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·31 mars 2021

L’Albiceleste, un bateau à la dérive

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Depuis quelques années, la sélection argentine est méconnaissable. Amorphe et sans réelles idées, l’Argentine ne fait plus aussi peur qu’avant. La dernière décennie footballistique aura été une longue traversée du désert pour l’Albiceleste : trois défaites en trois finales disputées. Entre crises sportives et dérèglements internes, la sélection est au bord du gouffre. La Coupe du Monde 2018 et la Copa América 2019 auront été les révélateurs mettant en exergue les difficultés actuelles de la sélection. Dans un pays où le football et le sport ont une place très importante, la pilule passe difficilement et les Argentins semblent perdre patience malgré un amour profond et sincère. Tentative d’analyse d’une sélection en perdition qui a pourtant toutes les cartes en mains pour réussir.

4 juillet 1993. A l’Estadio Monumental de Guyaquil, en Equateur. Le capitaine Oscar Ruggieri soulève la quatorzième Copa América de l’histoire de l’Albiceleste. Grâce à un doublé de Gabriel Batistuta, les hommes d’Alfio “Coco” Basile empochent leur second trophée d’affilé face à la Tri Mexicaine. Fort de ses deux succès et avec la Coupe du Monde 94 en ligne de mire, les Argentins sont bien décidés à aller chercher leur troisième étoile de champion du monde. Malheureusement, pour les Gauchos, rien ne va se passer comme prévu. Presque 28 ans plus tard, le palmarès n’a pas presque pas évolué, mis à part deux médailles d’or aux J.O de 2004 et 2008. Pire, la sélection a entamé une lente et douloureuse régression. Elle n’est plus que l’ombre des équipes des années 80 et 90. Pourtant, elle n’a manquée ni d’excellents joueurs ni de bons entraîneurs. Mais la mutation du football, les conflits internes entre décideurs et clubs ainsi qu’une politique sportive souvent floue, auront presque fini d’égrainer le monument qu’est l’Albiceleste. Mais diable, qu’arrive t-il à l’Argentine ?


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Évidemment, une faillite sportive

C’est enfoncer une porte ouverte que de parler du niveau sportif de l’Argentine quand on veut expliquer son niveau actuel. Régressant année après année, l’Albiceleste ne “survit” que grâce à quelques individualités qui surnagent dans un collectif en déliquescence. En cause tout d’abord, le manque de politique sportive réelle. L’après-Sampaoli aurait dû permettre à la sélection de prendre un nouveau départ, en installant un sélectionneur capable d’insuffler une révolution, dans un collectif de sénateur et démoralisé après quatre années de désillusions. Il n’en fut rien. Lionel Scaloni, appelé à la barre pour assurer l’intérim et effectuer la transition, aura finalement été confirmé dans ses fonctions après seulement quelques matchs plutôt moyen dans le contenu et dans l’envie. Et même si son bilan comptable à la tête de l’Albiceleste reste bon, l’Argentine semble toujours en quête d’un plan de jeu fixe et surtout de stabilité. La fédération aura donc loupé le coche. En choisissant la politique de l’immédiat plutôt qu’une solution à long-terme, l’Argentine s’est elle-même tirée une balle dans le pied et les lacunes se sont malheureusement accentuées depuis le début de l’ère Scaloni. Il est évidemment impensable de tout mettre sur le dos d’un entraîneur novice, à qui le costume de sélectionneur paraît encore trop grand. Car le problème est bien plus profond que ça. En récupérant la sélection, Scaloni a littéralement hérité d’une pomme empoisonnée. Car depuis quelques années, c’est le niveau des cadres de l’Albiceleste qui inquiète les supporters Argentins. Il paraît facile ici de rejeter toutes les fautes sur les épaules du seul Lionel Messi, pas forcément exempt de toute reproche non plus. Mais il est surtout l’un des seuls à avoir su être régulier et à avoir répondu présent quand certains sombraient. Non, ici, c’est d’autres cadres qui ont failli à la mission Argentine. Comment ne pas évoquer le niveau d’un Nicolás Otamendi, performant avec Manchester City mais trop souvent à la rue en sélection ? Ou encore un Gonzalo Higuaín, qui n’a plus jamais été le même à la pointe de l’attaque, depuis son raté en finale de Coupe du Monde ? Et la liste pourrait encore s’allonger. Les Di María, Tévez, Agüero ou encore Mascherano ont toujours montrés deux visages bien différents avec le maillot bleu et blanc. Parfois au top de leurs formes, souvent complètement dépassés à cause de plusieurs facteurs comme l’âge, les blessures ou les envies personnelles ont aussi contribué au marasme dans lequel l’Argentine se trouve actuellement.

