Israël-Palestine : Le football comme instrument politique ? | OneFootball

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·17 août 2021

Israël-Palestine : Le football comme instrument politique ?

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Le 20 mai 2015, lors d’une visite en Palestine, Joseph Blatter, alors président de la FIFA, fait une proposition au président de l’Etat de Palestine Mahmoud Abbas. Organiser un match “pour la paix” contre l’équipe d’Israël. Suite à cette déclaration Jibril Rajoub, le président de la Fédération Palestinienne de Football a décliné l’invitation. Ce refus, même s’il est porteur d’espoir, n’a rien d’anodin. En effet, il s’inscrit dans un contexte géopolitique pour le moins conflictuel qui dure depuis déjà un peu plus d’un siècle entre la Palestine et Israël. Retraçons ensemble l’histoire footballistique de cette relation complexe mais non moins intéressante.

“C’est une idée que j’aime et que je soutiens, et j’aimerais que nous puissions le faire dès demain. Mais il faut préparer le terrain pour ça. Il faut préparer l’environnement et ce match ne peut arriver qu’en bout de course”Jibril Rajoub, président de la Fédération Palestinienne de Football

Histoire d’un conflit qui dure

Pour commencer, revenons brièvement sur ce conflit qui électrise le Moyen-Orient depuis la première moitié du XXe siècle. Sur ce territoire méditerranéen situé entre l’Egypte, la Syrie et la Jordanie, deux peuples nationalistes très différents luttent pour revendiquer leur place sur ce même territoire. Cela donne lieu à des guerres, des émeutes et autres révoltes, parfois (souvent) violentes et meurtrières. En 1947, l’ONU s’en mêle et impose un plan de partage du territoire censé apaiser les tensions. Quelques mois plus tard, l’Etat d’Israël est proclamé et déclaré indépendant. Au vu du partage en question, les réactions des deux camps se sont avérées bien opposées. On peut facilement dire que l’apaisement espéré n’a pas eu lieu. La communauté palestinienne a jugé ce partage comme totalement inégal, profitant aux Israéliens, et l’a fait savoir. C’est le début d’une guerre civile ultra-violente qui mènera à la première guerre Israélo-Arabe.


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Si elles n’ont pas toujours été aussi violentes, les relations entre Israël et la Palestine ont été et sont toujours tendues, particulièrement sur le plan diplomatique. Ces dernières semaines, la situation a empiré, donnant lieu à des bombardements et heurts meurtriers. Il faut aussi dire que ce conflit à la base régional s’est vu transposé à l’échelle mondiale. Il représente un enjeu crucial pendant la Guerre Froide notamment, et l’est encore aujourd’hui. Les Etats-Unis sont par exemple très proches de l’Etat d’Israël.

En lisant cette histoire de guerres, d’émeutes, d’attentats, le football nous semble bien dérisoire et on l’y voit difficilement jouer un quelconque rôle. D’autant plus en ce moment, dans un contexte d’affrontements meurtriers. Et pourtant si, le football fait bel et bien partie de tout ça. Dans quelle mesure? C’est ce que nous allons voir dans cet article… Alors bien sûr, le ballon rond n’a jamais été au centre même des tensions. Toutefois, il y a bien pris part, parfois comme un signe d’espoir, souvent comme un instrument politique.

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La guerre des Six Jours en 1967 ou le renforcement de la puissance d’Israël

L’équipe nationale d’Israël : Un développement plus que tendu

Nous sommes en 1929, la Palestine est alors sous mandat britannique. Cela n’empêche pas la population de créer l’Association Palestinienne de Football. Elle comprend des clubs ‘arabes’, ‘juifs’, et mêmes britanniques (pour les soldats et officiers présents sur place). Une équipe nationale est même créée, sous le nom de l’équipe nationale de la Palestine mandataire. Celle-ci n’est composée que de joueurs juifs. Cela s’explique par le fait qu’elle était gérée par une autre institution, à savoir la Fédération d’Israël de Football. Dans les années 30, il n’y avait pas de clivage réel entre ces communautés. En revanche, on décèle déjà une certaine ambiguïté institutionnelle entre les deux. Peut-être (sûrement) annonciatrice d’une désunion future.

Cette équipe joue cinq matches internationaux en l’espace de six ans, dont le premier perdu contre l’Egypte en 1934. Le résultat est sans appel : 7 buts à 1 pour les Égyptiens. Ceci-dit, on peut imaginer que le score n’était que minime, comparé au symbole que représentait le fait d’aligner une équipe nationale. Aussi, parmi ces cinq matches eut lieu une rencontre amicale contre le Liban, pays arabe. Quand on connaît la suite des rapports entre les communautés juives et arabes, c’est un match assez fort symboliquement, même s’ils n’en étaient pas conscients à l’époque.

Par ailleurs, lors de ces cinq matches, trois hymnes étaient chantés à l’entrée des deux équipes : Le fameux “God Save the Queen” britannique, un hymne chanté en hébreu (qui deviendra l’hymne officiel d’Israël). Evidemment, l’hymne de l’équipe adverse était aussi joué.

