Peuple-Vert.fr
·29 novembre 2022
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Cette semaine, je vais vous parler dâun Ă©vĂ©nement que, peut-ĂȘtre certains dâentre vous ne connaissent pas mais dont on fĂȘte nĂ©anmoins cette annĂ©e les 60 ans.
Nous sommes donc en 1962 et depuis un an, officiellement le 21 avril 1961 prĂ©cisĂ©ment, Roger Rocher, un jeune dirigeant dâune entreprise de travaux publics stĂ©phanois, est devenu le cinquiĂšme prĂ©sident de lâAS Saint-Etienne. Il a succĂ©dĂ© au fondateur mythique de lâASSE, Pierre Guichard, qui Ă©tait revenu provisoirement aux manettes mais qui, rapidement a dĂ©sirĂ© passĂ© la main et a dĂ©signĂ© un homme entrĂ© au conseil dâadministration peu de temps auparavant et qui semble avoir lâĂ©toffe pour diriger ce club qui lui est cher.
Cependant, les dĂ©buts du mandat de Roger Rocher ne sont guĂšre reluisants. A peine a-t-il Ă©tĂ© nommĂ© que lâĂ©quipe a Ă©tĂ© relĂ©guĂ©e en seconde division un an plus tard en 1962. LâASSE a certes gagnĂ© pour la premiĂšre fois de son histoire la coupe de France contre Nancy (1-0) en juin mais elle nâa pu Ă©viter une descente cruelle mais logique qui aurait pu faire douter des capacitĂ©s du nouveau prĂ©sident Ă tenir ce poste si exposĂ©.
Dans un premier temps, il pense mĂȘme prĂ©senter sa dĂ©mission Ă Pierre Guichard. Mais surprise, aprĂšs cette saison dĂ©cevante, il est Ă©pargnĂ© par les critiques des journaux. Mieux encore, le PDG de Casino le soutient publiquement en affirmant quâil est le seul Ă pouvoir redresser la situation. Ainsi, AprĂšs un lĂ©gitime moment de dĂ©couragement, fort de la confiance conservĂ©e de la part de Casino, Roger Rocher repart au combat.
Le jeune prĂ©sident prend dâemblĂ©e une dĂ©cision importante. Il conserve lâensemble de lâeffectif stĂ©phanois chargĂ©, dĂšs lors, dâassurer une remontĂ©e immĂ©diate. Il est vrai quâen 1962, les joueurs nâont pas leur mot Ă dire. Ils appartiennent aux clubs et ne peuvent ĂȘtre transfĂ©rĂ© quâavec lâaccord de leur employeur qui est le maĂźtre de leur destin.
MĂȘme si elle est descendue, cette Ă©quipe nâa pas Ă©tĂ© ridicule. Elle Ă©tait tout de mĂȘme constituĂ©e de 7 internationaux français (Claude Abbes, RenĂ© Domingo, Jacques Faivre, RenĂ© Ferrier, Roland Guillas, Robert Herbin et Richard Tylinski) et dâun international hollandais (Rijvers). Elle Ă©tait capable du meilleur comme de battre NĂźmes (5-0) ou Monaco (5-1) ou du pire comme dâĂȘtre surclassĂ©e par Metz (6-0). Surtout, elle a connu 13 dĂ©faites par moins dâun but dâĂ©cart, ce qui semblent supposer quâelle avait le niveau mĂȘme si la descente Ă lâissue de la saison a Ă©tĂ© inĂ©luctable.
Une derniĂšre raison explique la dĂ©cision de Roger Rocher. LâASSE va connaĂźtre une toute nouvelle compĂ©tition europĂ©enne. Sa victoire en coupe de France lui donne le droit de disputer la coupe dâEurope des vainqueurs de coupe qui existe depuis 1960-61 et dont câest la 3e Ă©dition. Elle se doit donc dâavoir un effectif suffisant, pour sinon briller, au moins faire une bonne figuration.
En prĂ©sident avisĂ©, Roger Rocher a dĂ©jĂ tout planifiĂ©. A force de persuasion et de nombreux voyages en Suisse, il a obtenu lâaccord du retour de lâentraĂźneur emblĂ©matique des Verts, Jean Snella, coach du Servette de GenĂšve mais Ă une seule condition : que lâASSE remonte en D1. En attendant, François Wicart, qui avait dĂ©jĂ assurĂ© lâintĂ©rim en 1961, aura la charge de ramener lâĂ©quipe dans lâĂ©lite du football français. Mais ce nâest pas tout, il a dĂ©cidĂ© de faire preuve dâaudace mĂȘme si pour cela, il doit se mettre en danger. Il veut faire revenir le stratĂšge Rachid Mekloufi.
Le Franco-AlgĂ©rien a enchantĂ© Geoffroy-Guichard de 1954 Ă 1958 mais un soir dâavril 1958, il a quittĂ© clandestinement la France pour intĂ©grer une Ă©quipe de football algĂ©rienne qui a jouĂ© Ă travers le monde pour promouvoir lâindĂ©pendance de son pays en pleine guerre avec la France. ConsidĂ©rĂ© comme dĂ©serteur, il a Ă©tĂ© amnistiĂ© quatre ans plus tard avec les accords dâEvian qui ont accordĂ© Ă lâAlgĂ©rie sa complĂšte autonomie.
Roger Rocher envisage de le faire revenir dans le Forez alors quâil joue avec Jean Snella au Servette de GenĂšve. Ce nâest pas une mince affaire dans la mesure oĂč la rumeur de son retour se propageant, le prĂ©sident stĂ©phanois est menacĂ© de reprĂ©sailles par des membres de lâOrganisation de lâArmĂ©e SecrĂšte (OAS), groupe terroriste clandestin français proche de l'extrĂȘme droite crĂ©Ă©e pour la dĂ©fense de lâAlgĂ©rie française. Elle a dâailleurs tentĂ© dâassassiner le GĂ©nĂ©ral de Gaulle. Lâintimidation est rĂ©elle : « LâOAS frappe oĂč elle veut, quand elle veut, qui elle veut » mais Rocher ne renonce pas Ă son projet et le 2 dĂ©cembre 1962, Rachid Mekloufi foule Ă nouveau les pelouses françaises avec le maillot vert Ă Cannes.
TĂ©tanisĂ© par lâenjeu, il nâa pas fait un match extraordinaire. Le vĂ©ritable test, câest en fait une semaine plus tard le 9 dĂ©cembre 1962 quand lâASSE reçoit Limoges Ă Geoffroy-Guichard. LâAlgĂ©rien ne sâest pas Ă©chauffĂ© avec ses partenaires et lorsquâil pĂ©nĂštre sur la pelouse, il reçoit de nombreuses insultes :
Roger Rocher nâen mĂšne pas large mais dĂšs son premier ballon, Mekloufi rĂ©alise une prouesse technique dont il a le secret et le public admiratif a recommencĂ© Ă lâapplaudir. LâASSE gagne facilement 4-0 et le milieu de terrain des Verts a Ă©bloui le match de toute sa classe en faisant briller ses coĂ©quipiers. La saga Mekloufi est repartie et il a rajoutĂ© 3 championnats de France (1964, 1967, 1968) et une coupe de France (1968) pour lâASSE jusquâen 1968, date de son dĂ©part dĂ©finitif du club.