Lucian Sânmărtean, le magicien d’Oz | OneFootball

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·4 janvier 2021

Lucian Sânmărtean, le magicien d’Oz

Image de l'article :Lucian Sânmărtean, le magicien d’Oz

Nombreux sont ceux qui ont été comparés au roi Hagi mais combien se rapprochaient réellement de sa magie et de sa malice ? Pratiquement aucun et les « nouveaux Hagi » se sont succédés comme des matriochkas, pour mieux échouer devant le Valhalla avec une aisance déconcertante. Bien sûr, Adrian Mutu aura entretenu la flamme à sa manière… et sans être au même poste. Il n’en reste que la Roumanie de l’ère moderne a passé plus de temps à chercher son meneur de jeu de référence qu’à disputer la phase finale d’une compétition internationale. Jusqu’à faire porter le sacro-saint numéro 10 par le premier venu. Oui George Florescu, elle est pour toi celle-là.Alors, dans cette quête interminable allant de déception en déception, les puristes que vous croiserez au détour d’une « crâșmă » vous feront ressortir un nom de la pénombre : Lucian Sânmărtean. Un patronyme peu commun qui renferme un parcours chaotique, fait de slaloms géants entre les salles d’opération blafardes et les dialogues de sourd avec la dépression. Longtemps répertorié dans la colonne des talents perdus, « Lucică » aura tout vécu et, lui aussi, frustré son monde. Pourtant, son pied droit pétri d’or sera parvenu, sur le tard, à être cette tornade qui vous transporte au beau milieu du pays d’Oz. Le numéro 21, 18 et 17, trop modeste pour réclamer le 10 hors de sa Bistrița natale. Itinéraire d’un galérien, éternel discret touché par la grâce, membre à vie du cercle des poètes disparus.

La promesse de l’aube

Lucian Sânmărtean démarre le football en 1987, un peu avant l’âge de 7 ans. Dans sa ville de Bistrița, au nord de la luxuriante Transylvanie (Ardeal), la brume est épaisse, les distractions sont peu nombreuses et « ciuma roșie » (« la peste rouge ») touche à sa fin dans le sang, laissant un pays ravagé s’ouvrir peu à peu au monde. Son père, épris de cuir et de Dinamo, a rapidement poussé ses deux fils à épouser une carrière de footballeur. Et contrairement à bon nombre de figures du sport roi, Sânmărtean a démarré à un poste et ne l’a pas lâché. Doté d’une vista hors normes, ce dernier a aussi cette facilité à éliminer ses petits camarades par un dribble ou un mouvement de hanche. Sans pour autant être explosif ou supersonique. Il est agile mais sans être un monstre physique. Vous l’avez ? C’est la naissance d’un milieu offensif. Celui qui forge sa technique et poli les extrémités de son instinct sur le « maidan » (terrain vague). N’importe quel mur n’a dès lors plus la fonction d’obstacle ou de boomerang, devenant tour à tour un prétexte pour sortir, puis un allié au service du destin.La répétition des mêmes gestes, comme des esquisses sur une toile vierge, acquiert une fonction robotique que personne ne pourra arrêter. « Le football était la seule issue pour moi. Je ne savais rien faire d’autre. De mon temps, il n’y avait pas les possibilités de maintenant. Pas d’internet, rien, on jouait au football jour et nuit. Pour être plus concret : j’ai mangé ma première banane à 19 ans », confiera Sânmărtean une fois ses crampons raccrochés. Une absence de conditions atténuée par sa foi inébranlable dans la valeur du travail : arte et labore en signature, football de rue comme cachet officieux.


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Amère Acropole

De 1987 à 1998, Sânmărtean fait ses classes dans les catégories de jeunes de Gloria Bistrița, le club local. « Vampirii Albaștri » ou l’ambition démesurée d’un personnage très contesté, qui l’a pris sous son aile en pensant au pourcentage à la revente : le parrain de la Cooperativa, Jean Pădureanu.Eclaboussant tout sur son passage avec son toucher et sa classe dignes d’un vétéran, « Lucică » devient professionnel dès sa majorité, à 18 ans. Le grand écart ? Pas vraiment. Pour ses débuts en Divizia A face à Ceahlăul, il se permet même de marquer un but. Dans une équipe solide et expérimentée, abonnée au top 5 et aux bons parcours en Intertoto, il continue sa progression et s’épanouit dès 1999. La tête sur les épaules, c’est aussi quelqu’un de simple : « J’ai fait don de mon premier salaire à mes parents. On parle de 20 millions de lei anciens, environ 2000 lei actuels (410 euros), c’était une somme pour un débutant. Avec le peu qu’il me restait, j’ai invité tous les voisins autour d’une pizza et d’un petit billard. C’est comme ça que ça marchait à l’époque, en Roumanie. » Mais la simplicité n’exclut ni les grands objectifs ni les désirs d’unicité :

