Lucarne Opposée
·30 décembre 2024
In partnership with
Yahoo sportsLucarne Opposée
·30 décembre 2024
Peut-on être éliminé par la Colombie et considérer sa compétition comme une réussite ? Peut-on ne pas gagner un clásico de l’année et considérer que sa saison restera dans l’histoire ? Qu’est-ce qu’une victoire ? 2024, année de questions philosophiques en Uruguay.
El País et son supplément sportif Ovacíon ont toujours le même problème entre deux saisons : l’absence de football local. Et dans un supplément sportif en Uruguay, le football local représente 80% des pages dont une bonne partie sur Peñarol et Nacional. Alors, entre deux tournois, ça parle beaucoup de transferts et de petites histoires glanées entre le football de l’intérieur, les divisions inférieures. En ce 10 décembre, Ovacíon nous rapporte l’histoire du Club Atlético Alto Perú, club affilié à l’AUF dans sa troisième division, la « C » depuis les années quarante. Alto Perú n’a plus gagné depuis le 20 juillet 2019 et une victoire 5-2 contre Artigas. Cela fait donc soixante-et-un matchs sans victoire. Le nombre de match peut paraître faible, mais la C joue peu, dans une division avec peu de clubs. Les clubs modestes préfèrent en général s’affilier à d’autres ligues (universitaires ou de l’intérieur) plutôt que de rester dans une ligue de l’AUF dans laquelle il peut y avoir des déplacements, des frais, sans aucune possibilité de faire rentrer de l’argent dans la caisse car personne ne vient au stade. Ce club de « perdant » fondé par des anarchistes en 1940, aux couleurs rouges et noires, a pourtant le même entraîneur depuis 1996, un certain De la Quintana. Gonzalo Scotti, l’un de ses joueurs, déclare : « Nous avons les mêmes maillots depuis sept ans. Si l’on en déchire un, c’est tout un problème, c’est comme si l’on t’amputait de quelque chose ». L’entraîneur De la Quintana ajoute : « C’est difficile de ne pas se frustrer. Tu rentres à la maison et on te demande comment ça s’est passé, la même chose au travail, avec les amis. Et la réponse est toujours la même. Nous cassons la barrière de la religion du résultat, ce qui nous importe est la résilience. Au-delà de se taper la tête par terre, de finir dans la boue, l'important est de ne pas abandonner. Tout donner pour tenter de briser cette situation à base d’amour et d’engagement. Cela motive à continuer d’essayer. C'est le message que nous transmettons aux jeunes ».
Deux niveaux au-dessus, Peñarol a été presque invincible. L’équipe de Diego Aguirre qui n’avait pas réussi à battre Liverpool l’année dernière en finale est arrivée transfigurée en début de championnat avec des renforts bien sentis et un groupe de vingt-cinq joueurs de très haute volée, avec des remplaçants comme Leo Coelho ou Gastón Ramírez qui auraient été titulaires n’importe quelle autre saison. Le Nacional d’Àlvaro Recoba a dû jouer avec un effectif moins fourni, des blessures et deux tours préliminaires de Libertadores emportant avec eux beaucoup d’influx nerveux. Le clásico du match aller est sans doute l’un des tournants de la saison au niveau national : Nacional domine, aurait dû l’emporter, mais avec un arbitrage moyen, Peñarols’en sort avec le point du match nul. Deux points de perdus, sur un total de quatre puisque Peñarol ne concède qu’un seul autre match nul, 2-2 sur la pelouse de Liverpool. De quoi remporter le tournoi à trois journées de la fin en étant invaincu, s’assurer un matelas confortable au classement annuel et voir venir. Des joueurs comme Leonardo Sequeira s’imposent alors qu’ils étaient inconnu avant : la patte Aguirre. En parallèle, le club carbonero se qualifie pour les huitièmes de finale de Libertadores avec notamment une victoire 2-0 à la maison contre l’Atlético Mineiro. Première partie d’année idéale donc côté Peñarol.
