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·5 mars 2021
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Avant d’exploser aux yeux de l’Europe entière au Sporting puis à Manchester United, Bruno Fernandes a fait ses classes dans trois écuries italiennes sans jamais réussir à révéler l’ensemble de son immense potentiel. Récit d’une trajectoire d’abord étonnante puis frustrante.
C’était il y a exactement 400 jours. 30 janvier 2020, Manchester United s’offre le plus gros transfert du mercato hivernal en recrutant Bruno Fernandes contre 55 millions d’euros. Ce n’est pas la première fois que les Red Devils signent un gros chèque et les investissements massifs des dernières saisons n’ont pas toujours porté leurs fruits. C’est donc assez logiquement que quelques doutes émergent sur le capacité du milieu portugais à briller chez les pensionnaires d’Old Trafford.
Treize mois plus tard, Bruno Fernandes ressemble plutôt à la meilleure recrue mancunienne depuis des lustres. Avec 34 buts et 21 passes décisives en 61 apparitions, il est directement impliqué sur plus de la moitié des réalisations de son équipe.
À 26 ans, le Portugais semble à l’apogée d’une carrière en professionnel qui court depuis presque 10 ans et des débuts déjà tonitruants dans le Piémont.
Novara – Eté 2012. Nous sommes aux pieds des Alpes, dans le Piémont entre Milan et Turin, terres bénies du football italien qui gagne, qui forme et transforme.
Alors que la Juventus de Pirlo ravit le Scudetto au nez et à la barbe du Milan d’Ibra, les émotions sont contrastées chez les Gaudenziani. Les Piémontais n’ont pas réussi leur mission maintien et ont fait l’ascenseur en Serie B.
À contexte morose son lot d’heureux événements fortuits, l’histoire du football italien en a presque fait un dicton, et c’est un peu comme cela qu’un gamin de 17 ans débarque sous les chaleurs nord-italiennes du mois d’août.
Mauro Borghetti, alors directeur sportif de Novara, souhaite innover pour renforcer sa formation U19. Sur recommandation, il file au Portugal pour participer à quelques détections et c’est à Boa Vista qu’il tombe un peu par hasard sur Bruno Fernandes.
«Un samedi matin, j’ai pris un vol pour le Portugal pour assister à un match de Boavista des moins de 19 ans. Bruno m’a frappé par sa technique au-dessus du lot. Même s’il n’a pas vraiment brillé dans ce match, j’ai retenu d’emblée sa personnalité et sa créativité», raconte le DS dans les colonnes du magazine anglais Outlook.
Arrivé au Novarello, le centre de formation de Novara, le gamin pas encore majeur épate. « En une semaine, il a commencé à communiquer avec le groupe en italien. Ça l’a beaucoup aidé parce qu’il était le seul étranger, le seul Portugais dans une équipe complètement italienne. » se souvient Borghetti.
Une fois tombée la barrière de la langue, le Portugais qui fête sa majorité au début de la saison fait preuve de caractère et ne tarde pas à se faire remarquer, cette fois sur le terrain.
Lors de son premier match amical, il slalome, dribble et fait montre d’une technique largement au-dessus du lot. Clin d’œil du destin, c’est face à la Sampdoria, sa future équipe, qu’il fait des ravages.
Giacomo Gattuso, alors entraîneur de la Primavera (l’équipe U19, ndlr) prend la mesure du potentiel du Portugais, notant toutefois un détail. « Le problème de Bruno à cette époque, c’est qu’en le voyant en short et en maillot, il ne t’inspirait pas confiance. Puis tu le voyais avec la balle au pied et tu te disais, bon ok… », confie l’intéressé à Canal +.
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Briller en U19 oui, puis s’installer dans le XI de l’équipe première, la trajectoire précoce de Fernandes n’était pas vraiment dans les plans du staff et de la direction. Les circonstances chaotiques autour du club piémontais vont précipiter les choses. L’entraîneur Tesser est rapidement remercié, Gattuso prend en main l’intérim, l’occasion d’installer son diamant portugais comme meneur de jeu.
Et nul doute que le numéro 32 vécut un moment particulier pour sa première. Dans un contexte délétère où l’ensemble de l’équipe est sifflée sans discontinuer, Fernandes récite à nouveau ses gammes. Comme en amical, il inscrit un nouveau but magique : une course folle de 30 mètres, trois joueurs éliminés, puis un missile téléguidé sous un air de bem vindo.
21 matchs, quatre buts et deux passes décisives : c’est le bilan encourageant de Fernandes pour sa première saison italienne. Les Piémontais passent en une dizaine de journées de l’avant-dernière place à la qualification pour les play-off qu’il perdront face à l’Empoli de Maurizio Sarri. Pour Bruno Fernandes, les sirènes de la Serie A chantent déjà.
« Novara recherchait un autre gars de Boavista. Des dirigeants sont venus le voir, après 20 minutes il ont quitté les gradins : ils avaient déjà compris. Ils m’ont choisi. » Bruno Fernandes à Cronache di Spogliatoio.
« Il avait son dictionnaire et un bloc de post-it. Sur chaque objet qu’il ne connaissait pas en italien, il collait un papier pour se souvenir du nom. » Mauro Borghetti, ex DS du Novara Calcio à Canal +.
« Si tu es devenu un grand attaquant, c’est grâce à moi. Tu as commencé à marquer avec mes passes à Novara. » Bruno Fernandes à Haris Seferović (Benfica) pour Sic noticias.
