OnzeMondial
·16 février 2025
L’Instant Tactique avec Laurent Bonadei : « L’aspect mental est tout aussi important que la tactique »
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·16 février 2025
Formateur reconnu, Laurent Bonadei a participé à l’éclosion de nombreux talents : Mike Maignan, Presnel Kimpembe, Adrien Rabiot et bien d’autres. Adjoint d’Hervé Renard entre 2019 et 2024, le natif de Marseille a été nommé sélectionneur de l’équipe de France féminine le 23 août dernier. Conscient de l’importance de sa nouvelle mission, « LB » n’a qu’un seul objectif en tête : remporter un titre majeur avec sa sélection. En attendant, le coach passé par l’OGC Nice et l’AS Nancy-Lorraine présente ses idées pour Onze Mondial dans l’Instant Tactique.
Voici quelques extraits de notre interview de Laurent Bonadei. L’intégralité de cet interview de 6 pages est à retrouver dans le magazine n°369 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 21 janvier 2025.
La venue dans le foot
Je suis tombé dans le foot dès mon plus jeune âge, avec mon père, quand j'avais 4-5 ans. On prenait un ballon et il me faisait répéter les gammes techniques : frappes de balle, contrôles, amortis. On jouait aussi avec les cousins et les oncles, le week-end à la campagne. Voilà mes premiers pas dans le football, surtout avec mon père.
Le rapport au foot
D’abord, c’est une passion. Que ce soit dans la pratique, dans l’effort, dans l’envie de progresser, dans l’admiration en tant que spectateur quand on regarde des matchs, des grands joueurs. J’ai de grands souvenirs de football, comme la Coupe du Monde 82 en Espagne avec Michel Platini, Diego Armando Maradona, ces joueurs auxquels on voulait ressembler. Quand on arrive à l’adolescence, cette passion, ce plaisir, ce jeu se transforme en enjeu pour l’avenir. On se pose la question de devenir professionnel, mais on sait que c’est difficile, que ça demande de nombreux sacrifices. Ce sport passion se transforme, par moments, en souffrance pour son corps et son esprit. Pour réussir, il faut faire beaucoup d’efforts. Mais ça reste avant tout du plaisir et un bonheur d’être dans le football.
L’approche du football
J’ai toujours la même approche du football. Quand j’étais jeune, j'étais un joueur à vocation offensive. J'étais un milieu de terrain créateur, avec une bonne vision de jeu. Aujourd'hui, en tant qu’entraîneur, mon approche est axée sur le collectif et l'animation offensive. Donc si on transpose le joueur que j'étais et l’entraîneur que je suis, on retrouve des similitudes.
Devenir coach, une vocation ?
Devenir coach était une vocation. J’ai baigné dans le foot avec ma famille puisque mon oncle était président du Sporting Club de Toulon. Mon père est à l'initiative de la création du centre de formation à Toulon dans les années 80, j’ai grandi dans cet environnement. J’ai commencé à entraîner les jeunes le mercredi après-midi lorsque j’étais stagiaire pro à Grenoble, à l’école de foot. J’ai tout de suite eu envie de transmettre aux plus jeunes. J’avais ce truc en moi, à savoir être un coach qui transmet. C'est pour ça que j'ai passé seize ans à la formation avec les jeunes. J'avais des choses à transmettre et à véhiculer.
La plupart des coachs ont un passé de joueur, logique ?
Oui. Avoir été joueur procure un certain avantage parce qu'on a la sensibilité, on a du vécu, on a le ressenti du terrain, du haut niveau. La majorité des entraîneurs ont un passé de joueur, mais ça ne veut pas dire que c’est la trajectoire obligatoire pour devenir un bon entraîneur. Il y a de bons entraîneurs qui n'ont pas forcément été de grands joueurs, ils ont développé d'autres aptitudes durant leur cursus. Ils ont dû faire preuve de beaucoup de courage, avec un certain sens de l'observation, une bonne analyse critique. Ils ont dû entendre à plusieurs reprises : « Vous n’avez pas été joueur, ça va être difficile de devenir un bon entraîneur », cette phrase n’a pas été facile à encaisser pour eux, je pense. Pour mémoire, Gérard Houllier n’a pas été un grand joueur, mais il a été un grand manager. Tous les parcours sont différents. Même s’il est vrai que le vécu de joueur, ça aide.
