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·10 mars 2022

Querétaro : comment en est-on arrivé là ?

Image de l'article :Querétaro : comment en est-on arrivé là ?

Samedi soir, des scènes d’une violence inouïe ont émaillé une rencontre du championnat mexicain entre le Querétaro FC et l’Atlas FC. Si le bilan officiel fait état de 26 blessés, beaucoup sont persuadés qu’il y a bel et bien eu des morts. Alors que le pays tout entier est encore sous le choc, comment expliquer que de tels débordements aient pu avoir lieu dans un stade de football ?

Depuis trois jours, les images font le tour du monde. D’abord une bagarre qui éclate dans les tribunes, et un match interrompu à cause de supporters qui descendent sur la pelouse. Puis très vite, l’horreur. Des affrontements extrêmement violents, à mains nues ou à l’aide d’armes blanches et contondantes. Des corps inertes, couverts de sang, gisant dans les couloirs du stade de la Corregidora et continuant à être pris pour cible à coups de chaises ou de ceintures, avant d’être déshabillés. Ces scènes insoutenables n’ont trompé personne sur la gravité de l’état des victimes, même si les autorités parlent toujours de 26 blessés dont trois graves et aucun décès. Certains supporters de l’Atlas pleurent déjà leurs proches disparus, et de nombreux rescapés affirment avoir croisé des cadavres.


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À l’heure de trouver un coupable, beaucoup s’interrogent. Certains mettent en avant la rivalité existante entre les supporters des deux clubs depuis la fin des années 2000, d’autres remettent en question plus largement le phénomène des barras bravas, originaires d’Amérique du Sud. Le contexte mortifère d’un pays qui compte plus de 35 000 homicides par an et la négligence des autorités sont autant d’éléments qui permettent de comprendre comment la situation a pu dégénérer à ce point samedi dernier.

Un vieux différend entre groupes de supporters

Le Querétaro FC et l’Atlas FC n’ont, à la base, pas grand chose à voir. Le premier est un club relativement discret, jamais titré en Liga MX et plutôt habitué à jouer le bas du classement. Le second est “l’autre” équipe de la ville de Guadalajara avec les célèbres Chivas. Malgré ce grand rival, l’Atlas est un club très populaire et il est le champion en titre, après avoir mis fin à une disette de 70 ans.

Si les deux clubs distants de 300 kilomètres n’ont aucune rivalité historique, leurs groupes de supporters, la Barra 51 de l’Atlas et la Resistencia Albiazul de Querétaro, sont en conflit depuis une quinzaine d’années. Le point de départ de cette tension naît le 29 avril 2007, lorsque 15 000 supporters de Querétaro font le voyage au stade Jalisco de Guadalajara pour aller soutenir leur équipe qui lutte pour son maintien. Hélas pour eux, l’Atlas bat Querétaro 2-0 et envoie les Gallos Blancos en deuxième division. Des affrontements ont lieu à la fin du match dans les rues avoisinantes du stade et même s’ils ont gagné, les supporters rojinegros sont marqués par cette “invasion” dans leur Jalisco.

C’est pour cela que trois ans plus tard, alors que Querétaro est remonté en Liga MX, ils décident de se venger et envoient 3000 des leurs à la Corregidora. C’est Querétaro qui s’impose et là encore, les esprits s’échauffent. Mais cette fois c’est directement en tribune que les supporters se battent. Les autorités procèdent à 30 arrestations.

Depuis cette date, des incidents mineurs avaient été déplorés, mais rien qui puisse laisser penser à la terrible tragédie survenue samedi soir. Si une vieille rivalité entre supporters ne peut expliquer à elle seule de tels évènements, le phénomène des barras bravas importé d’Argentine est sans conteste un vecteur supplémentaire de violence, dénoncé par certains acteurs du football mexicain depuis de nombreuses années.

Les barras bravas, déjà dénoncées au Mexique

Pendant sud-américain des groupes ultras, les barras bravas sont apparues en Argentine dans les années 1950. Au Mexique leur histoire est bien plus tardive. Elle est à l’initiative d’un homme qui est aujourd’hui pointé du doigt : Andrés Fassi. L’Argentin, alors président du CF Pachuca, permet la création de la “Ultra Tuza” en 1996 qui est considérée comme la première barra brava mexicaine*. L’idée prend bien, et tous les autres clubs de Liga MX se dotent petit à petit de leur propre barra : la “Barra 51” de l’Atlas se crée en 1998, la “Resistencia Albiazul” de Querétaro en 2000.

Certaines tribunes jusqu’alors très familiales s’animent petit à petit, provoquant parfois des débordements vivement dénoncés par bon nombre d’acteurs du football mexicain. C’est par exemple le cas de Jorge Vergara, ancien propriétaire des Chivas (décédé en 2019), qui n’a jamais voulu des barras en Liga MX et encore moins dans son stade.

