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Le Corner

·3 août 2020

L’Histoire du jeu à la nantaise

Image de l'article :L’Histoire du jeu à la nantaise

Il semble indéniable de dire qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, les heures de gloire du FC Nantes sont révolues. Le club huit fois champion de France n’a plus gagné le moindre trophée depuis 2001, année qui coïncide avec le départ de Raynald Denoueix ainsi que de la philosophie de jeu qui a fait briller les Canaris. Le fameux « jeu à la nantaise » né en 1960 et mort quarante ans plus tard. Inventé par José Arribas, popularisé par Jean-Claude Suaudeau et peaufiné par Raynald Denoueix, la tactique jaune et verte a marqué plusieurs générations de français et leur a prouvé qu’il était possible d’allier victoire et jeu enthousiasmant. Chronique d’un football protagoniste porté par des valeurs communes.

Pour comprendre d’où vient réellement le jeu à la nantaise, il faut passer de l’autre côté de la frontière franco-espagnole pour atterrir à Bilbao dans les années 1920. C’est en effet au Pays Basque que nait José Arribas qui arrivera en France en tant que clandestin miséreux évitant coûte que coûte la milice française durant l’Occupation après que son père fut tué par le franquisme. C’est alors grâce au football français qu’Arribas survécut, en tant que joueur, et connu la gloire, sur le banc. Son passé pas toujours rose lui a montré qu’il ne fallait pas laisser passer sa chance. C’est donc dans cette optique qu’en 1960, il écrit une lettre de candidature pour le poste d’entraineur à Jean Clerfeuille, président du club alors en D2. Quelques semaines plus tard, José Arribas dirige son premier match à la tête de l’équipe.


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Arribas et la naissance du projet

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Lorsqu’il arrive en tant qu’entraineur du FC Nantes, la France est encore enthousiaste de la troisième place acquise par l’équipe nationale à la Coupe du Monde 1958. C’est du vainqueur brésilien dont Arribas va grandement s’inspirer. En effet, dans un pays où le béton est roi, il ne joue pas avec le W-M qui est alors la norme mais opte plutôt pour un 4-2-4 à l’accent carioca. En plus du Brésil 58, il s’inspire du Liverpool de Bill Shankly. Des exemples aux noms clinquants mais qui vont permettre à Nantes de monter dans l’élite en 1963 et de gagner ce championnat deux saisons plus tard. Plus que par ses victoires, le FC Nantes de José Arribas impressionne par son jeu avant-gardiste en France. Une tactique où les passes et le mouvement sont essentiels afin d’être toujours porté vers l’attaque. Raynald Denoueix, joueur sous les ordres d’Arribas, explique la philosophie de l’entraineur : « L’idée, c’était de faire un jeu collectif. Récupérer le ballon pour l’utiliser dans le collectif. On n’est pas dans le duel. Ce n’est pas l’objectif de faire des duels« .

Il se détache donc du football de l’époque où le marquage individuel impose ces duels. Il décide pour cela d’expérimenter la défense en zone et la ligne de hors-jeu afin de prendre à revers la quasi-totalité de ses adversaires. En 2020, José Arribas pourrait passer pour un tacticien en vogue qui axe son jeu davantage sur l’intelligence que le physique des joueurs. Dans les années 1960, il faisait bien sûr figure d’exception. En plus d’innovations tactiques, il va porter une attention particulière au centre de formation de La Jonelière, chose alors trop peu réalisée dans l’Hexagone. Le journaliste Georges Cadiou analyse l’importance de ce secteur : « Toutes les équipes, des plus petites catégories jusqu’aux A, jouaient de la même manière, à une époque où on restait plus longtemps dans son club formateur. Lorsque les petits devenaient grands, ils étaient tellement habitués à jouer de la même manière qu’ils se trouvaient sur le terrain, il n’y avait pas de problèmes d’acclimatation et d’adaptation« . C’est donc toute cette osmose qui a permis à José Arribas de remporter trois fois le championnat et les deux échecs en finale de Coupe de France ne viendront pas ternir son image auprès des supporters. Lorsqu’on lui demande d’expliquer ce fameux jeu à la nantaise, il s’y livre avec grand intérêt :

