L’après Mediapro, quel avenir pour le foot français ? (2/2) | OneFootball

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Caviar Magazine

·22 janvier 2021

L’après Mediapro, quel avenir pour le foot français ? (2/2)

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La faillite de Mediapro semblait annoncée depuis 2018 au vu de ses fragilités. Alliée à la crise de la Covid-19, elle a mis au pied du mur les clubs professionnels, structurellement déficitaires. En attendant de savoir s’ils reverront leur modèle, l’interrogation principale demeure celle du nouveau diffuseur de la Ligue 1 et de la Ligue 2. Canal + semble détenir toutes les cartes pour redéfinir le paysage footballistique hexagonal. Mais les cartes ont été rebattues ces derniers jours.


Au 22 décembre 2020, la principale tâche qui incombe à la Ligue est de trouver un nouveau diffuseur capable de mettre autant d’argent que Mediapro. L’heureux élu n’est pas difficile à cerner puisqu’il est dorénavant le seul encore en jeu : Canal +. Selon les informations révélées par L’Equipe, la chaîne cryptée aurait formulé une offre orale de l’ordre de 590 millions d’euros, dont 100 millions de bonus, en novembre dernier. Offre qui n’a finalement jamais été formulée à l’écrit.


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Jusqu’aux annonces du 12 janvier dernier de Maxime Saada dans Le Figaro, l’idée de Canal était de temporiser dans les négociations avec la LFP afin d’obtenir le meilleur prix possible. « Ça reste un jeu politique où Canal essaie de négocier au rabais, mais également des choses à côté comme la baisse de la TVA, la modification des calendriers de diffusion des séries et des films et de leur exclusivité. Par exemple, en se basant sur le modèle de Netflix, que les films produits par Canal + soit diffusés en même temps au cinéma et sur leur chaîne », souligne Pierre Rondeau.

Jean-Baptiste Guégan ajoute qu’« il y a comme objectif de dégager le plus de marges de manœuvre possibles pour Canal qui a changé de nature et n’est plus le diffuseur que c’était, qui dépendait du sport. Aujourd’hui, il se présente comme une alternative à Netflix. En tout cas, il veut l’être à l’échelle européenne. Ça passe par un soutien de la France et un assouplissement des contraintes de financement du cinéma français et de la production audiovisuelle française. Pour des séries comme le Bureau des Légendes ou Engrenages, combien y-a-t-il de comédies inexportables et qui rentrent dans les quotas ? ».

« Canal a parfaitement raison et le droit de faire ce qu’ils font. Ils sont en position de monopole. Maintenant Canal + a récupéré la diffusion intégrale de beIn Sports, qui ne pourra pas céder sans l’aval de Canal », explique le professeur d’économie. En effet, la concurrence est mince sur ce dossier tant le football est un gouffre financier. « RMC Sport n’a plus d’argent à investir dans le foot et n’a pas envie de réenchérir dans le football français. Ce qui se dit aussi est que RMC Sport n’irait pas concurrencer Canal + sur les droits du foot français parce qu’ils sont en train de négocier des accords de sous-licence de droits TV de la Ligue des Champions avec Canal [sur laquelle la coupe aux grandes oreilles va revenir la saison prochaine] ».

Mediapro est mort, vive Canal ?

La chaîne appartenant à Vivendi n’a pas non plus intérêt à trop faire baisser le chiffre des droits audiovisuels étant donné que « le foot français reste un produit d’appel et un moyen pour Canal d’attirer des abonnés. Si on tue le foot français en proposant des droits TV à 300 millions d’euros, les clubs vont perdre toutes leurs stars, leurs joueurs. Le championnat français pourrait se retrouver au même niveau que le championnat portugais ou hollandais. Il y a un double raisonnement : celui de la lucrativité en atteignant le prix le plus bas possible pour maximiser ses sources de rentabilité mais il y a aussi celui de la qualité, d’avoir une compétition attractive pour attirer des consommateurs ou du moins ne pas en perdre ».