Les principes de jeu
La première chose, c'est de vouloir marquer des buts et de ne pas en encaisser. Il faut avoir un équilibre entre le fait d'attaquer - mais aussi d'accepter d'attaquer en étant en déséquilibre - et de gérer au mieux les situations de crise. Quand on perd le ballon par exemple. Quand on attaque, on a le ballon, mais perdre le ballon peut arriver, forcément. Dans ces moments cruciaux de transition, il faut être très réactif à la perte de balle pour laisser le moins d'opportunités à l'adversaire. Je suis orienté vers un jeu de possession avec l'utilisation de la largeur sur des temps plutôt longs. Je recherche la verticalité sur les changements de rythme avec et sans ballon pour créer des déséquilibres chez l'adversaire entre une alternance de phases lentes et de phases rapides. Je veux aussi exercer un pressing intense sur l'adversaire pour l'empêcher de développer son jeu, tout en gérant au mieux la supériorité ou l’infériorité numérique, que ce soit au niveau offensif ou défensif. Quand on va attaquer sur un côté, on va essayer de créer une supériorité numérique en quatre contre trois ou en trois contre deux. De la même manière, si on va presser l’adversaire, on va amener de la densité pour isoler les joueurs ou joueuses pour créer un problème et récupérer le ballon assez vite.
Le schéma tactique préféré
J'ai souvent utilisé le 4-3-3 ou le 3-4-3, ce sont deux systèmes qui se rapprochent. Après, c'est toujours une question d'animation et de profil de joueuses ou de joueurs qu'on va utiliser dans le système. Ces systèmes permettent d’utiliser la largeur et d’avoir du nombre en partie offensive pour attaquer et presser haut. Lors de mon passage à la formation, j'ai pu utiliser tous les systèmes parce qu'il était important pour moi de les expérimenter et de les enseigner aux joueurs. Dans le but de leur donner un certain bagage technico-tactique pour aborder les problèmes.
Le schéma tactique le plus équilibré
Je dirais le 4-3-3. En phase offensive, c'est un système qui peut se mouvoir en 3-4-3 avec une bonne utilisation de la largeur. Et lorsqu'on est en phase défensive, il peut permettre un bon pressing haut sur l'adversaire. Lorsqu’on doit se repositionner dans un bloc médian, si les ailiers se replacent au niveau du milieu, on peut se retrouver en 4-1-4-1 avec un bloc médian assez compact. C'est un système qui permet de switcher d’un 4-3-3 à un 3-4-3 en partie offensive, et d’un 4-3-3 à un 4-1-4-1 en partie défensive. Pour moi, c’est le système qui donne le plus de possibilités.
Le système ou les joueurs, qui passe en premier ?
Bonne question. Les deux sont à prendre en considération. Quand on est en club ou quand on est en sélection, ce sont deux choses différentes. Quand on est en sélection, on peut se dire : « J’ai un système préférentiel et je vais sélectionner les joueuses en fonction de mon système ». Quand on est en club, on fait en fonction de notre effectif, car on ne peut pas tout changer. On peut changer seulement lors des intersaisons. En sélection, à chaque rassemblement, on peut modifier certaines choses. En club, on s’adapte aux profils mis à disposition. En équipe de France féminine, je dois réfléchir aux postes. Par exemple, pour le poste de latérale droite, on n’a pas l’équivalent d’un point de vue offensif de ce qu’on a sur notre côté gauche. À gauche, on a des joueuses portées vers l’attaque. À droite, nos joueurs ont des profils plus défensifs. C'est ce qui m'a amené à avoir une réflexion autour du 3-4-3 pour avoir des attaquantes dans les couloirs. Le profil des joueuses est à prendre en considération, quand on réfléchit à notre système.
