov est décrit comme un milieu travailleur, robuste et doté d’un sens du leadership prononcé. Il passera notamment douze saisons au Torpedo Moscou et portera le brassard de capitaine durant trois saisons. Difficile d’imaginer alors que ce jeune soviétique sera à l’origine d’une révolution tactique sans précédent pour le football moderne.
Après une carrière modeste, Maslov prend les rênes du Torpedo Moscou en 1945. Le début de sa vie d’entraîneur ressemble à ce qu’était sa vie de joueur : un long fleuve tranquille. Son palmarès commence pourtant à s’étoffer : il remporte la Coupe d’URSS en 1952 et permet au Torpedo de glaner son premier titre de champion soviétique en 1960. Ce titre lui ouvre les portes des meilleurs clubs d’URSS. Après une courte saison au FK Rostov en 1963, Viktor Maslov débarque au Dynamo Kiev à l’aube de la saison 1964. Un club ambitieux pour un entraîneur en pleine réflexion tactique. Depuis quelques temps, Maslov construit sa réflexion sur le football pratiqué en Union Soviétique. Et il est sur le point d’appliquer ses théories en arrivant au Dynamo.
A l’époque, le football mondial s’accorde sur le fait que le Brésil de Pelé, Vava et Garrincha est une référence. Leur victoire éblouissante lors du Mondial chilien (1962) a marqué les esprits de tous les fans de foot. Le 4-2-4 mis en place par Aymoré Moreira devient alors la norme pour tous les entraîneurs du globe. Viktor Maslov, en pleine réflexion sur l’équilibre de son équipe, note alors l’importance d’un élément souvent oublié lorsque l’on évoque les performances brésiliennes : Mario Zagallo. Au sein d’un quatuor d’attaque explosif, beaucoup oublient que l’ailier gauche brésilien occupe alors un rôle bien plus défensif que les trois artistes à ses côtés (Vava, Amarildo et Garrincha).
Conscient de l’importance de Zagallo dans l’équilibre du système brésilien, Viktor Maslov y voit l’occasion de réinventer son système. A cette époque, rares sont les équipes à rechercher le juste milieu entre surnombre offensif et solidité défensive. Jusqu’ici, la réflexion autour du système de jeu n’avait accouché que de quelques variantes résolument offensives, dont le légendaire WM (que l’on pourrait décomposer en 3-2-2-3), qui avait longtemps fait office de référence mondiale. Maslov allait alors prendre le parti de transformer le sacrosaint 4-2-4 en faisant reculer ses deux ailiers au milieu de terrain. L’idée était de repositionner des attaquants plus bas sur le terrain pour conserver une part de créativité, tout en composant deux lignes de quatre joueurs permettant une meilleure assise défensive. Le 4-4-2 était né.
«Le football est comme un avion. A mesure que la vélocité augmente, la résistance à l’air s’accroît aussi. Il faut alors retravailler l’aérodynamisme.» Cette citation légendaire du coach soviétique résume à elle seule le travail entrepris par Maslov au début des années 1960. La révolution tactique en cours ne s’arrêtera évidemment pas au simple système de jeu. Les ambitions de Maslov sont plus grandes et l’entraîneur soviétique est alors en passe de révolutionner le jeu en profondeur. L’invention du 4-4-2 n’est finalement que le résultat d’une vision bien plus large de ce que le football moderne deviendra grâce à cet illustre inconnu hors des frontières soviétiques.
Les images du football des années 1950-1960 sont frappantes et parlent d’elles-même : le rythme du football actuel n’a plus rien de comparable avec ce qu’il était à l’époque. Cette transformation s’explique en grande partie par l’apparition de deux phénomènes ayant profondément modifié l’approche du jeu sur les terrains du monde entier : le pressing et le marquage de zone. Bien souvent associé au Football Total de l’Ajax ou au grand Milan AC d’Arrigo Sacchi dans l’imaginaire collectif, ces deux notions tirent en fait leurs origines du Dynamo de Viktor Maslov.
