Jean-Yves Koue Niaté : “Quand tu es étranger, tu n’as pas vraiment le droit à l’erreur” | OneFootball

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·1 mai 2020

Jean-Yves Koue Niaté : “Quand tu es étranger, tu n’as pas vraiment le droit à l’erreur”

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Il pourrait être défini comme un voyageur. À 27 ans, Jean-Yves Koue Niaté a connu la France, la Belgique, le Liban, l’Angleterre et de nombreuses péripéties. Désormais à Aldershot Town, en Vanarama National League (D5), le défenseur central continue sa route dans un championnat réputé exigeant et difficile. Interview avec un baroudeur des divisions inférieures.

De la banlieue parisienne au Sud de la France

J’ai commencé le foot aux alentours de 7-8 ans. Avant ça, j’avais fait quelques années de rugby, je me testais un peu sur différents sports. J’avais également fait un peu de karaté pendant quelques mois. Chez moi, on commençait le foot avec des potes au quartier et puis après en club. Pour ma part, j’ai débuté dans le club de ma ville à Carrières-sur-Seine dans les Yvelines. Quand j’ai entamé le foot,  je ne pensais pas spécialement à devenir joueur de foot pro. C’était juste une envie de me défouler.


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J’ai joué à Carrières-sur-Seine jusqu’à 14 ans. Ensuite je suis allé à Houilles, j’étais en 13 ans DHR et j’étais surclassé avec la génération au-dessus donc avec les 1992, moi je suis né en 1993 et cette année-là on est montés en 13 ans DH. Arrivé à mes 15 ans, j’ai signé à l’ACBB à Boulogne-Billancourt et c’est à partir de ce moment-là où je suis rentré dans le monde jeune pro. À l’ACBB, on était en 14 ans fédéraux, c’est comme les nationaux de maintenant. Ça a juste changé de nom. C’est là où tu commences à jouer contre les centres de formation comme le Havre où évoluait Paul Pogba, le PSG avec Alphonse Areola, la plupart des mecs qui sont nés en 1993. Je suis resté un an à l’ACBB, ensuite, je suis parti. J’ai intégré le centre de formation de Paris pendant, là encore, un an. Puis, j’ai fait un essai en Allemagne, à Munich 1860 où je suis resté trois semaines. Malheureusement, ça ne s’est pas fait. Ils avaient recruté à l’époque un autre défenseur qui était international à mon poste. Dès que je suis revenu en France, j’ai eu quelques opportunités, notamment celle de rejoindre le centre de formation du Stade de Reims.

J’y suis allé car ce n’était pas très loin de Paris. Je ne voulais pas trop être loin de ma famille. En plus, ils étaient motivés à me signer. Ils avaient le meilleur projet. Je suis resté deux ans et demi là-bas. J’ai eu des difficultés au début, mais le foot a vite pris le dessus. J’ai rapidement été surclassé. Je jouais avec la génération 1992 car mes performances étaient bonnes. Vers la mi-saison de ma première année, j’ai intégré les 18 ans nationaux alors que j’en avais 16 et je faisais des matches avec eux aussi. Mon objectif à Reims était de m’entraîner avec l’équipe première du club. Malheureusement, je n’ai jamais pu atteindre cet objectif car je n’ai pas été prolongé au bout de deux ans. En fait ils étaient un peu partagés. Il y avait aussi beaucoup de joueurs là-bas et à l’époque, le club n’était pas dans une excellente période sportivement, même si à la fin ils ont quand même réussi à monter en Ligue 1. J’ai donc fait le choix de quitter Reims et j’ai rejoint Cannes.

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Premièrement, c’était pour me relancer et deuxièmement pour ne pas lâcher mon objectif de devenir pro. À Cannes, ça s’est super bien passé, j’avais un bon coach David Bettoni, l’adjoint de Zinedine Zidane au Real Madrid. J’ai beaucoup appris avec lui. C’est un bon coach car il travaille vraiment sur tes défauts et pas sur tes qualités pour que tu sois complet. Donc j’étais là-bas avec les U18, on a fini 5e du championnat. On avait une bonne poule, il y avait toutes les équipes du Sud quasiment : Monaco, Marseille, Saint-Étienne. J’avais marqué beaucoup de buts cette saison-là aussi et ensuite j’ai intégré l’équipe première de Cannes, en National. Mais je n’ai pas eu de chance car dès mon arrivée dans l’effectif pro, le club a été rétrogradé pour des problèmes de papiers alors que, financièrement, notre président avait assez d’argent, c’était un Saoudien. Il avait recruté des bons joueurs comme Jan Koller et d’autres joueurs qui ont fait des carrières en Ligue 1 comme Olivier Guégan, Mohammed Soli. Mais ces joueurs sont partis quand l’équipe a été rétrogradée. Je n’avais pas d’autres choix que de quitter le club.