« Bien plus qu’un système ou d’une organisation de jeu, c’est d’une conception de jeu qu’il faut parler en ce qui concerne Nantes. Ou si vous préférez, d’un état d’esprit que je peux traduire de la manière suivante : chacun essaie de se fondre dans l’ensemble et fait confiance au partenaire. C’est plus important que le dispositif. D’autres équipes ‘jouent comme nous’ et cependant leur comportement est bien différent, car il manque bien souvent cette confiance réciproque à la base »

Arribas quitte le club en 1976. Toutefois, le projet de jeu né sous son impulsion se devait d’être popularisé. Trois ans avant que Johan Cruyff ne s’assoit sur le banc de l’Ajax pour continuer de populariser le football-total inventé par Rinus Michels, c’est Jean-Claude Suaudeau qui a la charge, en 1982, de populariser le jeu à la nantaise. Ancien joueur sous les ordres d’Arribas, puis entraineur de la réserve du FC Nantes, il prend les rênes de l’équipe première avec l’ambition de faire évoluer ce jeu. L’histoire de Suaudeau en tant qu’entraineur des Canaris se divise en deux : une première partie de 1982 à 1988 et une seconde de 1991 à 1997. Plus de dix années cumulées sur la banc jaune et vert obligent à trouver des différences notables dans sa façon d’appréhender le jeu. Par exemple, son premier mandat reprend quasiment à la lettre les principes de son mentor José Arribas. Cependant, aidé par un effectif qui compte notamment José Touré, l’équipe de Suaudeau est plus technique. Le tacticien se sert, au contraire d’Arribas, des milieux axiaux défensifs comme des pièces maitresses du jeu. Il dit d’ailleurs concevoir « le jeu d’attaque à travers la récupération ». Grâce à cette philosophie qui garde la même ligne directrice que celle érigée vingt ans plus tôt, Suaudeau remporte, en 1983, le sixième championnat de France du club.

L’évolution sous Suaudeau

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Malgré des résultats corrects et un jeu qui correspond à l’école nantaise, Jean-Claude Suaudeau est licencié en 1988. Néanmoins, le mandat du Croate, Miroslav Blazevic, n’est pas concluant et le club doit rappeler son ancien joueur et entraineur en 1991. Cette saison-là, le FC Nantes est relégué administrativement à cause d’une dette s’élevant à plus de soixante millions de francs. Suite à un plan de sauvetage, le FCN est sauvé et devient le FCNA. « Toute une générations de joueurs est partie et, d’un seul coup, je me suis retrouvé parmi les plus vieux« , se souvient Japhet N’Doram alors âgé de 26 ans. Suaudeau transforme alors un handicap en force pour aboutir sur les saisons 1995 et 1996 auréolées d’un titre de champion de France, d’une demi-finale de Ligue des Champions et surtout d’un jeu à la nantaise qui voit sa popularité s’accroitre à travers tout le pays.

Le groupe, plus jeune qu’à l’habituel, est bien plus explosif que ceux qu’Arribas ou Suaudeau ont pu entrainer lors de leur premier passage. Le coach d’une équipe moins technique mais plus vive opte pour une tactique axée sur la projection rapide vers le but adverse. Celui qui explique que « le ballon ira toujours plus vite que n’importe quel joueur » va impressionner les français qui, grâce notamment à Michel Hidalgo, comprennent davantage l’importance de la tactique dans le football. Les passes sont fondamentales dans son jeu, elles doivent être aussi précises que rapides. Comme Arribas, il théorise le principe démontrant que l’appel déclenche la passe et non l’inverse.

D’autres stratégies évoluent par rapport à ceux de son mentor. L’exemple le plus explicite et la plus grande exigence physique dans le jeu. Jean-Claude Suaudeau explique que « garder la balle et chercher à marquer est d’une exigence physique invraisemblable ! A Nantes, l’équipe avait une grande aptitude à la course, en rapport à ce qu’il était possible de demander eu égard à l’exigence de notre jeu. Nous nous appuyions sur un gros réservoir en capacité aérobie« . Une avance physique couplée à un sens du spectacle exceptionnel en témoigne la saison 1994/95 avec notamment les deux victoires face au PSG synonyme de titre. Suaudeau tolère, en effet, davantage le déchet qu’Arribas en encourageant au maximum la prise de risque. Prise de risque pas insensée car travaillée. N’Doram dit que « les entrainements étaient extraordinaires. Dans la vie, la routine s’installe parfois. Mais avec [Suaudeau] jamais ! Ses séances étaient tellement variées, intéressantes et improvisées. C’était adapté à chaque situation. Il fallait sans cesse être attentif car il y avait toujours quelque chose à découvrir. Chaque jour on arrivait à la Jonelière en se disant : qu’est-ce qu’il va encore nous inventer aujourd’hui ?« .