Cinq matches joués donc entre 1934 et 1940. On peut facilement imaginer que la Seconde Guerre Mondiale a marqué un coup d’arrêt dans cette progression. Il faut attendre 1948 et la proclamation de l’Etat d’Israël pour que cette équipe nationale ne devienne officiellement l’Équipe Nationale d’Israël. Pour la petite histoire, cette équipe a disputé son premier match contre l’équipe olympique Américaine le 26 septembre 1948. Si cette opposition s’est soldée par une défaite 3 buts à 1, encore une fois ici, le symbole était probablement plus significatif.

Asie ou Europe?

La Fédération d’Israël de Football fait partie des fondateurs de la Confédération Asiatique de Football (créée en 1954), l’équivalent de l’UEFA en Europe. Les résultats sont plus que satisfaisants (trois finales de coupe d’Asie des Nations, dont une remportée en 1964). Néanmoins la situation du pays dans la confédération s’est vite retrouvée pour le moins conflictuelle.

Pour cause, de nombreux boycotts des autres pays asiatiques (particulièrement arabes et/ou majoritairement musulmans comme l’Indonésie ou l’Egypte, des pays qui en plus étaient associés au bloc communiste pendant la guerre froide, à l’inverse d’Israël). Ces boycotts, et donc ces victoires israéliennes sur tapis vert, ont presque emmené le pays en Coupe du Monde 1958 sans jouer aucun match de qualification. C’était sans compter sur la FIFA qui est intervenue en organisant un match particulier, une sorte de barrage inédit entre Israël et le Pays de Galles. Les Gallois ont remporté cette double-confrontation. Ils se sont donc rendus en Suède pour disputer la Coupe du Monde, au détriment de l’équipe israélienne.

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L’Equipe Nationale d’Israël en 1970

On l’aura compris, la présence d’Israël dans cette Confédération Asiatique de Football n’a pas arrangé les tensions politiques entre l’Etat Israélien et les pays arabes (solidaires avec la communauté Palestinienne). Tout en sachant que les années 60 ont été très violentes entre ces deux communautés. Boycotts, matches annulés, pression forte des pays arabes… Tant d’évènements qui ont mené la confédération à prendre des décisions fortes envers Israël.

C’est pourquoi en 1974, le pays est exclu de la Confédération Asiatique de Football, et joue son dernier match en finale de coupe d’Asie, ironie du sort, à Téhéran (Iran), devant des dizaines de milliers de spectateurs. Si ce match a bien eu lieu, il s’est avéré plus que tendu, et s’est terminé sur une victoire iranienne sur le plus petit des scores : 1-0. On voit bien ici à quel point le football n’est pas indépendant des conflits. Au contraire, il constitue un important instrument politique (boycotts…).

Comme un symbole, la Fédération Israélienne de Football s’est donc retrouvée complètement isolée. Pendant plus de quinze ans, l’équipe dispute des matches ici et là, sans participer à aucune compétition majeure. D’abord avec les équipes de la zone Europe, puis en Océanie, sans pour autant faire partie d’une ou de l’autre institution. C’est en 1994 qu’Israël devient officiellement membre de l’UEFA, d’où sa participation aux compétitions européennes, malgré l’éloignement géographique.

Les clubs comme outils politiques implicites

Nous avons parlé de l’équipe nationale et de la fédération. Maintenant, nous allons voir que les tiraillements ne s’expriment pas qu’à l’international. On voit cela aussi à l’échelle locale, des clubs, des supporters… Nous l’avons évoqué, en 1948, la première guerre Israëlo-Arabe fait rage. Celle-ci eut un impact terrible sur le football à petite échelle. Surtout pour les Palestiniens, compte tenu des dégâts matériels et humains. La grande majorité des clubs “arabo-palestiniens” présents sur le territoire sont détruits.

Au cours des années, des décennies suivantes, l’Etat israélien a vu le sport, et en particulier le football comme un parfait outil stratégique. Un outil de contrôle dans un sens, envers les minorités arabes présentes en Israël, et ce, par le biais de clubs institutionnalisés. C’est pourquoi à partir du début des années 60, on a vu fleurir de nombreux clubs ‘arabes’ en Israël. Par exemple, le Bnei Sakhnin FC, qui est d’ailleurs le premier club à avoir remporté la coupe d’Israël, en 2004.

L’Etat d’Israël a supprimé les sanctions concrètes envers les joueurs arabes en cas de “rébellion”, de “protestation” ou autres. En revanche, on retrouve des sanctions bien en vigueur mais implicites et cachées. Exemple, la menace de ne pas être appelé en équipe nationale, ou de ne pouvoir être recruté par un club juif.

