Mushuc Runa, quand les indigènes utilisent le football pour gagner en reconnaissance | OneFootball

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Icon: Lucarne Opposée

Lucarne Opposée

·2 janvier 2024

Mushuc Runa, quand les indigènes utilisent le football pour gagner en reconnaissance

Image de l'article :Mushuc Runa, quand les indigènes utilisent le football pour gagner en reconnaissance

À première vue son nom peut prêter à sourire. Aussi improbable qu’il apparaisse à l’oreille du profane, Mushuc Runa n’est pas un simple club de football. Il est le défenseur d’un projet social et politique de grande ampleur qui ne cesse de bousculer les préjugés en Équateur.

Au cœur de l’Équateur et de la Cordillère des Andes, au pied du fascinant et impressionnant volcan Tungurahua se trouve Ambato. Le jardin de l’Équateur, dont le nom est hérité d’Hambato, la colline de la grenouille, et qui a été totalement détruit lors du tremblement de terre de 1949, est aussi la ville qui abrite un club de première division équatorienne : Mushuc Runa.


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En décembre 1997, trente-huit jeunes indigènes et paysans des villes de Pilahuín, Chibuleo et Quisapincha s’associent pour créer une institution financière : la Cooperativa de Ahorro y Crédito Mushuc Runa. Derrière ce nom se cache deux mots quechuas, Mushuc Runa, qui signifient « Nouvelle Homme ». Et derrière cette coopérative spécialisée dans le microcrédit, depuis reconnue à travers le pays, réside une idée forte : sortir le peuple autochtone du carcan dans lequel il était enfermé, ne plus se contraindre n’être qu’un peuple de paysans, mais porter la volonté de tout un peuple, les indigènes d’Équateur – qui représentent 7,7% de la population selon le recensement de 2022 – d’être enfin représentés dans tous les pans, tous les secteurs d’activité de la société équatorienne.

Un projet social

Cette histoire se confond avec celle d’un homme, celui à l’origine du projet : Luis Alfonso Chango. Enfant, il rêvait de devenir footballeur, s’amuse a taper dans le ballon et crée une première équipe de quartier à l’âge de huit ans en se cachant de ses parents pour qui le football n’est qu’une distraction pour oisifs ou sans-emplois. Son amour du football le conduit à créer un autre club à l’entrée de l’adolescence, Técnico Juvenil San Luis, au sein duquel il joue au poste d’attaquant. Il lui faut attendre d’âge adulte pour passer à l’étape supérieure. L’enfant qui a grandi dans la pauvreté et vendait de l’ail sur les marchés locaux tout en rêvant de football, se lance dans des études pour devenir avocat et dirige ensuite la Cooperativa de Ahorro y Crédito Mushuc Runa. Chango veut faire de son histoire personnelle un exemple à suivre et pour cela veut réveiller les consciences.

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Le 2 janvier 2003, il revient donc à ses premières amours et crée son club, associé à la coopérative et en porter les couleurs dans les ligues de quartier. Deux ans plus tard, soutenu par cent-trente membres fondateurs, le club s’affilie à la Asociación de Fútbol Profesional de Tungurahua et a pour objectif de porter l’idée d’ouvrir les yeux des indigènes et de leur donner accès à des métiers jusqu’ici réservés aux autres. Faire des médecins, des avocats, des footballeurs au sein d’une communauté traditionnellement enfermée dans le carcan de simples paysans, tel est l’objectif affiché de Chango qui compte également stimuler l’économie locale par l’éco-tourisme, mais aussi le besoin de main d’œuvre généré par le club de foot. Cette prise de conscience passe nécessairement par des exemples et le club de football en est un. « Ce projet n’est pas seulement basé sur le football ou avoir un stade et faire de la publicité. Le football est pour nous un moyen de causer un impact important dans la société équatorienne. Il vise à démontrer que le peuple indigène peut accéder à tous les strates de la société. Nous avons déjà réussi à le prouver dans le monde de la finance, de la politique, de la culture, l’objectif est désormais de se faire aussi une place dans le sport », explique ainsi son créateur.

