Lucarne Opposée
·13 mai 2023
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·13 mai 2023
En ce début de Brasileirão, je me rends dans l’État de São Paulo pour assister à trois matchs, entre São Paulo FC, le Corinthians et Santos.
Après un premier voyage à São Paulo au début de l’année, le temps d’assister à un match nul soporifique entre Palmeiras et São Paulo dans le championnat paulista, une victoire 2-1 du Corinthians sur Guarani et surtout la finale de la Copinha entre Palmeiras et l’América Mineiro dans le vétuste stade Canindé, il était temps pour moi de retourner dans la capitale pauliste en ce début de Brasileirão, avec un voyage d’environ six heures en bus depuis Rio de Janeiro, un trajet plutôt agréable en raison de la qualité des bus brésiliens.
Les festivités à São Paulo commencent pour moi au Morumbi après avoir posé mes valises à Liberdade, quartier à la forte identité japonaise et plutôt tranquille, le centre de São Paulo étant particulièrement à éviter en raison de sa dangerosité. Comme l’Arena Palmeiras, le Morumbi se trouve dans la ville et l’accès se fait en métro, même si la station Morumbi est située à près de deux kilomètres du stade. La longue marche permet finalement de se mettre dans l’ambiance du stade, entre vendeurs de maillots, de bières ou de sandwichs de pernil. Près du Morumbi, de nombreux dessins sur les murs rendent hommage aux grands joueurs de São Paulo, de Leônidas aux légendes du titre mondial de 1992, en passant par les Uruguayens Dario Pereyra et Lugano, et même le boxeur Éder Jofre, l’occasion de rappeler que même si le nom officiel est São Paulo Futebol Clube, le Tricolor n’est pas uniquement un club de football. Et si l’Arena Palmeiras m’avait laissé plutôt froid, un stade moderne, agréable, pratique, mais sans réelle âme et qui pourrait être construit dans n’importe quelle ville du monde, on sent au Morumbi, inauguré en 1960, tout le poids du football brésilien et du SPFC. À l’intérieur du stade, dans les couloirs et gradins, on retrouve des références au titre de 1992, avec des dessins sur les murs et la composition de l’équipe sur les escaliers de l’arquibancada. Par chance, il fait beau le jour du match contre l’Internacional, le Morumbi ne disposant pas de toit alors que la modernisation du stade est encore un projet vague. Sur le terrain, Luciano ouvre le score en deux temps sur penalty, puis Pedro Maia inscrit le golaço de la rodada d’une sublime frappe enroulée lucarne opposée. De quoi faire vibrer le stade et ses 46 093 spectateurs, soutenus par une torcida organizada présente en nombre, mais dont les chants sont finalement à peine plus variés que ceux de Palmeiras. De mon côté, je suis parfaitement placé au poteau de corner avec un billet acheté sur internet à quatre-vingts reais, environ quinze euros. La seconde période est également l’occasion de prendre quelques photos avec le soleil se couchant sur le stade et São Paulo s’offre une victoire tranquille 2-0, de quoi prendre la septième place du classement.
Le lendemain, je pars cette fois pour l’Arena Corinthians. Le stade se situe presque à l’extérieur de la ville géante, dans l’est de São Paulo, au terminus de la ligne du métro vermelha. Le stade est donc accessible en métro et il est recommandé d’arriver en avance pour le match. À la sortie de métro, on trouve en effet de nombreux stands avec des chaises et des tables pour consommer dans une bonne ambiance une bière à dix reais, un sandwich Bauru à quinze reais, ou pour les plus gourmands, un lanche de pernil complet à vingt-cinq reais. Il est ensuite l’heure d’entrer dans le stade, toujours aussi incroyable. Construit pour la Coupe du Monde 2014, l’Arena Corinthians est moderne, mais garde une âme avec un accès à la tribune aux allures de galerie commerciale, l’occasion de construire un mini-musée qui rend hommage à l’histoire du club, et des tribunes ouvertes sur la ville qui donnent au stade un côté unique. Même si le match a lieu un lundi, le stade est plutôt rempli avec 36 512 spectateurs, et il est quasi impossible de trouver des billets en tribune nord, occupée par les torcidas organizadas. Je m’en sors avec une place en tribune ouest à 190 reais, de quoi parfaitement voir le match et entendre les Gaviões da Fiel, malgré la distance, malgré un stade ouvert. L’Itaquerão, comme le stade est également connu, offre clairement la meilleure ambiance de São Paulo et le match contre Fortaleza est plaisant malgré l’absence de buts. Caio Alexandre ouvre le score pour Fortaleza à dix minutes de la fin, mais Yuri Alberto fait exploser le stade en égalisant en fin de match. Un match nul logique et qui ne fait pas mes affaires, le point permet au Corinthians, en difficulté en ce début de saison, de sortir du Z-4 au détriment de mon Flamengo, défait sur le terrain de l’Athletico Paranaense et qui connaît sa troisième défaite en quatre matchs. Finalement, le match à suivre du week-end d’une équipe pauliste était celui de Palmeiras, qui écrase Goiás 5-0. L’autre match du Brasileirão à ne pas manquer était le 3-3 entre Grêmio et le Red Bull Bragantino alors que dans mon Rio qui me manque déjà, Fluminense et Vasco se quittent sur un match nul 1-1 et Botafogo signe face à l’Atlético Mineiro une quatrième victoire en quatre matchs, de quoi solidement s’accrocher à son fauteuil de leader.