La différence entre une bonne et une mauvaise tactique
On parle souvent de tactique, mais pour moi, il y a deux angles différents. La tactique, c'est ce qu'on va mettre en place à moyen/long terme. La stratégie et le plan de jeu, c'est ce qu'on va mettre en place match par match. On peut partir sur une tactique avec un effectif sur un cycle d'un certain nombre de matchs. Ensuite, on fait un bilan à la fin d'un championnat ou à la fin d'une compétition. En fonction du résultat obtenu, du classement ou du trophée obtenu, on pourra dire si cette tactique a été intéressante ou non. Mais la stratégie, plus que la tactique, c'est ce qui me semble le plus important au match par match. Et c'est le résultat du match qui va définir si la stratégie a été bonne ou pas. On peut être dans une tactique constructive et porteuse d'espoir. Je vous donne un exemple récent, on a disputé quatre matchs amicaux avec une certaine tactique et différentes stratégies sur chaque match. On a gagné deux matchs et perdu deux matchs. Mais je considère que d'un point de vue tactique, on est sur la bonne voie. Notre tactique est bonne pour construire nos succès futurs. C'est ma conviction profonde en ce moment. Concernant le plan de jeu et la stratégie, si on prend le premier rassemblement, ça a bien fonctionné face à la Jamaïque, mais pas face à la Suisse parce qu'on a eu du mal à mettre en difficulté ce bloc bas. On a pris un but en contre, sur une situation de crise évitable. Donc notre plan de jeu et notre stratégie à l'instant T sur le match contre la Suisse, on va dire qu’ils n’ont pas été payants. Sur le deuxième rassemblement, on est resté sur notre 3-4-3, ça a bien fonctionné contre le Nigeria. Et ça a fonctionné assez bien contre l'Espagne malgré le résultat négatif. Car on a quand même rivalisé au niveau de la possession face à l’Espagne, elles n’ont eu eu 52% de possession. En deuxième mi-temps, on a même pris les devants avec 52% en notre faveur. On a six tirs, elles en ont sept. On peut dire que sur notre tactique générale, c'était très bien. Sur notre stratégie de match, en ayant perdu, on peut considérer qu'on aurait pu faire mieux, notamment d'un point de vue défensif, sur les situations de crise.
Est-ce toujours la meilleure tactique qui l’emporte ?
Pas forcément. Aujourd’hui, l’impact mental, la gestion de la pression, la gestion de l’enjeu sont aussi importants. Vous pouvez avoir une très bonne tactique, de très bons joueurs, définir un bon plan de jeu, une très bonne stratégie mais si un ou deux joueurs sortent du match à cause d’une mauvais décision arbitrale, ou si le contexte est défavorable à cause du public, ou si l’adversaire use de la malice pour vous pousser à la faute, vous pouvez perdre le match. L’aspect mental est donc tout aussi important.
La définition du bon entraîneur
Un bon entraîneur, c'est celui qui va réussir à obtenir 100 % du potentiel de ses joueurs au même moment. Et celui qui va faire progresser ses joueurs, peu importe leur âge.
La différence entre un bon et un mauvais entraîneur ?