J’ai commencé à travailler avec Dominique Six. Il m’a emmené à Dundee United en Écosse. C’était ma première expérience à l’étranger

À l’origine, je devais signer à Nice. Mais le président m’avait bloqué parce que Nice et Cannes, c’est le derby. Il ne souhaitait pas que j’aille là-bas pour X raisons. Malgré tout, le club m’aimait bien et ils m’ont présenté à cette époque-là un agent : Dominique Six. J’ai commencé à travailler avec lui et il m’a amené en Écosse, à Dundee United (D1 Écossaise). C’était ma première expérience au Royaume-Uni. Là-bas, j’avais du mal avec l’anglais. Nous les Français, on ne parle pas vraiment bien anglais… C’était difficile pour moi de me faire comprendre et du coup, je n’ai pas signé. Dès que je suis revenu d’Écosse, je suis allé en Belgique.

L’escapade cosmopolite en Belgique

Je me suis rendu en Belgique avec un agent différent. J’ai atterri au KFC Turnhout en troisième division. Le club était à la recherche d’un défenseur central car il voulait monter. Dès que je suis arrivé, ça a pu se faire directement. Les dirigeants voulaient voir si j’étais en bonne condition physique. Je me suis entraîné un jour et le lendemain, j’ai signé mon contrat. On a fait une bonne saison, on a joué les playoffs, le coach, Hesham Zakaria, était égyptien. Notre président de club était le même président d’un club de Belgique de première division, Leers OS.

On parlait plus avec le traducteur qu’avec l’entraîneur principal

Il avait ramené tout un staff d’Égyptiens (rires). C’était marrant parce qu’on ne comprenait pas le coach et on avait un traducteur égyptien qui parlait anglais, français… Dans notre équipe les joueurs venaient d’un peu partout. En fait, on parlait plus avec le traducteur que l’entraîneur principal (rires). Ensuite, à la trêve, le coach a eu une opportunité de retourner en Égypte, à Al Ahly. Il est donc parti. Un nouvel entraîneur est arrivé à sa place, Tom Saintfiet. C’était l’ancien sélectionneur de plusieurs nations africaines (Togo, Maroc) et actuellement, c’est le sélectionneur de la Gambie si je ne me trompe pas. Avec lui, ça se passait super bien, on est allés jusqu’aux playoffs d’accession. À l’aller, on gagne le match assez largement.

Mais lors du match retour, je ne sais pas ce qui lui a pris, il a mal managé. En gros, tous les titulaires qui jouaient et qui ont gagné tous les matchs de la saison n’étaient plus titulaires pour le deuxième match… À l’aller, on avait gagné 5 ou 6-1 et il s’est dit que pour le retour, l’équipe adverse n’allait jamais nous battre. Il a donc titularisé uniquement des jeunes et ces derniers n’ont pas pu tenir le score. Il a fait rentrer des cadres à quinze minutes de la fin pour tenter de rattraper le coup, mais en si peu de temps, c’était impossible de rattraper le nombre de buts qu’on venait d’encaisser. On s’est fait sortir des playoffs comme ça… C’était dommage de finir sur cette fausse note.

Par la suite, j’ai eu quelques opportunités dans des clubs de 2e division en Belgique, sauf que financièrement et contractuellement, ça ne me plaisait pas trop. Tom Saintfiet m’avait proposé de partir en Afrique du Sud avec lui, sauf qu’à ce moment-là, ma tête n’était pas vraiment de quitter l’Europe. Mon objectif était de jouer en Angleterre. J’attendais donc des propositions qui ne sont jamais arrivées en réalité. Tom Sinfield m’a alors présenté un agent qui voulait m’emmener au Qatar et c’est là que j’ai atterri au Liban.

