Lucarne Opposée
·12 novembre 2024
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·12 novembre 2024
En recrutant Jorge Sampaoli, le Stade Rennais affirme sa volonté de bousculer un confort dans lequel il semblait s’endormir. Un choix, qui à la vue de son histoire sud-américaine, semble particulièrement pertinent.
Juillet 1991, l’Argentine de Batistuta décroche sa treizième et avant dernière Copa América après une victoire face à la Colombie à l’Estadio Nacional de Santiago. Juillet 2015, l’Argentine s’en va tête basse de l’Estadio Nacional, vaincue par le Chili. À la tête de la Roja, un autre Rosarino, enfant de Newell’s comme son astre Leo Messi. Un homme qui, vingt-quatre ans plus tôt, dans une Argentine triomphante avait connu ses premiers pas d’entraîneur dans de modestes équipes en Ligue amateure, un homme nommé Jorge Sampaoli.
L’histoire du Sampa footballeur est l’histoire tragique d’un gaucher qui rêvait d’être pro mais dont la vraie carrière fut brisée à dix-neuf ans en même temps que son tibia et son péroné. C’est ainsi qu’en 1991, pendant que Batistuta et Simeone font chavirer l’Argentine, Sampaoli arpente les terrains des ligues amateur casildense, d’où il vient, rappelant à qui veut l’entendre qu’el Zurdo est un enfant de la balle. En ce mois de novembre 1991, el Zurdo, qui cumule à son rôle de meneur de jeu des activités de préparateur physique de l’équipe d’Alumni, se voit confier une mission : celle d’animer les séances tactiques de l’équipe durant la semaine précédant la finale retour du championnat après une lourde défaite à l’aller contre Huracán de Chabás (3-0). « Il faisait tout. Il sélectionnait les joueurs, dirigeait, jouait, aidait tout le temps. Quoi qu’il se passe, il avait toujours une solution, » se souvient Sergio Abdala le président du club à l’époque. Alors il relève le défi, convainc ses coéquipiers qu’ils vont retourner la situation. Alumni se rend à Chabás, retrouve son entraîneur pour le match, el Zurdo retrouve sa place sur le terrain, l’équipe s’impose 1-0. Au terme d’un desempate, le Fortinero est sacré champion. L’aventure de joueur se termine pour le gaucher, il continue alors de suivre une formation d’entraîneur à Rosario, situé à cinquante kilomètres et peut être croisé, walkman sur les oreilles à se nourrir des conférences de presse de son maître, Marcelo Bielsa, quand il ne parcourt pas les terrains locaux pour discuter avec les entraîneurs.
Il faut attendre trois ans pour retrouver Sampaoli sur le banc d’Alumni. L’équipe est composée de jeunes qui s’entraînent quatre fois par semaine. Lorsque Sampa arrive, il change tout « on va s’entraîner du mardi au samedi. Ceux qui veulent aller étudier, quittez le club, vous ne servez pas au football ». Du haut de ses trente-quatre ans, le Casildense se fait un nom. Car son Alumni joue comme toutes ses futures équipes, il presse haut, joue à trois attaquants et relance de l’arrière et surtout dispute deux finales consécutives, toutes deux perdues. C’est à cette époque que nait la légende de l’entraîneur exclu qui part grimper dans l’arbre pour hurler ses consignes, la photo dans La Capital faisant le tour de Rosario. C’est ici qu’Eduardo López, président de Newell’s le repère pour lui offrir quelques temps plus tard, une place à l’Argentino de Rosario. Entre temps, Sampa est appelé à la rescousse pour diriger Belgrano de Arequito. L’objectif du club était de mettre fin à la série de trois titres consécutifs de son ennemi, 9 de Julio, alors qu’il est absent du palmarès depuis dix-neuf ans. Le Zurdo, qui a éliminé le club en demi-finale la saison précédente, s’installe sur le banc. Il change tout, fabrique une équipe en allant chercher les meilleurs joueurs de la Liga de Casilda, met en place sa double dose d’entraînement, organise des matchs amicaux face aux meilleures équipes de Rosario chaque semaine, connait parfaitement tous ses adversaires, jusqu’au mouvement sans ballon du moindre joueur de la ligue qu’il n’hésite pas à faire filmer. « C’était un professionnel dans un monde d’amateurs », dira plus tard Juan Ignacio Augusto, vice-président du club. Quelques mois plus tard, une dernière victoire et Belgrano est champion. El Zurdo est le héros du peuple.
Il fait alors ses premiers pas dans une équipe affiliée à la AFA. Le 29 juin 1996, Sampa dirige son premier match de Primera B Metropolitana avec l’Argentino de Rosario, un club dans lequel jouait Marcelo Bielsa en 1979. Le Salaito s’impose face au Deportivo Laferrere mais ne parvient pas à accéder à la B, éliminé par Temperley. Sampaoli reste la saison suivante, continue d’appliquer sa philosophie, déjà ancrée : « Mes équipes se caractérisent par une pression exercée dans le camp adverse, jouent par les côtés. Il est important de connaître l’adversaire, comment il joue, d’avoir une échelle de valeur et travailler sur cette base-là », déclare-t-il lors de sa signature avec le club au journal La Capital. Après onze victoires, treize nuls et six défaites, Eduardo López, qui gère le club, décide de libérer Sampaoli. Il redevient El Zurdo à Casilda, attendant la première véritable offre. Elle vient de l’étranger.
Jorge Sampaoli : « pour aller de l’avant, je regarde le passé »
Son arrivée au Pérou se fait par ses relations. Comme il l’évoquait dans l’entretien accordé à Jorge Valdano, Jorge Sampaoli arrive à Juan Aurich « grâce à Néstor Rossini, une personne liée à Newell’s qui a parlé avec le président du club et il a pris la décision de me signer ». Il connait alors ses premiers matchs en première division d’un pays. Mais cela ne dure pas. Son aventure avec le Ciclón del Norte ne tient que huit matchs (une seule victoire), « ce fut une expérience épouvantable, ce fut ma première expérience, le président s’en va au bout de trois mois, j’ai dû partir aussi, c’était la seule opportunité que j’avais et elle s’était envolée ». Au cours de ses huit matchs dirigés, Sampa utilise cinq formations tactiques différentes, débutant notamment par un système conservateur de deux lignes de quatre, un 10 et une pointe pour terminer avec deux attaquants. Sans succès donc. Fort heureusement pour lui, il rebondit rapidement, grâce ses joueurs : « Kukín Flores, Lobatón, Chiquito Flores, le gardien, m’ont recommandé à Sport Boys. Là, j’ai succédé à Ramón Mifflin et ce fut spécial car c’est un club que j’aime beaucoup, particulier et qui fut une expérience incroyable. On s’est qualifié pour la Libertadores avec un très bon groupe, mais pour un club de quartier comme Sport Boys, ce fut magnifique ce qu’il s’est passé ».