Côté Nacional, Álvaro Recoba est viré pour mésentente avec la direction, malgré une qualification également en huitièmes de Libertadores et un bilan honorable, trente-quatre points, en championnat. Que ce serait-il passé si Nacional avait gagné le clásico dans le stade du rival de toujours ? La suite de l’année aurait été tout autre. Premier coup du destin pour Peñarol. Tout en haut du classement, les deux grands ont aussi dominé l’Intermedio avec une finale étrange, qui se termine par une victoire de Nacional (à nouveau), au bout d’une interminable séance de tirs au but. Le Clausura est de nouveau marqué par la domination des deux grands, avec une victoire de Nacional dans un clásicobochornoso, honteux, marqué par l’envoie de pétard des supporters de Nacional sur leurs propres joueurs, sans qu’il n’y ait vraiment de colère, juste par stupidité. On dit couramment qu’une saison peut être sauvée, voire même presque gagnée, quand un grand arrive à battre l’autre et à être invaincu. Mais il était écrit que rien ne sauverait la saison de Nacional, qui avait déjà tout perdu en huitièmes de finale de Libertadores. Tout car le club perd le plus important, le joueur, en la personne de celui qui est désormais au Panthéon Nacional à la suite de sa crise cardiaque survenue contre Saõ Paulo FC, Juan Izquierdo. Avec un bilan hallucinant de quatre-vingt-six points en trente-sept rencontres, Nacional termine deuxième d’un championnat que le club bolso aurait gagné n’importe qu’elle autre année. Martín Lasarte a d’ailleurs été conforté au poste d’entraîneur. En face, Peñarol gagne presque toutes les autres rencontres que le clásico (avec seulement deux autres matchs nuls) et remporte le Clausura après avoir décroché l’Apertura. Et gagne donc le titre sans avoir besoin de finale et sans battre Nacional en match officiel de l’année, exploit rare. Surtout une année ou le club a été happé par la compétition continentale.
Derrière, personne n’est sorti de l’eau si ce n’est le troisième Boston River, qui aura été le plus régulier de la main de Jadson Viera. Boston remplace Liverpool dans le classement des huit premières équipes, qui regroupe sinon les mêmes sept premiers que l’année dernière dans un ordre très proche ! Il n’y a pas grand-chose à sauver de la saison du Defensor, qui aura alterné quelques bons matchs et de nombreux mauvais, encaissant surtout les points contre les petits. Danubio, Racing, Wanderers ont parfois montré des choses, mais toujours en courant alternatif. Les Bohemios terminent neuf points devant Rampla, quatorzième et relégué (certes sur un autre classement). On a parfois pris plus de plaisir à voir Cerro ou Progreso se battre avec leurs armes, que les équipes devant. Le Deportivo Maldonado a sombré très rapidement et est suivi en deuxième division par Rampla et Fénix. Ce n’est pas une surprise pour Rampla qui a trop souffert notamment pour mettre en place l’équipe. C’est plus surprenant pour Fénix, équipe qui était encore en haut de tableau il y a de cela quatre ans avec du Manuel Ugarte ou du Leo Fernández. L’équipe remontera rapidement à n’en pas douter.
Au niveau des joueurs, difficile de ne pas mentionner le onze de Peñarol, presque dans son intégralité. Le meilleur joueur ne se discute pas. Leo Fernández a été stratosphérique. Au-dessus statistiquement, au-dessus esthétiquement, au-dessus communément, au-dessus aux moments clefs, au-dessus nationalement, au-dessus internationalement. Il a été beau, il a été bagarreur. Il a été maladroit puis a rectifié le tir. Il a embrassé son maillot au premier match. Il a embrassé son maillot au dernier match. Il a été un immense joueur de football, fier, dans la force de l’âge. Il a brillé par l’équipe. Il a brillé pour l’équipe. Il a marqué dans le jeu, sur coup de pied arrêté. Il a été extraordinaire. C’est le joueur de l’année, mais d’une année qui a duré les trente dernières années.
Il a été entouré de très bons joueurs comme Washi Aguerre dans les cages. Peñarol a eu tendance à vouloir lancer des gardiens issus du centre, mais trop jeunes ces dernières années. Le retour d’Aguerre qui a gagné la titularisation sur Guillermo de Amores montre qu’il faut parfois laisser du temps aux gardiens. Il a été l’auteur de performances XXL en championnat comme en Libertadores (l’aller-retour contre Flamengo mamita).