Voyage au Moyen-Orient

Le premier jour où je suis arrivé, j’étais un peu en panique, je ne vais pas le cacher. Tout le monde connaît le contexte au Liban. Le pays n’est pas loin de la Syrie en plus. Lors de mon arrivée, je suis bien accueilli et je dors à l’hôtel. Durant la nuit, je commence à entendre des coups de feu autour de l’hôtel *pan* *pan* *pan* *pan* *pan*. Je mets le nez à ma fenêtre et là, je vois des dizaines de tirs en l’air. Paniqué, j’appelle alors mon agent et je lui demande ce qui se passe au Liban. Je pensais vraiment qu’il y avait la guerre (rires). Il m’a dit non, c’est juste un mariage. Quand ils célèbrent des mariages au Liban, ils tirent juste en l’air pour célébrer.

Le club m’avait dégoté une maison et j’avais même un chauffeur personnel qui venait me chercher pour m’emmener à l’entraînement

Après, ça s’est super bien passé, j’ai joué quasiment tous les matches, je m’étais un peu blessé vers la fin et donc financièrement quand je suis parti, j’avais un bon salaire. je crois que c’est au Liban où j’ai touché le plus (autour de 10 000 € + les primes + l’accommodation). Je jouais à Al Nabi Chit, un club de première division. Il se situait assez loin du centre-ville de Beyrouth. Je n’aimais pas trop vivre là-bas et j’ai donc demandé à rester dans la capitale. Le club m’avait dégoté une maison et j’avais même un chauffeur personnel du club qui venait me chercher pour m’emmener à l’entraînement.

Quand j’étais là-bas, je pensais que j’étais à Cannes (rires). Il faisait chaud quasiment tout le temps. Tu avais la mer à proximité et même la montagne à environ une heure de la capitale. Franchement, après les entraînements, je me faisais plaisir. J’avais loué une Maserati, j’allais au ski, je m’étais fait des amis… J’étais en vacances tout en jouant au foot (rires). Je profitais beaucoup, je ne vais pas mentir. J’étais obligé de faire quelque chose pour ne pas m’ennuyer. Je ne connaissais personne sur place.

Pour eux, c’est rare de voir des noirs au Liban

En plus, à ma grande surprise, il n’y avait pas de mecs noirs comme moi, hormis des basketteurs qui venaient des États-Unis. Ils étaient ici car il y avait de bons salaires. Au final, les seuls blacks que j’ai vus sur place, ce sont des basketteurs américains. Dès que je marchais en ville, les gens ne me regardaient pas vraiment, mais dès qu’ils le faisaient, c’était avec stupéfaction. Pour eux, c’est rare de voir des noirs au Liban. Et quand ils en voient, ils savent spontanément que ce sont des sportifs de haut niveau.

Le retour dans l’hexagone

Le foot, c’est toujours un peu la même chose. Tu as des opportunités, tu as des offres mais qui ne te plaisent pas vraiment, tu attends, et à un moment donné, tu n’as plus trop envie d’attendre en réalité. Je suis donc allé à Poissy en CFA pour un an. Mon coach était un ancien sélectionneur de l’Algérie. Là-bas, on jouait la montée. Les joueurs venaient un peu de partout, certains du PSG. Cette saison-là, on avait passé plusieurs tours en Coupe de France et on était partis jouer sur l’île de la Réunion. Mais pour cette rencontre, j’étais suspendu (rires). Le Parisien m’avait interviewé à l’époque car mes coéquipiers s’étaient cotisés pour me payer le billet d’avion. Le coach avait tenu à ce que je vienne car j’avais participé à tous les matchs de Coupe de France auparavant. En réalité, c’était le club qui avait payé mon billet d’avion mais ils avaient dit que c’était les joueurs qui s’étaient cotisés. J’y suis allé en tongs (rires). Sportivement, on avait le match, mais c’était un bon souvenir. Après, l’aventure à Poissy s’est arrêtée et j’ai eu enfin l’opportunité d’aller en Angleterre.

Les péripéties anglaises

Je me suis rendu en Angleterre grâce à un agent qui avait vu mes vidéos. Je lui avais fait part de mon envie de jouer là-bas car c’est ce que j’avais toujours voulu. Un club de League Two m’avait fait part de son intérêt, mais les discussions prenaient du temps. L’agent m’a alors envoyé à Solihull Moors en Vanarama National League. Je suis parti là-bas, je me suis entraîné un jour et ils m’ont ensuite proposé un contrat.

