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Championnat ennuyeux régi par les réminiscences du catenaccio, sélection à bout de souffle tenue par d’éternels vieux briscards et manque d’investissement des clubs et instances pour faire émerger de jeunes talents : le football en Italie semble enfin décidé à en finir avec son image vieillissante et à retrouver sa grandeur perdue.
A quelques exceptions près, la sélection nationale peut représenter la bonne santé footballistique d’un pays. En Italie, il y avait visiblement un moment que la maladie couvait. Hormis un fantastique Euro 2012 sous l’impulsion d’une poignée d’individualités au sommet de leur forme, la Nazionale n’arrive plus à figurer parmi les équipes qui comptent vraiment lors des tournois internationaux depuis plus de 10 ans. A la base de tout, l’un des premiers grands problèmes du championnat depuis fort longtemps: le rapport à la jeunesse. Historiquement, la Serie A est le refuge des presque-quarantenaires, le fief des vieux briscards, la cure de jouvence des grands joueurs en fin de parcours. La raison, un football réputé pour sa légendaire rigueur tactique et sa science défensive qui impliquent une maturité que l’on ne met que très rarement au crédit d’un joueur de 22 ans si bon soit-il.
En conséquence, l’Italie peine à trouver le sang neuf qui devrait lui redonner des couleurs. Alors elle tire sur la corde des De Rossi, Buffon, Chiellini, Barzagli, Pirlo et consorts, la génération des champions du monde 2006 ou grands joueurs de cette génération révélés dans la foulée de ce sacre mondial. Pour remplir autour d’eux voire les remplacer au fur et à mesure qu’ils quittent la sélection, elle s’appuie sur ce qu’elle pense être la nouvelle vague de talents du pays. Des talents qui au final n’atteignent jamais la cheville de leurs illustres prédécesseurs pour diverses raisons. Pur manque de talent, manque de compétitivité d’un championnat bien loin de ses grandes heures ou tentative de fuite vers l’étranger malvenue: les Parolo, Bernardeschi, Zaza, Florenzi, Candreva, De Sciglio, El Shaarawy, Balotelli et autres n’atteignent jamais le top niveau, sans compter les Belotti ou Berardi restés bloqués au seuil de « bons joueurs » en raison de leurs choix de carrière.
Par ailleurs, certains cherchent à échapper au marasme du foot local en tentant l’expérience étrangère, mais se heurtent alors au mur de l’écart grandissant entre la Serie A et un football bien trop différent. Si Immobile ou Darmian illustrent bien cette idée, Marco Verratti est un parfait exemple de ce qui ne va plus de l’autre côté des Alpes. Au moment de son explosion et de la montée de Pescara dans l’élite, l’Italie n’est simplement pas capable de le retenir. Hormis la Juventus où la concurrence s’annonce monstrueuse, l’élite italienne est à genoux. C’est le début du déclin du Milan, l’Inter est déjà disparu des radars, et le reste du haut du tableau est occupé par l’Udinese ou la Lazio. Verratti part alors pour Paris, où il découvre le haut niveau. Mais dans un jeu et un environnement tellement aux antipodes de ce qui se fait en Italie qu’il ne convainc jamais en sélection.
Jusqu’à aujourd’hui, seules trois références sous le maillot bleu subsistent et rappellent qu’il a encore tout à prouver en sélection: sa sortie en première mi-temps lors du match contre l’Angleterre dans l’enfer de Manaus en 2014, laissant à Pirlo et Marchisio le soin de porter les Azzurri, son humiliation par Isco lors de la déroute pour les qualifications au mondial 2018 contre l’Espagne, et enfin son carton jaune stupide si caractéristique obtenu lors du match aller des barrages pour le même mondial face à la Suède, le privant du tragique match retour et poussant l’incroyable Giampiero Ventura à faire entrer Lorenzo Insigne à son poste. Unique potentiel grand talent de l’équipe à ce moment-là, au manque de maturité criant de surcroît, il cristallise à lui seul la frustration de tout un pays de ne plus réussir à sortir de vrais talents dans le contexte du traumatisme du non-mondial 2018. « Certains en parlent comme d’un futur Top 5 du Ballon d’Or, mais hors du cocon parisien il n’est qu’un poisson hors de l’eau » critiquera la Gazzetta Dello Sport après la défaite en Suède (1-0).