Ce sont toujours des questions à mettre dans un contexte. Certains diront qu'il est plus facile d'être entraîneur à Madrid qu'à Brest. Moi, je ne pense pas. C'est difficile d'être entraîneur au Real Madrid parce qu’il faut gérer des egos et une forte pression. À Brest aussi, on n'a pas la même matière première pour obtenir des résultats. Le bon entraîneur, c'est celui qui va réussir à acquérir l'adhésion de tout son groupe, de tous ses joueurs, y compris des remplaçants. Le mauvais entraîneur, ça va être celui qui, à un moment donné, n'aura plus le respect de ses joueurs. Ou qui va prendre des décisions qui feront qu'il va sortir du projet parce qu'il va être influencé par le contexte ou des mauvais résultats. Le bon entraîneur, c'est celui qui réussit à garder le cap, quelles que soient les difficultés. Pep Guardiola connaît une mauvaise série, il doit se poser beaucoup de questions, surtout qu’il a toujours été habitué à gagner. Est-ce que ça fait de lui un mauvais entraîneur ? Je ne pense pas. Il vit un moment difficile, ça va le rendre encore meilleur parce qu’il faut vivre ce genre de difficultés pour être un bon entraîneur. Rolland Courbis, un jour, avait dit à Toulon : « Pour être un bon entraîneur, il faut avoir été dernier au moins une fois », il avait, peut-être, dit ça pour défendre sa position au classement (sourire). Mais il est vrai que lorsqu’on vit des échecs, on se construit, on analyse, on s’auto-critique, on se remet en question, et à partir de là, on sort de sa zone de confort. Du coup, on se bonifie, on devient un meilleur entraîneur. Après, les bons entraîneurs sont aussi ceux qui vont oser. Oser mettre des choses en place, être en capacité de suivre leur instinct. Parfois, on est trop dans la théorie. Mais dans la pratique, il y a une part d'instinct car, parfois, on n’a pas le temps de réfléchir durant un match. La partie instinct et intuition aussi est importante.
Peut-on être un bon entraîneur sans avoir remporté de trophée ?
On peut être un bon entraîneur sans avoir remporté de trophée. Beaucoup de joueurs diront : « J’ai connu cet entraîneur et j’ai beaucoup appris à son contact ». Un bon entraîneur sait aussi faire évoluer positivement ses joueurs, car la relation entraîneur-joueur est avant tout humaine. Une relation avec un groupe et des individus, elle doit être basée sur le respect mutuel, la confiance. Avoir un bon entraîneur, c'est aussi une personne qui, au-delà des résultats ou des trophées, va faire passer un message et faire en sorte que les choses évoluent positivement. Un bon entraîneur dans un club ou dans une sélection, c'est celui qui va poser des fondations. Et c'est bien souvent l'entraîneur qui suit qui va récolter le travail de celui qui l'a précédé et qui va gagner des trophées.
Votre réussite, la formation de joueurs ?
Quand on est formateur, développer des jeunes, c'est le plus beau des trophées. Voir ces jeunes évoluer dans les plus grands clubs aujourd’hui, c’est gratifiant. Surtout que je les ai connus à 16,17 ou 18 ans. C’est une fierté d'avoir pu être sur leur chemin et de les avoir accompagnés à un moment donné. J’ai d’ailleurs récemment dit à mes joueuses en équipe de France : « Ok, il y a la victoire du match et la quête de ce premier trophée. Mais pour moi, les premiers trophées visibles, ce sont les attitudes que vous avez les unes envers les autres sur le projet de vie qu'on a mis en place ». Ce changement de comportement entre elles est une première victoire.
La part de psychologie dans le foot
Aujourd’hui, on emploie le terme de manager plus souvent que celui d’entraîneur parce qu’on est à la tête d’un staff. On se doit de considérer tout le monde dans son staff, de donner de l'importance à tout le monde, de déléguer, de se servir des compétences de chacun et que chacun se sente utile dans le projet. Avec les joueuses, on a un rôle général. On doit être garant de la tactique, de la stratégie, mais aussi d'un point de vue technique, de continuer à faire progresser les joueuses et être dans l'accompagnement. Surtout quand on sait qu’on va aborder des compétitions avec beaucoup de pression et d’enjeu. Il faut avoir cette dimension mentale, psychologique. Il faut les soutenir quand c’est difficile ou quand certaines vivent des difficultés, il faut être là et leur montrer qu’on ne les lâche pas. L'équipe de France demande une certaine exigence et des performances. On est là pour les encourager, les aider à se surpasser, il faut leur dire quand elles font des choses bien, il ne faut pas toujours être dans la correction. Il ne faut pas seulement relever les choses à améliorer, il faut valoriser, ancrer les choses positives, être bienveillant. C'est vrai que cette dimension psychologique est importante. Donner de la confiance à ses joueuses, c'est une des premières missions d'un entraîneur pour que son groupe vive bien. Grâce à cette confiance, on peut ensuite travailler sur la cohésion pour viser des victoires et des trophées.