Une ascension folle

Il était dit qu’une telle idée ne serait pas sans succès. Alors Mushuc Runa Sporting Club bouscule tout un pays. Il accède au troisième échelon national pour la première fois de son histoire en 2009, est promu en deuxième division – Serie B – en 2012, se maintient puis décroche le Graal, l’accession à la première division à l’issue d’une saison 2013 au cours de laquelle il remporte la Primera Etapa (dix-sept victoires en vingt-deux matchs). Mushuc Runa dispute alors trois saisons dans l’élite avant de retourner à l’échelon inférieur. Pour mieux revenir. En 2018, Mushuc Runa décroche son premier titre en remportant la Serie B et retrouve l’élite. Mieux, le système équatorien offre une possibilité folle au champion de D2 : décrocher une place continentale s’il remporte un barrage aller-retour face au huitième de Serie A. Ce que Mushuc Runa fait en prenant le meilleur sur Aucas. Pour la première fois de son histoire, le club que l’on surnomme le Ponchito en hommage aux ponchos rouges que portent les membres de sa communauté, s’offre une vitrine internationale. Il conquiert le cœur de Juan Pablo Sorín, qui devient son ambassadeur, et s’il ne parvient à se défaire de l’Unión Española au premier tour de la Sudamericana 2019, l’histoire retient qu’il emmène les Chiliens aux tirs au but et quitte la compétition sans avoir perdu durant le temps règlementaire.

Depuis, le club s’est installé dans le paysage local de la Serie A, a décroché une nouvelle place en Sudamericana en terminant septième en 2021, il est également éliminé dès le premier tour par la LDU. Mais il ne perd pas son idée de départ : être le club des indigènes.

Le football est une façon de dire que nous existons, que nous, indigènes, sommes grands et pouvons faire de grandes choses.

Représentation

Rares furent en effet les indigènes à porter les couleurs de club, citons Cristian Serafín Pandi ou Julio Sisa. La relégation de 2016 a finalement fait accélérer cette volonté. Il fallait alors combler le vide en ressources pour permettre aux jeunes indigènes de pouvoir aspirer à eux aussi devenir footballeurs. Mi-2013, le club avait ouvert un camp de football d’été. Alors qu’il se fixe trois cents inscriptions, ils seront près de six cents enfants à se présenter, forçant les dirigeants à refuser de nouveaux inscrits par manque de place sur le terrain. En 2015, Mellinton Medina, alors directeur de l’école de football, rappelait le véritable rôle du club auprès de la communauté : « Notre objectif est de travailler pour un futur à grande échelle avec l’intention qu’il y ait plus tard nos propres joueurs issus de la province et du secteur rural. Si le club est un club indigène, nous devons avoir des joueurs indigènes. Notre projet consiste à travailler avec des gens issus de notre province, des gens oubliés, avec peu de moyens. On peut ainsi s’appuyer sur une institution qui se préoccupe du secteur rural. Nous leur apprenons tout. Si nous travaillons avec des enfants qui arrivent à l’âge de six ans, à douze ans, ils ont appris bien plus qu’un enfant passé quelques mois par l’école ». Car Mushuc Runa entend aussi former intellectuellement des enfants qui n’avaient pas accès à cela auparavant. Utiliser le football et un projet sportif pour changer les mentalités, pour offrir aux indigènes d’autres métiers, d’autres ambitions, tel est le véritable projet de l’institution et en fait sa fierté.

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La relégation est donc synonyme d’impulsion auprès des jeunes. Il s’appuie désormais sur des catégories U12, U14, U16, U18 comptant une centaine de joueurs et, depuis 2022, impose à son équipe première d’inclure au minimum un joueur indigène issu du centre dans le groupe pro. L’objectif fixé est qu’un jour, toute l’équipe soit composée d’indigènes venant non seulement de la région d’Ambato, mais aussi de l’ensemble de pays. « Mushuc Runa représente notre culture et c’est pour cela que nous les encourageons », témoigne un fan du club à la BBC. Dans les tribunes du stade, des locaux qui ne sont pas forcément amateurs de football, mais qui sont là pour soutenir un projet, une idée : celle de redonner sa fierté au peuple indigène.

En novembre 2018, une nouvelle étape est franchie lorsque le club inaugure son nouveau stade, l’Estadio Mushuc Runa COAC, basé à Echaleche, la ville d’où est originaire l’épouse de Luis Alfonso Chango. Posé à 3 200 mètres d’altitude, l’enceinte est financée par le club, au prix parfois de luttes pour acquérir certains terrains, est située au cœur de la communauté pour s’inscrire dans cette politique sociale : « Mushuc Runa ouvre la voie pour relancer l'économie des populations rurales et autochtones du sud-ouest d'Ambato. Nous voulons que les voisins installent des restaurants, des hôtels et des lieux de vente d’artisanat aux abords du stade ». Un stade de 8 200 places dont la prochaine phase de travaux vise à le porter au plus proche des 22 000 initialement ambitionnés et surtout devenir d’ici 2025 la première enceinte sportive de province. Et ainsi continuer à fièrement représenter le sommet des Andes.

Article initialement publié le 16/12/2018, mis à jour le 02/01/2024

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