« Je n’ai jamais eu d’idoles ni de modèles. J’ai toujours voulu suivre ma propre voie, devenir Lucian Sânmărtean et porter le maillot de l’équipe nationale. »

Jusqu’en 2003, il dispute 89 rencontres et inscrit 12 buts. Lucică l’introverti a convaincu les scouts européens. Courtisé par le grand Rapid près du pont Grant, les canaris Nantais et plusieurs écuries italiennes, il file finalement au Panathinaïkos contre 900 000 euros. A 23 ans, la confiance règne dans son esprit et tous les voyants sont aussi verts que le trèfle athénien. Dans la même veine, c’est toute une génération roumaine qui est porteuse d’espoirs : Alin Stoica, Marius Niculae, Cătălin Munteanu, Andrei Mărgăritescu, Florin Cernat, Răzvan Raț et Emilian Dolha incarnent la relève aux côtés de Sânmărtean et Adrian Mutu. Et pourtant…

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Au début des années 2000, le grand Pana des Vlahović et Olisadebe est une présence constante en Ligue des Champions. S’y imposer n’est pas donné au premier venu. Loin de son cocon et d’une famille dévouée à son bien-être, Lucian Sânmărtean réalise une très bonne première saison, quasiment complète, avec au bout un titre de champion pour « I Prasini » :

« Un des plus beaux moments de ma carrière. Les Grecs voient le football comme une raison de vivre, cela m’a rappelé la Roumanie. Au coup de sifflet final du dernier match de la saison, on a eu droit à un envahissement de terrain, la communion était totale et proportionnelle à la portée de notre sacre. L’Olympiakos dominait la Grèce avec une manne financière importante, les meilleurs joueurs étrangers allaient là-bas. Quelques mois après mon arrivée, ils ont fait signer Rivaldo ! »

Contre toute attente, Itzhak Shum, l’entraîneur israélien qui avait fait venir Sânmărtean, est débarqué quelques temps après. Le début du cauchemar. Son remplaçant, Alberto Malesani, est très exigeant avec Lucică. Au point de le sortir du groupe pour piquer son orgueil. Habitué à être le premier choix depuis sa plus tendre enfance, le jeune Lucian rentre en conflit verbal avec le technicien transalpin. S’ensuit une période très complexe : quand il n’est pas en tribunes à ronger son frein, le natif de Bistrița s’entraîne à son compte et enchaîne les opérations au genou. Ses six derniers mois dans l’Attique se terminent sur une humiliation. Dépisté positif à la testostérone, il est définitivement exclu de l’effectif du PAO et jeté en pâture aux médias grecs : « Mon corps sécrète naturellement plus de testostérone que n’importe quel autre joueur. Je suis ainsi fait, ce sont des choses qu’on ne contrôle pas. Le Pana a cru que je me dopais. Quand je suis revenu avec mes propres analyses pour prouver que c’était un tissu de mensonges, ils ont immédiatement voulu faire marche arrière. Le club m’a dit que Malesani serait viré et moi réintégré. Comment ont-ils pu croire un instant que j’allais accepter ? Ils ont détruit mon image dans l’espace public. » Le point de non-retour atteint, Sânmărtean cherche un nouveau port d’attache.

