SuperLeague : Coup d’État opportuniste ou révolution inéluctable ? | OneFootball

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·20 avril 2021

SuperLeague : Coup d’État opportuniste ou révolution inéluctable ?

Image de l'article :SuperLeague : Coup d’État opportuniste ou révolution inéluctable ?

Ce 18 avril 2021, tout laissait à croire qu’il s’agirait d’un après-midi dominical comme les autres pour les aficionados du football : rien de bien particulier prévu à l’horizon. Certains étaient en train de suivre la rencontre de leur équipe favorite quand d’autres attendaient la fin du week-end pour imiter les premiers. Cependant, dans le milieu de l’après-midi, le Sunday Times ainsi que le New York Times lâchèrent une bombe que beaucoup n’osaient pas véritablement imaginer : oui, le projet d’une SuperLeague européenne est définitivement acté et, plus que cela, il est prêt à transformer le football dans son ensemble. Toutefois, bien que les 12 clubs fondateurs de cette dernière devront assumer d’avoir vendu le football pour quelques billets de plus, l’UEFA n’a, malgré ses grandes déclarations et autres jérémiades, que ce qu’elle mérite.

Qu’est-ce qui fait la beauté du football ? Plus que d’admirer certains athlètes hors normes dont les performances laissent songeurs petits et grands, c’est sa glorieuse incertitude. Combien de fois a-t-on entendu dire que « si on joue ce match 10 fois, on le gagne 9 fois » suite à une victoire surprise de l’outsider face au favori ?


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Sur un match, tout est possible. Les exemples ne manquent pas, que cela soit en Coupe de France où il est fréquent qu’au moins une ou deux équipes largement inférieures sur le papier éliminent un favori (Canet-en-Roussillon tombeur de Marseille, Le Puy-en-Velay vainqueur de Lorient ou encore le Red Star victorieux face à Lens pour ne citer que l’édition 2020-2021), en Coupe d’Europe (la qualification surprise du FC Porto face à la Juventus de Turin en Ligue des Champions ou celle du Dinamo Zagreb face à Tottenham en Ligue Europa), voire même sur un championnat complet (Montpellier en Ligue 1 ou Leicester en Premier League) : de nombreux exploits sont là pour nous le rappeler.

Toutefois, si cette incertitude rend le football passionnant à suivre, cette incertitude est également un immense point noir pour les dirigeants et propriétaires des plus grandes équipes européennes.

Contre l’incertitude, pour les gros sous

La Juventus éliminée par Porto malgré les lourds investissements effectués par la Vieille Dame ? La sortie de route des Skyblues par l’Olympique Lyonnais ? Les Colchoneros raccompagnés à la porte par le RB Leipzig ? Le grand Real sorti par la jeune équipe de l’Ajax ? Tottenham mis dehors par le Dinamo Zagreb ? Le FC Barcelone stoppé à la surprise générale contre la Roma ? Pour les patrons de ces écuries, ce n’est pas possible. Enfin, si, mais cela ne doit pas arriver. David doit perdre contre Goliath, cela doit être comme ça et pas autrement. Les investissements doivent rapporter et ne pas être remis en cause par cette fameuse incertitude du sport. D’autant que ces clubs de seconde zone se permettent même de rafler une part du butin promis par l’UEFA, pourtant si maigre ! Insupportable pour Florentino Pérez, Andrea Agnelli et leurs consorts.

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Dire que la mise sur papier de ce projet de SuperLeague découle uniquement de ces éliminations serait un mensonge, mais pas un si gros mensonge que cela. C’est surtout une histoire de gros sous. Comme souvent, plus un club (ou une personne) est riche, plus il souhaite être encore plus riche. Cependant, il n’y a pas trente-six solutions pour cela, qui plus est en cette période de crise sanitaire touchant chaque club, chaque institution et chaque personne. Toutefois, alors que certains clubs ne savent pas encore s’ils existeront à l’horizon 2025, 12 des plus gros clubs européens ont décidé de couper le cordon avec les compétitions de l’UEFA, jugées trop incertaines et pas assez rentables, pour les nouveaux millions d’euros sonnants et trébuchants promis par cette fameuse SuperLeague européenne. Hors droits TV, le vainqueur de la Ligue des Champions se voit actuellement attribuer un chèque de 82,45 millions d’euros de la part de l’UEFA en cas de parcours sans faute (13 victoires). Des cacahuètes face aux 350 millions d’euros promis pour tout participant à cette SuperLeague, et ce quels que soient les résultats du club en question dans cette compétition.