On l’aura compris, il n’est pas rare de voir s’affronter des clubs à connotation juive et des clubs dits ‘arabes’. Les supporters palestiniens n’ont pas le droit de rentrer au stade avec des symboles nationalistes. En revanche, les provocations et tensions au sein des tribunes entre les deux camps sont fréquentes. Notons tout de même que les vrais dérapages violents sont assez rares. Ainsi, des clubs arabes et juifs ont pu cohabiter, oui. Mais cela s’est toujours fait dans des optiques politiques, parfois implicites, mais bien présentes.

Ceci témoigne que “le sport comme substitut à la guerre” est un thème trop réducteur pour décrire le paysage sportif en Israël.Sorek, T. (2012). Le sport en Israël-Palestine : un conflit désamorcé ?. Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2(2), 47-52.

Qu’en-est-il aujourd’hui?

Aujourd’hui, le conflit est peut-être d’un autre ordre (diplomatique plus que guerrier). Or, il est encore bien visible, et demeure toujours un enjeu géopolitique considérable. Encore une fois, on le ressent dans le football. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Palestine, par l’intermédiaire de son président de fédération Jibril Rajoub, a refusé la proposition d’un “match pour la paix” contre Israël. S’il ne voit pas ce match d’un mauvais œil (au contraire), il y est réticent tant que certaines conditions ne sont pas remplies.

La Palestine a un certain nombre de revendications qui prouvent que les relations Israélo-Arabes dans le football ne sont pas au beau fixe. Parmi ces revendications faites à la FIFA et au premier ministre Israélien Benjamin Netanyahu, on retrouve notamment la suspension de la Fédération d’Israël de Football, ainsi que l’exclusion de leur équipe nationale de toutes les compétitions internationales (qui seront rapidement retirées). Ces revendications fortes ne sont pas le fruit du hasard. Elles font suite à de nombreuses restrictions d’Israël envers les joueurs arabes notamment (contrôles sans fin par l’armée Israélienne, interdictions de déplacements, parfois même emprisonnements).

Autre objet de revendication, l’impunité dont jouissent certains clubs juifs ouvertement racistes. Prenons l’exemple d’un club : le Beitar Jérusalem. L’actuel 8ème du championnat israélien est connu pour son appartenance d’extrême-droite assumée, par exemple dans les tribunes (chants racistes, anti-arabes…). D’ailleurs, le club s’est vu retirer deux points au classement (lors de l’exercice 2014-2015). Une maigre consolation pour les Palestiniens, qui en attendent bien plus. La Palestine et ses représentants sont bien décidés à faire en sorte que ces revendications soient entendues et transformées en mesures fortes à l’encontre d’Israël.

“Il n’y aura pas de compromis sur la liberté de nos athlètes et de nos responsables “Jibril Rajoub, après la rencontre de son président Mahmoud Abbas avec Josepp Blatter le 20 mai 2015.

Benjamin Netanyahu s’est à ce propos “engagé” à faire avancer la situation dans le bon sens. C’est un signe que l’espoir d’un apaisement des tensions par le football est mince et peut-être quelque peu utopique, mais toutefois pas complètement inconcevable.

Des tensions avant la Coupe du Monde 2018

On est quand-même loin de l’apaisement. Pour preuve, cet événement significatif en 2018, quand la population Palestinienne, encouragée par Jibril Rajoub, a manifesté dans le but de faire annuler le match de préparation à la coupe du monde entre Israël et l’Argentine. Des milliers de Palestiniens dans les rues de Jérusalem demandent à Lionel Messi et ses coéquipiers de ne pas prendre part à ce match. Ils accusent Israël d’être un État colonisateur, proclamant Jérusalem comme capitale Palestinienne et non Israélienne. Cette forte action populaire a porté ses fruits, puisque la fédération argentine a finalement décidé de faire annuler le match. L’occasion de voir encore comment, à travers le football, des messages politiques très forts sont envoyés.

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Affiches de manifestants palestiniens pour faire annuler le match opposant Israël à l’Argentine

En bref, le conflit israélo-palestinien est long, intense, et sûrement pas prêt de s’achever. Surtout, il est frappant de voir à quel point les tensions se ressentent dans de très nombreux domaines, en l’occurrence ici le football. Dans ce contexte géopolitique fort, le football est un véritable outil stratégique politique. On le préfère comme simple sport collectif à ballon rond, mais on ne cessera jamais de répéter à quel point son impact politique, diplomatique, symbolique est très loin d’être négligeable.

Alors bien sûr, il y a quelques signes d’espoirs dans le football israélo-arabe. On pense aux rapprochements diplomatiques entre clubs, des joueurs juifs dans des clubs arabes et inversement. Ceux-ci demeurent encore beaucoup trop insuffisants et minimes pour envisager une amélioration nette des relations entre ces deux communautés, du moins sur le court-terme. Au vu de la situation politique de ces dernières semaines, on peut imaginer que le football passe au second plan. Le “bout de course” évoqué par Jibril Rajoub paraît donc encore loin, mais on espère un vrai “match pour la paix” le plus tôt possible.

Crédits photos : IMAGO / AFP / Reuters / Getty Images

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