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Propriétaire des Chivas de 2002 jusqu’à sa mort en 2019, Jorge Vergara s’est toujours opposé à l’importation des barras bravas dans le football mexicain.

Après des affrontements lors du derby entre l’Atlas et les Chivas en 2014, Vergara avait interdit ces groupes dans son tout neuf Estadio Omnilife (aujourd’hui Estadio Akron). Il avait alors déclaré : “peu importe si elles se comportent bien, il faut en finir avec les barras. Elles ne sont pas nécessaires, c’est un point d’infiltration. Je ne dis pas que tous les jeunes sont mauvais mais les mauvais s’y infiltrent et tout le monde sort perdant à la fin“.

“Peu importe si elles se comportent bien, il faut en finir avec les barras.“Jorge Vergara en 2014

Des liens étroits entre barras et crime organisé

Ce lundi, le journaliste Luis Enrique Alonso n’hésitait pas à aller encore plus loin dans un entretien pour MSV Noticias. Pour lui, “les barras sont une mauvaise copie de ce qui existe en Argentine, le crime organisé s’est infiltré et il y a des délinquants parmi elles”. Autre journaliste sportif connu au Mexique, David Faitelson partage ce constat. “Nous avons copié pour que les tribunes soient festives et passionnées, mais ça s’est transformé. C’est logique avec la violence du pays : le foot est un reflet de la société“, analysait-il pour Olé. Les évènements de ce samedi ont fait sauter aux yeux du monde entier la porosité entre les barras et le crime organisé, dans un pays qui reste profondément marqué par la violence liée au narcotrafic.

Ce n’est une surprise pour personne si en enquêtant suite aux violences survenues dans le stade de la Corregidora, la police de Querétaro a identifié plusieurs membres d’organisations criminelles tels que des huachicoleros (spécialisés dans le vol de carburant) du cartel de Santa Rosa de Lima. Du côté de la Barra 51 de l’Atlas, l’investigation montre également que des membres du Cártel Jalisco Nueva Generación (CJNG) étaient présents dans les affrontements.

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Des membres d’organisations criminelles figuraient parmi les agresseurs au stade de la Corregidora.

Le mode opératoire des agressions a également retenu l’attention des enquêteurs, puisqu’on voit sur les images une attaque coordonnée depuis plusieurs fronts, comme lors des embuscades entre bandes de narcotrafiquants. La violence et la cruauté inouïes de certaines scènes, ainsi que le fait de déshabiller les victimes pour les humilier et rendre leur identification plus difficile est un modus operandi typique des groupes criminels qui sévissent depuis de nombreuses années au Mexique. Certains rescapés de l’Atlas ont également affirmé avoir vu des agresseurs équipés d’armes tranchantes qui n’avaient pas pu être fabriquées sur place, insinuant la préparation en amont d’un tel massacre.

Des autorités passives, sinon complices du drame

Des éléments d’autant plus troublants lorsque l’on se concentre sur le comportement des forces de sécurité censées apaiser le stade et empêcher tout débordement. Leur passivité a été pointée du doigt lorsque sont apparues des vidéos sans appel : un policier au téléphone, tournant le dos aux fans de Querétaro qui foncent vers la tribune des visiteurs, un autre qui regarde le début de la bagarre depuis la pelouse sans bouger le petit doigt, même lorsqu’il est interpellé par le gardien remplaçant de Querétaro.

Depuis le mardi-mercredi, on savait que le dispositif de sécurité pour recevoir le parcage visiteurs n’était pas pris au sérieux. Environ 100 éléments de sécurité privée sont arrivés, pour un évènement avec 20 000 personnes où l’on aurait eu besoin de 3 000 éléments. Le club n’a pas pris les mesures nécessaires“, expliquait un employé du club. Plus que la négligence de la part du Querétaro FC, c’est la complicité de certains membre de la sécurité qui est aussi dénoncée. Les images d’un policier qui ouvre aux agresseurs l’accès séparant les tribunes ont choqué l’opinion publique. Plusieurs victimes affirment par ailleurs avoir reçu des coups de la part de membres des forces de l’ordre ou des sociétés de sécurité privée.

C’est notamment pour cela que les dirigeants du Querétaro FC ont été suspendus pendant cinq ans de toute fonction liée au football, en plus d’une amende d’1,5 millions de pesos (72 000 euros) pour le club. Si les Gallos Blancos devront jouer pendant un an à huis clos et sur terrain neutre, le stade de la Corregidora, dans lequel des dizaines de personnes ont été gravement blessées et certaines sans doute tuées, pourra un jour à nouveau accueillir des matchs de football. Les barras bravas, elles, n’ont finalement pas été interdites et pourront continuer d’exister sous certaines conditions, notamment l’identification des membres.

*en réalité, la toute première barra brava mexicaine est née en 1967 avec le “Tito Tepito” du CF Atlante.

Crédit photos : Getty Images

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