Le Corner
·11 mai 2020
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Pendant les deux prochaines semaines, Le Corner vous fait voyager dans le temps à la découverte de quatre clubs allemands historiques, aux nombreux succès nationaux et continentaux, évoluant aujourd’hui bien loin de l’élite. A l’image de Sunderland en Angleterre ou Sedan en France, ces clubs ont quitté la lumière pour sombrer dans les divisions inférieures.
Une thématique chère aux supporters allemands, en témoigne la couverture du magazine allemand 11 Freunde de septembre 2019 : « Increvables : Les Traditionsvereine survivent à tout ». Traditionsverein, un terme spécifique pour qualifier ces clubs historiques, défini par l’historien Rainer Gömmel comme « un club existant depuis plusieurs générations, revendiquant des succès sportifs exceptionnels, et ayant fait émerger des stars et des idoles très importantes pour de nombreuses personnes ». Les clubs que nous allons vous présenter remplissent tous ces critères, mais contrairement au Bayern Munich, au Borussia Dortmund ou au Werder Brême, ils n’évoluent plus en Bundesliga, que ce soit depuis de nombreuses années, comme pour Munich 1860, ou deux saisons, comme le Hambourg SV. Ils sont plus proches de la faillite que des sommets, après avoir traversé des crises profondes. Ce sont ces chutes que nous allons vous conter dans les semaines à venir.
Membre fondateur de la Bundesliga et fournisseur de plusieurs champions du monde 1954, le 1. FC Kaiserslautern est actuellement 14e de 3. Liga et menace de faire faillite. Portrait d’un club historique allemand aujourd’hui en sursis.
Lorsqu’un voyageur prend le train à Paris pour se rendre en Allemagne, une halte à Kaiserlautern est souvent de rigueur. Bien que l’arrêt soit bref, il permet un bon aperçu de cette ancienne ville impériale de 100 000 habitants du sud-ouest de l’Allemagne : sur la gauche, la mairie de 84 mètres de haut surplombe le centre-ville, et sur la droite, en haut d’une colline, le Fritz-Walter Stadion domine le tout. Une vue qui n’a pas échappé à Youri Djorkaeff lors de son passage en Rhénanie Palatinat de 1999 à 2001. « Lorsque l’on voit le stade et la façon dont il s’élève au-dessus de la ville, on comprend très vite que Kaiserlautern est une ville de foot », avait déclaré le champion du monde 1998. Et l’ancien milieu de terrain ne s’y trompait pas à propos du FC Kaiserslautern, un des plus grands Traditionsvereine allemands. « Kaiserslautern est une petite ville, faible économiquement et avec peu d’attractions culturelles », raconte le Dr. Markwart Herzog, théologien et historien du sport. « Le 1. FC Kaiserslautern était la seule exception. Quand on parle de cette ville, on pense automatiquement au Betzenberg, [colline où se situe le stade, ndlr], au stade et au FCK », poursuit-il.
Le FC Kaiserlautern a profondément marqué l’histoire du football allemand, et ce dès le Mondial 1954. Face au Onze d’Or Hongrois de Ferenc Puskas, le sélectionneur allemand Sepp Herberger aligne cinq joueurs du FCK, dont quatre sont nés et vivaient à Kaiserslautern. Parmi eux figurait la légende Fritz Walter. Avec 306 buts inscrits en 379 matches et deux titres de champion en 1951 et 1953, l’ancien milieu de terrain est toujours le meilleur buteur des Roten Teufel (diables rouges) et une véritable légende. « On parlait du Walter Elf (le onze de Walter) et le FCK était considéré comme LE club de l’Allemagne. Le titre mondial a eu beaucoup plus d’impact à Kaiserslautern que partout ailleurs en Allemagne », raconte Dominic Bold, historien du FCK. Surtout, il incarnait et incarne encore son club : « beaucoup décrivent encore Walter comme le mythe du FCK, car il était un excellent joueur, qui accordait une grande importance au fair-play, et qui est toujours resté un homme humble. Malgré des offres financièrement intéressantes, il a toujours refusé de quitter le club », explique Herzog.