À Sport Boys, Sampaoli est l’entraîneur le moins payé du championnat, au point qu’il dort à la caserne des pompiers, située en face de la sede du club. Mais Sampa ne parle que de football, de ses rêves de faire du club un grand, passe jour et nuit à travailler jusqu’au moindre détail. Ce sentiment de révolte contre l’ordre établi est son moteur. Celui que l’on surnomme alors el Hombrecito marque les esprits de la maison rose. « On l’appelait el Hombrecito en raison de sa petite stature. Il entrait et sortait comme s’il était l’un des nôtres », raconte le brigadier Alberto Márquez dans un entretien donné à La Tercera où il décrit également un homme passant son temps à étudier. Il entre alors dans la légende du club. Claudio Vivas, ancien adjoint de Bielsa, lui présente Sebastián Beccacece qui n’a que vingt-deux ans. Sampa en fait son adjoint, leur destin est lié pour plusieurs années, le duo se suivant de club en club jusqu’en sélection (Beccacece ira jusqu’à refuser l’offre du maître Bielsa qui voulait en faire son adjoint en sélection chilienne en 2010). Arrivé en milieu de saison, Sampa fait de Sport Boys un sixième de l’Apertura et convainc alors ses dirigeants de lui laisser les clés pour le tournoi suivant. La révolution Sampaoli est en marche. Le Casildense décide de s’appuyer sur la jeunesse. Salomón Libman, dix-huit ans, arrive dans les buts, Carlos Orejuela, vingt-deux ans, arrive d’Universitario, Jaime Linares, vingt ans est promu en équipe première. Après une première année au cours de laquelle ses roses s’alignent en 4-4-2 losange, Sampa prend le temps d’animer son équipe pour le Clausura, il la transforme en formidable machine à marquer, tournant autour d’une défense à trois, un milieu à quatre en losange, avec notamment Alfredo Carmona chargé d’alimenter le trio d’attaquant. Le club termine troisième meilleure attaque du tournoi et prend la troisième place de la table annuelle, signant notamment quelques coups d’éclat comme deux victoires face au Sporting Cristal ou encore l’incroyable remontada face à Universitario, lorsque menés 3-1 à un quart d’heure de la fin, les Rosados s’imposent 4-3. Malheureusement pour lui (et Sport Boys), la fédération péruvienne décide d’annuler les deux journées disputées avec les juveniles, conséquence d’une grève des pros. Troisième de la table annuelle, Sport Boys se voit forcé de disputer un tournoi à cinq pour décider du qualifié pour la Libertadores 2004. Le club refuse. Cienciano prend le dernier ticket en Libertadores, les Rosados protestent, Sampa quitte son poste.
Après avoir rejeté l’offre du Sporting Cristal, il décide de se rendre au Sud, aux portes du Chili, à Tacna, pour diriger Coronel Bolognesi. Il met en place ses méthodes, une révolution pour le petit club. Proche de ses joueurs, il impose un rythme et un professionnalisme rare. Avec ses adjoints, Beccacece et Desio, les séances vidéo d’analyse des adversaires se succèdent : « ils analysaient la façon dont ils tiraient les penalties, les coups de pied arrêtés, on connaissait les blessés et on nous passait les résumés de leurs cinq derniers matchs », raconte Omar Zegarra, ancien défenseur du club, « on travaillait chaque match deux mois auparavant, pour avoir le plus vidéos possibles. Je crois qu’il dormait peu, il était si perfectionniste », ajoute Federico Martorell, défenseur central argentin. Le travail est continu, jusqu’à la nuit. Sampa va jusqu’à inviter des joueurs chez lui pour leur montrer des vidéos de leurs futurs adversaires directs. Johan Fano, attaquant du club, raconte plus tard « un jour, il m’invite chez lui au déjeuner. Quand j’y suis allé, il avait préparé différents schémas tactiques que nous pourrions utiliser face à Colo-Colo en Sudamericana. Et plutôt que de déjeuner tranquillement, nous n’avons fait que parler de cela. Je lui ai dit « il aurait mieux valu simplement m’inviter à parler football, pas à déjeuner ! » Le déjeuner avait duré quinze minutes ». Sous ses ordres, Coronel Bolognesi est armé autour d’un 4-1-2-3 ultra-offensif, agresse ses adversaires, les résultats suivent. Après avoir éliminé San Martín au premier tour de la Sudamericana, le club échoue face au futur finaliste, le Colo-Colo de Claudio Borghi, l’homme à qui il succèdera à la tête de la sélection chilienne, sur un but d’un certain Arturo Vidal, l’un de ses futurs cadres. En championnat, le club joue le titre jusqu’à l’ultime journée, il tombe face à l’Universidad San Martín dirigée par un certain Juan Antonio Pizzi, celui qui lui succèdera à la tête de la sélection chilienne dix ans plus tard. Toujours ces savoureux signes du destin. L’aventure dans le Sud se termine alors pour Sampa qui a gagné presque soixante pour cent des matchs qu’il a dirigés sur la deuxième partie de saison. L’heure est venue de connaître sa première expérience à la tête d’un géant : le Sporting Cristal.
« Le Sporting Cristal était le passage le plus important de ma carrière. Mais autant ce fut le plus grand saut de ma carrière, autant il a aussi été le plus grand échec, parce que j’avais voulu mettre en place une méthodologie différente auprès de joueurs qui avaient tout gagné avec d’autres méthodes ». Sampa arrive à Cristal en début d’année 2007, il n’a pas encore le temps de prendre ses marques qu’il doit se rendre à la Bombonera de Toluca pour y défier l’América du duo Blanco – Cabañas au premier tour de la Libertadores. Le résultat est sans appel. Balayé 5-0 (triplé de Salvador Cabañas), le Sporting Cristal débute son cycle Sampaoli de la pire des manières. Le Casildense souhaitait mettre en place sa défense à trois (Miguel Villalta, Ramiro Fassi, et Miguel Rebosio ou Jesús Álvarez), mais son équipe n’est pas réceptive, elle ne veut pas de ce système poussant Sampa à se replier sur une défense à quatre. L’échec est cuisant, il ne gagne que quatre de ses dix-sept matchs dirigés avec les Celestes, ne parvient à trouver un écho favorable au sein du vestiaire. Jorge Desio témoigne du choc entre deux visions que tout oppose « les joueurs me disaient que le travail était trop important, qu’ils n’étaient pas habitués ». Plusieurs joueurs celestes se plaignent de l’intensité demandée par le Casildense qui ne peut non plus compter sur le soutien de ses dirigeants qui préfèrent le laisser seul face aux cadres du club. Dans sa biographie « Nada es imposible. El camino de un luchador », écrite par Pablo Esquivel, Sampa raconte : « j’ai manqué de soutien de mes dirigeants. J’ai demandé à laisser partir quelques joueurs qui plombaient le groupe par leur manque de volonté, les dirigeants ne l’ont pas fait. Au bout de quelques mois, j’ai dû partir ». Alors, el Hombrecito, star au Pérou, trouve une autre Celeste pour revivre.
