Le 11 de Nimes
·24 mai 2021
Rani Assaf, l’ultime coup de bluff ?

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·24 mai 2021
Le voilà acté. Le retour en Ligue 2 tant redouté n’a finalement pas pu être évité après des mois à repousser l’échéance. Remous internes, groupe sous tension, descente à l’échelon inférieur, conflit avec l’association, fermeture du centre de formation, un président-actionnaire menaçant de partir et dont les groupes de supporters demandent le départ… Le Nîmes Olympique vit probablement une fin de saison parmi les plus chaotiques de son histoire.
Avec ces tourments, la question revient dans tous les esprits nîmois : à quoi joue donc Rani Assaf avec le Nîmes Olympique ? Arrivé dans le Gard par un concours de circonstances, l’inventeur de la Freebox se meut rapidement en sauveur comme étant le seul garant financier du Club à pouvoir assurer sa pérennité. De fil en aiguille, son relatif silence apparent, bien que constant au fil des années, laisse place à un homme devant prendre des responsabilités de plus en plus grandes au NO. Mais sa volonté d’action au Nîmes Olympique interroge depuis toujours et mérite de s’y pencher depuis son arrivée…
Au commencement, Rani Assaf, qui habite dans l’Hérault (à Mauguio), rencontre ponctuellement Jean-Marc Conrad où les enfants des deux protagonistes étudient dans la même école. Après l’avoir convaincu de s’engager avec lui, Conrad crée son triumvirat avec Serge Kasparian pour racheter le Nîmes Olympique. D’abord dans l’ombre, Assaf est rapidement placé sur le devant de la scène par l’affaire des matchs présumés truqués suite au départ de Conrad et de Kasparian. Officiellement, Assaf a toujours nié connaître les intentions de rachat de ses associés sans avoir plus de détails sur ces derniers. D’après ses dires, son rôle devait se cantonner à un simple rôle d’actionnaire minoritaire.
Par la suite, et alors qu’il n’a « que » 48 % des parts de la SASP, le choix est fait de nommer à la présidence Christian Perdrier en novembre 2014 pour assainir le NO et son image. Propulsé actionnaire majoritaire en juin 2015, Rani Assaf devient donc propriétaire du Nîmes Olympique. Par défaut ou par réelle envie ? L’énigme peut commencer.
Sportivement parlant, l’arrivée de Perdrier pose les bases de la réussite future du Nîmes Olympique : d’une part, la nomination d’un formateur hors-pair faisant éclore des joueurs n’étant pas promis à un avenir si brillant. Dès son arrivée, Blaquart réussit à construire un noyau de joueurs qui fera le succès du NO sur les trois années suivantes. D’autre part, un directeur sportif, qui bien qu’esseulé et par la suite dépassé, réussit à bâtir au fil des ans un effectif cohérent selon les desiderata de l’entraîneur.
Malgré un bilan honorable, l’aventure de Christian Perdrier prend fin en juin 2016 sur demande de Rani Assaf : ce dernier n’a pas supporté les onéreuses primes de matchs accordées à l’issue de la saison. Sur ce point, les concernés rappellent qu’avec un minimum de présence de l’ex-numéro 2 de Free, l’événement ne se serait probablement pas déroulé ainsi et Perdrier aurait sans doute été freiné avant. Qu’importe… Passablement énervé par cet épisode, Assaf récupère la présidence et aura ensuite toujours refusé de déléguer sa fonction par crainte de revivre un tel scénario.
Dans les faits, sa présidence va être rapidement couronnée de succès avec la remontée du Club en Ligue 1. Un triomphe à tempérer pour plusieurs raisons : après des décennies d’errance, le Nîmes Olympique entame une remontée sportive d’abord menée par le trio Perdrier, Blaquart et Boissier à partir de 2015 dont Assaf n’est pas, à la base, l’instigateur direct mais indirect. L’ingénieur reste impliqué mais toujours à distance et n’a jamais occupé sa fonction à plein temps. Un choix qui, dès l’arrivée en Ligue 1, montrera vite ses limites.
Pour rappel, sa première réelle prise de décision sportive n’interviendra qu’en décembre 2019 où il décidera de choisir lui-même Reda Hammache en tant que directeur sportif. Un choix plutôt cohérent mais qui n’arrive que trois ans et demi après son arrivée à la présidence. Choix difficile à prendre en février, sa décision de mettre à pied l’entraîneur a été jugée courageuse.