En défense, Javier Méndez et Guzmán Rodríguez ont été intraitables. Que dire de plus que l’équipe n’a encaissé que dix-sept buts en championnat. Ils étaient accompagnés de Maxi Olivera, autre retour qui a fait très plaisir et qui a pris le poste de latéral gauche. Le poste de latéral droit est peut-être celui qui a été le moins « installé » du côté de Peñarol avec une alternance Pedro Milans ou Lucas Hernández. Le vieux (32 ans) Lucas Hernández ne pouvait en effet jouer tous les matchs, mais il a été précieux, métronome, à chaque apparition. Le meilleur latéral droit de la saison serait donc plutôt Leandro Lozano, très bon joueur bolso, issu de Boston River, dont la saison restera irrémédiablement marquée par la dernière embrassade donnée sur le terrain à Juan Izquierdo alors que ce dernier venait de s’effondrer. On ne l’oublie pas dans cette catégorie.
Devant eux, Damian García est la seule vraie « jeune pépite » dans cette équipe de Peñarol, à s’être imposé cette année. Il a été partout, courant, grattant, couvrant, tout en étant très bon techniquement à la relance. Il a souvent joué aux côtés d’Eduardo Darias, révélation improbable pour quiconque l’avait vu du côté du Deportivo Maldonado. Il a terminé la saison à un niveau extrêmement élevé et est une vraie interrogation pour la suite. En deuxième partie de saison, Rodrigo Pérez a été la surprise dans ce milieu, s’imposant dans un rôle aussi assez défensif mais très propre. Avec Jaime Baez, ce sont les deux « renforts » qui se sont le plus imposés
Devant eux, en 10, Leo Fernández. Évidemment. Maxi Silvera a été très bon en pointe dans ce rôle de pivot autour des deux ailiers et de Fernández. Sur les côtés, Leonardo Sequeira a un peu levé le pied en fin de saison mais le club lui doit beaucoup sur l’Apertura. De l’autre côté, Javier Cabrera restera comme l’auteur du but contre Flamengo et rien que pour ça mérite sa place dans l’équipe type de la saison.
Sur le banc, l’exploit de Diego Aguirre est immense puisqu’il a réussi une immense saison sur le plan national et une immense saison sur le plan international. Et il a terminé le dernier match en gueulant au micro « Vamos por la sexta ». Un demi-dieu.
Dans les remplaçants, beaucoup de Nacional évidemment avec Luis Mejía auteur d’une bonne saison, une charnière Sebastián Coates – Diego Polenta qui a montré de belles choses… Côté Boston River, Leandro Suhr a été un détonateur toute la saison avec Bruno Damiani qui s’est révélé en pointe pour sa première saison titulaire. Enfin, Dylan Nandín (Danubio) et Cristhian Tizón (Racing) ont été réguliers et ont porté leur équipe.
Il y a donc eu Peñarol, évidemment. Demi-finaliste de Copa Libertadores. En phase de groupes, l’équipe termine a une très bonne deuxième place avec trois victoires à domicile mais aussi une victoire à Caracas, le type de match que les carboneros n’arrivaient pas à gagner avant. En tant que deuxième, Peñarol aurait « dû » jouer Grêmio, qui n’avait qu’à gagner un match à domicile en retard contre le dernier qui n’avait plus rien à jouer, Estudiantes. Et de façon assez incroyable, l’Uruguayen Mauro Méndez (ex-Wanderers) égalise en toute fin de match pour les Argentins et envoie Grêmio en deuxième position à égalité de point mais avec une moins bonne différence de buts que The Strongest. Miracle pour Peñarol qui en profite pour rouler sur les Boliviens à l’aller (5-0) et tenir au retour (0-0). Rarement Peñarol n’aura autant « fait ce qu’il faut faire » que sur cette compétition. La suite est plus de l’ordre d’un geste, avec une victoire à domicile au Maracaná (1-0, action collective toute beauté conclue par Javier Cabrera). Deuxième victoire en cinq ans dans ce stade après une autre victoire, celle du but de Lucas Viatri en 2019. Au retour, et dans un Campeón del Siglo brûlant, Peñarol tient et se qualifie. Pendant un mois, les supporters rêvent des rêves dans leurs rêves. Peu importe la défaite (5-0) contre Botafogo. Il est logique qu’un club ne puisse pas battre tous les Brésiliens de la compétition, ce n’est pas très grave. Toujours en Libertadores, Nacional a réalisé un petit exploit en sortant des tours préliminaires puis en réalisant une belle phase de groupes derrière River Plate mais devant Libertad. La marche contre São Paulo était très haute et ce match restera marqué pour d’autres raisons. Troisième uruguayen, Liverpool, qualifié en tant que champion en titre, a rapidement perdu pied dans son groupe sans jamais être ridicule sauf une défaite (5-0) contre Palmeiras.
