Lucas Zelarayan : fierté argentino-arménienne ? | OneFootball

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·11 novembre 2021

Lucas Zelarayan : fierté argentino-arménienne ?

Image de l'article :Lucas Zelarayan : fierté argentino-arménienne ?

Octobre dernier, à l’approche d’une trêve internationale capitale. Lucas Zelarayan, bientôt la trentaine, au sommet de sa carrière en MLS, décide de répondre à l’appel de Joaquin Caparros, et de défendre les couleurs de l’Arménie. Le tout en ayant un rôle important, dans une équipe connaissant une des meilleures périodes de son existence. Qui est ce nouveau venu ? Pourquoi a-t-il autant fait parler, et pourquoi cela annonce un nouvel espoir pour ce beau pays qu’est l’Arménie ? Explication et analyse de suite.

Hijo de Argentina

Natif de Cordoba, l’une des plus grandes villes d’Argentine, le petit Lucas grandit avec un héritage arménien tiré de son père. Plus qu’un héritage, c’est du sang qu’il va obtenir de son père. Il a donc toujours été au courant de ses racines. Cependant, Lucas est bien plus attaché à la ville quand il était plus petit. Il va notamment faire ses gammes et passer toute son enfance avec le Belgrano, club assez réputé, faisant le yo-yo entre Primera et Segunda Division. Ce n’est ni le premier, ni le dernier produit de la cantera, comptant notamment Cristian Romero, Franco Vazquez, ou encore Emiliano Rigoni… Le joueur est déjà assez remarqué en jeunes, sans pour autant faire de vagues.


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Il va faire ses débuts professionnels à 19 ans, un peu dans l’anonymat, lors d’un match de Copa Argentina 2012 contre Rosario Central. En revanche, sa montée en puissance au fil des saisons va être moins anonyme. Dans une équipe ayant un niveau assez moyen, Zelarayan va s’imposer comme titulaire en dix-huit mois, pour devenir ensuite l’atout principal d’une équipe passant du ventre mou à des places pour la Sudamericana.

Pour se rendre compte de son impact dans l’équipe, il ne faut pas lire les lignes de statistiques. Il faut le regarder jouer. Car le regarder jouer, c’est un spectacle qui vaut le billet à lui tout seul. Un numéro 10 « à l’ancienne », qui transpire tout ce qu’on aime en Amérique du Sud, couplé à quelques qualités importantes du football moderne. Un toucher de balle et des passes qui casseraient Twitter s’il avait plus de visibilité, mélangé à une vitesse d’exécution folle, une régularité dans les bons choix… Chino sent le jeu comme peu le peuvent, avec ses dribbles chaloupés, sa finesse, son altruisme mélangé avec un instinct de tueur en intermittence (aidé par une frappe très lourde, dans le jeu comme sur coup-franc). Un joueur qui ne peut que te faire aimer le football, et qui ne peut qu’être aimé par ceux qui l’aiment déjà.

Il a malgré tout quelques défauts : son physique assez frêle (1m74), qui devient une cible facile, surtout en Amérique du Sud, où ça n’hésite pas à rentrer dedans. On peut parler aussi d’une certaine inconstance, où il n’arrive pas à se montrer sur plusieurs matchs, avant de revenir à son meilleur niveau. Ce qui a déjà pu lui poser des freins dans sa carrière.

Forcément, un tel talent dans un pays aussi observé que l’Argentine, ça n’allait pas rester toute sa vie ici. Janvier 2016, les Tigres posent la bagatelle de cinq millions sur le meneur, et va garnir un gros mercato, composé de Jürgen Damm, Aquino et surtout André-Pierre Gignac. Qui seront rejoints à l’été par Andy Delort, Eduardo Vargas, Luis Advincula, Luis Rodriguez…

Avant tout cela, Zelarayan va avoir droit à un très bel adieu. 5 décembre 2015, match contre Colon pour une place en Sudamericana. Le match sera certes perdu 2-1 à la maison, mais ce n’est pas cela qui compte. Ce qui compte, c’est l’Estadio Mario Kempes, rempli de 60.000 personnes, qui vont scander « Chino ! Chino ! » pendant de longues minutes, rendant hommage à leur maestro. Tout ému, le petit bonhomme. Lui qui a adulé dans ce stade des joueurs comme Cancelarich ou Pablo Chavarria, c’est maintenant lui qui se trouve au centre de toutes les attentions. Le rêve d’enfant était déjà atteint.

