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Lucarne Opposée

·11 août 2025

La première démocratie raciale brésilienne

Image de l'article :La première démocratie raciale brésilienne

Lorsqu’on accole démocratie et football au Brésil, l’imaginaire collectif renvoie évidemment aux beaux et romantiques Corinthians de Socrates. De même, à l’heure d’évoquer la lutte pour la reconnaissance des droits des noirs au pays, personne ne peut oublier le rôle essentiel joué par Vasco. Pourtant, bien avant ces deux illustres exemples, démocratie et lutte raciale ont été déjà défendues par le plus vieux club du pays : la Ponte Preta.

2 octobre 1974, dans le rond central de l’Estadio Vila Belmiro, le Roi Pelé prend le ballon entre ses mains, le dépose et s’agenouille à ses côtés, bras écartés. Dernière image d’une carrière brésilienne, dernier cliché d’un moment d’histoire nationale que son idole a portée depuis plus de dix-sept ans. Pelé, la Perla Negra du football brésilien, vient de disputer son dernier match au pays et le symbole est fort. Car son ultime adversaire n’est pas un club comme les autres. Face à son Santos, pour ses adieux, la victime du jour (battue 2-0) est la Ponte Preta, la première démocratie raciale brésilienne.


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Ponte Preta est un pont, un pont ferroviaire, qui relie le Brésil au Monde où le ciel est indigo. Il est le pont qui relie Campinas à la mer, au Monde.

Un pont noir ouvert sur le monde

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C’est en 1899, sous l’impulsion d’un Écossais, Thomas Scott, et d’un Allemand, Theodor Kutter, que le football serait apparu à Campinas, petite ville devenu le point de convergence de nombreux immigrants européens et située à une centaine de kilomètres de São Paulo. Dans cette ville cosmopolite, la principale activité est fournie par la compagnie de chemin de fer située dans le quartier de Ponte Preta qui tire son nom du pont noir traversant la voie à proximité. Scott est ingénieur des chemins de fer et a apporté des ballons venus d’Écosse. Grâce à lui, le football devient rapidement le passe-temps favori des ouvriers, de jeunes blancs, noirs et mulâtres qui travaillent le long des rails. Kutter voit en le football un formidable moyen d’unir ces gamins, de leur donner un but commun. Le football devient rapidement populaire. Grâce aux familles locales, un terrain de jeu est installé sur les terres du Capitaine João Vieira da Silva dont les trois garçons jouent au foot. Parmi ces gamins se trouve Miguel do Carmo (dit Migué). Né le 10 avril 1885, trois ans avant que la Loi d’Or ne vienne abolir l’esclavage au Brésil, Migué, n’a que quinze ans. Ce jeune travailleur se prépare pourtant à devenir une légende.

Aux côtés de Luiz Garibaldi Burghi et Antonio de Oliveira, Migué convoque une assemblée sur un terrain vague situé Rua de Aboliçäo (Rue de l’Abolition – tout un symbole) avec pour objectif de créer un club qui permettra aux jeunes de se réunir, d’organiser des matchs de football. Nous sommes le 11 août 1900 et le premier club de football brésilien vient de voir le jour (d’autres clubs multisports comme Flamengo furent fondés quelques années auparavant, mais leur section football ne naît qu’après la fondation de la Ponte Preta). Miguel do Carmo, jeune fondateur noir de quinze ans est son symbole : il fait partie de la première équipe, devenant le premier joueur noir membre d’un club sud-américain. Car l’acte fondateur du club ne fait aucune distinction ethnique. Dans cette ville multicolore, l’Associação Atlética Ponte Preta réunit blancs, noirs, dans une démocratie raciale qui n’exclut personne. Alors que le football est propriété exclusive des blancs qui s’évertuent déjà à discriminer à tout-va, la Ponte Preta reste le pionnier de la lutte noire.

Somos Todos Macacos

Lorsque les premières compétitions nationales sont créées, les déplacements du club multicolore sont souvent accompagnés de cris de singes. Nous sommes dans les années trente et la première démocratie raciale se choisit une mascotte répondant à ces insultes : le Macaque. De sa différence, la Ponte Preta en tire sa force. Le club qui a tout initié poursuit la lutte contre le racisme au Brésil en s’appropriant les insultes. Le club devient les Macacas, la mascotte un singe noir, le cri de guerre des supporters un cri de singe. Depuis sa création, le club se bat pour l’égalité raciale, depuis les années trente ne cesse de chanter sa fierté d’être un singe comme l’illustre l’un des chants de ses supporters « Ponte macaca querida ».