Une causerie type ?
Les causeries doivent légèrement varier. Le seul point récurrent dans mes causeries, c’est qu’on joue toujours pour gagner le match. Je mets toujours l'accent sur le fait qu'il faut gagner. On doit tout mettre en œuvre pour gagner. La victoire est la conséquence de tout ce qu'on a mis en œuvre durant la semaine aux entraînements. Il faut garder à l’esprit que le football est un match entre deux équipes de onze. Et les deux équipes veulent gagner. Donc il faut être prêt à se surpasser. Dans mes causeries, il y a un versant sur la tactique, mais il est assez court. Il y aussi un versant émotionnel et motivationnel. Là aussi, il est court. Il peut être fait en deux parties. Une partie en amont dans le vestiaire et une autre juste avant le coup d’envoi pour booster les joueuses. Je n’ai pas forcément une causerie identique à chaque fois, je suis capable de varier pour surprendre les joueuses, capter leur attention. D'une manière générale, je n’aime pas les causeries trop longues.
La difficulté de lier principes de jeu et recherche du résultat ?
C'est ce qui est passionnant dans le football. Parfois, il faut savoir accepter de ne pas être à 100% dans ses principes de jeu. Si on est trop têtu et obtus, on peut passer à côté d'une victoire. Il faut faire preuve d’humilité. Il y a un adversaire et par moments, il faut adapter sa stratégie en fonction de l’adversaire. Ça peut être pendant un match, ça peut être pour un match. Il faut aussi prendre en compte le contexte du match, si on joue à l’extérieur, à domicile. Si c’est un match aller-retour, si c’est un match à enjeu, si c’est une finale, si c’est un match amical. Tous ces paramètres conditionnent l’approche du match et la mise en place des principes de jeu. Globalement, on s'appuie à 80, 90, 100 % sur ses principes de jeu. Et on voudrait qu’ils soient mis en place de manière spectaculaire à chaque match. Le football reste avant tout un spectacle. C’est un jeu et du plaisir pour les supporters qui veulent voir de belles choses sur le terrain. Donc si on peut mettre en place tous les principes, apporter du spectacle et marquer beaucoup de buts, c'est exceptionnel. Mais force est de constater qu'on n'est pas seul sur un terrain et qu’effectivement, il y a des aléas. Et on doit en tenir compte.
Il y a deux écoles : celle du jeu et celle du résultat. Votre positionnement ?
Bonne question. Quand j'étais en formation, j’étais focalisé sur le jeu. Peu importe le résultat, on cherchait la progression individuelle des joueurs. Si un joueur avait un retard que ce soit au niveau musculaire ou morphologique, on pouvait accepter qu’il soit moins performant le week-end pour se développer. Attention, le résultat était quand même important. La notion de la culture de la gagne, c’est aussi important en formation. Maintenant, dans ma nouvelle mission, on va dire que le résultat est très important, certes, mais pas au détriment du jeu. C'est le jeu qui doit amener le résultat. Dans un contexte et dans un match bien précis, si on mène 1-0 à cinq minutes de la fin et qu’on doit renier nos principes de jeu pour conserver le résultat en jouant en bloc bac, on doit être en mesure de le faire. Car on recherche l'efficacité, la performance, il faut savoir être pragmatique. Il faut sortir du match avec la victoire.