Depuis 2006 et le fameux match de Sudamericana face à Colo-Colo, à Rancagua, on suit avec intérêt l’évolution du jeune entraîneur argentin. Le 12 décembre 2007, Jorge Sampaoli est présenté à O’Higgins. Pablo Hoffmann raconte l’arrivée de Sampa : « nous avons eu deux réunions avec lui. En moins de quinze minutes, nous étions convaincus. Ce gars était fantastique. Il nous a détaillé chaque joueur du club qu’il comptait conserver et ce dont nous aurions besoin. Il avait préparé une liste de renforts. Imaginez, un entraîneur argentin, que nous n’avions vu que deux fois et qui nous donnait un panorama complet de sa vision d’O’Higgins ! ». Sampaoli impose sa méthode, professionnalise davantage le club : vidéo, étude totale des futurs adversaires, quitte à envoyer des espions aux quatre coins du pays pour observer tous les adversaires, noter les mouvements de chaque joueur. Sampaoli dirige le club durant trois tournois (Apertura et Clausura 2008, Apertura 2009, il quitte le club après cinq matchs du Clausura 2009) pour un bilan de vingt-six victoires, dix-sept nuls et vingt-deux défaites, et implante une nouvelle philosophie de jeu, qui perdure pendant près de dix ans.
Sampaoli est le premier à faire s’entraîner les jeunes avec les pros, le premier à enregistrer les entraînements pour ensuite les analyser. Son O’Higgins ne gagne pas (encore) mais il conquiert les cœurs. À l’image d’un article signé Rodrigo Sepúlveda pour Terra dans lequel il décrit « une équipe au jeu fantastique » allant jusqu’à « jouer un football très proche de celui de la sélection de Bielsa ». Le maître, encore et toujours, l’une des raisons pour laquelle Sampa est au Chili. Comme le maître, Sampaoli laisse un héritage à Rancagua : « Jorge a été un entraîneur très important pour notre club. Pas seulement pour la première équipe mais aussi pour les équipes de jeunes. Il a été d’un grand apport » témoigne le président, Ricardo Abumohor. O’Higgins ne change plus de philosophie, sur le banc, d’autres bielsistas se succèderont, Eduardo Berizzo allant jusqu’à décrocher le premier titre du club. Mais pour Sampa, convaincu s’il le fallait que sa méthode est la bonne, l’heure des succès dans l’élite n’est pas encore venue. Il doit poursuivre son apprentissage, parvenir à s’imposer dans un géant.
C’est ainsi qu’il choisit d’émigrer une nouvelle fois. Alors que sa côte est énorme au Chili, Sampaoli arrive à Guayaquil pour prendre en main la destinée d’Emelec. « À cette époque, nous nous étions réunis avec des dirigeants de la U de Chile, mais Nassib Neme m’a appelé et j’ai été séduit par l’idée de rejoindre une grande équipe d’un pays que je ne connaissais pas, l’Équateur ». Son premier défi est un nouveau clin d’œil du destin. Pour ses débuts, Sampaoli doit qualifier Emelec pour la phase de groupes de la Libertadores et son adversaire d’alors n’est autre que Newell’s. Le Bombillo se qualifie, mais la presse locale ne se montre pas tendre envers un entraîneur « qui n’a rien gagné ». Pire, les résultats en Libertadores donnent raison aux critiques, Emelec perdant les quatre premiers matchs avant de sortir dernier du Groupe 5 sur deux tristes résultats nuls. Les critiques s’accentuent en avril après une lourde défaite 5-0 face au Nacional. Mais cette fois, Sampa est soutenu par ses dirigeants. Il a le temps de travailler, met en pratique sa philosophie, toujours la même, mélange de jeu offensif, de pression haute et d’intensité physique. Emelec se met en marche, remporte la Primera Etapa du championnat équatorien, écrasant notamment Barcelona 3-0, mais manque le titre d’un rien, doublé par la LDU sur le fil lors de la Segunda Etapa (notamment à cause d’un nul concédé face aux Toreros). Le Bombillo doit donc passer par une finale pour espérer décrocher le titre, le premier de Sampa dans l’élite. Le 5 décembre 2010, Emelec tombe à la Casa Blanca, doublé de Miller Bolaños. Une semaine plus tard, c’est au Capwell que le Bombillo doit retourner une situation mal embarquée et mettre fin à huit ans sans titre. Malgré une énorme intensité, une pression de tous les instants, Emelec doit patienter jusqu’à l’heure de jeu pour ouvrir le score. Le but de David Quiroz a beau faire exploser le Capwell, il est le seul du match. Emelec se casse les dents sur la défense de la LDU. Ce jour de décembre 2010, Sampa voit triompher un autre argentin chez lui. Edgardo Bauza est champion d’Équateur, la LDU revient à la hauteur d’Emelec au palmarès historique du pays. Voyant Marcelo Fleitas serrer la main et féliciter Ulises de La Cruz à la fin de match, Sampa explose, il sépare les deux joueurs, provoque une échauffourée et quitte le Capwell en larmes. C’est la dernière image de son aventure équatorienne.
Trois jours plus tard, alors que le nom de Simeone a longtemps été cité, Jorge Sampaoli est de retour au Chili, il prend en charge l’Universidad de Chile. Il n’est pas un premier choix comme l’atteste les déclarations de Carlos Heller, actionnaire du club : « Parfois j’ai honte d’être un dirigeant d’Azul Azul. On engage un entraîneur sans expérience et on en rejette un qui a un meilleur parcours. C’est incompréhensible ». L’heure de la revanche sur le destin a sonné. Épaulé par ses adjoints de toujours, Beccacece et Desio, Sampa veut marquer le coup, s’affirmer afin de gagner le vestiaire, apprenant ainsi de ses erreurs péruviennes. Rafael Olarra et Manuel Iturra, deux idoles du club, sont invitées à aller voir ailleurs, quelques semaines plus tard, Mauricio Victorino en fait de même. Un seul sauve sa peau, Diego Rivarola qui devient héros d’un Superclásico quelques jours après avoir appris qu’il ne serait pas titulaire. Ce coup de force fait que Sampa gagne le vestiaire. Sous sa direction, la U décroche l’Apertura 2011 au terme d’une finale incroyable remportée 4-1 face à la Católica après une défaite 2-0 à l’aller. La première place de la phase régulière ouvre les portes de la Sudamericana au club, Sampa y signe son chef d’œuvre.
