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·27 décembre 2024
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Ancien sélectionneur de la Guinée, Kaba Diawara a vécu sa première véritable expérience dans la peau de technicien, comme adjoint puis comme coach principal. Cinq années d’apprentissage et un vécu de joueur que le natif de Toulon a choisi de partager avec Onze Mondial dans le cadre de l’Instant Tactique.
Voici quelques extraits de notre interview de Kaba Diawara. L’intégralité de cet interview de 6 pages est à retrouver dans le magazine n°367 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 10 octobre;
Les débuts dans le foot
« Je viens d'une grande famille donc naturellement, j'ai des grands frères qui jouaient et on s'est toujours mélangés aux grands. On était à Toulon et tout le quartier jouait, on était mélangés, il y avait toutes les nationalités. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours eu un ballon entre les pieds. Il y a même une photo familiale que l'on a prise sur laquelle je suis en train de pleurer. Mon petit frère n’était pas encore né, du coup, j’étais le dernier de la famille à ce moment-là. Et ils ont pris une photo où j’étais assis sur les genoux de ma mère avec un gros ballon. Et à côté, il y avait ma sœur avec un petit ballon car, apparemment, on m'avait d’abord donné le petit ballon et j'ai pleuré, pleuré, pleuré, pleuré jusqu'à ce qu'on me donne le gros ballon. Ma mère m'a dit : « T'as toujours voulu jouer au foot ». »
Sa vision du foot
« Maintenant, je regarde le foot avec beaucoup plus de professionnalisme et de pression, mais je ressens toujours ce plaisir d'aller voir un match. Bon, je ne dis pas que je regarde tous les matchs, mais j’en consomme pas mal. J’aime regarder le Real Madrid, par exemple. Carlo Ancelotti est trop fort, je le kiffe plus que Pep Guardiola parce que même après le titre de champion, il n’a pas cherché à faire des records, il a préféré faire plaisir à ses gars, à tous les remplaçants. Au niveau du management, c’est quelque chose. »
Son style de jeu
« Par rapport aux qualités des joueurs africains, on ne veut plus rester dans le « ronronnage », garder la balle, se faire plaisir… On vient d'un pays où ils jouent dans la rue donc ils touchent beaucoup le ballon sauf qu’aujourd'hui, le football doit être un football de transition, donc j'essaye vraiment d'amener vite le ballon sur le côté pour que des joueurs rapides puissent directement accélérer et servir les attaquants. »
Le système le plus équilibré
« En Guinée, on utilisait le 4-2-3-1 et c'est vraiment le système de jeu que j'ai toujours aimé y compris lorsque j’étais joueur. À l’époque, les gens parlaient de 4-4-2 avec deux attaquants, en réalité, le mec derrière moi était un numéro 10, en fait, on jouait déjà en 4-2-3-1. On peut appeler ça comme on veut, 4-2-3-1, 4-2-4, 4-3-3, en réalité, il y avait constamment trois joueurs derrière l’attaquant. L'idée, c'est la même. J’aime le 4-2-3-1, avec un double pivot, un qui est beaucoup plus défensif et l'autre qui est une espèce de 8 à l'ancienne pour faire la transition avec les quatre de devant. »
Les joueurs ou le système, quelle priorité ?
« Les grands joueurs font la différence donc c'est clair que ce sera toujours comme ça, mais on est obligé de faire confiance à un système pour impliquer tout le monde. Tout le monde doit se fondre dans le collectif même si on voit qu'il y a certaines équipes avec une ou deux stars exemptées de travail et qui marchent sur le terrain. Mais dans l’idéal, il faut que les joueurs courent ensemble. Aujourd'hui, il y a moins de techniciens et plus d'athlètes, ça veut dire que s’il y en a un qui triche, alors il met en péril tout le monde. »
La difficulté de lier beau jeu et résultats
« Je ne vais pas te cacher qu’en Afrique, on n’en est pas encore là. Lorsque je dirigeais le Syli National, j'essayais d'être pragmatique, d'avoir une organisation défensive vraiment rigoureuse pour essayer de récupérer le ballon. Même à la dernière CAN, on ne s'était pas forcément placé en contrôle du jeu. C’était un jeu direct avec de la rigueur défensive, on passait en 4-4-2, on demandait à tout le monde de travailler et voilà, pour le beau jeu, on repassera. »
Entraîneur ou manager, quelles différences ?