La part de chance dans le football
Celui qui gagne au loto, il a un coup de chance, car la probabilité sur un milliard est infime. Ça, c’est la vraie chance. Mis à part ça, on dit que la chance est une compétence. On peut avoir plus ou moins de réussite. C'est sûr qu'un ballon qui va s'écraser sur un poteau, à un ou deux centimètres près, il fait poteau rentrant ou poteau sortant. Ça, c'est la réussite. Par exemple, on n’a pas eu cette réussite en quart de finale contre le Brésil aux JO, sur la tête de Griedge qui finit sur la barre transversale. Dans un match, la chance n’est pas l’élément principal du résultat final. Il y a des équipes qui gagnent souvent, et ce n'est pas uniquement grâce à la chance. Un coup du sort peut arriver, sur un match, à un moment donné. Mais sur la durée, la chance n’est pas forcément garante du résultat.
Entraîneur ou sélectionneur, quelles différences ?
En club, on est tous les jours en réflexion. Avec le staff, on prépare les séances, il faut tout anticiper pour ne pas être dans l’urgence. Car si on travaille dans l’urgence en club, on explose au bout d’un moment. Avec l'accumulation des entraînements et des matchs, on peut vite se laisser déborder. Il faut absolument avoir un temps d’avance sur les observations des adversaires par exemple, sur la constitution des entraînements. Il faut avoir un sens de l'anticipation assez aiguisé. En sélection on vit une période intense, assez courte qui dure dix jours. Ensuite, on a moins de contraintes liées aux entraînements et au quotidien. On se focalise plutôt sur l’observation de matchs. Par contre, on a de nombreux déplacements. On a des centres d’intérêt plus variés comme la relation aux médias, la relation à l’institution, les réunions. Je me suis déplacé à travers l’Europe : Espagne, Italie, Angleterre et partout en France pour voir des matchs. Physiquement, c'est un peu plus fatiguant et éprouvant à cause des voyages. En club, on se déplace moins, si ce n'est avec son équipe pour jouer un match à l'extérieur. La pression est plus importante quand on est en sélection parce que le match concerne tout un pays. Elle est intense sur une courte durée, après, on relâche la pression. Alors qu'en club, la pression revient tous les week-ends avec des supporters qui sont là, et la ville que tu représentes. En club, on est un peu comme dans une machine à laver, on est constamment sollicité. Dans les deux cas, il faut prendre soin de soi, il faut réussir à trouver du temps pour récupérer, s'évader et s'octroyer des moments pour soi, pour ne pas être tout le temps sous pression. C’est un travail qui nécessite de l’engagement, c'est un travail-passion. Et quand on est passionné, on ne compte pas.
Entraîner une équipe féminine et une équipe masculine, quelles différences ?
Dans mon approche, je me suis dit que j’allais me servir de mon expérience dans le football masculin pour apporter des choses un peu différentes à ce football féminin. Avec les garçons, c’est plus terre à terre, c’est plus frontal. En tant que coach, on donne beaucoup, les garçons prennent, prennent et prennent. Et il n'y a pas énormément de feedback. Les filles sont plus dans l’échange, elles apportent plus de réflexion, de construction et d'argumentation aussi aux différentes situations. Avec les femmes, il faut davantage expliquer, passer plus de temps à argumenter et à donner des explications sur ce que l'on fait : comment, pourquoi, dans quel but. Laisser une joueuse sans explication, c'est lui donner l'opportunité de gamberger. Les joueuses, contrairement aux joueurs, ont tendance à échafauder des scénarios dans leur tête. Surtout lorsqu'elles jouent ou ne jouent pas. Si elle joue à un poste et pas à un autre poste. Elles posent des questions et cherchent à comprendre, il faut donc tout détailler. Les garçons sont plus des exécutants, on va dire. Même si, évidemment, il y a quand même de la réflexion chez eux aussi. Ils sont centrés sur eux et moins dans l’échange.
Football de jeunes et football d’adultes, quelles différences ?
