Caviar Magazine
·17 octobre 2021
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Deux monuments de Vérone se sont fait concurrence. Qui de Roméo et Juliette ou du Chievo Vérone avait l’histoire la plus dramatique ? Si, en 1597, Juliette est arrivée trop tard pour sauver son amoureux, le club de football peut, lui, compter sur le soutien de l’homme de sa vie, Sergio Pellissier. 424 ans après la pièce de théâtre dramatique de William Shakespeare, la tragédie a été évitée de peu dans la cité italienne.
27 juillet 2021. Le soleil joue avec la pluie sur la Piazza Bra de Vérone. L’atmosphère est lourde. Le mercure dépasse aisément les trente degrés. Un temps poisseux qui tranche avec les sueurs froides qui parcourent les corps des tifosi du Chievo Verone. La nouvelle fait souffler un vent glacial sur la ville. Un peu plus d’un mois avant la reprise de la Serie B, le Chievo n’est pas autorisé à s’engager dans l’antichambre de l’élite. Le club est rétrogradé administrativement en Serie D. Ce n’est que provisoire. Vérone ne trouve pas de repreneur et se retrouve rayé de la carte du calcio.
Impensable pour Sergio Pellissier. En vingt ans, 517 matchs et 139 buts, le joueur le plus capé de l’histoire des Granata a tout connu au stade Marcantonio-Bentegodi, de la deuxième division aux barrages de Ligue des champions. L’ancien numéro 31 n’est pas arrivé à trouver un repreneur à temps ? Il se lance avec son compère Enzo Zanin et crée le FC Chievo 1929. Pour des raisons administratives, le club sera ensuite renommé FC Clivense, l’appellation Chievo appartenant à l’ancienne entité. Tout (re)commence en Terza Categoria, la neuvième et plus basse division du pays.
Sergio Pellissier (à droite) habillé en jaune et bleu, tiens tiens… Crédit photo : BPEFOTO/BOLDRINI
« Pour la ville, la plus belle histoire d’amour ,c’est Roméo et Juliette. Mais pour moi, c’est Sergio et le Chievo Vérone. C’est une histoire qui a duré longtemps, vingt ans de carrière. C’est une partie de ma vie. » À écouter Sergio Pellissier parler de son club, dans un français très bien maîtrisé, des étoiles dans ses yeux se devinent facilement. Qui a dit que l’amour ne dure que trois ans ?
« Toutes les fois où je pense au Chievo je pense à une équipe qui peut jouer encore longtemps en pro. C’est pour moi une chose tragique, parce que j’ai passé vingt ans dans cette équipe. Ce n’est pas possible de ne pas la voir en championnat, c’est difficile d’accepter. » La vie sans les Granata est inconcevable pour Sergio Pellissier. Mais le président du FC Clivense tient à le préciser, il ne faut pas voir son club comme un Chievo B.
« Ce n’est pas le Chievo, précise-t-il. C’est une autre équipe, une autre aventure, autre chose, mais avec le même cœur, la même idée, pas les mêmes personnes. Seulement ceux qui ont aimé le Chievo. Pour moi qui aime cette équipe, c’est une possibilité d’en avoir une avec la même philosophie. J’ai encore un peu de Chievo dans mon corps. J’ai trop d’amour pour ce club pour en aimer un autre. »
« Une grande tristesse et un grand désarroi, pour Mattia, fidèle parmi les fidèles. Le Chievo faisait et fait toujours partie de ma vie. Penser que je ne l’ai plus, c’était très triste ». Sergio, lui, se découvre un amour pour le club en 1994, à l’occasion du premier derby en Serie B avec le Hellas. En découlent des années d’abonnement. Pour lui, cette situation inspire plus d’incompréhension que de tristesse : « On savait depuis quelques années qu’il y avait des problèmes financiers, je n’ai donc pas été surpris que l’équipe soit exclue des championnats nationaux, même si je trouve la sentence injuste car il y a beaucoup d’équipes en plus mauvaises postures financières que le Chievo. »
La classe à l’italienne. Foto IPP/Mirko Barbieri
Pour l’ancien international italien, « beaucoup de personnes ont été ravis de la situation, environ 90% ». Mais si Sergio estime que « Pellissier est la personne qui peut le mieux perpétuer l’héritage du Chievo » et que « la ligue dans laquelle vous jouez n’a pas d’importance », Mattia est, lui, plus sceptique. « Clivense n’est pas le Chievo, il y a beaucoup de choses qui ont changé, à commencer par les couleurs, note-t-il. Mais c’était une façon de garder les fans ensemble et de ne pas les laisser sans équipe. D’autres solutions auraient été meilleures, mais il semble que c’était la seule possible. »
Malgré sa déception, il n’oublie pas d’ajouter une touche d’autodérision : « Maintenant c’est facile d’aller aux matchs à l’extérieur parce qu’ils sont presque tous dans la région de Vérone. » Lors des rencontres de Clivense, des banderoles des North Side, les ultras du Chievo, sont apparues dans le kop. Histoire de montrer que de nombreux supporters restent là pour pousser, contre vents et marées. Et qu’ils adhèrent au projet.