L’Inter de Milan. L’AC Milan. La Juventus de Turin. Le Real Madrid. L’Atlético de Madrid. Le FC Barcelone. Manchester United. Manchester City. Chelsea. Arsenal. Tottenham. Liverpool. À eux seuls, ces 12 clubs cumulent 40 C1. Cependant, ces 12 clubs sont également des enfants pourris gâtés qui, sous couvert de pertes financières, de pandémie et d’une supposée modernisation du football, ont décidé d’aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Plus verte, ce n’est pas sûr. Plus dorée, certainement : c’est tout ce qui compte finalement. S’il n’est pas concevable de remettre en question le passé et l’aspect historique de certains clubs de cette liste, d’autres en revanche font nettement plus tache sur une prétendue élite historique et absolue du football. Arsenal, Tottenham, voire même l’Atlético ou City ? Sans vouloir jouer aux faux romantiques qui s’offusqueraient que Nottingham Forest ou le Steaua Bucarest ne soient pas admis dans ce club VIP, il semble opportun de rappeler qu’aucun de ces 4 clubs n’a jamais gagné la C1. Cependant, à défaut d’avoir un solide palmarès européen, ces derniers ont de solides avoirs sur leurs comptes bancaires : c’est bien tout ce qui compte.

Les différents acteurs de la planète football nous le rappellent tous les week-ends : dans le football, tout va très vite. Tout le monde savait qu’un tel projet était dans les cartons depuis bien longtemps. Toutefois, personne n’osait vraiment y croire. Il a suffi d’une douzaine d’heures pour que tout explose et ce n’est pas la levée de boucliers quasi unanime des supporters des équipes concernées et des fans de football en général qui risque de changer quoi que ce soit. Nous ne sommes, après tout, que de simples consommateurs, pour ne pas dire des porte-monnaie sur pattes. Que les billets arrivant dans la poche de ces 12 clubs soient en provenance de France, d’Angleterre ou de Chine, ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est que l’argent arrive à bon port. Or, les marchés asiatiques et américains sont en pleine expansion : cela serait dommage de ne pas en profiter.

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Il faut bien comprendre que, hormis de rares exceptions, le consommateur moyen de football européen outre-Atlantique ou à l’est de l’Oural n’a que faire d’un Marseille-Olympiakos, d’un Bruges-Lazio ou d’un Ajax-Atalanta. Non, il veut des Real-Barcelone, des Manchester United-Juventus, des Liverpool-AC Milan… Il ne veut que la crème de la crème sur le papier. Objectivement, il serait difficile de leur reprocher de souhaiter regarder ces matchs plutôt que les précédents. Mais une avalanche de ces grosses affiches, qui ne doivent normalement se produire qu’à la fin de la saison (hors championnat et coupes nationales), est-elle réellement souhaitable ? Non. C’est ce qui fait la beauté de ces rencontres : elles sont relativement rares en Coupe d’Europe et, quand bien même certaines seraient plus fréquentes que d’autres, elles sont le plus souvent extrêmement importantes pour la suite de la compétition. Qui aurait envie de regarder un Real-Juventus comptant pour la 3ème place d’une compétition ayant justement pour finalité de qualifier d’office tous ces gros clubs ? Même pour les fans absolus de ces institutions, au bout du 8ème Clasico de la saison ou du 6ème derby de Manchester, l’intérêt est bien moindre : c’est cette rareté, cette tension et cette incertitude qui font la beauté de la Ligue des Champions. Le site internet de la SuperLeague annonce d’ailleurs « les meilleurs clubs, les meilleurs joueurs, toutes les semaines ». Qui souhaite réellement cela ? Assez peu de réels supporters, mais beaucoup de consommateurs sur le pouce.