Je profite ensuite de mon dernier jour à São Paulo et de la gratuité du mardi pour visiter le Museu do Futebol, passage obligé à São Paulo pour les fans de football. Il vous en coûtera les autres jours vingt reais, qui seront largement rentabilisés tant il est possible de rester longtemps dans le musée, situé dans le stade du Pacaembu, actuellement en travaux. Après une exposition temporaire, dédiée cette fois aux Coupes du Monde féminines, le Musée du Football présente plusieurs salles avec des thématiques bien définies, de quoi se rendre compte de toute la richesse du football brésilien. Des photos d’époque revenant sur l’origine du football au Brésil aux dernières statistiques des joueurs de la Seleção en passant par de nombreux buts historiques commentés par des journalistes, sans oublier une rétrospective de toutes les Coupes du Monde en rappelant le contexte de l’époque, le Musée du Football est extrêmement complet. Il compte aussi une salle dédiée à Pelé et Garrincha ainsi qu’un passage obligé et marquant sur le drame du Maracanaço de 1950. Le Museu do Futebol regorge de bonnes idées et est très esthétique, avec des plaques rappelant les records, citations célèbres ou des explications sur le vocabulaire spécifique du football brésilien, ou encore des portraits lumineux très réussis des grands joueurs brésiliens et des baby-foot avec les schémas tactiques marquants depuis la création du football, du 2-3-5 au 4-3-3, sans oublier le fameux WM ainsi que le 4-2-4 qui a vu le premier sacre du Brésil lors de la Coupe du Monde 1958. Le musée se termine par une projection du documentaire Pelé 80 anos et la possibilité de tirer un penalty sur un mur connecté, un plat du pied décroisé à 77 km/h pour ma part. Seul regret pour moi, la bibliothèque est fermée le mardi et il n’est donc pas possible de consulter quelques-uns des 14 000 documents sur le football, notamment de nombreux livres, y compris Garrincha et Primeira Bola…
Mon passage à São Paulo s’achève ici et, en une bonne heure de bus, je rejoins Santos, une ville portuaire, paisible et à taille humaine. Aller à Santos était l’un de mes souhaits, voulant découvrir le Vila Belmiro avant une réforme prévue dès la fin de l’année 2023. Avec la mort de Pelé, le passage à Santos était désormais obligatoire. Sans avoir de temps à perdre, je me dirige dans le nord de la ville où se trouve le Museu Pelé, gratuit tous les jours et qui rend un juste hommage au Roi. Le musée commence par une ligne temporelle avec de nombreux objets de Pelé, de la boîte pour cirer les chaussures qu’il utilisait dans son enfance aux premiers contrats avec Santos en passant par un maillot du Baquinho à Bauru. Pelé devient ensuite champion du monde, double champion du monde avec le Brésil, double champion du monde avec Santos et devient le plus grand joueur de tous les temps, recevant de nombreuses médailles ou objets commémoratifs, notamment lors de son millième but marqué en 1969. Parmi les plus marquants, une couronne de lauriers en or, qui a appartenu à l’un des rédacteurs de la Loi d’Or qui met fin à l’esclavage au Brésil, et une plaque offerte par le club de Peñarol, « com admiracion al genial Pelé por su conquista del gol mil que consagra su excepcional capacidad ». La ligne du temps se poursuit avec le Tri au Mexique, la retraite internationale où le Roi reçoit couronne et sceptre, et le passage aux États-Unis où il importe le football, puis les récompensés qu’il reçoit après sa carrière, Athlète du siècle, Citoyen du monde de l’ONU et Ballon d’Or d’honneur. Une photo aux côtés de nombreuses légendes du sport, Bill Russell, Kareem Abdul-Jabbar et Michael Jordan pour le fan de NBA que je suis, mais aussi Tiger Woods, Wayne Gretzky, Carl Lewis, Pete Sampras ou encore Muhammad Ali, montre une chose concernant Pelé, seul footballeur présent sur la photo : Pelé a dépassé son propre sport, pourtant le plus populaire de la planète.