En plus d’avoir imposé ses méthodes au vestiaire, affirmé son statut, Sampaoli dispose d’un groupe de joueurs réceptif à son fonctionnement, groupe qu’il densifie par la venue de jeunes promesses comme Charles Aránguiz, que Sampa veut alors plus que tout, de joueurs confirmés comme le buteur Gustavo Canales ou le gardien, ancien de la maison, Johnny Herrera. Il s’appuie aussi sur des jeunes du club, le principal étant Eduardo Vargas. Après six mois à mettre son football en place, la U ne cesse de croitre, la suite tourne à la démonstration lors de la Sudamericana. Son 4-3-3 de début de semestre se mue en 3-4-3 sampaoliste, Aránguiz et Díaz devenant les joueurs clés au cœur du jeu de la U, Canales profitant de la vitesse de Vargas pour s’exprimer de la meilleure des manières dans son rôle de buteur. La campagne de Sudamericana débute par deux tours préliminaires, franchis sans trop de difficulté. Elle se poursuit par une série de démonstration, comme le 4-0 infligé à Flamengo au Nilton Santos, jusqu’en finale où, nouveau signe du destin, Sampa retrouve la LDU de Bauza. Cette fois-ci, les larmes seront de joie. Car cette U est au-dessus du lot, a mis en place un jeu d’une fluidité collective rare au fil de l’année 2011 et récite un football parfait. Emmené par sa révélation Eduardo Vargas, qui avait été déclaré intransférable six mois plus tôt et que le système de Sampa exploitait à merveille, l’Universidad de Chile écrase la LDU en finale et célèbre son premier (et seul) titre continental au Nacional. Conclusion d’une année parfaite qui a vu la U remporter le Clausura sans perdre le moindre match lors de la phase régulière, ne tombant qu’une fois en Liguilla, face à la Católica en demi-finale retour, insuffisant donc pour priver les hommes de Sampa d’un titre tellement logique.
La U est alors à son apogée. S’appuyant sur sa défense à trois, son jeu sur les côtés avec des joueurs de couloirs omniprésents, son pressing haut et sa vitesse à se porter à l’attaque en nombre, la base de la méthode, elle possède surtout cette incroyable capacité à être flexible d’un match à l’autre mais aussi pendant un match. La victoire face au Flamengo de Ronaldinho est la plus belle démonstration de cette flexibilité. À l’aller, la défense à trois est mise de côté pour faire place à une ligne de quatre avec deux latéraux ultra-offensifs (Jose Rojas ouvre le score après un centre de Matías Rodríguez), un Marcelo Díaz dans le rôle de la sentinelle, collé à la défense, et un surnombre permanent, Mena, Castro, Lorenzetti et Aránguiz jouant le plus souvent dans les trente-cinq mètres adverses derrière le duo Canales – Vargas. Ce soir-là, alors que Sampa avait annoncé en début de match que sa U était la favorite, son équipe récite, signe son chef d’œuvre de 2011 (aux quatre buts, on peut ajouter un but injustement refusé à Vargas, un penalty de Rodríguez qui était rentré mais non validé par le corps arbitral…). La U retrouve ensuite sa défense à trois, Sampaoli s’amusant à changer parfois les rôles donnés à ses joueurs.
L’année 2012 promet d’être encore plus folle. Car aux rêves de titres nationaux, qui valideraient la domination sans partage d’une équipe que l’on nomme de nouveau Ballet Azul, la prestigieuse Libertadores s’offre à la bande de Sampa. Malgré les départs du duo d’attaque, la U reste sans concurrence au pays. Emmenée par le duo Ángelo Henríquez, dix-huit ans, Junior Fernandes, vingt-deux ans, elle se hisse en finale de l’Apertura, après avoir notamment humilié Colo-Colo pour la deuxième fois en deux mois (5-0 en phase régulière, 4-0 en demi-finale retour), où elle se défait, non sans mal, du O’Higgins de Berizzo. Le tricampeonato en poche, rien ne peut résister à la U. D’autant que la Libertadores est le lieu de toutes les folies. Sortie sans encombre du Groupe 8, la U doit affronter le Deportivo Quito en huitièmes. Sampa avait prévenu, connaissant parfaitement les lieux, « le Deportivo Quito sera un adversaire très difficile et l’altitude sera un facteur important qui marque les différences. » Il ne croyait pas si bien dire. La U est balayée 4-1, privée de son coach exclu du terrain en début de partie pour n’avoir voulu mettre une chasuble. Seul le but de Matías Rodríguez laisse une once d’espoir. Alors Sampa fait du Sampa. Il renverse toute logique du papier, prend tous les risques. Lorsqu’il était encore jeune entraîneur en Liga Casildense, il avait déclaré au micro d’une télévision locale « si je dois perdre, autant que ce le soit en jouant plutôt qu’en balançant de grands ballons vers l’avant ». Sur le papier, tout s’annonce classique, le 3-4-3 sampaoliste s’affiche fièrement. Il n’en est rien. Car Sampa a aligné Marino aux côtés d’Aránguiz, Marcelo Díaz se retrouve seul devant une défense à trois. Le premier quart d’heure voit donc la U évoluer en 3-1-3-3 qui va rapidement se transformer en 1-3-3-3, Rojas restant seul en individuelle sur Alustiza, Mena et Magalhaes sur les côtés montrant d’un cran et faisant reculer ainsi les hommes de couloirs des Chullas, dont un certain Fidel Martínez. Le coup est payant. Le Deportivo Quito est acculé dans ses trente mètres, ne voit plus le ballon. La U récite un football rare, une merveille collective qui fait exploser les Chullas en une mi-temps. Les hommes de Sampa s’imposent au final 6-0, s’affirment comme l’un des grands favoris de la Libertadores. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que c’est le dernier moment de gloire de cette U, son apogée.
Car la Libertadores s’arrête en demi-finale, la U buttant sur le Boca de Riquelme, bien trop fort et trop intelligent pour tomber dans les mêmes pièges (même si le retour au Nacional voit la U dominer largement, mais manquer d’efficacité). L’été voit émerger la tendance d’une fin de cycle qui s’annonce. La U perd la Suruga Bank face à Kashima, puis ne peut rien devant le Santos de Neymar en Recopa Sudamericana. Le Clausura se termine dès les quarts de finale est une lourde défaite face à Unión Española, la défense du titre en Sudamericana s’arrête brutalement en quarts, la U étant balayée par le São Paulo de Jádson, Lucas Moura et Luis Fabiano, futur vainqueur. Mais surtout son destin se teinte de rouge. Le 2 décembre 2012, Jorge Sampaoli dirige une dernière fois son Universidad de Chile lors d’une victoire en Copa Chile face à Concepción. Dans les tribunes, les hinchas azules chantent « Sampaoli, Sampaoli, yo te quiero agradecer por hacer jugar al Bulla, como lo hacía el Ballet ». Le lendemain de ces hommages, Sampa prend les rênes de la sélection.
