Derniers Défenseurs
·10 décembre 2021
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·10 décembre 2021
Oubliez tous vos jeux de mots ratés sur Pablo Vicó, car ce type-là force le respect. Presque inconnu dans son pays, totalement en dehors de ses frontières, Pablo Vicó est pourtant une légende chez lui. À Adrogué, ville de la province de Buenos Aires, le bonhomme est au moins aussi important que Manuel Belgrano, un des héros de la révolution argentine. Sur le banc de son Brown depuis plus de dix ans, la plus belle moustache du football argentin est devenue une référence et un modèle à suivre dans les divisions inférieures. Fidélité, amour et passion pour son club sont les maîtres-mots qui guident son parcours footballistique, et ce, depuis plus de vingt ans.
Au-delà du sportif d’abord, Pablo Vicó, c’est d’abord une tête. Une ganache reconnaissable entre mille. Cheveux longs en bataille, moustache mal taillée et des tatouages en pagaille plein les bras, Pablo a le profil d’un méchant d’un film de série B. Pourtant, c’est tout l’inverse. Pablo Vicó est un vrai gentil. Un homme bon et généreux, qui se contente du minimum, toujours prêt à rendre service et à faire le bien autour de lui, surtout quand il aime profondément.
Alors en 1999, quand, après une modeste carrière de footballeur dans son club de toujours, Brown propose à Pablo une reconversion dans le monde de la conciergerie, le bonhomme accepte immédiatement et sans sourciller. Une manière comme une autre pour lui de continuer l’aventure avec son “Bron“, comme il aime à l’appeler affectueusement. Cerise sur le gâteau, sa loge se trouve dans les locaux du Brown d’Adrogué, juste à côté des chaudes tribunes de l’Estadio Lorenzo Arandilla, à “soixante-douze pas seulement“, confie-t-il à Antena2. N’en jetez pas plus pour Pablo Vicó : si le paradis terrestre existe, alors il en est le locataire.
Même dans sa petite loge de concierge, où il séjourne depuis plus de vingt ans, Pablo Vicó ne se sépare pas du maillot de son “Bron”.
Pendant neuf années, Pablo va devenir plus qu’un simple employé à Adrogué. En plus d’endosser le rôle crucial d’homme à tout faire, le futur entraîneur devient tour à tour, concierge, intendant du club, confident et garant des secrets du vestiaire. En bref, El Bigotón (le moustachu) Vicó est cette mascotte primordiale et inestimable pour Brown de Adrogué. Aussi populaire voir plus que les joueurs eux-mêmes, les gens s’attachent et se prennent d’affection pour Pablo, qui continue tranquillement son petit bonhomme de chemin au sein du conjunto adroguense.
En parallèle de ses activités professionnelles, il entame un petite carrière d’entraîneur chez le Tricolor. Baby-Football, entraîneur de toutes les catégories de jeunes et même, entraîneur de la réserve, Pablo Vicó grimpe les échelons à une vitesse folle dans l’organigramme, tout en assumant ses autres responsabilités au sein du club. Un dévouement hors norme au sein d’une entité familiale, qui ne va pas passer inaperçu.
Le tournant majeur de son histoire arrive à la fin de l’année 2008. Brown se trouve alors dans une situation compliquée. Englué dans les bas-fonds de la Primera B, l’équivalent de la troisième division nationale à l’époque, le Tricolor est obligé de se séparer du Vikingo Kopriva, faute de résultats. Dans l’impossibilité de débaucher rapidement un entraîneur, les dirigeants du club se penchent sur le cas Pablo Vicó, devenu entre-temps adjoint de l’équipe première. Ni une ni deux, le moustachu est propulsé intérimaire, en attendant l’arrivée d’un coach plus expérimenté. Un coach qui n’arrivera finalement jamais, pour mieux signer le début d’une romance qui dure maintenant depuis bientôt treize ans.