Cependant, à l’heure où l’UEFA se porte comme garante absolue des principes fondamentaux d’équité sportive, comme l’organisatrice d’une compétition au sein de laquelle chacun a sa chance et tente d’apparaitre tel un chevalier blanc, il ne faut pas occulter que c’est justement elle qui a semé, malgré elle, les graines de ce projet de SuperLeague. Le club des 12 n’a finalement fait que pousser l’UEFA dans une tombe qu’elle avait déjà creusée.

L’UEFA battue à son propre jeu

Alexsander Čeferin, président de l’UEFA, a déclaré suite à l’annonce de ce projet de compétition VIP que « la SuperLeague crache au visage des fans de foot ». Des paroles fortes, tombant néanmoins vite à plat pour tout suiveur avisé des compétitions européennes de clubs, notamment de la Ligue des champions. Monsieur Čeferin est bien mignon à vouloir endosser le costume de sauveur du pauvre fan de football face aux méchants présidents de clubs voulant toujours plus d’argent, mais cela ne tient pas. Comme un enfant obtenant toujours gain de cause face à des parents trop conciliants et finissant par en demander toujours plus, il arrive forcément un moment où la demande est trop forte et où l’enfant va se voir adresser un « non » ferme et sans équivoque. Celui-ci partira alors bouder et, faute d’avoir une réelle influence sur ce qu’il peut faire à ses parents, finira par se contenter de ce qu’ils veulent bien lui donner. Toutefois, ces douze clubs ne sont pas des enfants et n’étaient soumis à l’UEFA que par avantages réciproques. Surtout, ces douze clubs savent qui ils sont et ce qu’ils représentent, aussi bien en termes d’image, de marketing, d’influence ou encore de puissance financière : ils savent qu’ils sont tout à fait en capacité de mettre l’UEFA sous pression.

Cette dernière a, comme à son habitude, donné un doigt à ces 12 clubs en colère avec une nouvelle réforme de la Ligue des Champions visant à protéger ces « historiques ». Des phases de poules plus longues, signifiant de facto plus de matchs, donc plus de droits TV ainsi que de recettes de billetterie et donc une enveloppe plus conséquente pour les clubs allant loin dans la compétition (autrement dit et en théorie pour les gros), avec un nouveau système pour se prévaloir d’un échec d’un membre du gratin européen à se qualifier au travers de son championnat. Formule idéale et gagnante-gagnante pour le board de l’UEFA, pensait-il. Sauf qu’à force de donner le doigt pour satisfaire les caprices de ce microcosme élitiste, ce dernier va forcément finir par réclamer le bras, voir le corps tout entier.

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Tout n’est cependant pas de la faute de monsieur Čeferin. Le problème est bien plus profond. Alors qu’elle n’a accueilli pendant longtemps que les champions de ses fédérations les plus renommées (et donc lucratives), la Ligue des Champions a commencé à renier son nom en admettant les vice-champions, puis les troisièmes ainsi que les quatrièmes de certaines fédérations. Alors certes, cette évolution permet à certains clubs européens de pouvoir affronter les plus grands, mais il va sans dire qu’il vaut mieux pour l’UEFA s’assurer que le Real ou la Juventus soient le plus souvent possible présents dans leur compétition, car ce sont les gros clubs qui font réellement vendre. Cette formule, autorisant de plus en plus d’équipes à prendre part à la reine des compétitions de clubs, permet hypothétiquement à chaque club participant de rêver de soulever la coupe aux grandes oreilles. Sur le papier, rien n’empêche un troisième ou un quatrième de son championnat de remporter le titre suprême. Le Real l’a d’ailleurs souvent montré ces dernières années : entre 2014 et 2020, les Merengues ont remporté 4 fois la Ligue des Champions mais n’ont remporté la Liga que deux fois.