Confins de l’Utrecht

Son expérimenté coéquipier Nordin Wooter, ancien de l’Ajax, refuse de croire qu’un tel talent brut reste sur le carreau et perde le fil de sa carrière. Le Néerlandais appelle son agent Hakim Slimani et lui demande de venir superviser Sânmărtean : malgré un refus de l’AZ Alkmaar, Slimani propose le meneur roumain à Utrecht. Grâce à ses multiples connexions au sein du club, le transfert vers les Pays-Bas s’effectue sans frais en février 2007. Ce n’est pourtant pas la fin des ennuis… Marqué par les fausses accusations de dopage et leurs conséquences, lâché par plusieurs amis proches dans un moment invivable sur le plan moral, l’ancien vampire bleu n’est plus le même. A son premier entraînement, Lucică rate tout ce qu’il entreprend : contrôles simples, passes élémentaires. Jusqu’à marcher maladroitement sur le ballon et humer le gazon. Il ne l’apprendra que plus tard mais plusieurs de ses coéquipiers se moquèrent dès lors de cette « trompette roumaine » qui venait de rejoindre l’Eredivisie.Hors de forme, sans matchs officiels dans les jambes depuis un long moment, le MOC se fait violence. Les débuts sont encourageants : ses éclairs de génie, ses dribbles chaloupés sont visibles dès les premières minutes. Ses passes lasers et sa capacité d’élimination étonnent. Mais les problèmes ressurgissent très tôt : des douleurs au niveau de la musculature abdominale l’obligent à se faire opérer à Rotterdam. On parle alors d’une hernie discale. Après un repos de deux semaines, Sânmărtean est bloqué dans ses foulées à l’entraînement : le corps ne répond pas, il n’arrive tout simplement plus à courir. Envoyé dans une autre clinique en Belgique, il n’en croit pas ses oreilles : « Le docteur m’a dit que j’avais une pubalgie, pas une hernie. Dès le départ, le diagnostic était mauvais. » Réopéré, le Bistrițean ne parvient même plus à se lever de son lit. Utrecht le libère de son contrat, non sans une certaine classe, contrairement au Panathinaïkos : « L’entraîneur et la direction voulaient me garder. Je n’ai joué que 16 matchs mais le PSV et l’Ajax m’avaient dans le viseur avant ma pubalgie. Ils espéraient que je retrouve les terrains pour pouvoir me vendre ensuite. C’est pourquoi ils m’ont laissé le temps de récupération nécessaire, en vain. ».

Retour à l’envoyeur

Lucian Sânmărtean a 27 ans. Sa valeur marchande dépasse le million d’euros mais le moindre mouvement est devenu un fardeau. L’heure de se poser les questions les plus redoutées :

« Je pouvais à peine marcher dans la rue. Les douleurs étaient abominables. Tout arrêter ? Bien sûr que j’y ai songé. Un soir, ma femme m’a pris par la main. Les yeux dans les yeux, elle a fini par me convaincre : le football a toujours été la seule chose qui me rendait heureux. J’ai décidé de me laisser une dernière chance. »

Vous pouvez ôter à un guerrier ses armes, vous ne pourrez jamais garder le secret sur leur cachette. Au bord de la déchéance psychique et physique, l’ancien grand espoir se lance dans un dernier baroud d’honneur : il revient en Roumanie, à Bistrița. Aidé par sa compagne, il réapprend à marcher droit et arpente les parcs de son enfance. Jean Pădureanu est toujours en place à Gloria et promet à Maria de redonner toute sa confiance à son ancien protégé, dans l’espoir de le relancer. Et d’en tirer une contrepartie, assurément. Avec un entraîneur de la trempe de Ioan Ovidiu Sabău, ancien grand international roumain, Lucică fait plus que retrouver ses sensations footballistiques. Il rayonne.Dans un championnat performant, avec des équipes qui réalisent encore des coups d’éclats en Europe, Sânmărtean se sent comme un poisson dans l’eau : homme de grand rendez-vous, il hausse son niveau à chaque fois que Gloria doit affronter Steaua, Dinamo, CFR Cluj… 26 matchs durant la saison 2009-2010 suffiront pour que les offres se succèdent à nouveau sur la table de son agent, Giovanni Becali. Un homme impressionne le Bistrițean : Adrian Porumboiu. Le fantasque patron de Vaslui, ancien arbitre réputé, est le premier à établir le contact. Les joueurs imprévisibles, instinctifs et de taille moyenne sont son péché mignon. Conscient des priorités de carrière de Lucian Sânmărtean, il le laisse négocier d’abord avec les « gros » et accepte d’être la roue de secours. Ni l’aspect financier ni son futur rôle dans l’équipe ne parviennent à convaincre Lucică de rejoindre CFR Cluj. Direction Vaslui et la Moldavie, terre de héros.

Vaslui, potion magique

En juillet 2009, le montant de son transfert est risible quand on connaît la valeur du « petit magicien », un de ses surnoms en Grèce : 50 000 euros. Dans un environnement sain et enfin épargné par les pépins physiques, le meneur de jeu fait le meilleur choix de sa carrière.