Comment ne pas évoquer aussi l’absence de grands joueurs à des postes-clés ? Depuis plus de vingt ans, l’Albiceleste est incapable de sortir un gardien de grande qualité, et le débat fait encore rage aujourd’hui. Dans un football où le gardien est aujourd’hui un pion essentiel dans la construction offensive, l’Argentine s’en trouve littéralement dépourvue. Aurjoud’hui, Armani tient la corde pour le moment mais, à 35 ans, sa marge de progression n’est plus et le problème se posera de nouveau d’ici quelques temps. Idem pour les latéraux. Si aujourd’hui Montiel et Tagliafico apportent des garanties certaines, l’Argentine a longtemps tâtonnée, obligeant même des joueurs comme Rojo et Mercado, des centraux de métier, à évoluer sur les côtés, pour dépanner. Les cas Dybala et Icardi font rage en Argentine, et sont sans cesse remis sur la table à chaque contre-performance de l’Albiceleste. Rajoutons à cela l’incapacité des sélectionneurs précédents à installer une alchimie et une cohésion viable dans les différents groupes et vous obtenez un cocktail explosif qui fait que l’Argentine, autrefois réputée pour son collectif brillant et bien rodé, n’est plus qu’un empilement d’individualités se marchant dessus à chaque prestation.

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Une fédération corrompue et conflictuelle.

Que serait le football sud-américain sans son lot de problèmes et de guerres internes ? C’est une bonne question certes, mais là n’est pas le sujet. Ou plutôt, attardons-nous sur le cas de la Fédération Argentine de Football ou AFA dans le texte. Fondé en 1893, l’AFA est, naturellement, l’organisme le plus puissant du football argentin. Mais il n’est pas question ici de faire ou refaire l’historique de la fédération mais bien de s’attarder sur ce qui a conduit le football argentin et la sélection droit dans le mur.

Pendant trente-cinq longues années, la fédération fut dirigée d’une main de fer par un homme aux multiples facettes. Joueur de foot, membre fondateur du club d’Arsenal de Sarandí, président d’Independiente, vice-président de la FIFA et donc président de la Fédération Argentine jusqu’à sa mort en 2014, Julio Humberto Grondona incarne à lui tout seul les maux de l’AFA. Car le bonhomme aura laissé des souvenirs impérissables à la Fédé, mais surtout dans les clubs et le système judiciaire argentin.

Ses “états de faits” sont longs comme le Riachuelo. Malversations, corruption, collusions ou encore blanchiment d’argent, Grondona aura, pendant plus de trois décennies, agit comme un despote omniscient sur le football Gaucho. Même si sous sa présidence, l’Albiceleste aura raflé une coupe du Monde et deux Copa América, la rançon du succès est bien trop maigre pour un homme qui n’aura cessé de creuser un peu plus le fossé entre clubs et institutions. Il n’est plus rare aujourd’hui de voir certains présidents de clubs se fendre de saillies assassines dans la presse nationale pour dénoncer un système qui étouffe les clubs, petits comme grands. On pourrait ici évoquer notamment le pourcentage, souvent exorbitant, sur le prix des billets, qui aura notamment contribué à creuser les dettes, déjà importantes des clubs argentins ou encore le détournement des droits TV des championnats pour sa propre poche. L’argent aura souvent été le talon d’Achille du grand patron de la Fédé et ce, toujours au détriment du sport. Et même quand les intentions sont louables, la patte Julio se fait toujours sentir. Lancé en 2009, le programme “Fútbol para todos” devait profiter à des milliers d’enfants argentins dans tout le pays. Victime d’une gestion calamiteuse et des multiples fraudes, le programme est arrêté seulement trois ans après son lancement. Un véritable échec qui laissera des centaines d’enfants, souvent issus de quartiers pauvres, sur le carreau. En 2011, une vidéo dévoilée par Alejandro Fantino, pour C5N, montre carrément le boss de l’AFA décrire précisément une transaction occulte entre des associés et lui. Une vidéo qui rendra fout de rage l’intéressé mais qui ne le calmera pas dans ses “entreprises financières”.

Et quand Grondona ne tape pas au portefeuille, il s’attaque directement au sportif, menaçant souvent discrètement les arbitres de Primera B et C pour influer sur les montées des clubs. Un favoritisme qui, vous l’imaginez bien, a eu de lourdes conséquences financières et sportives pour bon nombre de clubs. Jamais réellement inquiété malgré une montagne d’enquêtes ouvertes sur ses activités, Julio Grondona s’éteint tranquillement en 2014. Le stade de Sarandí porte d’ailleurs aujourd’hui son nom. Et si son corps lui est parti, il se murmure que son esprit et ses magouilles imprègnent encore les murs de l’AFA.