Néanmoins, dans les faits, cette protection au travers de la multiplication des places qualificatives dans les grands championnats empêche quasiment toute surprise sur le nom du vainqueur final, les plus gros se partageant le gâteau entre eux, n’étant même plus dans l’obligation de faire une grosse saison en championnat pour se qualifier en Ligue des Champions la saison suivante. Gâteau dont il ne reste finalement que les miettes pour les autres clubs : seul le FC Porto, en 2004, a été un vainqueur pouvant être qualifié de « surprise » depuis le passage au 3ème millénaire. Des cas de figure encore plus invraisemblables sont parfois possibles, comme avec la participation de Chelsea à l’édition 2012-2013 en tant que tenant du titre, malgré une saison 2011-2012 finie à la 6ème place de Premier League, mais la question de la possibilité ou non pour un tenant du titre de défendre son trophée est un autre débat.

En outre, l’accroissement des ressources des plus grands clubs couplé à des participations quasiment annuelles à la reine des compétitions amène à un cercle vicieux de profits toujours plus importants, transformant déjà la Ligue des Champions en une compétition semi-fermée où, exception faite des éditions 2003-2004 et 2019-2020, aucune finale depuis l’édition 1996-1997 n’a accueilli un club ne faisant pas partie des 4 grands championnats européens. En outre, les 6 clubs anglais, les 3 clubs italiens ainsi que 3 des 4 clubs espagnols (Valence étant l’exception) ayant atteint la finale depuis l’édition 1996-1997 sont justement les 12 frondeurs, tournant le dos à une compétition qui leur a tant apporté (financièrement, historiquement et populairement) pour créer une compétition encore plus lucrative. Tel est pris qui croyait prendre.

Alors oui, on pourrait se dire « bon débarras », « ça changera un peu », « tant mieux, il y en a marre de voir toujours les mêmes gagner » et cetera. Cependant, sans ces 12 clubs (et encore, quand on voit les parcours récents de Manchester United, de l’Inter de Milan ou de Tottenham, malgré leur finale lors de l’édition 2018-2019, sans parler des absences régulières d’Arsenal et du Milan AC, la question de l’influence récente de ces derniers en Ligue des Champions peut se poser), il va sans dire que la Ligue des Champions fera moins rêver. En outre, si le projet va au bout, le PSG, le Bayern et Dortmund risquent d’avoir une main mise presque insolente sur le trophée. Enfin, à ceux qui diraient que la Ligue des Champions va retrouver un charme d’antan avec de multiples vainqueurs potentiels, il ne faut pas oublier que cette compétition existe déjà : c’est la Ligue Europa, et ce sans être péjoratif. Cela dit, et c’est là que toute la problématique se pose, considérer que la Ligue des Champions n’est plus la Ligue des Champions si des équipes, quelles qu’elles soient, décident de quitter le navire, revient à donner raison à ces dernières. La situation est ainsi très épineuse pour l’UEFA, qui se retrouve assise entre deux chaises.

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L’UEFA s’est donc, au travers de ses multiples réformes ne cherchant qu’à avantager certains historiques et/ou puissants (on pensera notamment au fair-play financier, qui était officieusement mis en place pour protéger la coupe aux grandes oreilles des nouveaux investisseurs risquant de ravir cette dernière aux clubs « historiques »), mordue la queue et ne peut s’en prendre presque qu’à elle-même, rendant à terme la scission presque inéluctable. Il est d’ailleurs assez ironique de voir que désormais, devant le refus du PSG (pour le moment) de prendre part à cette SuperLeague, l’UEFA cherche presque à glorifier le club de la capitale, en faisant de ce dernier un modèle de lutte face aux frondeurs tout en promettant des sanctions à l’encontre des clubs et joueurs participants à cette nouvelle SuperLeague.

Quid des éventuelles sanctions promises par l’UEFA ?

En outre, un véritable imbroglio juridique se dessine. Au-delà de l’aspect émotionnel, ce séisme qui touche le football européen est en passe de poser sur la table de nombreuses questions sur le volet du droit. Alexsander Čeferin a déclaré, en ce lundi 19 avril, que « les joueurs qui participent à cette ligue fermée ne pourront pas jouer avec leur sélection », afin de tenter de limiter au maximum la participation des acteurs du football à cette nouvelle compétition. Bien évidemment, les joueurs ne sont pas les seuls concernés : les clubs prenant part à cette SuperLeague se verront privés de participer à leurs championnats nationaux et les arbitres ne pourront plus arbitrer dans une compétition organisée par l’UEFA.  À ce stade, il est impossible de mesurer toutes les conséquences juridiques de l’annonce de création de cette SuperLeague. Toutefois, il convient d’envisager quelques pistes de réflexion sur les leviers juridiques existants pour interdire aux joueurs de participer aux compétitions internationales.