Depuis le début de la semaine dernière, la donne a toutefois quelque peu changé et l’accord entre la LFP et Canal + de gré à gré n’aboutira pas. Car la temporisation de Canal pourrait être liée à une mésentente entre Emmanuel Macron et Vincent Bolloré, président du groupe Vivendi et Canal +. L’hypothèse avancée par Sandrine Cassini du journal Le Monde est que le président français serait en désaccord avec la ligne éditoriale très conservatrice de CNews, chaîne du groupe Canal qui a « fait du discours d’extrême droite une norme » selon Jean-Baptiste Guégan. Le point de friction concernerait même la figure du polémiste Éric Zemmour, condamné pour provocation à la haine religieuse et raciale à trois reprises. Bolloré ne fera pas non plus de cadeau à la LFP – blessé dans son orgueil que Canal n’ait pas été choisi en 2018 comme diffuseur de la Ligue 1 – et serait prêt à voir les présidents de clubs « à genoux dans une mare de sang ».

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Le mardi 12 janvier, Maxime Saada a fait savoir que Canal + rendait son lot de matchs à la LFP – acquis à la suite de l’accord de diffusion avec beIn Sports pour 330 millions d’euros –, demandant qu’un nouvel appel d’offre soit organisé. L’objectif pour le président de la chaîne cryptée « en s’exprimant dans Le Figaro, un média plus large que L’Equipe [dont la rédaction était et demeure actuellement en grève] était de toucher un autre public et de bien faire comprendre que Canal ne serait pas le dindon de la farce, qu’ils n’avaient pas oublié ce qui c’était passé il y a un an », déclare Jean-Baptiste Guégan.

Le président de Canal met plusieurs arguments en avant. Le premier est que l’accord de gré à gré irait à l’encontre du code du sport et du droit de la concurrence, cet accord n’étant régulier que si un appel d’offre échoue. Il souligne également une perte de confiance entre son groupe et la LFP ainsi que la détérioration de la valeur de la Ligue 1 et de la Ligue 2 à cause de leur faible exposition télévisuelle – induite par un prix d’abonnement élevé – et d’une hausse conséquente du piratage.

Enfin, Maxime Saada questionne l’attractivité sportive et la compétitivité du football français. Il juge nécessaire que les championnat se réforment à la manière du Top 14 de rugby, la réduction du nombre de clubs professionnels permettant de rendre le niveau du championnat plus homogène et mécaniquement de mieux répartir les droits audiovisuels. « Saada parlait du Top 14 pour réformer la Ligue 1. Il ne l’a pas fait par hasard. C’est financé par Canal qui a assuré leur financement complet au printemps dernier au moment du covid, alors qu’ils se sont retirés des droits du foot » estime le professeur de géopolitique.

L’après 31 janvier

Jusqu’à début janvier, il était décidé que Téléfoot continuerait de diffuser jusqu’à la 22e journée les rencontres de Ligue 1, soit le 31 janvier. Avec la demande d’organisation d’un appel d’offre par Canal – acceptée par la LFP le 14 janvier – la question des modalités de diffusion des rencontres durant la période de transition entre le 31 janvier et la fin de l’appel d’offre demeure en suspens. S’ensuit le lendemain un florilège d’annonces de groupes telles que M6, TF1, voire France Télévisions se proposant pour retransmettre gratuitement et en clair la Ligue 1. Un choix qui n’est pas désintéressé puisqu’ils ont en vue le classique OM-PSG du 7 février, pourvoyeur de nombreux spectateurs.

Le 15 janvier, la Ligue officialise finalement le fait que Canal + et Téléfoot diffuseront la Ligue 1 jusqu’à la 24e journée, comprenant en clôture OM-PSG. Et après ? Canal + est-elle la seule et unique partie prenante dans le prochain appel d’offre de la LFP ? Jean-Baptiste Guégan propose beIn Sports : « Ne jamais négliger l’arrivée de beIn, en contrat avec Canal et qui appartient au Qatar. [C’est] un partenaire français qui vient de se sortir de la crise du Golfe [et ses] relations se sont détendues entre les Émirats-Arabes-Unis [et] l’Arabie Saoudite. Mais à partir du moment où il y a un nouvel appel d’offre, il y a renégociation ». D’autant plus que le même jour, Le Figaro révèle que beIN Sports rendrait le lot qu’elle transmettait et sous-licenciait à Canal +.