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Des coups de massues successifs qui auront définitivement entériné le dialogue entre les clubs, les supporters et l’AFA. Le résultat est sans appel : avec les différentes politiques tarifaires imposées et la corruption grandissante au sein même des organigrammes des clubs, le football Argentin est à l’agonie. Et même si la fédération se fait passer depuis des années pour un bon samaritain, en prêtant de grosses sommes aux clubs dans le besoin, le manque à gagner et l’héritage des années Grondona restent trop forts et désormais trop ancrés dans les plus hautes institutions.

” J’en ai marre de me faire continuellement en*uler par Fantino, c’est terminé. Lui ou Juan Cruz ou un autre je m’en fous. Si je peux les faire tuer, je le ferais”.Grondona dans une vidéo de 2011 où il explique notamment certaines de ses entourloupes et sa volonté de faire taire quelques journalistes trop curieux.

Criblés de dettes faramineuses, les équipes argentines ont vu, après la mort du Padre Grondona, les créanciers pousser l’une après l’autre les portes des centres d’entraînements. Les institutions se sont alors tournés vers la solution la plus à même de subvenir rapidement aux besoins pressants : la formation. Si dans les années 90 et 2000, chaque équipe européenne rêvait de son numéro dix argentin ou de son buteur à l’efficacité folle, les années 2010 ont marqué un tournant pour le jeune joueur argentin.

Si il reste quand même bien en vogue (et à juste titre), les clubs étrangers sont de moins en moins enclins à aller chercher les pépites de Superliga et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord car l’Europe dispose désormais des profils correspondant à celui du joueur Gaucho. Les petits gabarits, vifs et capable de faire la rapidement la différence sur un contrôle ou un dribble, ont fait une entrée fracassante dans le monde du football durant les deux dernières décennies, après avoir été longtemps boudés par les centres de formations européens. Ironie du sort ou non, l’avènement de Léo Messi a été l’élément déclencheur d’une prise de conscience collective. L’autre raison concerne plus l’aspect extra-sportif. Dans un article sorti fin 2019, Foot Mercato parlait du joueur argentin comme d’un joueur en dehors des réalités de la formation européenne. Et c’est là que le bât blesse. Considéré comme caractériel, imprévisible, tantôt arrogant, tantôt trop têtu, voir même avide pour certains, le joueur argentin souffre d’une sale réputation qui lui colle à la peau. Et dans un marché complètement dérégulé depuis une dizaine d’années, il est de plus en plus compliqué pour un club moyen d’investir des sommes conséquentes sur des joueurs dont la formation sportive et personnelle n’est pas encore arrivée à terme. La MLS et la Liga MX font figure de nouveaux eldorado pour ces jeunes, mais avec la récente crise de la Covid-19, ce modèle risque fortement d’évoluer de nouveau. L’Argentine se trouve une fois de plus à la croisée des chemins et devra encore perfectionner son modèle afin de le pérenniser.

Des lueurs d’espoirs dans cette grisaille

Forcément avec un tableau pareil, difficile d’imaginer comment le football argentin et donc la sélection peuvent se relever rapidement de cette crise. Mais pourtant tout n’est pas à jeter, loin de là. Le système de formation, bien que largement perfectible donc, fonctionne toujours à plein régime et est un toujours un gage de stabilité footballistique et une future belle manne financière. Grâce notamment au travail des “anciens” comme Ricardo Bochini qui arpente le pays à la recherche de futurs talents ou encore César Luis Menotti qui, à 82 ans, vient de rempiler en tant que directeurs des sélections. Preuve si il en fallait une que l’Argentine n’a jamais oublié d’où elle venait ainsi que son savoir-faire qui lui a permis de glaner tant de trophées. La bonne santé sportive de l’Albiceleste, donc, passera d’abord par la bonne santé financière de ses clubs, de sa formation mais aussi par la vision choisie pour le futur de l’Argentine. Car des bons entraîneurs capable d’insuffler du renouveau, avec des idées et une vision à long-terme, elle en possède. Les entraîneurs du style de Beccacece, Coudet ou Heinze sont légions et rêvent probablement de refaire de l’Argentine, une place forte du football mondial. Comme mentionné en préambule, il faudra peut-être sacrifier une participation en Coupe du Monde pour créer un électrochoc et récolter les graines de ce qui aura été semé. Mais pour cela, il faudra d’abord s’assoir à une table pour y régler les conflits , tout en jugulant une corruption devenue une normalité, afin de chasser définitivement les vieux fantômes du placard.

Crédits photos : IMAGO / Mundo Deportivo / El Español

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