Tout d’abord, un club pourrait-il  se voir effectivement exclu du championnat national dans lequel il évolue en cas de participation à cette SuperLeague ? Envisagé comme une nouvelle coupe d’Europe se déroulant en parallèle des différents championnats nationaux, les 12 clubs contestataires ne veulent pas remettre en cause leur possibilité de se positionner sur les deux tableaux. Néanmoins, l’UEFA et les fédérations nationales concernées ne l’entendent pas de cette façon, puisqu’elles veulent exclure les clubs participants à cette SuperLeague des différents championnats nationaux. À titre de comparaison, le football est en passe de connaître ce que le basket-ball vit depuis plus de 20 ans.

En effet, la Fédération Internationale de Basket-Ball (FIBA) est en concurrence avec l’EuroLeague (compétition privée créée par les plus puissants clubs européens de basket-ball), EuroLeague assimilable à une compétition européenne semi-fermée réservée aux clubs de basket du haut du panier. La FIBA et les différentes fédérations nationales sont concrètement impuissantes face à l’Euroleague depuis de nombreuses années et ce malgré les différentes plaintes déposées devant la Commission européenne, cette dernière ne cessant de renvoyer la balle entre les deux parties. Sans véritablement trancher sur l’exclusion d’un club dans un championnat, les juges laissent ainsi l’appréciation de tout cela au compromis… Est-ce le chemin qui se dessine dans le football ? Laisser à l’UEFA et à la SuperLeague la charge de trouver un compromis pour qu’il n’y ait pas d’exclusion des clubs des compétitions nationales et internationales ? Il serait préférable pour le football, sport le plus populaire au monde, d’espérer une autre issue que des petits arrangements entre amis (et ennemis désormais), fondés sur des velléités politiciennes.

L’autre question principale se posant dans le cadre des sanctions éventuelles est relative aux joueurs : est-ce que ces derniers pourraient être réellement exclus des championnats nationaux ainsi que des sélections en cas de participation à cette Superleague ? À en croire l’UEFA, si un joueur prend part à ces réjouissances entre ultrapuissants, il ne pourra plus gambader sur les différents terrains internationaux vêtu de la liquette de son pays. Ainsi, Lionel Messi ne pourrait pas participer au  Mondial 2022 au Qatar, Cristiano Ronaldo ne pourrait pas défendre son titre européen avec le Portugal lors de l’Euro 2021 et l’Équipe de France pourrait être privée d’Antoine Griezmann, de son capitaine Hugo Lloris ou encore de Paul Pogba. Toutefois, cette menace ne serait-elle pas, à nouveau, de la poudre de perlimpinpin ?

Ronaldo pourra-t-il défendre son titre à l’Euro cet été ?

En 2018, la Cour de Justice de l’union européenne s’est prononcée sur un cas de figure similaire, dans une affaire concernant le patinage sur glace. Dans les faits, deux patineurs professionnels, à savoir Mark Tuitert et Niels Kerstholt, avaient été sanctionnés par l’Union Internationale de Patinage pour avoir pris part à des compétitions internationales non homologuées et ont été, en conséquence, privés de compétitions officielles. Les juges européens ont cependant estimé qu’une telle sanction était une atteinte au droit à la concurrence, tout en rappelant leur opposition à toute situation de monopole, y compris dans le domaine sportif : les patineurs avaient alors obtenu gain de cause. Si une telle jurisprudence devait être transposée dans le cadre du football, il serait alors difficile d’interdire aux joueurs prenant part à cette SuperLeague de participer aux compétitions officielles organisés sous l’égide de l’UEFA.