Il considère tout de même que « le plus probable est que Canal [reprenne] la Ligue 1, qu’ils vont temporiser jusqu’au dernier moment pour obtenir le prix le plus bas, avec le plus de compensations, parce qu’ils ont l’infrastructure et le reste aussi ». D’ailleurs, Maxime Saada a aussi déclaré vouloir mettre en place du pay per view à partir du 31 janvier via leur plateforme My Canal. « Ils diffusent un match en négociant soit avec Mediapro, soit avec les clubs. Ce n’est pas clair non plus. De toute façon, s’ils font du pay per view, c’est pour tester le marché. […] Ils vont sans doute réfléchir à un autre modèle économique et la question c’est, comment ils vont le valoriser », énonce le professeur de géopolitique.

Encore faudrait-il que la LFP accepte de remettre en jeu les droits de Canal + et de beIN Sports. En attendant l’appel d’offre, le 18 janvier, Mediapro s’est proposé pour diffuser la Ligue 1 gratuitement jusqu’à la fin de la saison et de transférer l’ensemble de ses profits liés à l’exploitation de ces droits.

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Qu’attendre de l’appel d’offre ?

Le mardi 19 janvier au soir, la LFP lance son appel d’offre pour les droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2 rendus par Mediapro pour la fin de la saison et la période 2021-2024. Les candidats auront jusqu’au 1er février pour déposer leur dossier et acquérir les lots A, B, C ou D pour la Ligue1.

Le problème qui se pose est que les droits auxquels ont renoncé Canal + et beIN Sports n’ont pas été pris en compte dans ce processus. De quoi bloquer la chaîne cryptée dans sa volonté d’acheter d’autres lots. Et pour cause, le lendemain, Le Figaro dévoile que la chaîne cryptée entend porter l’affaire en justice, souhaitant que son lot 3 de 330 millions d’euros, qu’il considère comme surévalué, soit remis en jeu. Dans le même temps, beIN Sports n’aurait toujours pas restitué ses droits en sous-licence à la Ligue, complexifiant davantage l’affaire.

Si le scénario le plus probable était que Canal + reprenne les droits de la Ligue, une rumeur fait son chemin selon laquelle Amazon pourrait s’immiscer dans le football français, tout comme DAZN, une plateforme de streaming sportif ou encore Orange. Rien de concret pour le moment. « Certains fantasment sur les GAFAM, je ne vois pas l’intérêt pour Amazon ou Facebook d’aller prendre la Ligue 1 » affirme Jean-Baptiste Guégan. « Peut-être que ça va être intéressant pour un acheteur comme DAZN qui est arrivé en Allemagne, d’aller récupérer quelques droits en France ».

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Une invisibilisation persistante de la Ligue 1

Aujourd’hui, la Ligue 1 est de moins en moins attractive. Pour Capital, Jamal Henni a mis en exergue le fait que l’audience moyenne a été divisée par deux entre les saisons 2007-2008 et 2019-2020 – passant à 851 000 téléspectateurs.

L’argument avancé par Maxime Saada selon lequel le manque de visibilité de la Ligue 1 sur Telefoot a détérioré sa valeur semble peu recevable d’un point de vue historique puisque Canal + a permis son invisibilisation croissante depuis 1984. « Moins le sport est visible en gratuit, moins les gens regardent. Parce qu’ils ne peuvent pas payer, notamment les jeunes. Donc aujourd’hui, il va falloir redonner du gratuit, montrer les matchs et les exposer. Et c’est là que Canal a quelque chose à jouer avec ses antennes satellites ».

« Canal revient à son historique en vendant des abonnements basés sur une exclusivité qui était le championnat de France. Aujourd’hui, même s’ils renouvellent leur exclusivité, ils vont devoir montrer leurs matchs ailleurs, parce que sinon les gens ne s’abonneront pas. C’est là que Canal va probablement procéder à une stratégie de groupe. Il est possible que certains matchs soient visibles sur des antennes annexes. M6 l’a fait avec W9 pour certaines rencontres de Ligue Europa ».

Et Jean-Baptiste Guégan de conclure : « Il ne faudrait pas que le foot se repose sur ses lauriers et se dire que c’est gagné. Les prochaines générations ne paieront pas les sommes annoncées pour voir du foot. En plus de ça, avec le contexte actuel, on n’aura personne pour payer 100 € pour voir tous les matchs, c’est impossible ».

Guillaume Orveillon


Photos : OneFootball/Imago

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