Chez les jeunes, en fonction de l’âge et de la catégorie, on fait d’abord attention à l'intégrité physique des joueurs. On met en place des exercices et des entraînements adaptés. C’est important, car, parfois, dans certains groupes, la croissance des joueurs n’est pas du tout la même. Il ne faut jamais oublier qu’ils sont en développement. C’est important de prendre cet aspect en considération. Dans le discours, on a un rôle éducatif, nous sommes dans l’accompagnement. Il faut être vigilant et donner de bons conseils. Chez les adultes aussi, un joueur de 32 ans avec une certaine expérience peut entendre des choses qu’un jeune de 16 ans ne pourra pas entendre. Il faut adapter son discours. Après, le football, ça reste toujours un ballon pour 22 joueurs sur un terrain avec des règles qui sont les mêmes pour tous. Que ce soit un jeune de 16 ans, une femme ou un international de 30 ans, forcément, les réponses sur le terrain sont différentes. Et donc l'œil de l'entraîneur, son acceptation et sa tolérance par rapport au rendu peut être adapté au public qu’il a. On ne va pas demander à une femme de répéter 50 fois des sprints à 32 kilomètres heure dans un couloir. On sait que ce sera impossible alors qu'on pourrait avoir cette exigence avec un international chez les hommes. Et pareil pour un jeune.
Les critères de sélection d’une joueuse
Déjà, on se sert des matchs de championnat. On va observer, on va voir le potentiel à tous les niveaux. On va étudier les quatre principaux facteurs de sélection : technique, physique, mental et tactique. Et à travers leurs performances en club, mais aussi leurs sélections précédentes pour certaines, on voit comment on peut apporter des complémentarités, comment certaines vont s'intégrer dans le groupe. On se base sur les performances sur le terrain mais aussi sur nos discussions avec elles. Il n'y a pas forcément de critères bien particuliers. Mais on est vigilant à ce que les joueuses présentent les caractéristiques du football moderne : c'est-à-dire être en capacité de voir vite, d'exécuter une tâche dans un espace réduit et d'avoir une technique aboutie des deux pieds. Il faut aussi qu’elle montre un état d’esprit irréprochable envers le public, les adversaires et les partenaires. On veut des joueuses engagées qui font les efforts sur le terrain, qu’elles puissent répéter les courses, voilà plusieurs facteurs qui font le football moderne.
Groupe élargi ou restreint ?
Sur le premier rassemblement, j’ai convoqué 20 joueuses et 4 gardiennes. Sur le deuxième, j’ai appelé 26 joueuses et 4 gardiennes. L’objectif était d'avoir un spectre assez large sur ces deux rassemblements pour voir un maximum de joueuses. J’ai vu des nouvelles, des plus jeunes, des expérimentées. Pour répondre, je préfère fonctionner avec un effectif réduit pour être dans la qualité plutôt que dans la quantité. C’est mieux pour capter l’attention des joueuses sur un terrain. Pour faire un travail de qualité, il n'est pas forcément nécessaire d'avoir du monde. Par contre, on continue de suivre de nombreuses joueuses, on a plus de 70 joueuses dans notre viseur sur les différents championnats. Tous les week-ends, on analyse et visionne les matchs des joueuses.