Près des ascenseurs, des fresques rappellent quelques-uns de ses buts les plus marquants parmi les 1 282 inscrits au cours de sa carrière, du premier contre le Corinthians de Santo André en 1956 jusqu’à celui contre Santos lors de son jubilé en 1977, sans oublier celui contre la Suède en 1958, la Juventus de Mooca en 1959, Fluminense en 1961 et évidemment le millième but contre Vasco en 1969. Il est ensuite temps de monter au quatrième étage pour découvrir quelques citations de grands acteurs du football s’inclinant devant la suprématie de Pelé, notamment Ferenc Puskás : « Un joueur comme Pelé va apparaître seulement d’ici mille ans. Regardez-bien, je n’ai pas dit cent, j’ai dit mille ans ». Chaque étage est dédié à une Coupe du Monde disputée par Pelé, sans oublier celle de 1950, où le Brésil perd le titre lors du dernier match au Maracanã, faisant pleurer tout un pays, notamment le père de Pelé. Le futur Roi lui dit alors : « Papa, je vais gagner la Coupe du Monde pour toi ». Encore mineur, Pelé accomplit sa promesse, décrochant au passage un record du Guinness, puis est blessé lors des éditions de 1962 et 1966. Contesté en 1970, Pelé effectue un retour triomphant au Mexique et décroche une troisième Coupe du Monde, un record encore inégalé. Le retour au rez-de-chaussée est marqué par de nouvelles citations, notamment du défenseur italien Tarciso Burgnich, impuissant en 1970 : « Je me suis dit : “Il est fait de chair et d’os comme moi”. Je me trompais ».
Le musée regorge d’objets ayant appartenu à Pelé, des photos, des citations, mais je retourne dans le hall principal avec une certaine frustration puisqu’il y a très peu de vidéos de Pelé sur le terrain. La légende du Roi s’est construite avec des journalistes, notamment Nelson Rodrigues et Armando Nogueira, avec les coéquipiers de Pelé, comme Gilmar qui déclare que Pelé est « humainement impossible », avec Pelé lui-même, mais Pelé est devenu Roi surtout grâce à ses actions de génie et ses buts sur le terrain. La deuxième salle du musée répond finalement à mes attentes. D’abord, de nombreuses photos prises par José Dias Herrera puis des portraits colorés et très réussis de Pelé effectués par de nombreux artistes. Enfin, un banc pour admirer une vidéo de six minutes. Des actions de Pelé, des dribbles, mais surtout des buts, tout en noir et blanc, sans ralenti, les buts s’enchaînent avec la même vitesse que Pelé sur le terrain, plus rapide que des défenseurs dépassés. Le répertoire du Roi est complet, presque infini et la vidéo se termine avec le millième but. La tension avant le penalty, puis la libération, la joie de Pelé et de tout un pays, qui a vu son affirmation en tant que Nation avec les succès planétaires du Roi. La vidéo se termine par une photo de Pelé et Garrincha ensemble, comme pour quitter ce musée avec encore plus de nostalgie. Le musée rend parfaitement hommage à Pelé et j’hésite à acheter un maillot rétro du Roi, le blanc ou le rayé blanc et noir.