L’heure est ainsi venue de marcher plus directement dans les pas de son maître. Après l’intermède Claudio Borghi, venu un temps renier les principes laissés par Marcelo Bielsa, avec les scandales qui s’ensuivirent (Tadilla 2011, Jean Beausejour et Jorge Valdivia sont pris en état d’ébriété à quelques heures d’un entraînement en pleine préparation des éliminatoires à la Coupe du Monde 2014. Bautizazo 2011, Valdivia fête de manière très arrosée le baptême de son dernier à deux jours de jouer l’Uruguay et plusieurs joueurs, Arturo Vidal, Carlos Carmona, Jean Beausejour et Gonzalo Jara, terminent dans un état lamentable (tous prendront dix matchs de suspension, Vidal en accomplira seulement la moitié), Urracazo 2012, quand Gary Medel, blessé, et Edu Vargas, à qui il fut accordé d’aller disputer le jubilé de Diego Rivarola, sont rattrapés en boîte de nuit jusqu’à 4 heures du matin). L’heure est donc venue de remettre certaines valeurs au centre de tout. En décembre 2012, Jorge Sampaoli est présenté à la presse, les premiers mots sont clairs : « l’objectif est de nous qualifier pour la Coupe du Monde, qu’importe la place. Il faut trouver une formule pour convaincre les joueurs de jouer d’une manière déterminée afin d’accomplir un objectif. Ce qui est important, c’est l’engagement que nous allons chercher à instiller auprès des joueurs derrière le drapeau. La méthodologie ne sera pas bien différente de ce que l’on a fait à l’Universidad de Chile. L’idée est d’avoir une équipe qui prend son destin en main ». Des mots qui rappellent le maître avec qui Sampa entend tout de même prendre quelques distances, comme pour ne plus rester dans son ombre, répondant alors « même si je marche dans ses pas quant à la façon de jouer et la manière de voir le football, je ne lui ressemble en rien dans la vie personnelle ».
Sur le terrain, le temps presse. La Roja reste sur trois défaites embarrassantes (deux à domicile face à la Colombie et l’Argentine, une en Équateur). Au soir de la dixième journée, sur dix-huit, le Chili est sixième, la Coupe du Monde brésilienne bien loin. À peine nommé, Sampa fait le tour d’Europe, à la rencontre des cadres, de cette génération que l’on dit dorée mais qui semble s’être perdue au fil des années. Il prêche alors sa philosophie, ramène certains modes de fonctionnement et le sens de la minutie, du détail parfaitement étudié. Tout est analysé, chaque joueur, chaque adversaire. La préparation est de nouveau individualisée. Après trois victoires pour ses trois premiers amicaux (Sénégal et Haïti au pays avec uniquement des joueurs locaux, Égypte au Vicente Calderón de Madrid pour sa première avec les expatriés), son Chili tombe à Lima. Mais se relève immédiatement. La Roja remporte les quatre rencontres suivantes, dont une au Paraguay qui préfigure ce que sera son Chili : des couloirs ultra-offensifs, les latéraux pouvant même se retrouver plus haut que les attaquants, un pressing incessant, une forte intensité. En un mot, le vertige. Mais un vertige raisonné. Là où sous Borghi, le 3-4-3 était souvent synonyme de déséquilibre, les milieux laissant des espaces souvent rapidement exploités par les adversaires, sous Sampa – et cela peut aussi le distinguer de la méthode Bielsa – le fait d’une part de jouer plus haut, d’autre part de bien distinguer les blocs, « on attaque à six, on défend à quatre » plus resserrés. Une recherche d’équilibre qui est ensuite mise en évidence par la flexibilité des schémas tactiques de Sampa, qui ne reste pas collé à sa défense à trois pour passer à quatre quand le moment le demande – il le fera avec succès lors de la Copa América 2015 – et qui s’appuie sur une autre obsession : le culte de la possession. Dans ce système, un homme prend une importance capitale, le fameux cinco à la bielsa, ce meneur de jeu reculé placé devant la défense, le véritable cerveau. Au Chili, ce rôle est rapidement endossé par Marcelo Díaz. À ses côtés, Arturo Vidal quitte le couloir que Borghi lui confiait souvent pour se muer en perforateur offensif, Charles Aránguiz s’installe également. Le milieu de sa U est formé, complété par el Rey. Devant, Sampa rappelle un écarté de l’ère Borghi, Eduardo Vargas. Car l’autre différence opposant Bielsa à Sampaoli réside dans l’animation offensive : fini le 9 unique, la pointe si chère à Marcelo, Sampa choisi deux attaquants interchangeables aux qualités de percussions et à l’amour prononcé pour la profondeur, pour leur adjoindre un autre vrai meneur de jeu, un vrai 10, un Mago nommé Valdivia. Valdivia l’ostracisé devient l’un des hommes clé, « Jorge, tes jambes ne m’intéressent pas, je veux tes yeux, rien d’autre », explique Sampaoli. Avec ce groupe, il renverse tout. Au bout de cinq victoires, un nul spectaculaire en Colombie (3-3 après avoir mené 3-0 à la pause) et une défaite (celle de Lima pour sa première), le Chili de Sampa prend la troisième place et se qualifie pour le Brésil. La campagne brésilienne est la conjonction de deux processus arrivés à maturité, magnifiés par un homme qui sait en exploiter et grandir l’héritage : la graine plantée par Bielsa et les erreurs de l’ère Borghi. Cette génération a appris en 2010, s’est fourvoyée ensuite mais semble avoir compris. La Coupe du Monde en atteste : l’Australie est balayée, l’Espagne renversée, la défaite face aux Pays-Bas envoie le Chili dans un huitième de finale remake de celui de la grande génération précédente, celle de 1998, face au Brésil. Mais le Chili a avancé. Pas de lourde défaite, une élimination d’un rien, une barre trouvée par Mauricio Pinilla en prolongation et un tir au but de Jara sur le poteau. Suffisant pour construire en vue de l’objectif premier, la Copa América que le Chili organise. Le faux 3-4-3 s’installe, la défense se posant surtout à quatre en phase défensives – toujours pour plus d’équilibre, la Roja s’offre une Copa América parfaitement gérée avec surtout un peuple ramené derrière elle. Qu’importe la sortie nocturne d’Arturo Vidal en pleine compétition – même si elle ne laisse pas sans débats au pays à l’époque – les rencontres au Nacional donnent lieu à de vrais moments de communion avec le peuple chilien, à l’image du choc face à la Bolivie conclu sur un cinquième but marqué à la fin d’un hymne chanté a capella. La recette fonctionne, non sans quelques frayeurs en quarts face à l’Uruguay, en demie face au Pérou et même en finale face à l’Argentine, mais la récompense suprême est là, le Chili de Sampa remporte la Copa América, premier titre de l’histoire de la sélection. Le Calsidense est alors à son apogée, son football également. Mais le retour à la réalité est brutal.