Le contexte de l’échec 2018 met plus largement en lumière toute l’obsolescence du calcio due à des années de paresse, de conservatisme et d’orgueil mal placé concernant la politique sportive nationale. Les vieux sénateurs aux commandes des instances depuis des années quittent le navire, le pays se rend enfin compte de la faiblesse de son football et réclame du changement. Pendant que 32 nations se disputent le Graal en Russie le même été, l’Italie se retrouve sans sélectionneur, sans président ni à la fédération, ni à la Lega Serie A, ni à la Lega Serie B, et sans diffuseur pour le championnat à venir.
Pour faire court, il y a tout ou presque à revoir dans la façon de penser le football côté italien. Aujourd’hui, la voie à suivre semble être représentée par des façons de faire dépeintes comme marginales ou farfelues il y a encore peu de temps. Des tendances incarnées par des visages bien précis. Par ailleurs, la Juventus elle-même s’est remise en question sur sa façon de voir les choses malgré sa domination totale de la dernière décennie. De quoi forcément inspirer ses concurrents plus ou moins proches.
Penser au jeu différemment n’est pas chose aisée quand votre façon de faire vous a porté sur le toit du monde 4 fois et que votre fierté sans doute un peu mal placée vous conforte dans l’idée que c’est vous qui inspirez les autres et pas le contraire. Parmi ceux qui s’émancipent de cette pensée, il y a Roberto De Zerbi. L’entraîneur de Sassuolo est, à 40 ans, présenté comme le visage de la nouvelle génération d’entraîneurs italiens. Son succès et celui assez bluffant de son équipe, il le tient en partie de sa carrière de joueur et à son ouverture d’esprit. Parti pour le CFR Cluj en 2010, sa seule expérience à l’étranger en fin de carrière, il explique y avoir eu « le déclic ».
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Le climat peu accueillant de la Roumanie encourageant à rester chez soi, il y dévore match après match, étudie le rôle d’entraîneur, le tout en pleine période de domination du Barça de Pep Guardiola. Dans le quotidien de son club, il se prend au jeu d’assimiler la façon de concevoir le foot de chacun de ses coéquipiers, venus de tous horizons: Europe de l’Est, Portugal, Afrique, Amérique du Sud. Par la suite, il s’ouvre aux philosophies des autres coachs, ceux qui font le football européen, en partant de Guardiola donc, jusqu’à Mourinho. L’objectif étant de sortir des œillères du foot italien: « Quitter mon pays m’a fait comprendre qu’en Italie, nous n’étions pas forcément en avance sur les autres dans tous les domaines. Sur certains points, peut-être, mais sur bien d’autres, nous étions en retard. » Pas un hasard si son équipe détonne: pas de très grands noms, un effectif construit à travers une méthode de trading de joueurs moderne, et l’idée d’être maître du ballon ainsi que du jeu. Deux mots d’ordre: l’organisation et le divertissement. Ce deuxième point, presque une hérésie dans la tradition italienne mais qui trouve écho auprès de quelques coachs issus de l’ancienne génération ayant toujours été considérés comme « à part » ou n’ayant pas eu la carrière qu’ils auraient méritée.