Lors de la campagne #SomosTodosMacacos lancée par Neymar en soutien de Daniel Alves, la Ponte Preta s'investit sur les réseaux sociaux, ses supporters allant même jusqu’à porter des masques de singes dans les tribunes. Dès que l’occasion se présente, ses supporters répliquent aux insultes comme lors de la fabuleuse campagne de Sudamericana 2013 qui vît le club atteindre la finale. Lorsque chahutés par les hinchas de Vélez et de Lanús qui essayaient de les provoquer par des cris de singes, les Brésiliens répondent par d’autres cris de singes allant jusqu’à mimer des macaques.

Un maigre palmarès qui masque une grande âme

Pourtant pionnier, la Ponte Preta ne bénéficie pas du statut d’un Bangu ou d’un Vasco dans l’imaginaire collectif. La principale raison peut résider dans sa discrétion. Car le club alvinegro n’est pas un géant du football brésilien. Au palmarès du club, plusieurs titres mineurs à l’échelon national comme des succès dans le Campeonato Paulista do Interior (compétition issue du championnat paulista entre les quatre meilleures équipes de l’intérieur) et quelques accessits font bien évidemment pâle figure devant la pluie de trophée du frère d’arme Vasco. La campagne de Sudamericana 2013 reste l’un des plus grands moments de l’histoire du club.

Alors coaché par l’ancien champion du monde Jorginho, les Alvinegros, qui avaient acquis leur billet pour la Sudamericana après avoir terminé troisième meilleure équipe parmi les éliminés des seizièmes de finale de la Coupe du Brésil, réalisent deux exploits consécutifs en éliminant tour à tour Vélez en quarts de finale au prix d’une victoire en Argentine, puis le tenant du titre São Paulo en demi-finales, avec également une victoire au Morumbi. Malheureusement pour le peuple alvinegro, la belle histoire se termine par une défaite en finale face à Lanús.

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Malheureusement, cette finale, bien que récente, ne suffit pas à ancrer la Ponte dans l’esprit des amateurs de football. Bien qu’étant le club ayant la plus longue activité de football au pays, le premier club de l’intérieur du pays à participer à un championnat national, son histoire reste encore méconnue. Relégué en Serie B après sa finale historique, Ponte Preta vient faire une nouvelle pige dans l'élite avant d'en chuter de nouveau en 2017. Passé à un rien de la montée en 2018, le doyen lutte encore aujourd'hui pour retrouver son héritier, Vasco, dans l'élite du football brésilien (relégué de Serie B l’an passé, la Ponte évolue cette saison en troisième division brésilienne). Quant aux joueurs, si la dernière star formée à Campinas (son lieu de naissance) reste Luis Fabiano, peu restent connus du grand public. Mais son combat était ailleurs. Au début du XXIe siècle, la Ponte Preta cherche à être reconnue comme la « première démocratie raciale » en acceptant des joueurs noirs dès les premiers matchs d’une histoire plus que centenaire. Le club chercher alors à montrer qu’il a contribué à surmonter les préjugés mais surtout veut être reconnu comme le premier à avoir aligné un joueur noir dans le football brésilien (de nombreux historiens ont ainsi remonté le temps pour essayer de déterminer l’ethnie des premiers joueurs du club, les informations manquant souvent). En 2003, une lettre est envoyée à la FIFA pour l'informer de la participation de Miguel do Carmo à l'équipe formée après la fondation du club en 1900. La fédération internationale répond alors mais se contente de féliciter le club de cette action. Nouvelle tentative en 2006 avec, cette fois, un dossier complet sur le joueur afin que les documents puissent être examinés, notamment ceux de l’historien Moraes dos Santos Neto qui a grandement contribué à relater et à décrire en détail l'histoire de la Ponte Preta depuis sa fondation. Mais là encore, la FIFA ne lui accorde pas ce statut de première démocratie raciale de l’histoire du football.

Porteuse et défenseure de valeurs d’égalité, première démocratie multiraciale au Brésil et sur le continent sud-américain, la Ponte Preta est un pionnier de la lutte pour l’égalité, elle est le club qui a planté la graine que Vasco a ensuite fait germer. Depuis sa création, le premier combattant d’une lutte loin encore d’être rempotée, reste le fer de lance avec Vasco de la lutte pour l’égalité. Ce sont ces valeurs qui font du club de Campinas un club unique. Lorsque le 2 octobre 1974 le Roi Pelé s’agenouille dans le rond central pour remercier Dieu, du ciel, Miguel do Carmo a probablement observé non sans fierté le triomphe de la plus grande idole noire du football brésilien, son plus grand héritier.

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Initialement publié le 11/08/2020, mis à jour le 11/08/2025

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