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Les dires de ses anciens coéquipiers, Vasile Jula et surtout Alin Minteuan, se vérifient dans la durée : « Lucian, il faut le comprendre et lui donner une liberté totale dans le jeu. Une fois que c’est fait, il peut te gagner un match à lui tout seul. » Mélancolique, dans son monde, étrange, tant de clichés accolés au milieu offensif. Porumboiu se souvient : « A un moment donné, Ilie Stan entraînait Vaslui. La situation était moins rose. Il m’a posé un ultimatum : c’était lui ou Lucian. Impossible de laisser tomber Sânmărtean ! J’ai renoncé à Stan et, dans la foulée, Lucică est venu me voir. Il m’a remercié tout en me promettant une victoire 4-0 contre CFR avec un grand Sânmărtean. » Vaslui s’imposera bien 4-0, grâce notamment à quatre caviars du principal intéressé. Le FCV de l’époque est un véritable poil à gratter en Liga 1 : Sânmărtean fait successivement équipe avec Wesley, Adaílton, Marius Niculae, Mike Temwanjera, Nicolae Stanciu… la crème de la crème. Techniquement, ce qu’il se fait de mieux en Roumanie. Une attaque létale et un milieu qui met le pied sur le ballon et le fait disparaître dans les 30 derniers mètres par des combinaisons et des redoublements de passes. Une de ces équipes placées mais jamais gagnantes, qui aurait mérité un titre pour l’ensemble de son œuvre. A Vaslui, Sânmărtean aura amélioré tous les aspects de son jeu et élargit son champ de vision grâce à un repositionnement en milieu gauche, façon meneur de jeu excentré. Lăcătuș, Hizo, Șumudică : tous ses entraîneurs se régalent. Au total, quatre saisons pleines, 121 matchs pour 11 buts, généralement des bijoux. Un bilan réjouissant pour l’enfant de Bistrița, doublé d’une expérience incroyable en Europa League face au Sporting CP, la Lazio et Zürich en 2011-2012. Mais ce n’est plus seulement la Moldavie et le « Municipal » de Vaslui qui se délectent de la perle de Transylvanie : dans la capitale, Gigi Becali le veut absolument.

Courte consécration bucarestoise

En 2014, l’équipe que tout le monde connaît sous le nom de Steaua est en train de voir progressivement son identité se diluer. Ce n’est plus qu’une question de mois avant que “l’erreur” ne soit réparée et le jouet de Becali renommé FCSB après décision de justice. Pour Sânmărtean, c’est encore l’équipe qu’il soutenait gamin. Et qui dit Bucarest, dit fin de la quiétude moldave. Dans un vestiaire imposant, fait d’égos et de caprices du haut niveau, il faut savoir se faire respecter et être bon dès le départ. Les munitions sont d’autant plus limitées lorsqu’on est un vétéran allant sur ses 34 ans…

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Niché dans les hauteurs de sa loge VIP, le berger de Pipera à la critique facile n’est jamais loin de son troupeau. Pas un problème quand on revient du Tartare comme Lucică. En onze mois sous la houlette de Laurențiu Reghecampf puis Costel Gâlcă, il retrouve son ancien protégé à Vaslui, Stanciu, et évolue même à un poste inédit : milieu central. Aux côtés du pitbull défensif qu’est Mihai Pintilii, le Bistrițean a un rôle de coordinateur, sorte d’électron libre, fier détenteur des clés du camion. Derrière le trio Chipciu – Stanciu – Tănase, il est à la base de toute construction offensive, le premier maillon de l’attaque, celui qui éclaire et fluidifie le jeu, casse les premières lignes. Bien qu’il ne resta qu’une saison au futur FCSB, Lucian Sânmărtean aura mis tout le monde d’accord, brillé de nouveau en Europa League malgré l’élimination aux points face à Aalborg et réussi un de ses plus grands défis : performer en peu de temps là où tant ont échoué. Preuve en est, les supporters l’ont placé sans hésiter dans l’équipe type des dix dernières années (et en numéro 10, comme un symbole). 26 matchs aux allures de bonne centaine.