C’est bien sûr le cas de Gian Piero Gasperini, lui qui avec son équipe de l’Atalanta émerveille l’Europe par son jeu flamboyant. Par le passé, il était juste impossible pour lui de réussir parmi les top clubs. En atteste son expérience à l’Inter, son seul passage en tant que numéro un chez un tel géant. Bilan ? Mis à la porte après cinq rencontres, Massimo Moratti ayant pris peur devant le jeu un peu trop fou du Mister et dont la mise en place demandait un peu de temps, lui préférant le plus traditionnel Claudio Ranieri. Une expérience que ne regrette pas vraiment le Gasp’ au vu de ses propos: « L’Inter est un club qui n’a aucun projet sportif. Beaucoup de conneries ont été dites […] Il n’y a eu aucun respect de mes choix et de mes idées. » Frappant quand on sait qu’aujourd’hui l’Europe entière boit la moindre de ses paroles et que toute la profession salue un de ses représentants exemplaires.
L’Atalanta, c’est aussi un modèle de gestion pour les nombreux clubs aux moyens limités comme on en trouve beaucoup en Serie A. À l’instar de Sassuolo, l’objectif est de valoriser les jeunes joueurs du centre de formation à travers un jeu attrayant. Si l’intégration à l’équipe première sera de plus en plus difficile au fur et à mesure que la Dea se rapproche des sommets, il sera toujours facile de trouver acheteur pour les jeunes pousses nerazzurre. Et ainsi permettre au club de se structurer. Un système à l’équilibre qu’il peut être difficile de maintenir dans le cas où la direction sportive du club et l’homme assis sur le banc ne sont pas des plus adéquats. Dans ce schéma, Gasperini est comme un poisson dans l’eau.
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L’Inter est peut-être historiquement un mauvais élève de la vision à long terme, ce n’est pas le cas de son rival Juventino. Étant pourtant le club le plus « italien » qui soit, très attaché à sa philosophie de victoire à n’importe quel prix et peu importe la manière, le voilà à l’avant-garde de ce nouveau football sur bien des aspects. Il est peu dire que l’annonce de l’arrivée sur le banc de Maurizio Sarri en remplacement de Max Allegri fut un tremblement de terre. Passer du toscan qui enjoint « ceux qui veulent du spectacle » à « aller au cirque » au Napolitain fervant défenseur de l’idée que le beau jeu doit être une priorité est un choc qui dépasse même l’antagonisme Juventus-Napoli. Même si cette saison le jeu n’était pas si « beau » que promis, quand le boss Agnelli déclare que la Juve, en plus de gagner, doit devenir « une société de divertissement » pas de doute: le virage est amorcé.
Dans la logique des choses, à Turin aussi on a compris qu’il est temps de s’adapter à un football qui sans la jeunesse ne peut être pleinement. Dans cette optique, Alessio Musti, ex sélectionneur de la Nazionale Futsal débarque, avec dans ses valises un projet de formation bicéphale pour les jeunes. Football et futsal au programme de 7 à 14 ans, de quoi développer de façon exponentielle la personnalité des jeunes bianconeri. Un exemple à suivre partout tant les résultats sont garantis. De plus, la Vieille Dame est encore une fois la première à avoir envoyé son équipe U23 en Serie C, lancée hors du grand bain du championnat fermé de Primavera pour la première fois cette année. Résultat: une Coppa Italia Serie C gagnée, un quart de finale de playoffs atteint, et surtout un véritable contact au football professionnel pour les espoirs du club, hors du cocon du championnat des réserves. Et pour faire bonne mesure, cette équipe sera dirigée l’an prochain par Andrea Pirlo. Nul doute que la Juve va former à la maison un coach à l’image qu’elle souhaite lui donner: qui prône le résultat par un jeu plus attractif qu’à l’accoutumée, avant sans doute de lui confier les rênes de l’équipe pro. Assurément programmé pour rejoindre la première ligne des coachs italiens 2.0.