Escapade mexicaine : un périple en demi-teinte

Maintenant arrivé dans un club de plus grande envergure, dans un autre grand pays de football, dans un club dont, si vous vous y intéressez un minimum, vous savez que ça a gagné une flopée de titres dans les années à suivre… Ça ne peut qu’être parfait, non ? Non, pas vraiment. Il n’a pas perdu de son talent, mais l’entente avec Ricardo Ferretti, entraîneur légendaire des Tigres de 2010 à 2021, était loin d’être parfaite. Ils ne se détestent pas, attention. Au contraire, Zelarayan ayant révélé en interview au Once Diario qu’il le considérait « comme un grand technicien, qui lui a appris énormément de choses ». Cependant, Ferretti ne va pas lui réserver un traitement de faveur.

Au contraire, Chino va subir pendant quatre ans une grande intransigeance de la part de son supérieur brésilien. Il va mettre déjà assez longtemps à trouver le chemin du onze de départ, la faute à une tactique en 4-1-4-1 ou 4-4-2 qui ne lui sied guère. On le voit apparaître en position de 8, montrer de jolies choses lors de ses rentrées, mais cela s’arrête là. Il y aura plus de confiance posée en lui à la saison 2016-2017, avec un basculement en 4-2-3-1, le mettant au cœur du jeu. Il va toujours montrer un bon contenu, étant décisif régulièrement, se mettant clairement au service de l’équipe, avec un bon nombre de passes-clés. Le spectacle du petit de Cordoba se remet en marche, ce qui ne manque pas de lui donner une certaine popularité chez les Felines.

Malheureusement, d’autres pépins vont gêner son ascension. Non pas physiques, puisqu’il n’en a jamais eu par chance. C’est plutôt dans le mental que ça se joue. Comme dit précédemment, Lucas Zelarayan a une certaine inconstance dans ses performances sur le terrain, pouvant passer rapidement de réincarnation de Maradona avec une frappe de mule, à très effacé en trois matchs. Cela ne va pas tellement passer du côté de Ferretti, qui va encore se montrer encore une fois très sévère. Il va enchaîner moments de confiance et longs moments sur le banc. Ce qui n’est pas vraiment là pour affiner sa régularité. Le plus bizarre étant que des coéquipiers comme Enner Valencia ou Eduardo Vargas vont enchaîner des mauvaises prestations… et être déjà moins inquiétés. En tout cas par le coach, car les supporters étaient déjà plus sceptiques.

Les années vont s’enchaîner ainsi : tu as fait trois mauvaises prestations malgré une très bonne campagne en Apertura ? Allez, sur le banc et que je ne te revoie plus ! On joue la Ligue des Champions ? Nous peut-être, mais toi, tu ne prendras que les miettes, allez vas-y Chino ! Malgré tout, il arrive à se faire un trou et être l’un des rares à créer quasi-systématiquement du danger dans les surfaces adverses, qu’importe le contexte. Cela reste pourtant compliqué de prendre ses marques avec un coach qui te pousse plus à l’excès qu’à l’excellence.

Début d’année 2020, le choix à prendre est assez difficile. La même question depuis quelques temps déjà. Rester te battre dans un grand club, avec des supporters qui t’adulent ? Partir pour un nouveau projet, alors que tu t’approches grandement des 28 ans ? La deuxième option va enfin être privilégiée. Ou partir maintenant ? Grand voyage en Europe ? Pas un chat à l’horizon. Retour en Argentine ? Le Racing entre autres était intéressé, mais financièrement, c’était trop dur à suivre. Un concurrent au Mexique ? Il aurait dû partir pour quinze millions, si ce n’est plus. Que peut-il bien te rester, alors ?