C’est en tant que membre fondateur que le FCK participe, 10 ans après son dernier titre, à la création de la Bundesliga en 1963. Mais il n’affiche alors plus son statut de plus grand club du championnat. « Kaiserslautern a rapidement eu le rôle de ‘l’Underdog’, ce club issu d’une petite ville allemande qui réussit à bien se classer avec des petits moyens. Il s’est installé comme le petit au milieu des gros, mais a aussi profité de sa situation unique dans le sud-ouest de l’Allemagne pour gagner en popularité », poursuit Dominic Bold. Avec sept top 6 de 1963 à 1990, le FCK s’impose comme une valeur sûre et un habitué du championnat. « Le club a offert aux habitants de Kaiserlautern et de sa région des souvenirs impérissables au fil de son histoire. Pensez simplement aux aventures européennes, à la victoire 5-0 face au grand Real Madrid [quart de finale de C3 1982] ou à l’élimination tragique face au FC Barcelone de Johan Cruyff à la dernière minute [2e tour de C1 1991/1992]. La victoire 7-4 contre le Bayern en 1973, alors que le FCK était mené 4-1 à la 57e minute, est également inoubliable », ajoute Herzog.
Ces rencontres mythiques ont forgé la légende du FCK au fil des générations, des années 50 jusqu’à la fin du XXe siècle. « Pour moi, le titre de champion en 1991 était le plus beau, car je l’ai vécu comme un jeune enfant », raconte quant à lui Thomas Hilmes, journaliste et directeur du Fanzine Der Betze brennt. « Le titre de 1998 était également extraordinaire, car j’étais au stade et le FCK a devancé le grand Bayern Munich en tant que promu », ajoute-t-il. Une performance unique outre-Rhin qui marque pourtant la fin des succès des Lauterer dans l’élite du football allemand. La perspective du Mondial 2006 pousse les dirigeants à investir massivement, à hauteur de 50 millions d’euros, dans la modernisation du Fritz-Walter Stadion, dont le club a toujours été propriétaire, pour accueillir cinq rencontres du tournoi. « La thématique du stade est essentielle dans l’histoire du FCK, qui a été l’un des premiers et seuls clubs à posséder sa propre enceinte. Mais les investissements consentis étaient beaucoup trop importants », analyse Dominic Bold, auteur d’un ouvrage sur l’histoire du stade.
« Le problème du FCK depuis 1998 est un enchaînement permanent de mauvaises décisions, dans le choix des joueurs, des entraîneurs et même des dirigeants. Le président du conseil René Jäggi, nommé en 2003, a dû régler environ 9 millions d’euros à cause de fraude fiscale de la part de ses prédécesseurs », raconte Hilmes. Malgré des joueurs de renom comme Michael Ballack ou Miroslav Klose, un cercle vicieux s’installe. Avec une issue inévitable : le FCK a été contraint de vendre son stade à la ville en 2003.
Une décision nécessaire et douloureuse, mais pas sans conséquence. « La vente du stade a entraîné de nombreux problèmes : pour y jouer, le FCK paye chaque année près de 3,5 millions d’euros, plus les coûts d’entretien et de gestion. Aujourd’hui, je pense que le stade coûte entre 5 et 6 millions d’euros par an au club. Pour un club de 3e division, c’est insoutenable », cède Dominic Bold. Car en 2006, les Roten Teufel sont relégués en 2. Bundesliga. Ils remontent en 2010, mais ne restent que deux ans, avant de sombrer en 2017 en terminant dernier de deuxième division. Les mauvais choix n’ont pas quitté le club qui végète aujourd’hui en 3. Liga, malgré un soutien invétéré de ses supporters. Avec environ 19 000 spectateurs par match à domicile, le FCK établit des records de fréquentation. « Sans les fans, le club n’existerait peut-être plus aujourd’hui », estime Hilmes.
Le club a une dette de 20 millions d’euros et la crise actuelle n’arrangera pas ses finances. Et cette fois, le soutien inconditionnel des fans, qui sont allés jusqu’à récolter 3 millions d’euros pour sauver le club en mai 2019, risque de ne pas suffire.
Sources :
Dominic Bold, 1. FC Kaiserslautern: Die Chronik. Verlag Die Werkstatt, Göttingen 2013
Markwart Herzog, Der „Betze“ unterm Hakenkreuz – der 1. FC Kaiserslautern in der Zeit des Nationalsozialismus. Verlag Die Werkstatt, Göttingen 2006
Crédit photos : Iconsport