« Le management d'aujourd'hui n'est rien sans un staff uni et soudé. Tes adjoints, ce sont tes relais, il faut essayer de tout partager, de prendre les décisions ensemble. Même les joueurs, ils doivent, je pense, se sentir concernés pour donner la pleine mesure de leur talent. Le plus fort, et je te parlais de Carlo Ancelotti, c’est celui qui arrive à déléguer tout en gardant le contrôle parce qu'il faut que tu maintiennes ta propre flamme. Mais sans le staff et l'appui des joueurs, tu n'es rien. Aujourd’hui, on devient plus des managers que des entraîneurs, surtout en équipe nationale. »
La meilleure équipe qui gagne à chaque fois ?
« Ça, c'est plus pour un football de club, si tu gagnes le championnat, tu es le meilleur parce qu’avec 38 matchs de championnat, tu ne peux pas avoir de la chance 38 fois. Après, sur une compétition plus courte, une CAN ou même une Coupe du Monde, parfois, tu peux avoir la réussite car il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte : le jeu développé, la répétition des matchs avec sept rencontres en moins d’un mois – et ça il faut savoir le gérer – les blessures, etc… C’est moins le cas en club où une compétition débute en septembre et se termine en juin. Il n’y a pas de hasard, quand tu gagnes, tu es vraiment le meilleur. »
L’importance de la psychologie
« Aujourd’hui, un joueur qui était en U17, que tu as aidé, que tu as fait monter, il attend de l’attention et te demande aussi des passe-droits. On ne s’en sort plus. Vous êtes là pour jouer les gars, vous n’êtes pas là pour demander des passe-droits ou des « Oui, on a rendez-vous lundi, est-ce que je peux venir le mercredi ? ». Non, le foot de haut niveau, ce n'est pas ça, il faut que tout le monde sache qu’il y a un programme, un cadre. On n’est pas là, tous les matins, en train de mettre des amendes. Il faut parfois sacrifier quelques joueurs parce qu’ils ne sont pas dans l'esprit. »
Un entraîneur peut-il être bon sans gagner de trophées ?
« Ça dépend parce qu’il y a des entraîneurs qui ont jamais rien gagné, mais qui pratiquent un beau jeu avec une identité marquée. Bon, aujourd'hui, je ne sais pas s’il faut pratiquer un beau jeu ou être pragmatique. Ce qui est sûr, c’est que dans le temps, si tu veux durer, être reconnu, pouvoir faire ce que tu veux et imposer tes idées, il faut gagner. Si tu ne gagnes pas, tu ne seras pas crédible. C'est comme ceux qui disent que tu ne peux pas être entraîneur sans diplôme, c’est vrai, parce qu’à un moment, on va te dire « oui t'as fait ça, ça et ça, mais valide ». Pareil pour les trophées, tu ne peux pas dire que t'es bon si tu ne gagnes jamais. »
La nouvelle génération réputée ingérable
« Le problème, c'est l'environnement. Avant, il y avait l’agent, l’épouse et éventuellement le meilleur ami derrière le joueur. Aujourd’hui, ils ont tous cinq agents et 30 meilleurs potes qui leur parlent H24. Avant le match, après le match, le matin, le soir, chacun donne son avis, le joueur ne sait plus sur quel pied danser. Et puis il y a ce truc-la, ce machin, cette invention, internet, qui tue les joueurs parce que quand ils finissent leur match, ils regardent ce que les gens pensent. Ils lisent trop, ils regardent trop, ils s'informent trop et ils oublient même que : « Hey, t'as marqué un but, ok, même si tu le regardes 120 fois en 10 minutes, t'as marqué qu'un but ». Derrière, le gars revient à l’entraînement complètement chamboulé et tu dois récupérer ça. Ils sont 25 dans ce cas, donc c'est là qu’on devient psychologue, manager, entraîneur, papa, maman, tout quoi. »
Le concept de chance