Il y a d’abord la chute de Sergio Jadue, le président de la fédération chilienne, emporté par le FIFAgate. Il y a ensuite l’incroyable campagne anti-Sampa qui s’abat sur le Chili. Nous sommes fin 2015, alors que sur le terrain le Chili peine à digérer ses succès, semble se noyer dans son culte de la possession après l’arrivée dans le staff de Juanma Lillo, tout s’effondre. L’on apprend ainsi par exemple que Sampa et son staff voulaient exclure Arturo Vidal pour son incartade durant la Copa América, au nom des valeurs commune avec Bielsa, mais qu’ils avaient cédé sous pression de la fédération. Une fédération qui le lâche, laisse fuiter son contrat dans la presse qui n’est alors pas tendre, surtout lorsque Sampa veut défendre ses droits et refuse de payer la clause lui permettant d’être libre alors que l’on sait son avenir scellé. L’affaire termine avec pertes et fracas, l’histoire d’amour se termine dans le chaos. Sampa fait alors part de son malaise, de son mal être : « Sincèrement, depuis un mois et demi, je n’ai pas pu penser au football. Aujourd’hui, tout indique que je ne pourrai poursuivre à la tête de la sélection mais je dois compter sur la bonne volonté du président pour qu’il comprenne mes raisons. J’ai dit à Salah que je n’étais pas en mesure de continuer. […] J’ai expliqué que je ne suis pas prêt à poursuivre dans un endroit où je ne suis pas autant respecté qu’avant. Si je vois qu’1% ne me respecte plus, je m’en vais. Jamais je ne pourrai dire que je suis otage d’un pays où vit ma famille. Je vais continuer de vivre ici parce que le temps me donnera raison. Il m’est impossible de me défaire de ce contexte car chaque jour apparaissent de nouvelles choses et cela ne cesse jamais. Il y a un mois et demi que cela ne s’arrête pas. Aujourd’hui, ils me persécutent jusqu’à mon domicile comme si j’étais un délinquant. Je ne veux pas passer pour une victime. Je suis reconnaissant envers ce pays mais aujourd’hui, je suis dans un contexte très difficile. Quand je veux me relever, on me frappe de nouveau. Imaginez ce qu’il se passerait si les résultats n’étaient pas bons ! ». Fin janvier 2016, l’histoire chilienne de Jorge Sampaoli prend fin. Juan Antonio Pizzi lui succède, permet à la Roja de réussir un doublé historique en décrochant la Copa América Centenario, mais ne résiste pas à la non-qualification pour la Coupe du Monde russe. Une non-qualification que Sampa avait prophétisée dès fin 2015, pointant l’immense difficulté à gérer ce vestiaire et les dérives des cadres. Au même moment, Sampa a fait son retour en Amérique du Sud. Après avoir rebondi à Séville, il assouvit un rêve fou, prendre les commandes de la sélection Argentine, l’un de ses rêves.
Nul n’est prophète en son pays parait-il. Encore moins quand ce pays ne sait pas où il veut aller. Jorge Sampaoli avait débuté sa saison 2016/17 avec Séville d’une manière quasi idéale, emmenant le club à la deuxième place à l’issue de la phase aller, s’intercalant entre Real et Barça. Elle ne se termine pas au mieux, malgré une qualification pour la Champions League, la faute à une offre qui ne se refuse pas, celle faite à Sampa de prendre en main la sélection nationale argentine. Si son histoire chilienne avait déjà mis à mal certains de ses principes, à commencer par la lutte entre valeurs et culte du résultat, un élément qu’il partage avec son maître Bielsa, celui avec l’Albiceleste va encore plus bousculer ses idéaux. Il y a d’abord le contexte, une fédération qui change de tête, une nouvelle direction qui décide de jeter à la benne Edgardo Bauza un temps présenté comme l’homme qui ramènerait de l’ordre dans la sélection, ce qui colle parfaitement à son image très bilardiste. Avec l’arrivée des nouveaux dirigeants, la schizophrénie argentine se poursuit : pour marquer sa différence avec l’administration précédente (sic), c’est l’heure du retour du menotisme. El Patón Bauza, qui avait laissé São Paulo pour vivre ce rêve albiceleste, saute en 251 jours, victime de choix politiques du duo Tapia-Angelici. Place ainsi à Jorge Sampaoli, qui abandonne le confort qu’aurait pu lui offrir Séville pour à son tour toucher à son rêve. C’est le début des ennuis. Si Sampa aime construire, l’Argentine ne peut lui en laisser le temps. Car si Sampaoli débute par deux succès lors d’amicaux face au Brésil et à Singapour, très vite, le temps manque.
À quatre journées de la fin des éliminatoires pour la Russie, l’Argentine est barragiste, reste sur une défaite qui fait tâche en Bolivie et doit affronter l’Uruguay au Centenario. Ce manque de temps, associé à l’immense pression (souvent néfaste) et aux excès argentins, lui coute cher. Sampaoli ne parvient à trouver son système, ne cesse de changer ses compositions d’équipes (seize en seize matchs avant le huitième de finale face aux Bleus), manquant de réelle solution sur les ailes, son point clé, et ayant à disposition bien trop de joueurs axiaux. Il a beau chercher, jamais il ne parvient à trouver ce si cher équilibre. Pendant ce temps, il voit le moindre fait et geste fuiter dans la presse et ne parvient pas à recentrer son vestiaire autour de son projet. Comme une réminiscence de l’époque Sporting Cristal quand les cadres ne voulaient pas suivre la révolution souhaitée. Si elle parvient tout de même à se qualifier, sauvée par un Leo Messi des grands soirs face à un Équateur qui a totalement saccagé sa fin de campagne (troisième à mi-parcours, la Tri enchaîne six défaites sur les sept matchs précédent le choc face à l’Albiceleste lors de l’ultime journée), son Argentine ne fonctionne pas, ses joueurs ne le suivent pas. La campagne de Russie n’est qu’une lente descente aux enfers suivie en mondovision. Sampaoli ne résiste pas à l’élimination, la presse et les anciens se déchainent. Il faudra plusieurs semaines pour que le Calsidense s’exprime sur son rêve devenu cauchemar : « Ce fut une année avec de nombreuses tempêtes, d’exigences, d’obligations, d’immédiateté. Une année au cours de laquelle nous, avec les joueurs, étions seulement obligés de gagner et de fait, c’était difficile de trouver de la fluidité. Le fardeau que portait ce groupe était démesurément lourd, nous étions poussés dans une voie d’obligation qui rend difficile l’émergence du talent. Pour nous et les joueurs, ce n’était plus un jeu. Nous avons voyagé pour voir les joueurs, on a beaucoup parlé avec eux. Ce fut un travail très dur, il n’y avait qu’une option : être champions du monde. Avec cette obligation, quelle que soit l’adversité, tout est plus compliqué. Nous nous pouvions profiter de rien ». La défaite de Kazan, prophétisées par Sampa en avant-match - « la France va vivre de [nos] imprécisions, va chercher à forcer les erreurs pour contre-attaquer et profiter des forces qu’elle possède sur les côtés » -, est le dernier match du Calsidense à la tête de la sélection. Lui qui avait tout plaqué pour son pays est viré au bout de quinze petits matchs, sacrifié sur l’autel de l’immédiateté, pire ennemi de tout Bielsiste, l’Argentine demeure son premier véritable échec.