En s’installant sur le banc du Tricolor, Pablo Vicó ne savait probablement pas que l’histoire allait durer aussi longtemps. À l’origine, le contrat devait s’étendre jusqu’à la fin de la saison 2008/2009 soit une douzaine de matchs. C’était le court laps de temps restant pour sauver son Adrogué d’une relégation. Première mission sauvetage réussie et premier contrat rempli pour le Flaco Vicó qui maintient haut la main le Tricolor, en terminant à la quatorzième place d’un championnat plutôt relevé (Nueva Chicago, Temperley ou encore le Deportivo Morón composaient ledit championnat).
Les années suivantes sont consacrées à la stabilisation du club en troisième division. Avec des finances limitées et un rayonnement national très moyen, Brown ne fait pas forcément partie des destinations privilégiées par les manieurs de ballons. Il faut donc être inventif et se creuser la tête pour forger un effectif digne de son nom. Les premières années de son mandat sont, globalement, une réussite pour Vicó. Le club virevolte quelques temps avant de trouver son rythme de croisière, devenant un solide élément de troisième division.
Le second coup de maître du Pablo va venir lors de la saison 2012/2013. Bien embarqué dans les premières places, Brown va surprendre tout le monde en accrochant une place de lauréat pour la Primera Nacional. Cinquième de la phase régulière, le petit club du Conurbano Bonaerense coiffe au poteau ses adversaires et s’adjuge une place en seconde division. Une première dans l’histoire du club. Porté aux nues par la hincha du Tricolor, Pablo Vicó vient de poser la première base d’un immense héritage.Malgré une relégation immédiate la saison suivante, Pablo Vicó et Adrogué ne se quittent toujours pas. Le moustachu, amoureux fou de son club et conscient qu’il peut aller encore plus loin, voit sa confiance être renouvelée sans aucun souci par la direction. Car au-delà de son aura et de son passé fort avec Brown, le bonhomme est un homme simple qui correspond parfaitement à la philosophie prônée par le club. Bien installé dans son 4-4-2 avec supplément double-pivot, Brown pratique un football plus qu’agréable pour un pensionnaire de troisième division. Une rigueur qui permet au Tricolor de ne passer que très peu de temps en Primera B. Lors de la saison 2015, le club rafle le premier gros titre de son histoire en écrasant (avec la manière, s’il vous plaît) le championnat. 81 points et seulement sept défaites sur quarante-deux matchs. Une fois de plus, le Mago Vicó a frappé et Brown retrouve la seconde division.
Intransigeant avec ses joueurs mais aussi avec lui même, Pablo Vicó a trouvé la recette du succès pour faire basculer Adrogué dans une autre dimension.
Depuis six ans, maintenant, le bateau Adrogué vogue tranquillement grâce à la main de son capitaine Vicó et coule des jours heureux en Primera Nacional. Une fidélité et un dévouement extraordinaire qui ont fait rentrer Pablo Vicó dans les cercles des grands de ce monde : celui des entraîneurs ayant la plus grande longévité au sein du même club. Placé devant des grands entraîneurs comme le Cholo Simeone, le moustachu a même gagné un nouveau surnom : le Ferguson del Conurbano. Mi-amusé, mi-gêné, Vicó se cache une fois de plus derrière une humilité non-simulée quand on lui évoque le surnom.
“Beaucoup de gens m’appellent le “Ferguson du Conurbano”. En général, j’essaye d’éviter ce genre de comparaison. Il me manque encore beaucoup de choses pour être comme lui. C’est un petit peu un manque de respect envers Ferguson.”Pablo Vicó, pour le site Pagina12, lorsqu’on lui parle de ce fameux surnom.
Un homme si tranquille que ça, Pablo Vicó ? Oui et non. Si en dehors du terrain, l’homme est une crème, toujours prêt à rendre service à autrui et à aider son club, sur un banc de touche, le timide personnage se transforme en véritable machine à pousser des gueulantes. Un caractère bien trempé qui dissimule une envie d’être footballistiquement irréprochable, quitte à être trop pointilleux et à tomber parfois dans les excès. C’est probablement sa femme, Dorys, qui synthétise le mieux le comportement de son entraîneur de mari.