Denoueix pour clore le bal

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Le jeu à la nantaise est l’exemple même que l’expression « beau jeu » est inexacte. On associe souvent ces termes à un jeu de possession tel qu’on en voit de plus en plus dans le football moderne. Pire, ne penser que le « beau football » est uniquement le jeu de position propre au FC Barcelone de Pep Guardiola. Le FC Nantes a pratiqué ce beau jeu avec trois entraineurs différents et à chaque fois avec une approche différente. Dans les années 1960, José Arribas a révolutionné la tactique française en refusant les duels. A la place il prônait la défense en zone et la ligne du hors-jeu. Alors qu’Arribas ne se souciait guère de l’impact physique de ses joueurs, son disciple, Jean-Claude Suaudeau demanda à son effectif une énorme charge de travail dans ce domaine. C’est ainsi que dans les années 1990, Nantes devient la capitale du « beau jeu ». Enfin, le troisième tacticien à faire lever le Stade de la Beaujoire est également un ancien joueur d’Arribas en la personne de Raynald Denoueix.

Comme Suaudeau, en plus d’avoir joué sous les ordres d’Arribas, Denoueix est d’abord passé par le centre de formation avant de devenir entraineur. Il est, en effet, à la tête du centre jaune et vert de 1982 à 1997. C’est l’année du départ de son ami Jean-Claude Suaudeau qu’il prend les rênes de l’équipe première. Avoir joué de nombreuses années dans l’équipe d’Arribas a pu le conditionner au jeu à la nantaise qu’il va faire évoluer une fois sur le banc des professionnels. Il y a toujours une importance quasi-vitale des mouvements. « Une de nos consignes d’entrainement pour apprendre à se démarquer, explique Denoueix, c’était de jouer sans lober. Le foot, c’est marquage/démarquage. Etre arrêté, c’est à rayer du dictionnaire du footballeur« .

La différence se trouve dans la vitesse d’exécution de ces mouvements. Lorsque Jean-Claude Suaudeau disait que « généralement en quatre-cinq échanges, on est capables non pas de mettre hors de position l’adversaire, mais de trouver une position de frappe« , Denoueix préfère, lui, construire calmement. Un jeu qui n’intéresse pas le premier cité qui pense même que « garder le ballon le plus longtemps possible, c’est une maladie du jeu d’aujourd’hui« . Plus de possession mais toujours les mêmes principes au centre du projet : formation, efforts et collectivité maximale.

C’est donc cela le jeu à la nantaise. Mille façons de le pratiquer avec à chaque fois un football protagoniste et enthousiasmant mais seulement trois hommes ont su le faire à merveille. José Arribas a remporté trois titres de champions de France, Jean-Claude Suaudeau a glané ce trophée deux fois tandis que Raynald Denoueix a ramené une Ligue 1 et deux Coupes de France. Ce dernier est le plus éphémère des trois, car s’envolant dès 2001 vers Saint-Sébastien pour entraîner les basques de la Real Sociedad. Ce Pays Basque, terre natale d’Arribas et terre d’accueil pour Denoueix, semblait boucler la boucle du jeu à la nantaise. Un jeu fait de passes et de mouvements. Qu’il soit rapide ou lent, le jeu à la nantaise est protagoniste et tend à faire vibrer les amateurs de ballon rond. Quand Helenio Herrera fait triompher le catenaccio sur le vieux continent, José Arribas initie Nantes à la ligne. Lorsque Gérard Houiller explique à la France que la froideur triomphera toujours, Jean Claude Suaudeau prouve au même pays qu’il est possible de gagner en enthousiasmant les foules. Enfin, quand Aimé Jacquet et sa défense règnent sur le monde, Raynald Denoueix et son milieu de terrain remportent le championnat national. Être Nantais, dans le fond, c’est être romantique.

Sources :

  1. Beautyfootball : le FCN de Coco Suaudeau 1994-1996
  2. Football à la française, Thibaud Leplat, 2016
  3. Sofoot : Nantes 1995 : les Canaries de Coco
  4. Vestiaires, numéro 64, mai-juin 2015

Crédit photos : IconSport

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