Il faut attendre six mois pour retrouver Sampaoli sur un banc de touche. Comme souvent avec les incompris en leur pays, il choisit l’exil, dans un pays où pourtant toute notion de projet et de temps pour construire est impossible : le Brésil. Début décembre 2018, le Calsidense débarque à Santos, dans un contexte loin d’être facile, comme pour prouver qu’il déteste la notion de confort. Il y a bien quelques échecs au début, l’élimination d’entrée de Sudamericana face au modeste River Plate uruguayen ou l’élimination en demi-finale du Paulista face au Corinthians aux tirs au but après un match globalement dominé. Mais une fois le Brasileirão lancé, une fois le style Sampaoli intégré, son Peixe devient une machine. Au point de s’accrocher un temps à l’ogre Flamengo qui termine 2019 en balayant tout sur son passage. Le style Sampaoli plait, les supporters du Peixe se rangent derrière un entraîneur qui passe dix heures par jour au centre d’entraînement, passe son temps à analyser les adversaires, à faire le tour des installations dans le but de voir ce qui peut être amélioré, mais surtout dont l’équipe, parfaitement équilibrée, plait. La recette est toujours la même : pressing haut dans le but de récupérer le ballon le plus près possible des cages adverses, importance des couloirs et transitions rapides. À la perte de balle, son Santos est capable de se replier rapidement pour couper les lignes de passes mais surtout, se compacte rapidement, pouvant même rester en bloc bas. Et malgré les importants problèmes financiers du club, qui voient parfois Sampaoli venir fustiger ses dirigeants en conférence de presse au soir d’une lourde défaite face à Botafogo lors du Paulista (0-4), le soutien de ces derniers est total, chose rare au Brésil, le board ayant compris que la révolution Sampaoli nécessite du temps à se mettre en place. La récompense est donc le Brasileirão. L’équipe qui avait bouclé le championnat précédent à la dixième place termine 2019 vice-championne du Brésil, établit son record de points pris depuis le dernier titre de champion en 2004, son record de points depuis que la Serie A est passée à vingt clubs en 2006 et en est la deuxième meilleure attaque sur cette période, se créant près de quinze opportunités par match. Là encore, cette frénésie offensive ne se fait pas au prix d’un déséquilibre défensif. La règle du « six qui attaquent, quatre qui défendent », existe encore, elle permet à Santos de terminer quatrième défense du championnat, avec dix-sept matchs sans prendre de but. En d’autres termes, avec soixante-quatorze points, Santos est le meilleur dauphin de l’histoire du Brasileirão depuis le passage à vingt clubs. Un total de points avec lequel Flamengo pourrait être sacré cette saison. Ce n’est certes pas un titre, mais on pense alors que comme annoncé par le Calsidense, Santos est désormais prêt à renouer avec son glorieux passé.
Mais tout cela à un coût, au sens premier du terme. Après avoir réclamé que les salaires des joueurs soient à jour, Jorge Sampaoli, porté aussi par ses résultats, ne cesse de mettre la pression sur ses dirigeants pour réclamer des renforts. Le tout alors que le Peixe est à la peine financièrement, les départs de Bruno Henrique et de Rodrygo ou l’impossibilité de conserver Gabigol durant l’intersaison le démontrant. Mais il est suivi par des dirigeants qui lui donnent toute leur confiance (l’argent du transfert de Rodrygo, initialement prévu pour éponger la dette est réinvesti). Près d’une quinzaine de renforts arrivent au cours de la saison, certains étant de véritables échecs, comme Christian Cueva. Si Sampa ne cesse de clamer que les dirigeants doivent être à la hauteur de l’histoire de Santos, évoquant l’époque dorée du Roi Pelé, ces derniers ne peuvent plus suivre. L’insistance du Calsidense finit par se retourner contre lui. Selon José Carlos Peres, président de Santos avec lequel Sampa entre rapidement en conflit, lui reprochant par exemple de ne pas être assez présent, le Calsidense aurait réclamé 100M reais (près de 15M€) pour recruter tout en conservant ses cadres. Les dirigeants ne peuvent suivre, au terme d’une réunion de décembre, l’aventure de Sampa au Peixe se termine par une démission acceptée par le club. Alors que la rumeur l’envoie à Palmeiras voire à Racing pour un retour en Argentine, Jorge Sampaoli surprend son monde en rejoignant l’Atlético Mineiro.
Dès son départ de Santos, le Galo tourne autour de Sampa. Les négociations débutent mais l’accord ne tombe pas. L’Atlético Mineiro se « rabat » ainsi sur Rafael Dudamel, aux exigences moindres. Mais l’aventure de l’ancien sélectionneur du Venezuela ne dure que dix matchs, le temps de se faire sortir de la Coupe du Brésil par Afogados, club de Serie D (quatrième division) et de la Sudamericana par Unión (défaite 0-3 en Argentine, victoire 2-0 au retour). Début mars, l’accord est trouvé, Jorge Sampaoli se pose à Belo Horizonte. La recette est encore et toujours la même : schéma tactique flexible, contre-pressing intense activé par les attaquants, repli en bloc en cas de ballon non récupéré, importance de la relance par les lignes arrières avec un rôle prépondérant donné au gardien, jeu dans les couloirs avec, dès la récupération, des latéraux qui se portent à l’attaque pour amener le surnombre et des milieux défensifs qui maintiennent l’équilibre arrière avec les centraux (toujours ce bloc de « quatre qui défendent »). Et là encore, la formule est efficace. Elle transforme un Atlético Mineiro modeste treizième du dernier championnat, finaliste du dernier campeonato mineiro, en candidat au titre national et vainqueur de son quarante-cinquième estaduais après deux années laissées au grand rival Cruzeiro. Comme un symbole, sa première avec le Galo dans le Brasileirão est au Maracanã face au champion sortant, celui qu’il avait étrillé pour sa dernière avec Santos (4-0), Flamengo. Un Mengão que Sampa écrase de nouveau un soir de novembre (4-0), mais qui, au final, lui passe devant lors d’un final assez intense. L’Atlético Mineiro séduit le Brésil en même temps qu’il obtient des résultats. À neuf reprises, le Galo est aux commandes du Brasileirão, seul l’Internacional faisant mieux. Mais cela ne suffit pas. Trois matchs ratés dans le sprint final (deux points pris sur neuf possibles) font s’envoler les rêves de titre. Si la qualification pour la phase de groupes de la Libertadores est une maigre consolation, le bilan chiffré reste plus que positif, l’Atlético Mineiro réussissant son troisième meilleur total de points pris en Serie A depuis son retour dans l’élite en 2007.
