Lucarne Opposée
·2 août 2025
Obdulio Varela : légende Céleste

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·2 août 2025
Le 2 août 1996, Obdulio Varela s'éteignait. Portrait d’une légende du football uruguayen dont l’esprit n'a jamais cessé de porter la sélection.
Ses amis l’appelaient Jacinto, pour les autres, il était « el Negro Jefe » (le chef noir). Obdulio Varela est né dans un milieu pauvre, élevé par sa mère Juana, blanchisseuse, et devant rapidement trouver un moyen de subvenir aux besoins d’une famille plombée par un père bien trop absent – raison pour laquelle à ses débuts professionnels, il choisit de porter le nom de sa mère. S’il passe son enfance à déménager aux quatre coins de Montevideo, il pousse ses premiers ballons sur les potreros, comme tout gamin du Rio de La Plata. Après avoir joué dans le club du quartier La Fortaleza, s’installe rapidement au milieu et s’impose comme le leader, portant alors ses premiers brassards de capitaine. Avec le Deportivo Juventud, il fait ses premiers pas sur les « vrais terrains », effectue ses premiers voyages. En 1938, Obdulio signe son premier contrat semi-professionnel avec les Montevideo Wanderers et touche alors ses premiers deniers, le transfert lui permettant de gagner deux cents pesos. Sa mère, qui le voit revenir avec de la nourriture abondante, passe alors par la case commissariat pour s’assurer que son fils n’a rien volé. Mais Varela ne vole rien. Il s’impose avec les Wanderers dont il est le capitaine, participe au Sudamericano 1941, devient champion d’Amérique du Sud l’année suivante avec la Celeste et, après un essai en Argentine du côté de Banfield (il joue même une mi-temps avec River Plate), il rejoint ce qui sera son club de toujours, Peñarol. Nous sommes alors en 1943, débute alors une histoire qui va durer jusqu’à sa retraite sportive.
Il débute avec les Carboneros lors d’une victoire 4-0 face à Sud América et devient rapidement le capitaine de l’institution aurinegra, la synthèse des légendes passées ayant évolué à son poste dans le club. Varela est un vrai cinco à la rioplatense : le chef d’orchestre placé devant la défense, il en est le bouclier protecteur mais, par sa vista et son intelligence, il est aussi celui qui dicte le match, le régulateur du jeu. Sa personnalité impressionne. Lors d’un Clásico, un joueur de Nacional agresse l’un de ses coéquipiers, mais l’arbitre ne l’exclut pas. Varela s’approche alors du juge et lui dit « monsieur l’arbitre, si l’un de mes joueurs commet le même geste, je veux que vous l’expulsiez car aucun joueur de mon équipe ne mérite de rester sur le terrain s’il agit de la sorte ». Leader sur le terrain, il l’est aussi en dehors comme le démontre l’histoire des primes que les dirigeants veulent offrir après une victoire face à River Plate en 1945 (à l’époque, River est porté par sa Máquina, sa ligne d’attaque qui écrase l’Argentine et permettra au club de décrocher huit titres entre 1941 et 1945). Les dirigeants décident alors de récompenser les joueurs en leur accordant une prime de deux cent cinquante pesos mais veulent marquer davantage le coup avec leur capitaine en lui proposant le double. Celui-ci refuse alors : « Je n’ai pas joué plus ou moins qu’un autre. Si vous estimez que je mérite d’avoir cinq cents pesos, alors toute l’équipe mérite cinq cents pesos. Si vous pensez que les autres méritent d’avoir deux cent cinquante pesos, alors je ne mérite pas plus. » Les dirigeants offrent alors cinq cents pesos à tous les joueurs. Ce qui parait n’être qu’une anecdote illustre cependant le type d’influence qu’exerce Obdulio Varela sur son groupe. Intouchable en club, Varela va écrire les plus belles pages de l’histoire du football céleste en sélection.
Si de prime abord la carrière du Negro Jefe est celle d’une légende, elle n’est pas non plus sans accrocs. En 1944, sa vie de bohème finit par le rattraper et entraîner des réactions. Condamné pour son comportement hors terrain, Peñarol décide de l’exclure de son effectif « jusqu’à ce que les faits démontrent que le joueur a retrouvé la condition physique » et ordonne « au joueur une amélioration des conditions de sa vie privée », le menaçant alors d’une rupture du contrat. Obdulio Varela suit même une cure de désintoxication et revient deux mois plus tard. Lors du Clásico suivant, il offre la victoire à Peñarol.