Au Dynamo, fort d’une bonne relation avec le pouvoir Soviétique, Viktor Maslov eut tout le loisir de recruter les meilleurs éléments du pays pour constituer une équipe de grand talent. Pour tirer le maximum des qualités intrinsèques de son effectif, l’entraîneur fut alors le premier à prendre conscience de l’importance du travail physique et de la nutrition chez le footballeur professionnel. Le travail sur la puissance, l’endurance et la vivacité de ses joueurs lui permettaient alors de réinventer son approche tactique. Les efforts se faisaient plus violents, plus fréquents et plus intenses. Le Dynamo Kiev devenait progressivement une machine à presser, prête à avaler les kilomètres pour mettre en péril le jeu lent et patient de la plupart des ses contemporains. La capitale ukrainienne était alors à l’origine de la prochaine révolution du football moderne.
La révolution tactique imaginée par Viktor Maslov était en marche. Le Dynamo Kiev réinventait le football chaque week-end en proposant un jeu athlétique qui surprenait la plupart de ses adversaires. Les trophées commencèrent à fleurir sur l’armoire et Kiev devenait progressivement la nouvelle capitale du football soviétique. Mais les secrets du football de Viktor Maslov ne résident pas uniquement dans l’approche tactique mise en place sur le rectangle vert. Au-delà de sa vision moderne et novatrice du jeu, l’entraîneur était surnommé «grand-père» par ses joueurs pour son côté sage, sa gentillesse et sa douceur. Maslov n’était pas de ses entraîneurs froids et pragmatiques, malgré cet attrait pour le travail physique et le suivi nutritionnel. C’est d’ailleurs ce qui le distingue de Valeri Lobanovski, un de ses célèbres disciples, qui a d’ailleurs joué quelques temps sous ses ordres avant de quitter le navire suite à des désaccords footballistiques.
Viktor Maslov était de ses entraîneurs qui entretiennent une relation particulière avec leurs joueurs et qui placent le collectif au centre du jeu. Plusieurs anecdotes racontent d’ailleurs qu’à plusieurs reprises lors de son passage au Dynamo, les joueurs prirent le droit de refuser un changement demandé par leur entraîneur, partant du principe que ce n’était pas le bon choix pour l’équipe. Cette idée aujourd’hui difficilement imaginable démontre l’importance du dialogue au sein de l’effectif soviétique et nous rappelle à une certaine idée de la démocratie. En plus de réinventer le jeu, Maslov réinventait également le management et la position de l’entraîneur au sein d’un effectif pétri de talent.
L’histoire de l’enfant de Moscou à Kiev durera finalement jusqu’en 1970, au milieu d’une saison marquée par les absences de nombreux cadres en pleine préparation pour le mondial mexicain. En six saisons, le Dynamo Kiev de Viktor Maslov remportera trois championnats soviétiques (1966, 1967 et 1968) et deux Coupes d’URSS. Après son départ, il retrouvera le banc du Torpedo Moscou, où il remportera un nouvelle fois la Coupe d’URSS. Il terminera sa carrière en 1975, à l’Aravat Erevan, par une dernière victoire dans cette même compétition. Cependant, son départ du Dynamo marqua le début de la fin pour les idées révolutionnaires de Maslov, qui n’arriva jamais vraiment à retrouver le chemin de la réussite, usé et fatigué par ses années de succès dans la capitale Ukrainienne. Il mourra seulement deux ans après avoir quitté l’Aravat.
Aujourd’hui, lorsque l’on évoque les grands entraîneurs ayant profondément impacté l’histoire du football, Viktor Maslov est très rarement cité. Pourtant, en partant à la retraite, il laisse derrière lui un héritage immense et est à l’origine des grands courants de pensée qui feront le succès des football néerlandais et italien sur la grande scène européenne dans les années 1970. József Szabó, illustre milieu de terrain soviétique ayant évolué sous les ordres de Maslov au Dynamo Kiev, parlait de son entraîneur en ces mots : «Les gens pensent que le Football Total a vu le jour aux Pays-Bas, mais c’est parce que l’Europe de l’ouest ne voyait pas jouer le Dynamo de Maslov.» Inventeur du 4-4-2, du pressing haut, du marquage de zone et fer de lance d’une nouvelle approche managériale : un hommage mérité pour un homme trop souvent oublié.
Crédit photo : BPI / Icon Sport.