Au FC Clivense, Sergio Pellissier est parti de rien. Pour commencer, un coach a été nommé, en la personne de Riccardo Allegretti, alors en charge des U19 de Monza. L’ancien milieu avoue ne pas avoir mis longtemps avant d’accepter ce défi aux airs de Football Manager dans la vraie vie. « J’ai accepté parce que j’aime les défis et parce que j’ai confiance en Sergio et dans le projet qu’il veut mettre en œuvre. C’est un projet aux objectifs clairs, non seulement en termes de football mais aussi en termes de structure et de solidité du point de vue du club. Je ressens une grande confiance et une grande responsabilité, c’est ce que je recherchais et aujourd’hui, je suis fier du choix que j’ai fait », avance-t-il.
Jamais deux sans trois pour Clivense qui défait Zai Golosine chez lui, le 10 octobre (1-0). Avec toujours des supporters venus en nombre. bpe foto/ Boldrini
Deux jours après sa nomination, l’entraîneur doit relever une première mission : bâtir un effectif suite aux détections organisées par le club. Et la tâche n’est pas aussi simple que prévu, ces deux journées étant victimes de leur succès : « Je suis parvenu à construire un effectif simplement en essayant de sélectionner ceux qui m’avaient le plus impressionné lors des deux jours de tests et la semaine suivante pour en sélectionner d’autres en essayant également de réfléchir au système de jeu à adopter. Le scoutisme a été bien au-delà des attentes en termes de fréquentation… Il y a eu une grande participation et un grand engagement. J’espère que tout le monde a apprécié notre volonté de faire essayer tous ceux qui le souhaitaient. » Cette forte demande, le Mister Pellissier ne s’y attendait pas. « Nous avons des joueurs de Catane, de Brescia, de Côme, de tout le pays, énumère-t-il. Un joueur allemand était là. C’était une chose bizarre, étrangère pour moi, mais cela m’a fait très plaisir. C’est important pour la ville, le club et moi. »
En quatre journées, le club s’est imposé à… quatre reprises. Satisfait, Riccardo Allegretti espère que les ingrédients mis par ses protégés attireront le public au stade : « Notre objectif est de donner le meilleur de nous-mêmes, toujours essayer de tirer le meilleur de notre équipe avec un grand engagement et un grand respect pour nos adversaires. Nous avons pris un bon départ avec un public qui nous pousse… J’espère que nous pourrons toujours donner satisfaction à ceux qui nous suivent. » Vous l’aurez compris, cette équipe veut gravir les échelons le plus vite possible. Le président ne dira pas le contraire : « L’objectif, à court terme, c’est de remonter tout de suite. » Lui aussi veut des victoires pour récompenser un public venu voir un match des tréfonds du football italien. « Les victoires, c’est très bien. Pour la situation, les personnes qui viennent regarder les matchs, c’est important de bien figurer en championnat », martèle-t-il avec son français teinté d’un accent transalpin.
Les nouveaux locataires du stade Aldo-Olivieri devraient voir débarquer une recrue de poids dans les prochaines semaines. Sergio Pellissier, en personne ! L’ancienne gloire du Chievo est inscrite sur la liste officielle des joueurs du FC Clivense. Deux ans après sa retraite, presque vingt-cinq ans après son premier match (le 9 mars 1997), à 42 printemps. Encore un défi de taille pour l’attaquant, qui opère « un travail de remise en forme ». Pour l’instant, il laisse quand même placer le doute sur son retour : « Je n’ai pas encore décidé si je vais jouer, mais je pense faire un match pour dire que j’ai joué. »
Pour l’instant, il se concentre sur son poste de président. Même si troquer les crampons pour le costard et regarder les rencontres depuis la tribune présidentielle, ce n’est pas toujours une partie de plaisir. « C’est bizarre mais j’étais déjà directeur sportif au Chievo, rappelle-t-il. Tu dois commencer à penser que tu ne seras pas joueur à vie. Si tu veux rester dans le foot, tu dois penser à trouver un autre travail. Président, c’est vraiment beau et excitant. » Dans la cité des amoureux, la relation entre Sergio Pellissier et le Chievo semble indéfectible.
Loïc Bessière