En 2016, Assaf récupère donc le plan de route établi à son arrivée. Il décide de laisser le fonctionnement (sans garde-fou) mis en place et choisit, soulignons-le, de protéger et garder ses meilleurs éléments malgré des approches diverses. Nîmes monte et la structure, que l’on qualifiera de « familiale » avec très peu d’employés, tient le choc… Entre un Savanier sorti de nulle part, un formateur peu onéreux et de nombreux joueurs du cru (Ripart, Paquiez, Valls, Briançon…), la mayonnaise prend et ne vire pas. Déjà livrés à eux-mêmes, les Crocodiles arrivent à surfer pendant plusieurs saisons sur la dynamique due à la qualité de l’équipe, sa cohérence et surtout grâce au groupe sain que Blaquart a su construire, conserver et protéger.
Les Nîmois réalisent une saison 2017-2018 exceptionnelle les amenant à redécouvrir l’élite. Elle vient conclure deux saisons en amont qui ont façonné cette montée logique avec l’avènement progressif des jeunes pousses et des recrues s’additionnant au fil des mercatos (Bozok, Thioub, Alioui, Valdivia, Boscagli, Valette, Del Castillo…). Lors de son arrivée en Ligue 1, le Club arrive tant bien que mal à recruter des joueurs performants en prêt, à garder ses meilleurs éléments et à recruter Denis Bouanga. Mais les premières lassitudes en interne commencent à se faire ressentir dès l’arrivée au sein de l’élite…
D’une part, la grève des entraînements des joueurs par rapport aux primes de matchs non payées laisse poindre un certain malaise entre joueurs et dirigeants. D’autre part, la place prépondérante prise par certains agents et la connivence de deux membres du NO commence à freiner la bonne marche en avant du Club. Autre signe de cette lassitude, l’agacement et l’usure de Bernard Blaquart qui n’a jamais caché d’avoir été déçu par le manque de relation avec un président absent. Le coach exprime d’ailleurs le souhait d’arrêter dès avril 2019 sa mission d’entraîneur. Combien de fois a-t-il souligné l’importance de Christian Perdrier pour motiver l’ensemble du Club à la fin de l’année 2015 ?
Les convoitises de la Ligue 1 amènent un environnement autour du Club beaucoup plus dur à gérer que celles de la Ligue 2 : agents, salaires, médiatisation… Sans le cadre strict appliqué par Christian Perdrier en son temps, chacun peut jouer sa partition en interne sans être tancé. Un délitement progressif que le Nîmes Olympique et son président n’auront jamais su stopper par la suite.
Le mercato estival de 2019 met d’ailleurs en exergue un problème structurel caché jusque-là par les bons résultats sportifs du Club. En interne, parmi les acteurs de cette remontée historique depuis 2015, tous soulignent un fonctionnement amateur qui ne tenait qu’à un fil depuis des années tant au niveau du recrutement que sur le plan structurel. Le départ de Bernard Blaquart et les mauvais résultats auront montré la fragilité de ce système.
Cette saison encore, le choix de nommer Jérôme Arpinon a, dès l’été dernier, été regretté sans que le président n’ait écouté ses joueurs. Récemment, l’absence de prise de parole dans les médias, de manques structurels au quotidien (machines de récupération, matériel d’entraînement…) a fait défaut tout comme les sanctions tardives de joueurs sur le départ depuis plusieurs mois ou peu intéressés par l’objectif maintien. Bref, le délitement est acté, Nîmes Olympique regoûte à la Ligue 2.
Il faut rappeler que Rani Assaf, amateur de football (il a une loge au Parc des Princes), n’a jamais baigné dans ce monde avant d’entrer au Nîmes Olympique. En conséquence, il est absolument novice dans le milieu et cherche à s’entourer tant bien que mal depuis son arrivée à la présidence. Une problématique jamais entièrement résolue pour un président en manque de repères.
Ses relations sont diverses et sortent parfois du microcosme nîmois : Rafik Menni, homme de l’ombre, est désigné comme DG délégué au Nîmes Olympique sans être mentionné sur le site officiel. Administrateur du NO, il est officiellement un simple conseiller sur les questions d’ordre financier et se fait le relais d’avis donnés par le sportif. Pierre-François Hugues, informaticien, fait également partie des « hommes du président » et est administrateur depuis 2015. Des conseillers dont les rôles restent assez obscurs autour de sa gouvernance.
Pendant de nombreuses années, beaucoup s’accordaient à dire que son absence était compréhensible et due à un emploi du temps surchargé avec Free. Une sorte de double vie à mener et une fonction à mi-temps avec laquelle la majorité essayait de composer. Celle-ci devait justement se terminer en juin pour acter une implication accrue dans le Club avec le projet du nouveau stade.