Si les clubs vont vraisemblablement suivre le même mouvement petit à petit, quid de la sélection ? Un homme s’est dédié à ce problème, Roberto Mancini. Ancien Mister de l’Inter ou de Manchester City, quelque peu sorti des radars depuis ses années russes et turques, il a choisi de prendre le poste de sélectionneur au moment où les grands noms n’en voulaient pas. Objectif: rebâtir une équipe de A à Z. Dans cette optique, il aura multiplié les listes élargies à plus de 30 joueurs et les stages « de détection » à Coverciano avec pour objectif de trouver les nouveaux cadres de son équipe, accompagnant les quelques rescapés de 2018 évoluant au top niveau comme Verratti, Insigne ou Jorginho. Mancini pioche alors à tous les niveaux de la Serie A, de la première à la dernière place, et jusqu’à la Serie B dans le cas de Sandro Tonali.
Oui, enfin le pays dispose de talents qui ne demandent qu’à redresser le pays: Zaniolo, Barella, Chiesa, Tonali, Donnarumma, Kean, Castrovilli, Orsolini et consorts deviennent tous internationaux et finissent en apothéose une campagne de qualifications européennes quasi-parfaite par un succès 9-1 sur l’Arménie. De la jeunesse, quelques cadres d’expérience, de l’enthousiasme et un jeu à l’image de ce que produisent de plus en plus les clubs pour se réconcilier avec le public italien à chaque sortie sur le territoire. Une sélection italienne qui dit adieu à ce qu’il restait du catenaccio, un tournant majeur dans son histoire. Et pourtant à l’image d’une Serie A où les derniers adeptes du jeu fermé végètent en queue de peloton ou au rang des éternelles déceptions comme le Torino ou l’Udinese.
…Il revient au galop. Son mode de pensée archaïque tellement plus simple à ressortir pour critiquer que pour agir avec lui. Là où beaucoup voient en Gasperini un professeur du nouveau football, certains continuent de grincer des dents jusque parmi les médias italiens, pourtant vecteurs de l’image que l’on donne au calcio. Exemple lors de la victoire sur le Torino: l’Atalanta mène 0-5. Robin Gosens sort, remplacé par Luis Muriel, qui ajoute deux buts. Faire entrer un autre attaquant malgré la victoire acquise ? La vieille garde du football transalpin grince des dents, y voyant hérésie, humiliation, irrespect, là où le public y voit du spectacle.
Autre signe que l’incompréhension ou la peur prédomine encore devant le changement et le saut dans l’inconnu, la tendance à ne pas franchir le pas vers une politique sportive plus adaptée à notre ère. Comme Moratti qui n’avait pas su voir plus loin que le bout de son nez à l’époque, le Genoa a donné les clés à Thiago Motta avant de rebrousser chemin en moins de deux mois. Idem pour Fabio Grosso à Brescia. Au Torino ou à Udine, où l’on ne se risque absolument pas au jeu, le maintien n’est dû qu’à la trop grande faiblesse des promus sur tous les plans. Crotone, SPAL, Brescia, Lecce ou autre Benevento précédemment, tous avaient les épaules trop frêles notamment économiquement pour venir contredire des gestions d’un autre temps.
Parmi les gros aussi la peur existe, et le manque de lucidité à la gestion. L’arrivée de Ralf Rangnick au Milan aurait pu représenter un tournant énorme dans l’histoire milanaise, et enfin donner du sens à une gestion qui n’en a pas depuis une décennie. Projet balayé par un bon mois de compétition dans un contexte unique, menant à la prolongation de Stefano Pioli. Heureusement ou malheureusement, on trouve encore pire plus haut, à la fédération. Où le président Gravina songerait fortement à mettre Roberto Mancini sous la tutelle de Marcelo Lippi. Pourquoi faire ? Aucun intérêt sportif, strictement aucun. Juste la peur face au changement de visage de la sélection. Et désormais le risque d’un conflit diplomatique au sein même de la Nazionale. Autant de signes que le changement, même s’il est difficile, est néanmoins réel et en cours. On n’arrête pas le progrès. Et bientôt, on n’arrêtera plus l’Italie.
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