Cependant, La FFF et la LFP ont, quant à elles, déjà fait savoir qu’elles s’opposaient à ce projet de ligue fermée. Toutefois, quel serait le réel intérêt pour la FFF et les autres fédérations de se priver de leurs meilleurs joueurs pour les compétitions auxquelles elles participeraient ? Quid de l’Italie ou de l’Espagne, dont la grande majorité des joueurs est directement concernée par ces sanctions éventuelles ? La FIFA souhaite-t-elle réellement organiser une compétition au rabais pour soutenir l’UEFA dans sa croisade ? Même si la FIFA va pour l’instant dans ce sens (à savoir une exclusion de ses compétitions des joueurs concernés), il n’est pas dit qu’elle fasse rapidement volte face… En outre, quid du Royaume-Uni, qui ne fait plus partie l’Union européenne depuis le 1er janvier 2021 et qui pourrait ne pas dépendre des instances de la justice européenne ? Toutes ces questions devront être tranchées par les tribunaux et il ne fait nul doute que des armées de juristes et d’avocats sont déjà sur le pied de guerre. De nombreuses surprises relatives à ces combats juridiques sont à prévoir, combats qui n’en sont qu’à leurs balbutiements et qui s’annoncent déjà houleux et passionnants.

Enfin, concernant les joueurs : à supposer que ces derniers soient effectivement exclus des autres compétitions, ne s’en ficheraient-ils pas finalement ? À l’heure actuelle, prendre part à cette SuperLeague signifierait sur le papier certes une suspension des autres compétitions, mais cela veut également dire moins de matchs, donc moins de travail et ce pour des salaires toujours plus importants (il est clair que les joueurs seront les premiers gagnants de cette nouvelle manne financière dont les clubs du big 12 disposeront). Qui ne refuserait pas d’être payé plus pour travailler moins ? Alors oui, Bruno Fernandes (Manchester United) et João Cancelo (Manchester City) ont déjà fait part de leur opposition à ce projet via leurs réseaux sociaux. Cependant, si les enfants d’aujourd’hui rêvent de disputer un jour la Ligue des Champions, ne rêveront-ils pas, dans un avenir proche, de prendre part à cette SuperLeague ? Une telle question ne peut être évitée et ça, Pérez, Agnelli ainsi que toute leur bande l’ont bien compris.

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L’UEFA peut donc menacer autant qu’elle veut les clubs scissionnaires, ces menaces ont des chances de ne pas faire le poids devant les juridictions compétentes. En outre, même dans le cas où, comme annoncé, les joueurs prenant part à cette SuperLeague seraient effectivement bannis des Euros, Coupes du Monde et autres compétitions propres aux équipes nationales, rien n’empêcherait cette nouvelle alliance de créer ses propres sélections, avec pourquoi pas une sélection hispanique, une sélection de Grande-Bretagne, une sélection transalpine, une sélection francophone ou encore une sélection d’Europe de l’Est et ce dans un nouveau tournoi créé de toutes pièces. Un joyeux chaos en perspective.

Alors, à qui la faute ? Aux nouveaux super-clubs, faisant fi de l’incertitude du sport et des exploits mémorables de clubs plus modestes face à leur toute-puissance ? À l’UEFA, qui, à force de toujours donner raison aux contestataires, a fini par se retrouver coincée ? Aux dirigeants des clubs en question, toujours plus avides de billets verts et qui, malgré leurs promesses de redistribution à terme des bénéfices, ne voient en réalité pas plus loin que le bout de leurs nez ? Ce qui est sûr, c’est que si ce projet se met réellement en place, le football de demain n’aura plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui, football qui est déjà à des années-lumière de celui d’hier.

Le football, devenu au fil du temps le sport populaire par excellence, en sera transformé à jamais et deviendra un véritable produit de luxe, fait par les puissants et pour les puissants, objet de consommation rapide sans grand intérêt. On entend souvent, quand une équipe est en crise, que « les joueurs et dirigeants vont et viennent, mais les supporters restent ». Au vu de la réaction de bon nombre de supporters des clubs faisant désormais partie du dodécagone VIP du football, il n’est désormais plus sûr que ce dicton soit voué à perdurer.

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