Au début, c’était compliqué de s’acclimater au niveau de la langue. En fonction des régions, il y a différents accents. C’est un peu comme en France avec le Nord et le Sud. J’ai eu du mal à comprendre certains Anglais au début. Il y avait 2-3 blacks qui m’aidaient un peu. Après en Angleterre, certaines mentalités sont assez arrêtées. Les étrangers restent souvent entre eux. Et sportivement, les coachs préfèrent souvent mettre des Anglais. C’est un truc fréquent en Angleterre. Quand tu es étranger, tu n’as pas vraiment le droit à l’erreur.

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Si l’équipe fait un match nul ou perd, le coach va commencer à chercher des excuses. Du genre : “Pourquoi on n’a pas marqué ?”, alors que toi tu es défenseur. Cela n’a pas de sens en réalité. Ça fait quatre ans que je suis en Angleterre et je fais toujours le même constat. Mais tu peux avoir la chance de tomber sur un coach qui aime les étrangers et qui ne va pas pointer la faute sur eux en cas de contre-performance. Après, je parle spécifiquement de la division où je joue. Tous les coachs sont quasiment comme ça. J’ai des amis qui jouent aussi à ce niveau et ils partagent le même avis.

Si ton équipe prend un but, on va tomber directement sur toi, même si tu n’es pas fautif

On s’adapte malgré tout. Ça pousse plus à travailler, mais il y a tout de même des injustices récurrentes. Par exemple, ton équipe prend un but, on va tomber directement sur toi, même si tu n’es pas fautif. Autre exemple, un de tes coéquipiers va perdre son duel, et l’adversaire marque. Il va rejeter la faute sur toi : “Pourquoi tu n’étais pas là pour le couvrir ?”, alors que toi aussi, tu avais un mec à prendre… Ce sont des petites choses comme ça.

Je ne suis pas resté très longtemps à Solihull, peut-être quelques mois à tout casser. J’ai rebondi à Oxford en National League North (D6) où j’ai notamment rencontré Stéphane Ngamvoulou (Maldon & Tipree/D8). Le coach d’Oxford était beaucoup intéressé par moi. Personnellement, j’avais besoin de temps de jeu et j’ai donc accepté le challenge. Ça s’est bien passé, après je sentais que le niveau n’était pas exactement le même qu’en Vanarama National League. On va dire que ça ressemblait sensiblement au niveau de la CFA ou de la CFA2. Au bout de quelques mois, je suis parti à Ebblsfleet.

Au bout du deuxième jour, je vois que le comportement de l’entraîneur n’est plus le même

Là-bas, il m’est arrivé un truc un peu bizarre. Les dirigeants voulaient me faire signer. Moi, j’avais également accepté de venir. À mon arrivée, le coach d’Ebbsfleet était content, il m’avait bien accueilli et le deuxième jour, je vois à l’entraînement que son visage est serré et que comportement n’est plus le même avec moi.

Deux jours après, le club signe un autre défenseur et il me fait comprendre que je dois parler à mon agent car il n’est pas sûr de me faire jouer. On avait même pas commencé les matches… Je vais voir mon agent et je lui demande des explications car le coach ne peut pas changer de comportement du jour au lendemain. Il ne savait rien non plus. Comme j’étais encore sous contrat avec eux, je suis resté deux mois. Je ne pouvais pas rester dans cette situation et ne pas jouer. J’ai essayé de leur faire comprendre que je n’étais pas responsable de tout ça, mais ils n’ont rien voulu entendre… J’ai dû attendre la fin de mon contrat pour partir.

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Je reçois ensuite une proposition de Dover qui, à ce moment-là, était premier de Vanarama National League. Mais le problème c’est qu’ils avaient, beaucoup de joueurs dans leur effectif au moment où j’arrivais. Le coach m’avait dit qu’il voulait me faire à tout prix signer, mais dans le même temps, il me disait d’attendre une semaine car des jeunes joueurs devaient partir en prêt. J’étais confiant. Je prends mon mal en patience, j’attends une semaine, puis deux… Le coach revient me voir en me disant que certains joueurs ne veulent pas quitter Dover. Le problème de ce genre de situation, c’est qu’un joueur peut s’en aller quand il le souhaite, il n’a pas le couteau sous la gorge.