L’Euro 2016, rendez-vous inachevé

Transféré à Al-Ittihad (Arabie saoudite), « Luci » a logiquement saisi l’opportunité de se mettre à l’abri financièrement. Fait amusant, il arrive dans les bagages de l’ancien sélectionneur Victor Pițurcă, le même qui l’a longtemps boycotté en raison de plusieurs quiproquos :

« Contre la Biélorussie en 2011, j’ai joué 30 minutes avant de sortir sur blessure. Quand je suis rentré à Vaslui, Porumboiu m’a obligé à évoluer 90 minutes le week-end. J’avais mal, je risquais d’aggraver ma gêne mais j’ai dû me forcer. J’étais la valeur marchande… quand Pițurcă a vu ça, il ne m’a plus rappelé. »

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Alors que sa carrière semblait au point mort, il a su lui redonner une trajectoire. Loin des aspirations initiales de ses premiers mentors mais une trajectoire tout de même. Il lui reste cependant une chose à aller chercher, à 36 ans : une phase finale avec le maillot des Tricolorii. Pour Lucian Sânmărtean, l’Euro 2016 se présentait comme la juste récompense d’une expérience de vie tronquée, la dernière danse et chance d’un artiste pour étaler aux yeux de l’Europe son talent natif, Zidanesque.Appelé en sélection pour la première fois en 2002 lors d’un amical face à la Croatie, son histoire avec la tunique jaune sertie de rouge et de bleu est très compliquée. Ignoré, écarté à cause de sa réputation de joueur difficile, il n’aura jamais vraiment pu s’exprimer dans une rencontre à enjeu avec son pays. Certains vous rappelleront cette passe aveugle pour Torje contre la Biélorussie ou ce débordement magistral face à la Hongrie à Bucarest lorsque trois joueurs adverses sont mis dans le vent mais le fait est que Naționala a été globalement privée de son joyau. Et pas uniquement à cause de ses déboires. Les pétitions pour donner à Sânmărtean un rôle majeur en équipe nationale circulent sur les réseaux sociaux depuis 2011 mais ni Victor Pițurcă ni Răzvan Lucescu ou Anghel Iordănescu n’ont obtempéré. Il demeure dans leur esprit cette friandise sporadique qui n’a le droit de briller que les soirs de pleine lune. Un incompris, tout simplement discret et trop correct pour faire des vagues. Le principal intéressé, lui, ne regrette pourtant rien :

« A 27 ans, je n’aurais jamais imaginé pouvoir jouer une compétition internationale. Finalement, malgré tout, l’Euro ne sera pas une déception à titre personnel. J’ai pu goûter au haut niveau, sentir la fièvre, nos supporters scander mon nom. A mon âge, c’était devenu suffisant. »

Modeste jusqu’au bout et élégant même dans la résignation. Car à l’Euro 2016, Lucian Sânmărtean ne jouera qu’une mi-temps, la deuxième face à l’Albanie. Comment Tata Puiu (surnom d’Anghel Iordănescu) a pu se passer de son élément le plus créatif ? Alors que les 23 sélectionnés pour la compétition constituent, globalement, un des pires contingents que Tricolorii n’ont jamais présenté lors d’un tournoi, Iordănescu et son staff trouvent le moyen de faire démarrer Sânmărtean sur le banc lors des trois matchs de poules. Qu’importe son âge. Qu’importe sa pige dans le désert, le choix ne sera jamais justifiable aux yeux des Roumains. Quand on a vu jouer la génération dorée et même les têtes brûlées des années 2000 – 2010, il est impensable de se ranger en défense sans tenter le tout pour le tout. Encore aujourd’hui, l’incompréhension demeure lorsque l’on connaît le dénouement. Maxim laissé à la maison, seuls Stanciu et Sânmărtean avaient la capacité de faire bouger les choses. Il n’en sera rien car il n’y aura jamais de système et d’idées de jeu. 21 sélections en 14 ans. Adieu audace, bonjour tristesse.

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Lucian Sânmărtean a pris sa retraite en 2018 à Voluntari. Une fin de carrière dans l’anonymat, à se demander s’il n’a pas répandu une malédiction. Gloria Bistrița, Vaslui, Steaua devenue FCSB dans les actes, Pandurii : ses anciens employeurs ont dit adieu soit au football de performance soit à leur passé récent et à la vie. Dans les faits, le magicien de Bistrița restera comme l’incarnation du génie incompris. « Luci » nous aura fait vivre des moments suspendus dans l’espace-temps, à la lumière de ces ballons collés à ses pieds. Maître de l’éphémère, ce prestidigitateur a commis l’erreur d’avoir un don. L’erreur de transformer les un contre un en un contre quatre, l’erreur de voir au-delà des lignes et des forteresses, pensait-on imprenables. Et surtout le sacrilège d’être meilleur que les autres. Au point qu’on l’accuse de se réfugier dans un sauna pour « chatter » avec des donzelles alors qu’il aimait s’y retrouver seul avec ses livres de prières. Oui, parfois les génies ne recherchent pas la gloire qu’ils méritent et préfèrent dîner avec les hommes de rang.

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