Je me contente finalement d’un porte-clé avec le numéro 10, car il est l’heure d’aller au Vila Belmiro, le stade emblématique de Santos. Le Vila Belmiro était un rêve, je suis en train de le réaliser. Je passe devant la statue de Zito et je prends une photo du mur des Santasticos, Pelé, Zito et Pepe. Habitué à l’agitation du Maracanã, je suis surpris par le calme autour du Vila Belmiro, même les revendeurs de places devant le stade sont plus calmes. J’ai pris ma place sur internet pour cent reais, l’une des plus chères, mais qui offre un privilège rare dans le football moderne : être à quelques mètres seulement de la pelouse. Je profite avant de la taille réduite du stade pour en faire le tour, le temps de prendre de nouvelles photos devant l’entrée du Vila Belmiro, où on sent tout le poids de ce stade centenaire et qui a été la maison de tant de légendes du football brésilien. J’entre ensuite dans la tribune, limitée à seulement cinq rangées. Je m’installe au deuxième rang et je mesure ma chance. Habitué au deuxième étage de la tribune Nord du Maracanã, le fait d’être si près change complètement la perception du match. Les supporters discutent avec les joueurs pendant un temps mort, prennent pour cible un adversaire particulier, « O Quarenta » Cicinho en première mi-temps et Jhoanner « Meia dúzia » Chavez en seconde période, et les plus motivés repositionnent même tactiquement les joueurs. La torcida organizada est en nombre réduit, mais est toujours active, avec une belle variété de chants. La fête est complète, Santos marque deux buts dans le premier quart d’heure puis la pépite Ângelo ajoute un troisième but en début de seconde période. Santos bat Bahia 3-0 et remonte dans la première partie de tableau. Une soirée de rêve au Vila Belmiro.
Je rentre ensuite à l’hostel et je n’ai pas le temps d’assister à la nouvelle goleada de Palmeiras, 4-1 face au Grêmio, avec un doublé de Raphael Veiga. Dans le même temps, mon Flamengo redresse enfin la tête avec un succès 2-0 face à Goiás alors que l’Atlético Mineiro s’impose largement sur le terrain de Cuiabá. Le lendemain, après une tentative frustrée de visiter le caveau de Pelé, encore fermé au public, je retourne au Vila Belmiro. Nouvelle déception, en raison du Santos – Palmeiras dans le Brasileirão féminin, je ne peux visiter tout le stade, mais seulement le musée du club. Après vingt-cinq reais déboursés, je peux entrer dans le musée avec quelques pièces d’exception, forcément les trois Copas Libertadores et les deux titres de la Coupe Intercontinentale, ainsi qu’un espace réservé à Pelé, où on peut admirer plusieurs de ses maillots blancs immaculés, le numéro 10 ne faisant que sanctifier le maillot de Santos, ainsi que le sombrero reçu lors de la finale de la Coupe du Monde 1970, généreusement cédé par Renata Viegas, et la feuille de match du premier match professionnel de Pelé, où l’on apprend que le premier but en carrière du Roi a été initialement attribué à Raimundinho avant que son anonyme nom ne soit raturé pour laisser place à celui de Pelé ! Le musée n’oublie pas de rendre hommage à quelques caractéristiques qui ont fait la marque de Santos, un jeu porté vers l’attaque et une abondance de buts, plus de 12 000 au cours de l’histoire de Santos, ainsi que les nombreux matchs à l’étranger, avant même l’époque de Pelé, qui ont permis au club de récolter de nombreux trophées, médailles, fanions et objets en tout genre. Il manque cependant au musée du contenu multimédia, malgré un espace réservé au golaço FIFA de Neymar contre Flamengo en 2011, et un hommage aux Meninos de Vila, Santos s’appuyant au cours de son histoire sur de nombreux joueurs formés au club, certains habitant au Vila Belmiro même. L’erreur est réparée à la fin du musée avec la boutique du club et une image où un superbe éclair vient s’abattre sur le Vila Belmiro. La légende dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, à l’exception du Vila Belmiro et de tous les craques qui ont fait briller le club. Le musée est sympathique, mais si votre temps venait à manquer dans la ville qui abrite également le Musée du Café, privilégiez le Musée Pelé.
Je retrouve dans la boutique les deux maillots rétros de Pelé, le blanc immaculé double champion du monde et le rayé noir et blanc de 1956, année des débuts de Pelé, et devant le choix plus que cornélien, je fais le choix de ne pas choisir, j’achète les deux maillots. Je peux enfin rentrer à Rio de Janeiro, où Botafogo écrase 3-0 le Corinthians et est plus que jamais leader avec cinq victoires en cinq matchs.