La Sudamericana a aussi été une bonne surprise avec un match qui rentrera dans l’histoire, la victoire (3-0) de Racing contre Argentinos Juniors. Match venant après un match nul contre le Corinthians à Montevideo. Cela place les Cerveceros sur la carte et leur permet une qualification en tant que deuxième derrière les Brésiliens. Malheureusement, ils ne passeront pas leur tour de barrage contre Huachipato aux tirs au but malgré une victoire au Chili au match aller. De quoi nourrir quelques regrets. Danubio aurait pu se qualifier, mais termine troisième d’un groupe dominé par la surprise Sportivo Ameliano.
Photo : Ernesto Ryan/Getty Images
La vraie déception pour cette année celeste est la non-qualification pour Paris 2024. L’équipe avait une certaine histoire à faire respecter, un entraîneur ayant de l’expérience (Marcelo Bielsa s’était imposé sans négociation) et un groupe de qualité emmené par Luciano Rodríguez. Dans un tournoi encore une fois organisé dans la zone Caraïbe, l’Uruguay a perdu ses deux premiers matchs et tous ses espoirs avec un premier match perdu (4-3) contre le Paraguay durant lequel on s’est dit qu’il y avait des réglages défensifs à faire, mais que ça s’arrangerait au deuxième match, et un deuxième match perdu contre une autre « puissance », le Chili (1-0), avec le sentiment que la défense est en place et que l’attaque n’a plus qu’à régler la mire. Il était dans tous les cas déjà trop tard et on ne peut que regretter l’absence de la Celeste à ce tournoi qui était le sien.
Marcelo Bielsa s’en est donc retourné gérer la A. Le premier semestre a été composé de matchs amicaux sans importance jusqu’à une nouvelle Copa América organisée en territoire nord-américain. Bielsa avait des bases solides et de la confiance à revendre depuis ses victoires contre l’Argentine et contre le Brésil en éliminatoires lors du dernier trimestre 2023. Et la Celeste avait bien préparée son affaire avec trois victoires en phase de groupes dont quelques très beaux matchs et des actions de haute voltige. En quarts de finale, l’Uruguay se débarrasse à nouveau du Brésil dans un match alliant maîtrise bielsiste et rage uruguayenne, notamment après l’expulsion de Nahitan Nández. Las, en demi-finales, l’Uruguay tombe sur une belle Colombie jouant bien le coup (à l’uruguayenne) en disputant notamment une mi-temps à dix. L’Uruguay a battu le Brésil trop tôt dans cette compétition, le statut de favori ne lui va décidément jamais bien.
Le groupe vit mal cette compétition et quelques joueurs lâchent Bielsa comme Matías Vecino ou Luis Suárez. Il est reproché à l’Argentin son management et son manque d’amabilité plus que son enseignement sur le jeu. Après quinze années du Maestro et de son aspect respectueux, proche des gens, capable de parler avec le jardinier du Compleo Celeste comme avec le Président de la République, la méthode Bielsa détonne forcément. Ce dernier ne veut parler ni avec le jardinier, ni avec le Président. Il a du travail. On pense le groupe touché mentalement mais aussi footballistiquement avec seulement trois points pris en quatre matchs entre septembre et octobre (dont des purges contre le Venezuela ou le Paraguay), mais le groupe se reprend bien et réussit à battre la Colombie dans un match mal embarqué, avant de faire match nul au Brésil. Deuxième avec vingt points à six journées de la fin, l’Uruguay est déjà virtuellement qualifié pour la prochaine Coupe du Monde. La sélection continuera avec Bielsa et il sera intéressant de suivre cela puisqu’il a imposé la nouvelle génération, qui comprend maintenant des cadres (Federico Valverde, Manuel Ugarte ou Darwin Nuñez) et qui sait ce que l’entraîneur veut. Il a son groupe, il l’a soudé en l’opposant d’abord aux journalistes en 2023, puis aux anciens en 2024. Alors, vaille que vaille, Vamos por la quinta !