« Moi, je crois plus au concept de : « Sois prêt et quand les opportunités arrivent, il faut les saisir ». On a tous au moins une ou deux occasions dans un match et celui qui est prêt, celui qui est réaliste, il met l'occasion et après, il faut aller le chercher... Ça, ce n’est pas de la chance. Après, tu as le droit de défendre et d'attendre, bien sûr, les fous te diront qu’ils ont la possession, ceci, cela. On s'en fout, tu as perdu, tais-toi et reviens l'année prochaine. Certains me disent : « Ouais, quand tu tires 10 fois sur le poteau, que tu as eu 36 occases et que l’autre équipe marque sur sa seule opportunité, c’est injuste ». Je ne suis pas d’accord avec ça, c’est cruel, mais le foot, c’est l’efficacité dans les deux zones de vérité. »
La gestion des egos
« Déjà, on va aller droit au but, il y a les stars et les non-stars, mais il faut que tes stars comprennent aussi qu'elles sont dans un collectif. Le petit passe-droit que tu lui octroies, il se gagne sur le terrain. Le mec qui te met des buts à chaque match, tu veux lui dire quoi ? À un moment donné, s’il se gère différemment, c’est parce qu'il a besoin de ça pour être bien. On s'adapte à ça, mais il ne doit pas sortir du cadre et faire des choses en sélection qu’il ne fait pas en club. Donne tout sur le terrain, reste dans le cadre, après on s’en accommode, on essaye d’arranger tout le monde, même le remplaçant. »
Ses inspirations
« Un coach comme Rolland Courbis m'a beaucoup inspiré. Il y a aussi Guy David parce que c'est l'un des premiers qui m'a fait confiance, à 21 ans, à Rennes. Nos coachs, c'était presque nos pères, on les respectait, on les écoutait. Maintenant, ça se perd un petit peu parce que le football a changé. J’ai connu des grands messieurs, j'ai bien aimé la vision du foot d'Arsène Wenger qui disait : « Le passeur est aussi important que le buteur ». J’aime bien cette phrase à l’heure d’un football de plus en plus individuel au détriment du collectif. Si tu es en bonne position de marquer, mais que ton partenaire a 100% de chance de le faire, bah donne-lui. »
Comment contourner un bloc bac ?
« C’est souvent le talent individuel des joueurs qui fait la différence. Si tu as des joueurs qui vont vite, dribblent vite, tirent vite, au bout d'un moment, le bloc bas explose parce que tu as de meilleurs joueurs. Sinon, tu essayes de trouver les solutions, on a passé nos diplômes, on sait comment franchir un bloc bas. Tu essayes de passer par les côtés, frapper de loin, exécuter chaque geste rapidement, maintenir une pression constante. Sinon, tu peux reculer à ton tour et essayer de les aspirer. Dans tous les cas, il faut être inventif et puis j'en reviens encore à dire la même chose : c'est à la qualité du joueur qui fait la différence, le dernier geste appartient au joueur. Ça veut dire que tu peux mettre en place tout ce que tu veux, une organisation, faire de la vidéo, leur expliquer, leur montrer, te mettre en situation sur le terrain, changer les gars, tout, tout, tout, le dernier geste appartient au joueur. Nous, coachs, sommes jugés aux résultats, mais réellement, le dernier geste appartient au joueur, ils peuvent être ta réussite comme ta perte. »
L'entraîneur africain est-il sous-coté ?
« Oui, parce qu’aucun pays africain n’a gagné la Coupe du Monde, ni aucun coach africain. On ne peut pas en vouloir à tout le monde à chaque fois, il faut qu’on se prenne en main, qu'on arrive à gagner des choses. Ce qu’il y a de bien, c’est que les trois derniers vainqueurs de la CAN sont trois gars du pays. Ça veut dire qu'on est capables, on arrive, on a mis du temps à passer ce diplôme, on a mis du temps à se mettre dans la tête qu’on était capables, mais ces trois exemples doivent prouver à tout le monde et nous prouver à nous Africains que nous sommes capables. »
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