Obdulio Varela fait ses débuts en sélection en 1939, en 1942, il est à la tête d’une Celeste qui écrase le Campeonato Sudamericano (six victoires en six matchs, vingt-et-un buts inscrits, deux encaissés) dont il est élu meilleur joueur. Huit ans plus tard, il est le Jefe de la sélection qui participe de nouveau à la Coupe du Monde, vingt ans après l’avoir décrochée et qui se présente au Maracanã le 16 juillet pour ce qui représente la finale de l’épreuve. L’Uruguay arrive dans un contexte particulier, sortant tout juste d’une longue grève des joueurs, dont Varela est l’un des acteurs, participant aux réunions, reprenant même une activité de menuisier, menaçant même de mettre fin à sa carrière en 1949, avant de signer un nouveau contrat avec les Carboneros et séchant ensuite les premiers rassemblement de la sélection avant de passer un marché avec le président de la fédération, César Batlle : celui de se rendre au Brésil en échange d’un emploi de fonctionnaire au casino à son retour de la Coupe du Monde.
Plongez dans l’histoire du Maracanazo
Le 16 juillet, il mène l’Uruguay dans une finale que tout le monde promet à l’hôte. Mais le monde s’écroule pour le Brésil, l’Uruguay est parvenu à retourner une situation comprise et le doit en grande partie à son cinco. Il est celui qui a harangué ses troupes avant le coup d’envoi, affichant la une d’O Mundo qui faisait du Brésil les futurs champions du monde, il est aussi celui qui est décisif sur le terrain. Lorsque Friaça ouvre le score pour le Brésil, le Maracanã explose. Capitaine Varela prend alors le ballon et se dirige vers l’arbitre. Les Uruguayens ont vu l’assistant lever son drapeau, leur capitaine veut faire annuler le but par l’arbitre anglais, George Harris. Il demande alors un interprète, le temps file, l’effet est immédiat, la furia des tribunes et l’euphorie brésilienne retombent. Si le geste n’est pas prémédité, il permet à tout le groupe uruguayen de se remobiliser, de faire retomber la pression. Sur le terrain, Varela se transforme alors en sauveur, il est au départ de l’action du but égalisateur, lançant Ghiggia qui trouve Schiaffino. Stupeur au Maracanã avant le silence assourdissant qui suit le but de la victoire céleste. Ce silence pèse sur Varela qui vient à la rencontre d’un Jules Rimet sonné, lui qui n’avait pas préparé de discours pour les Uruguayens tant leur victoire semblait improbable, pour recevoir le trophée en toute discrétion.
En cette soirée amère pour le Brésil, el Negro Jefe demande à quitter l’hôtel des joueurs et file voire quelques caïpirinha dans un bar proche avec Óscar Míguez. L’histoire se termine avec des supporters brésiliens les ayant reconnus, el Jefe passant ensuite la nuit à boire avec eux, à les consoler « de vrais frères brésiliens ». « Ma patrie est celle des gens qui souffrent, » dit-il plus tard, signe de sa grandeur d’âme.
L’histoire céleste d’Obdulio Varela se termine en quarts de finale de la Coupe du Monde suivante. Blessé, il est absent pour la demi-finale historique face à la Hongrie, comme en symbole, la Celeste s’incline et connait ainsi sa première défaite en Coupe du Monde. Il dispute son dernier match avec la sélection le 19 juin 1955 et finit par mettre fin à sa carrière. Il tente brièvement d’être entraîneur, s’apercevant que cet emploi n’est pas pour lui, et prend alors la place promise par le président au casino de Montevideo où il travaille sous les ordres de José Nasazzi, le capitaine champion du monde avant lui.
S’installe alors le mythe Obdulio Varela, la quintessence du football uruguayen, la légende céleste. Lorsqu’il décède le 2 août 1996, Julio María Sanguinetti, président de la république orientale d’Uruguay fait son éloge : « Obdulio Varela, plus qu’un joueur de football, était l’expression de la capacité de s’agrandir face à l’adversité, il était le symbole de cet Uruguayen que nous aurions toujours voulu avoir à nos côtés dans l’adversité. Parce que la finale du Maracanã est, même si cela peut paraître irrévérencieux, l’un des épisodes de gloire de notre pays. Il intègre le patrimoine de l’identité collective de notre nation et ce jour et ces dates sont identifiés par son nom ». Obdulio Varela est un mythe en Uruguay. On ne compte plus les livres rendant hommage au Negro Jefe. En 1980, lors du Mundialito, lorsque Waldermar Victorino offre le titre à l’Uruguay, les premiers mots de Victor Hugo Morales sont pour Obdulio : « ¡Quédate tranquilo, Obdulio, los muchachos no te van a dejar cambiar la historia! Uruguay 2, Brasil 1. ¡Quédate tranquilo, Obdulio, te digo! » (Ne t'inquiète pas, Obdulio, les garçons ne laisseront pas changer l'histoire ! Uruguay 2, Brésil 1. Ne t’inquiète pas, Obdulio, je te dis). Alors sélectionneur, Oscar Washington Tabárez impose la lecture obligatoire d’un livre à son sujet à ses joueurs. En 2011, le capitaine de la sélection Diego Lugano ne se sépare pas de ce livre, Varela est sa source d’inspiration. L’Uruguay remportera la Copa América, sans doute porté par l’esprit du Negro Jefe.
Initialement publié le 20/09/2017, mis à jour le 02/08/2025