Je sentais dans ses mots qu’il voulait aussi me faire galérer

En arrivant là-bas, j’ai retrouvé un mec avec qui j’avais joué à Oxford City. Il évoluait au même poste que moi. Lorsqu’il m’a vu, il a dû se dire que c’était bizarre. Je vais le voir et je lui dis : “Écoute, je dois signer ici, est-ce que tu peux trouver un autre club ?” Il me répond ensuite qu’il a reçu des propositions, mais qu’il n’a pas forcément envie d’aller dans ces clubs… Je sentais dans ses mots qu’il voulait me faire aussi galérer. Les semaines passent, je ne peux toujours pas signer mon contrat, mais le coach me demande quand même de m’entraîner avec eux. Au bout d’un mois, je vais le voir et je lui dis que je ne peux plus patienter car des joueurs sont toujours là. Le coach est d’accord avec ce que je lui dis et il décide de ne pas me retenir. Mais il garde malgré tout mon contact au cas où des joueurs partiraient dans les jours à venir.

J’ai attendu un peu et finalement, je suis allé à Guiseley. À l’origine, je devais me rendre là-bas avant Dover, mais l’équipe jouait en bas de tableau et je n’avais pas vraiment envie d’y aller. Finalement, je signe et je me retrouve dans un effectif… (soupir) avec peut-être 35 joueurs (rires). Ils avaient viré un coach en cours de saison et c’est le coach en place qui voulait me faire signer. C’était incroyable le nombre de joueurs qu’il y avait à l’entraînement. J’ai commencé à faire quelques matches, mais l’équipe était dans le dur en championnat. Certains joueurs étaient bons, mais le problème c’est que le coach ne savait pas comment nous faire jouer (rires). Il ne savait pas manager. À chaque match, il changeait l’équipe. Au final, il s’est fait virer rapidement alors qu’il avait signé trois ans. Du coup, il est parti avec un bon paquet d’argent.

Je suis parti du club un mois avant la fin du championnat car je ne voulais pas avoir une descente sur mon CV

Le club a ensuite signé un ancien international irlandais en tant que joueur/entraîneur, il venait de la MLS (Major League Soccer/USA), Sean St.Ledger. Pour lui, c’était une bonne opportunité car il était en train de passer ses diplômes pour devenir entraîneur. J’essayais de prendre en compte tous ses conseils. Il avait une solide expérience du haut niveau. Mais dans l’équipe, il n’y avait pas que lui. Je jouais aussi avec John Rooney, le frère de Wayne Rooney. Il avait également une bonne expérience.

Le problème de l’équipe et je me répète, c’est qu’on n’arrivait pas à trouver une alchimie. Des joueurs perdaient la confiance car ils étaient écartés du groupe. Lorsqu’ils arrivaient à l’entraînement, ils ne voulaient pas forcément s’entraîner… Personnellement, je suis parti du club un mois avant la fin du championnat. Je l’ai fait exprès car je ne voulais pas avoir une descente sur mon CV (rires). Mais je ne suis pas le seul à avoir quitté le club, quasiment tous les joueurs l’ont fait à ce moment-là. Ce qui est drôle dans cette histoire, c’est que tous les joueurs ont ensuite retrouvé un bon club en Football League ou en Vanarama National League (rires).

Un passage contrasté à Torquay

Je rejoins alors Torquay United. Le club évoluait en sixième division et venait d’être relégué quand j’arrive à l’été 2018. J’ai réalité une grosse première saison avec eux. L’équipe est parvenue à remonter en Vanarama National League après avoir gagné le titre. J’ai entamé ma deuxième année avec eux et pour être honnête, ça se passe moyennement. J’ai été écarté des terrains pendant plusieurs semaines à cause de deux blessures. Je joue donc un match sur deux.

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Les gens ne comprennent pas forcément quand je leur en parle, mais il faut être là pour le voir. Il y a un peu de racisme, tu te bats contre le système. Dès qu’il n’y a pas un bon résultat, ce sont les étrangers sur qui on rejette la faute. On doit toujours faire le boulot (soupir). C’est ce côté de l’Angleterre qui me déplaît le plus en réalité.

NB : cet entretien a été réalisé à la mi-janvier. Depuis, Jean-Yves Koue Niaté a quitté Torquay United et rejoint Aldershot Town, toujours en Vanarama National League, où il a disputé huit rencontres avant l’arrêt de la saison.