Toute relation engagée avec Jorge Sampaoli est placée sous le signe de l’intensité, de la passion, et donc de la démesure. Et comme toute relation passionnelle, chaque sentiment est exacerbé. Car Sampa est un générateur d’émotions, par le jeu de son équipe, par son/ses attitude(s) au bord et en dehors du terrain. Comme avec Santos, la relation passionnelle nouée avec le Galo termine également mal. La faute à quelques résultats négatifs au pire des moments, quand pendant ce temps les rivaux accélèrent. Alors que son Atlético Mineiro vise le titre, une défaite face à un Vasco à la lutte pour sa survie, met le feu aux poudres. Les supporters du Galo viennent mettre la pression au centre d’entraînement, exigent que certains joueurs – écartés par Sampa – jouent. L’impatience, le culte de l’immédiat frappe de nouveau. Et Sampa ne l’accepte pas. Le Calsidense menace alors que quitter le club, le processus de divorce est engagé. Car comme avec Santos, Sampa n’a cessé de réclamer des renforts, pour parfois finalement ne pas les faire jouer. Un mode de fonctionnement, associé à la volonté de tout contrôler, qui, comme dans toute relation passionnelle, se retourne contre lui. Une fois encore, alors que les rêves de titres se sont envolés, et tant pis si le championnat réalisé par le Galo est l’un des meilleurs depuis le retour du club dans l’élite, le divorce consommé, chacun brûle celui qu’il a aimé. Mais telle est l’histoire de Sampa. Il est un volcan, impressionnant, puissant, mais qui peut exploser à tout moment.
En avril 2023, Jorge Sampaoli est de retour au Brésil. Cette fois, le géant à redresser se nomme Flamengo. Mais le climat est rapidement délétère. L’histoire de Sampa à Flamengo dure trente-neuf matchs, pas un de plus. Elle est marquée par deux tournants : l’élimination en huitièmes de Copa Libertadores et la défaite en finale de la Copa do Brasil. Et si, sur le papier, le bilan est de vingt victoires, onze nuls et huit défaites, avec notamment deux séries d'invincibilité (dix matchs entre mai et juin, onze matchs entre fin juin et août), son passage au Ninho do Urubu montre surtout que l’Argentin n’a jamais trouvé la clé, jamais trouvé son équilibre. Mais surtout, rappelle le passage à la tête de l’Argentine. Seize compositions en seize matchs avec l’Albiceleste, trente-neuf en autant de matchs avec Flamengo. Et comme avec l’Argentine, comme avec le Sporting Cristal, l’incapacité à nouer des liens avec son vestiaire, à entraîner les cadres dans son projet. Alors, comme avec l’Argentine, le vestiaire explose.
Photo : Wagner Meier/Getty Images
Les conflits internes se multiplient. Du coup de point de Gérson à Varela lors d'une séance d'entraînement jusqu’au paroxysme, l’agression de l'attaquant Pedro par le préparateur physique Pablo Fernández. Son vestiaire se fracture tel celui de l’Albiceleste, la situation échappe à tout contrôle. Et Sampaoli s’irrite. On le voit donner un coup de pied à une balustrade lors d'un match de la Copa do Brasil, taper dans un micro sur le bord du terrain lors d'un match du Brasileirão. L’élimination face à Olimpia est le tournant décisif, la suite n’est qu’une lente agonie malgré seulement deux défaites en neuf matchs, dont celle de trop à l’aller de la finale de Copa do Brasil face à São Paulo. Arrivé en avril, l’aventure Sampaoli à Flamengo s’arrête ainsi fin septembre, au bout de ces trente-neuf matchs et d’une moyenne de points pris comparable à celle de son passage à Santos. « Le Brésil est le championnat le plus exigeant que j’ai connu. 10 000 fois plus que l’Espagne par exemple. On y joue tous les deux jours et il fait constamment gagner. Encore plus à Flamengo. Le Fla est le plus grand club du monde, avec quarante-cinq millions de supporters, tu n’as pas le droit de perdre le moindre match », déclare-t-il quelques mois plus tard à Marca. Là encore, elle enseigne à quel point le fardeau du culte de la victoire, de l’immédiateté, pèse sur le Calsidense. Et toujours à quel point Sampaoli peine à convaincre un groupe composé de grands joueurs réfractaires au changement et/ou qui n’adhèrent pas immédiatement à ses principes.
Il a fallu près de trois décennies pour que l’ancien aspirant pro à la carrière brisée finisse par devenir un nom du football mondial. L’histoire sud-américaine de Jorge Sampaoli n’est pas l’histoire d’un homme en quête de célébrité. Elle est le triomphe de la volonté, d’une profonde conviction, un mot qu’il ne cesse de répéter. Jorge Sampaoli possède sa vision du football, décrite en partie dans ces lignes, ne se laisse jamais dicter quoi que ce soit, l’un de ses tatouages « No escucho y sigo », résumant parfaitement cela. Qu’il dirige une équipe d’amateurs dans les ligues régionales argentines, l’Universidad de Chile en finale d’une compétition continentale, ou le Chili aux portes d’un exploit historique, jamais il n’a dérogé à ses principes, confirmés par ses exploits chez les petits, forgés par l’expérience de certains échecs chez les grands. Reste que de Casilda à Santiago en passant par Chiclayo, Callao, Tacna, Lima, Rancagua, Guayaquil, l’Argentine, São Paulo et Belo Horizonte, Jorge Sampaoli a fini par convaincre par sa vision du football. En juin dernier, Jorge Sampaoli déclairait à Marca : « J’aimerai un projet qui pourrait durer quelques années. Trois ou quatre ans, comme jamais je ne suis resté à un endroit ». Sans doute, car désormais, Sampa a compris que cette vision nécessitait du temps.
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