“Comme entraîneur, il fait des erreurs comme n’importe quel être humain. Dans son travail, il fait parfois preuve d’irresponsabilité. Il dort peu, ne mange pas, fume, boit du maté, fume, boit du maté etc. Quand il va mal, ça te coûte beaucoup (d’énergie) d’être avec lui.”Sa compagne Dorys, au micro de La Nación, lors d’un reportage sur Brown de Adrogué et Pablo Vicó.
Les fondamentaux. Voilà le cheval de bataille et le secret de la réussite de la méthode Vicó. En dix ans, les principes n’ont que peu évolués mais, ont toujours portés leurs fruits. Des fondamentaux qu’il applique jusque dans sa vie de tous les jours. D’ailleurs, avant le match, c’est toujours le même rituel. Une petite balade dans un parc pour fumer une clope, écouter le chant des oiseaux et faire une prière dans la chapelle du coin.
Après des débuts légèrement compliqués en Primera, le Tricolor a su relever la tête. Bien installé depuis trois ans dans le milieu de tableau de la deuxième division nationale, le club a désormais des envies de montée. Cinquième de Primera Nacional, le Trico a échoué aux portes du Torneo Reducido après une belle saison. Seul lot de consolation cependant, le club jouera l’an prochain, la Copa Nacional. Une progression constante et linéaire, qui augure de très bonnes choses pour la suite.
“Ici c’est Adrogué”. Ici, c’est surtout plus qu’une parodie du tee-shirt arboré par Messi, c’est un mode de pensée, une philosophie, un style de vie.
La suite va sûrement s’écrire avec Pablo Vicó. Le technicien, désormais âgé de 66 ans, ne compte pas encore céder son fauteuil de roi d’Adrogué. Personne, d’ailleurs ne souhaite que le sorcier adroguense ne s’en aille. Pas même la direction, qui a proposé un nouveau contrat à Pablo il y a quelques jours. Un contrat qu’il s’est empressé de signer, liant son sort à celui de son “Bron” jusqu’en décembre de l’année prochaine. Une nouvelle preuve ajoutée au dossier de l’amour fou entre Vicó et son club de toujours.
Partir voir si l’herbe est plus verte ailleurs ? Pablo Vicó n’y pense pas vraiment. “Si c’est un autre club de seconde division, je ne quitterai pas Brown“, déclarait-il à Pagina12 l’an dernier. Même s’il laisse la porte ouverte pour un club de première division, Vicó ne semble pas être plus intéressé que ça par l’élite du football argentin. “J’ai déjà eu des offres, mais aucun dirigeant ne m’a parlé de projet de jeu lorsque nous nous sommes installés autour d’une table, alors j’ai toujours refusé de discuter“, assène le Flaco à Antena2.
Sentido de pertenencia. Le sentiment d’appartenance. Voilà ce qui met tous les jours de l’essence dans le moteur Pablo Vicó. En treize années à la tête du Tricolor, l’entraîneur de 66 ans aura transformé de fond en comble son club de cœur, le faisant rentrer dans une nouvelle ère, sportive et institutionnelle. Un dévouement qui lui vaut désormais d’avoir son nom en lettres énormes sur le club-house du Lorenzo Arandilla ainsi qu’une place à son nom, à Rafael Calzada, non loin de la ville d’Adrogué. Une véritable consécration qui vient souligner ici le travail titanesque effectué par El Bigotón.
Tatouage du logo de Brown sur le bras gauche, le Flaco ne pense déjà qu’à la prochaine étape, une éventuelle montée. “Je n’ai que trois priorités actuellement dans ma vie : en premier, Brown. En second, Brown. En troisième Brown. Je me sens bien ici, je suis chez moi”. La prochaine saison de Primera Nacional, Pablo Vicó va l’aborder de la même manière que les douze années précédentes : avec humilité, sérieux et travail. Une recette vieille comme le monde et qui fonctionne toujours aux yeux des supporters. Car si une vieille expression dit “que le bonheur des uns fait le malheur des autres“, dans ce cas précis, le bien-être d’un seul fait la joie de tous les autres.
Crédits photos : TyC Sports / LaNueva.com / ZonaDeportivaWeb / Twitter : Nexogol