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Malgré la communion avec le public et le talent évident, le boom au Mexique n’aura jamais lieu. (Crédits photo : IMAGO)

L’Ohio, terre promise de soccer

Il reste les Etats-Unis et la MLS, au marché fleurissant, au niveau grimpant en flèche, et au style de jeu libre. C’est le Columbus Crew, club champion en 2008, mais aussi capitale de l’Ohio, qui va s’attacher ses services. Ils vont même casser la tirelire, avec un montant de huit millions d’euros. Son transfert prend donc une belle place dans les plus gros transferts de l’histoire du championnat. On a droit aussi à l’arrivée de Darlington Nagbe, box-to-box très à l’aise avec le ballon, déterminant dans l’équipe d’Atlanta qui enchaînera deux finales de suite. Ces belles recrues vont donc étoffer un effectif composé entre autres de Gyasi Zardes, Pedro Santos, Harrison Afful, Jonathan Mensah…

Sacré retournement de situation pour ce club ancestral des Etats-Unis. Il faut se rendre compte qu’en 2017, on était tout proche d’une délocalisation à Austin (Texas) par la volonté d’Anthony Precourt, ancien président du club. Mais cela n’arrivera pas. Porté par le mouvement #SaveTheCrew ralliant tous les fans du club, et l’arrivée de Jimmy Haslam, propriétaire des Cleveland Browns (NFL), qui va rachetant le club en fin d’année 2018, le Crew va connaître une seconde jeunesse. Les projets sont nombreux pour cette équipe : un nouveau stade, le Lower.com Field. Arrivée d’un nouveau staff, qui connait son sujet, et surtout arrivée de Caleb Porter sur le banc, qui va amener de belles choses. Enfin, construction de l’équipe dans laquelle se trouve encore aujourd’hui notre Chino.

Dès le premier match, Zelarayan va donner la couleur, quelques semaines avant la pause COVID. Début mars, contre New York, il reçoit un bon ballon dans la surface par Afful, petit coup d’épaule pour déséquilibrer son vis-à-vis, frappe en pivot en une touche. Lucarne opposée. Le seul but du match. Il va célébrer d’une certaine manière, en hommage à sa ville de Cordoba. Cela va lui offrir un nouveau surnom : « El Pirata ».

Encore une fois, ils avaient vu juste, au vu de comment il va terroriser les autres équipes du championnat. Placé systématiquement en 10, avec un grand espace pour ne pas être dépaysé, et surtout être décisif. Huit buts et trois passes décisives en une vingtaine de matchs, avec deux passes-clé par match. L’inconstance est toujours de mise, mais moins présente, éclipsée rapidement par des coups de génie, des coups-francs, une grande intelligence de jeu… Chino se présente déjà comme l’un des meilleurs joueurs de la MLS, sans prendre le temps de dire bonjour.

Dire qu’on n’est pas encore arrivés au point culminant : les Playoffs. Cette campagne de quatre matchs en novembre dernier sera merveilleuse pour tout l’Ohio. Une route vers la finale, composée de matchs extrêmement serrés dans le jeu (3-2 contre les Red Bulls, 2-0 contre Nashville et 1-0 contre New England), et où Columbus va s’imposer, notamment par la présence de Zelarayan en plaque tournante. Des camions entiers d’actions provoquées sur ces trois matchs, sans pour autant n’avoir jamais été décisif.

Rageant, mais récompensé à la fin. En effet, au vu de la finale, on peut se douter qu’il n’aurait préféré aucun autre scénario. Il y aura très peu de suspense, étant donné comment le Crew a anéanti l’ogre de Seattle. 3-0, et un Zelarayan décisif par trois fois. Un match que votre serviteur a eu la chance de voir, et qui a bien fait de bousiller sa nuit. Buteur sur un caviar d’Afful avec une reprise comme elle vient. Passeur avec l’intelligence de temporiser et offrir le ballon à Derrick Etienne Jr, qui brosse sans broncher. Puis à nouveau buteur quand Luis Diaz (pas celui de Porto) va effacer quatre joueurs avant de trouver en retrait Chino avec un missile téléguidé dans la lucarne. Ce soir-là, le petit argentin était une arme de destruction massive, au plus grand des moments. On en oublie les quelques actions supplémentaires dont il fut à l’origine, et qui auraient pu être décisives. Un grand moment du football nord-américain, devant la bagatelle de zéro spectateurs.