Mais voilà, un hic n’arrivant jamais seul, Rani Assaf a décidé de rendre son cas encore plus clivant qu’il ne l’était en cette fin de saison. En parallèle de faits peu reluisants pour le Nîmes Olympique (départ pour propos racistes du vice-président de l’association, relégation…), le président a décidé d’acter la fermeture du centre de formation. Principal argument de l’intéressé, la rentabilité et le coût de ce dernier. En prenant cette décision, Assaf décide alors de rentrer en conflit direct avec l’association du Club qui a, de tout temps, entretenu des relations compliquées avec la SASP. Celles-ci étaient pourtant considérées comme « bonnes » entre Rani Assaf et Yannick Liron, président de l’association…
Financièrement en difficulté, le NO se voit donc dans l’obligation de fermer La Bastide pour éviter de combler des pertes en fin de saison prochaine d’après son président. Réduire les dépenses, l’argument s’entend mais interroge là aussi. D’une part car le budget fourni par l’association, retoqué plusieurs fois (car considéré « non pérenne » par Assaf), semblait enfin tenir la route par des apports financiers gonflés par les collectivités. Malgré cela, Rani Assaf n’a pas voulu accepter la proposition de continuer avec l’agrément du centre de formation, condition sine qua non pour maintenir le statut du centre tel quel. De plus, la part d’investissement liée au centre de formation semble tout de même assez réduite sur la globalité de la dette à combler.
Véritable patrimoine du NO, le centre de formation fait office d’ultime bastion à défendre aux yeux des supporters et des politiques (en substance), d’où la montée en puissance du conflit dernièrement et cela à toutes les échelles de la société nîmoise. À travers ce bras de fer, la volonté de Rani Assaf semble double : changer de modèle et continuer avec une formation au rabais, non agrémentée (en clair, les joueurs du centre ne seront pas protégés par des contrats), mais aussi placer des hommes de confiance qui ne freineront pas ses décisions au sein de l’association dans le futur.
En plus de cela, le conflit apporte son lot de mélodrames dans la cité des Antonins et semble même prendre une portée politique. En effet, la mairie est récemment entrée dans la danse bien malgré elle. Officiellement, elle se positionne dans la presse en garante de l’identité nîmoise (contre la fermeture du centre) mais dans le même temps semble vouloir calmer le jeu comme en atteste la démission de Yannick Liron de son mandat d’élu à la ville de Nîmes.
Pour rappel, le projet Stade Nemausa est porté à hauteur de 250M€ par Rani Assaf sur la base d’un financement entièrement privé. Il doit générer près de 1500 emplois durant la construction puis près de 1000 emplois permanents après la mise en place de ce nouveau quartier. Deux hôtels, des bureaux, une école d’enseignement supérieur, des logements, une résidence étudiante, un centre d’affaires, un nouveau stade… La création de ce nouveau éco-quartier impliquerait un dynamisme non-négligeable pour une municipalité forcément attentive au dossier.
Suite à l’impasse dans laquelle s’empêtrent les deux parties, Rani Assaf a décidé de mettre à exécution ses menaces en annonçant son désengagement du NO. Une réunion informelle doit avoir lieu ce mardi à 10h auprès de l’ensemble des salariés du Club suite à l’e-mail envoyé par le président vendredi. Celle-ci pourrait acter sa décision de déposer le bilan.
Départ ou pas, l’intrigue se perpétue. D’un côté, un président ayant investi de manière conséquente depuis son arrivée, porteur d’un projet privé au coût élevé, dont le départ de Free devait à la base servir pour s’engager pleinement dans ce projet. La veille de son annonce, il avait même rencontré un par un les cadres de l’équipe ainsi que l’entraîneur pour évoquer la saison prochaine avec son directeur sportif. La récente démission de Yannick Liron en tant qu’élu de la Ville et ses propos vont aussi dans la thèse d’un faux départ : « Ils ont gagné, le centre de formation devrait fermer. Il ne sera plus agréé alors que c’est cet agrément qui permet de conserver les joueurs ».
Récemment, un journaliste de L’Équipe voyait plus en l’action de Rani Assaf un « coup de bluff », dont il est coutumier du fait, qu’un « réel abandon ».
De l’autre côté, de nombreuses interrogations sont là également. D’après la presse, plusieurs investisseurs se positionnent depuis plusieurs semaines pour le rachat du Nîmes Olympique. La mairie brandissait la menace il y a quelques jours d’avoir sous la main de potentiels acquéreurs. Dans ce genre de vente, bien qu’elle ne concerne pas un club majeur du football français, la durée entre le simple intérêt et la cession est a minima de plusieurs semaines voire de mois et paraît difficile à se conclure rapidement (sauf si négociée en amont ?).
Cependant, et bien qu’habitué à ce genre de tour de force, Rani Assaf semble ce coup-ci être aller loin dans sa démarche et aurait même déjà prévenu plusieurs personnes de son entourage de son départ. Du côté des professionnels, la peur ne semblait pas être de mise dans l’immédiat, le week-end devant amener à la réflexion. L’énervement autour de ce sujet pourrait-il conduire un président à céder définitivement cette fois-ci ? Réponse dans les prochains jours. Rani Assaf ou la chronique d’une énigme perpétuelle…