Du haut de son mètre 79 et de ses 75kg, Fernandes est de nouveau confronté aux préjugés sur son physique un tantinet gringalet. «À l’été 2013, Bruno avait déjà l’étiquette d’une promesse, son nom tournait dans la presse mais personne n’avait trop vu ses matches, raconte le correspondant local de l’Udinese pour le Corriere dello Sport. À sa première conférence de presse, beaucoup de journalistes ont jeté des jugements hâtifs».
Comme à Novara, le Portugais apporte aux critiques son aisance technique sur le terrain. «Bruno, c’est le mec qui arrivait à l’avance à l’entraînement et qui repartait après tout le monde. Il fait partie de cette trempe de joueurs qui sont biberonnés à la performance», révèle son ancien coéquipier Thomas Heurtaux, qui l’a côtoyé durant deux saisons à l’Udinese. «À peine arrivé, il se comportait déjà comme un ancien. Ça a pu être interprété comme de l’arrogance, ça n’était pas du tout le cas», poursuit Heurtaux.
Sous la maillot bianconero, Bruno Fernandes joue environ quatre-vingt matchs et marque dix buts, mais laisse encore des doutes sur sa réelle valeur. Tantôt facteur X, tantôt fantôme, le natif de Maia est sur courant alternatif. «Il avait déjà le tempérament d’un furioclasse. L’Udinese, c’est une école de foot, je ne pense pas qu’il ait appris beaucoup techniquement. En revanche, il a confirmé qu’il appartenait à une catégorie de joueurs au-dessus du lot, et il le savait lui-même», analyse Thomas Heurtaux qui relaye également une anecdote sur la personnalité du Portugais : « En 2016, on a regardé l’Euro ensemble. C’était sympa, mais ce qui m’avait marqué c’est qu’il était dégoûté de ne pas y être. Le gars n’avait jamais mis les pieds en A mais il s’attendait à être dans la liste».
«Docteur Jekyll et M. Hyde avec un maillot à rayure», voilà l’un des sobriquets affublés à Bruno Fernandes, irrégulier ou peut-être un peu immature pour le rôle de regista qu’on voulait lui donner. Son équipe est pourtant loin de manquer de qualité. Il côtoiera entre autres : Di Natale, Luis Muriel, Zielinski, Duvan Zapata ou encore Allan.
C’est peut-être le fond du problème. Fernandes n’est pas encore le joueur capable de faire briller ses coéquipiers. Bridé dans le rôle du créateur, il est plus performant lorsqu’on lui retire cette étiquette, et par la même celle du nouveau Rui Costa qui lui colle à la peau.
Retournés, lobs, frappes de loin en pagaille, ses 10 buts inscrits pour les Zebrette sont aussi là pour le rappeler. Tactiquement, le Portugais doit s’affranchir des contraintes tactiques pour donner la pleine mesure de son talent.
« Avec ses dents saillantes, ses épaules étroites et ses cheveux toujours en désordre, Bruno Fernandes a l’air trop extravagant pour coller à notre idée de la fantaisie. » Portrait pour la Gazzetta dello Sport – 2016.
» Je l’ai encouragé sur le terrain, puis à se marier. J’ai insisté partout. » Andrea Stramaccioni, ancien entraîneur de l’Udinese.
« Celui qui va le plus à la salle de sport n’est pas celui qui marque le plus. » Bruno Fernandes pour Goal.
Quand la Sampdoria propose un prêt pour Bruno Fernandes, c’est parce qu’elle ouvre les castings pour son avant-garde après les départs du Brésilien Fernando, de Roberto Soriano et de Joaquín Correa.
Le nom du Portugais est coché au milieu d’une ribambelle d’autres profils qui partageront le temps de jeu toute la saison : Ricky Alvarez, Filip Djuricic, Patrik Schick et Dennis Praet.
À Gênes, l’ancien de Boavista totalisera 5 buts et 2 passes décisives en 35 rencontres. Un bilan acceptable qui ne lui permet cependant pas de franchir le cap tant attendu. Dans cette Samp’, on parle bien plus de Skriniar, mais surtout de Patrick Schick qui empile les buts. C’est donc assez logiquement qu’un an plus tard, Fernandes n’est pas retenu.
À l’été 2017, le numéro 10 achève ainsi cinq années d’un périple italien où il reste une énigme que ses futurs succès au Sporting et à Manchester permettront d’élucider. Sur le terrain, le joueur est épris de liberté, des états d’âme dont la traduction footballistique pourrait être formulée autour de quatre principes : moins de touches de balles, moins de possession et de contrôle, plus de frappes, plus d’improvisation. Presque tout ce que lui offrira Jorge Jesus au Sporting.
Même s’il n’a pas réussi à trouver la régularité pour séduire un club du top 5 transalpin, Bruno Fernandes a construit en Italie sa personnalité autour de valeurs qui lui ont sans aucun doute permis de devenir le furioclasse qu’il est aujourd’hui à Manchester. La Serie A est sûrement arrivée trop tôt dans sa carrière de joueur précoce ou peut-être a-t-il rejoint des équipes trop tiraillées vers le bas du classement pour laisser libre cours à son jeu de fantasque.
En fin de compte, l’exil italien de Bruno Fernandes souligne les vicissitudes de l’excès de tactique des écoles italiennes, rappelant par la même que l’artiste s’affranchissant de contraintes saura aussi se distinguer dans la cours des maestro aux cheveux bien peignés.
Crédit photo : Icon Sport.
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