Le processus pour imposer sa patte
C’est toute la difficulté et l’enjeu lorsqu’on est sélectionneur. En sélection, on n’a pas beaucoup de temps. En club, on a une longue période de préparation estivale. On a cinq ou six semaines pour mettre en place ses principes. En sélection, avant notre premier match, on a trois jours. L’avantage que j'ai eu avec l'équipe de France, c'est que j'ai déjà passé 17 mois avec elles en tant qu’adjoint. Je les connais, elles me connaissent, elles savent déjà quelles sont mes attentes, même si certaines choses ont évolué et ont changé. On a eu quatre matchs et deux stages pour poser des fondations, et à mon avis, à partir de février, on va commencer à voir des choses intéressantes. Mais effectivement, il faut du temps. Sauf que la plupart du temps, pour un entraîneur, ce sont les résultats qui te donnent du temps pour durer…
Le passage d’adjoint à entraîneur principal
Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent : « L’adjoint est proche des joueurs/joueuses et le coach principal est plus en retrait ». On peut être un entraîneur principal et être proche des joueuses ou joueurs. Comme on peut être adjoint et pas forcément proche des joueuses ou joueurs. Il faut juste que les choses soient claires entre le coach principal, le coach adjoint et les joueuses. Lorsque j’étais coach adjoint avec Hervé (Renard), j’avais une relation de proximité avec les joueuses, mais pas trop non plus, il faut aussi savoir garder ses distances. Aujourd’hui, je n'ai pas changé ma relation avec les joueuses. J'ai la même relation que quand j’étais adjoint. La seule chose qui diffère entre les deux positions, c'est la responsabilité que j'ai, c'est les choix que je vais faire. C'est l'impact de mes choix qui va rejaillir sur les joueuses et qui peut conditionner certaines attitudes. À partir du moment où je suis clair, honnête, sincère et authentique avec elles, elles peuvent comprendre les choix. Ensuite, elles peuvent les accepter ou non, c’est encore autre chose. Mais au moins, je suis en mesure de les expliquer. Je peux leur faire comprendre que tel ou tel choix n’est pas contre telle ou telle joueuse, c’est plutôt pour un collectif. C’est la stratégie pour gagner les matchs tout simplement. Pour permettre à ce que tout soit fluide, il est important d'avoir de bonnes relations avec ses joueuses, une relation basée sur la confiance mutuelle et le respect. On peut se tromper, on peut faire des erreurs, on peut faire des mauvais choix. Mais si on a été cohérent en amont, si on a été honnête et sincère, je pense que les erreurs sont acceptées. Après, on se remet en question et on essaie de ne pas les reproduire. Et ça, dans la relation, qu'on soit adjoint ou principal, c’est important. Je base beaucoup ma vie sur les relations humaines. C’est pour ça que sur notre projet de vie avec cette équipe de France, on a commencé par le relationnel.
Ses inspirations
Quand j'étais adolescent et jeune joueur en devenir, c’était l’époque d’Arrigo Sacchi au Milan, de Johan Cruyff au FC Barcelone ou encore de Louis van Gaal à l'Ajax d'Amsterdam. Tout cela à la fin des années 90, ces influences ont une dimension tactique assez poussée. En termes de management, le fait d'avoir travaillé avec Carlo Ancelotti au Paris Saint-Germain m'a beaucoup appris et beaucoup aidé. Je me rapproche plus de son profil parce que je trouve qu'il est classe, il est humain. Il a le respect de tous ses joueurs : les titulaires, les remplaçants mais aussi les réservistes. Il s'intéresse à tous ses joueurs. Partout où il passe, partout où il est passé, il a laissé une très bonne image. Et c’est le plus important, déjà en tant qu’homme. Ensuite, si on a des résultats, et qu’on fait progresser ses joueurs et joueuses, c’est très bien.
La nouvelle génération
J’ai pu évoluer avec la nouvelle technologie, j’ai, moi-même, connu les premiers téléphones au début des années 90. Et puis j'ai trois filles, donc je vois bien comment elles évoluent. On parle souvent des nouvelles générations, mais nous aussi, on est très connectés. Il faut vivre avec son monde et vivre l'instant présent en essayant de faire au mieux pour le futur. Il faut se servir du passé comme des fondations, mais surtout ne pas vivre dans le passé. Donc moi, je suis très à l'aise avec ça. Je communique beaucoup avec les joueuses par sms. Parfois, c'est plus facile de dire des choses par écrit que de s'adresser directement à une personne de visu. Même si je privilégie toujours le fait de se regarder dans les yeux et de se dire les choses en face. C'est pour ça que depuis le début de mon mandat, j’ai rencontré 45 joueuses de visu en France et en Europe. C'est important pour faire passer les messages. Qu’on soit de la nouvelle ou de l’ancienne génération, la communication est importante à tous les niveaux, qu’on soit plus jeune ou plus âgé. Il faut surtout avoir du respect, être à l’écoute et faire en sorte que notre interlocuteur soit à l’aise et puisse s’exprimer librement.
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