L’intégration en Angleterre

Comme je l’ai dit précédemment, j’ai connu des premiers mois assez difficiles. À Solihull, un joueur français avait signé en même temps que moi, Joël Dielna. On parlait tous les deux en français pour se comprendre et pas en anglais. Je ne repoussais pas mes limites et je me contentais du minimum syndical. J’ai finalement appris l’anglais sur le tas en parlant avec les gens. Ce n’est pas à l’école que je l’ai travaillé… Ce qu’il faut savoir, c’est que j’arrivais mieux à le comprendre au début. Tu n’oses pas vraiment parler, non pas par timidité, mais par peur de ne pas être compris en réalité. Tu es réservé. Tu as du mal avec la conjugaison et la grammaire. Mais au fur et à mesure, je me suis forcé car il y a des codes dans les vestiaires anglais. Tu dois toujours parler dans la langue du pays et non dans la tienne. Au début, tu parles l’anglais comme un Africain qui arriverait en France (rires).

À Guiseley, les gens ont un accent fort, très fort. J’avais vraiment du mal à comprendre ce qu’on me disait

Mais j’ai toujours eu la chance de rencontrer au moins un ou deux joueurs français dans les clubs où je suis passé en Angleterre. On s’entraidait entre nous pour l’acclimatation. En revanche, si je dois choisir une ville où franchement, j’ai eu un mal fou à m’acclimater, c’était à Guiseley. La ville est située à côté de Liverpool, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Là-bas, les gens ont un accent fort, très fort. J’avais vraiment du mal à comprendre ce qu’on me disait. Ailleurs, ça allait mieux.

La solitude ?  Il y en a toujours, peu importe où tu es à l’étranger. Au Liban, je me sentais forcément seul car c’est un pays relativement éloigné de la France. En Angleterre aussi, surtout quand les choses se passent mal sur le terrain. Tu penses parfois à rentrer. Personnellement, je suis quand même une personne forte mentalement. J’ai beaucoup bougé et ça m’a forcément endurci. Je ne lâche pas l’affaire facilement. Cela me donne une source de motivation.

Une amitié tissée avec plusieurs “frenchies”

Ici, je connais pas mal de joueurs francophones et j’ai même tissé des liens d’amitié avec certains comme Nigel Atangana (Exeter City) et Reda Johnson (ex Eastleigh) par exemple. Je m’entends très bien avec eux, surtout Reda car on évolue au sein de la même division (NDRL : Reda Johnson a quitté Eastleigh mi-février et se retrouve actuellement sans club). Pour l’anecdote, mon premier match en Angleterre a été contre Eastleigh. Je me souviens qu’il avait marqué un but de la tête. Pendant le match, je ne savais pas qu’il était français et lui non plus. On se mettait des coups (rires). À un moment donné, je lui ai même fait mal à la cheville et à chaque fois qu’on se voit, on en reparle car il avait vraiment eu mal à sa cheville pendant des semaines (rires). Je m’entends aussi très bien avec Joël Dielna, puisqu’on a joué ensemble à Solihull, Jonathan Kodjia (ex Aston Villa) car il habitait à cinq minutes de chez moi quand je jouais à Solihull, Sol Bamba (Cardiff City), Cédric Kipré (Wigan) car j’ai habité dans le même quartier que lui en France. On essaie de se voir quand on peut car tout le monde a chacun ses matches à jouer. Mais quand on arrive dans la même ville ou une ville non loin de la nôtre, on essaie de s’organiser des sorties ensemble et se voir quelques heures.

Des fans complètement fous

En Angleterre, même en dixième division, tu vas trouver 500 spectateurs qui vont assister aux matches. En France, tu n’auras jamais ces chiffres en CFA par exemple, ou seulement dans de rares exceptions. Ici, ils sont tellement passionnés. Si je vous demande votre équipe favorite en Europe, vous allez me citer une équipe de Ligue 1, de Premier League ou de Bundesliga. Eux, ils supportent des équipes de Football League, de National League ou même des divisions en dessous. Ils sont habités par le club qu’ils supportent. Ils sont là tous les week-ends, ils viennent en déplacement et même quand tu perds, tu sens qu’ils sont toujours derrière toi. Ils sont à l’écoute, ils te demandent des autographes tous les jours. J’ai joué dans pas mal de pays, mais en matière de ferveur, l’Angleterre est largement au-dessus.