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Le plus beau titre d’une équipe de l’Ohio de la décennie. (Crédits Photo : IMAGO)

Un titre qui ne pourra même pas être défendu, au vu de leur absence en Playoffs cette année, s’étant validée à la dernière journée alors qu’ils ont dominé Chicago, avec bien entendu un grand Lucas. La faute à un trop grand nombre de blessures, et des adversaires mieux préparés contre le champion, entraînant alors des performances décousues. Zelarayan nous fait du Zelarayan : un peu plus d’inconstance, mais toujours là aux bons moments, avec des performances et un talent magique. Il n’y a qu’à voir les derniers matchs de saison régulière pour le croire. Ses derniers matchs en MLS ? Pourquoi pas après tout ?

Hijo de Armenia

La carrière de Lucas Zelarayan prend un tournant encore plus intéressant cette année. Fin septembre, la fédération arménienne poste une vidéo surprise sur les réseaux sociaux. Dans cette vidéo, on voit Lucas Zelarayan annoncer qu’il jouera désormais pour la sélection arménienne. Cela met fin à un an de discussions, de procédures et d’hésitations. Procédures pour le travail énorme de Joaquin Caparros à sa venue. Il ne prend certes pas un joueur d’avenir, mais tout simplement l’un des meilleurs. Hésitations pour le choix cornélien entre trois sélections. Entre espérer une chance avec l’Argentine (qu’il aurait bien pu avoir), le Mexique ou bien devenir le leader d’une nation émergente, le choix devenait difficile.

Oui, car l’Arménie semble bien être une nation de football émergente. Depuis l’arrivée de l’ancien sévillan Joaquin Caparros sur le banc, les choses prennent une belle tournure. Arrivées de joueurs d’avenir (Spertsyan, Bichakhchyan), joueurs solidifiant le groupe (Udo), une volonté d’un jeu ambitieux malgré l’effectif pas taillé pour… Cela va faire gagner des matchs, en premier lieu en Ligue des Nations. Un très bel exploit, puisqu’ils vont réussir à monter en Ligue B, en battant la Macédoine du Nord. Cela va permettre aussi un début de campagne en qualifications Coupe du Monde. Vous avez peut-être entendu parler de ce mois mars exceptionnel, avec des victoires contre le Liechtenstein, l’Islande et surtout la Roumanie !

Malgré ce rythme de croisière, Zelarayan pourrait bien être le capitaine sauvant le navire de l’iceberg. Difficile à déterminer ce qui s’est passé, mais Caparros et les joueurs ont pris peur sur les derniers matchs. On suppose des problèmes tactiques quant au retour de Mkhitaryan dans le onze, absent lors de la superbe campagne de mars. On se rend à l’évidence que Caparros abandonne progressivement son jeu ambitieux, agressif sur le porteur du ballon. Assez dur de voir des matchs contre la Roumanie avec un jeu plus passif, où l’on subit pour contrer.

Cela ne va pas marcher, et on verra le résultat. Des nuls honteux contre l’Islande et le Liechtenstein (à la maison !), une gifle attendue contre l’Allemagne, et une domination de la Roumanie. Zelarayan a déjà pu s’illustrer pour ses deux premières capes : un beau caviar offert à Kamo Hovhannisyan contre l’Islande, et une rentrée déterminante, qui aurait pu même être décisive contre la Roumanie.

Voilà ce qu’est Lucas Zelarayan. Un joueur merveilleux, taillé pour les grands matchs. Une capacité qu’il pourra certainement prouver une nouvelle fois contre la Macédoine et contre l’Allemagne. Matchs encore une fois capitaux, un point séparant les trois contestants à la place pour les barrages. On sait que ça va le faire, que ces matchs sont taillés pour lui. Lui qui a pour objectif d’être le 24e argentin au Qatar à l’hiver 2022. Puis si ça ne le fait pas, il sera certainement présent pour porter l’équipe vers l’Euro 2024. Peut-être est-il petit, peut-être il se rapproche de la trentaine, mais il a encore un grand avenir.

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