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Pour preuve, j’ai eu des chants à mon nom. Si je me souviens bien, les fans chantaient : “Oh Niaté, tu es grand et fort, tu peux mettre la tête et marquer, oh Niaté”. J’ai aussi une belle anecdote sur une petite fille. Elle était amoureuse de moi (rires), elle passait par sa mère pour me demander si j’étais célibataire. Elle m’avait ramené des cadeaux à Noël. Un vieux monsieur avait aussi fait un maillot à mon nom et il m’avait demandé si je pouvais être son fils. Le reste, c’est souvent des photos, des autographes ou des maillots.

Il y avait 7000 personnes dans le stade. Je n’entendais même pas mes coéquipiers

J’ai aussi été surpris de voir autant de monde dans les stades. Je ne m’attendais pas à ça. Bien sûr, j’en avais entendu parler, mais quand tu ne le vois pas de tes propres yeux, forcément tu es plus mesuré. Je me souviens d’un match à Lincoln, où l’ambiance était incroyable. Il y avait 7000 personnes dans le stade alors qu’ils évoluaient en cinquième division… Je n’entendais même pas mes coéquipiers. J’étais choqué. En France, même en Ligue 2, tu n’as pas toujours autant de monde dans certains stades.  À Torquay, on a souvent les fans qui viennent nous voir à l’extérieur. Cela arrive même qu’ils soient 1000-1500 spectateurs en zone away. Tu es là et tu te dis : “Ouah, ils sont beaucoup” alors que parfois, on joue tout au nord du pays. Ils ont quatre heures de route à faire et ils sont quand même là. Donc, forcément, ça te motive encore plus. Tu es reconnaissant envers eux. En France, tu ne verras jamais ça en cinquième division. C’est impossible.

En Angleterre, l’atmosphère est beaucoup plus familiale. Tu le sens dans les tribunes. Au Liban, il y avait aussi beaucoup de monde. Mais là-bas, les fans sont déjantés. Quand tu perds, ils te jettent les sièges des gradins ou des poubelles sur la pelouse. Lors d’un match, la police nous avait escortés jusqu’aux vestiaires et pour sortir du stade. Quand tu vois ça, tu es complètement abasourdi. Les gens sont prêts à tout pour du foot.

Le rapport à la religion

Je suis un musulman pratiquant. J’essaie de faire mes cinq prières par jour. Tu te forces à apprendre chaque jour sur la religion. C’est quelque chose qui m’apaise et qui me garde sur le droit chemin. Comme je suis religieux, je remercie toujours le bon Dieu pour la vie que je mène. Je suis très content de ce que j’ai fait depuis tout petit. En Angleterre, les gens ne sont pas racistes, mais ils me posent parfois des questions sur ma pratique, comment ça se passe et ce que j’ai fait pour respecter mon culte. Parfois, ils me chambrent car je ne fais pas toujours mes prières (rires). Ils ne sont pas fermés ni racistes.

Le coach a proposé d’adapter l’heure du meeting en fonction de notre temps de prière

Quand l’équipe joue à l’extérieur, nous avons souvent des réunions avant le match. Un jour, je me souviens être arrivé en retard avec un autre joueur qui était lui aussi musulman. On était dans la même chambre à chaque fois et donc, il nous arrivait de prier. Ce jour-là, on était arrivés deux minutes en retard et une fois face au coach, il a demandé ce qu’on était en train de faire. Je lui avais alors dit que ce retard était dû à nos prières. Les autres joueurs s’étaient bien marrés, mais pas vraiment le coach. Il nous avait alors proposé, pour ne plus arriver en retard, d’adapter l’heure du meeting en fonction de notre temps de prière.

Les différences religieuses dans les pays où je suis passé ? Au Liban, le pays est très religieux. Il y a des athées, des chrétiens, des musulmans. Je me souviens que le président de mon club venait prier au coup d’envoi avec l’équipe sur le terrain. On citait un verset du Coran. Il y avait également des salles de prière avant et après la rencontre. Cela n’avait rien à voir avec les autres pays. En France, ça dépendait de l’endroit, à Paris forcément, mais dans le Sud de la France aussi. J’allais prier avec d’autres joueurs dans une mosquée à Cannes tous les vendredis. En Angleterre, dans toutes les villes où je suis allé, il n’y a pas vraiment de musulmans. Tu pries davantage chez toi.

Entretien réalisé par Thomas Bernier et Téva Vermel le lundi 13 janvier 2020

Jean-Yves Koue Niaté est à retrouver dans le webdocumentaire Outsiders : https://app.racontr.com/projects/outsiders/

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