Furia Liga
·24 octobre 2020
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·24 octobre 2020
Alfonso Pérez a été formé au Real Madrid et a également joué au FC Barcelone : l’ancien attaquant international était donc tout indiqué pour évoquer le Clásico de ce samedi, dans un contexte très particulier pour les deux équipes. Mais vu qu’on était en compagnie d’une référence du football espagnol, on n’a pas pu résister à évoquer avec lui le Betis, Luis Aragonés, l’Euro 2000, son passage à l’OM, le niveau actuel et le stade de Getafe qui porte son nom. Interview XXL avec l’homme aux chaussures blanches.
Entré à La Fábrica du Real Madrid à 13 ans, Alfonso Pérez a fait ses classes avec le Castilla avant d’intégrer l’équipe première qui comportait 4 des 5 membres historiques de la Quinta del Buitre composée d’Emilio Butragueño, Míchel González, Rafael Martín Vázquez, Manolo Sanchís et Miguel Pardeza (parti en 1987). En attaque, outre El Buitre Butragueño, Alfonso fait équipe avec Hugo Sánchez, membre éminent de la Quinta de los Machos comme avait surnommé le Mexicain le groupe de joueurs plus âgés (José Antonio Camacho, Paco Buyo, Antonio Maceda et Rafael Gordillo) du Real Madrid, ainsi que deux autres jeunes : Juan Esnáider et Ismael Urzaiz.
Au Castilla, vous avez côtoyé Vicente del Bosque comme entraîneur. Vous avez été à bonne école pour apprendre le métier, une figura madridista et un précurseur.
Il y a toujours eu de bons entraîneurs au Real Madrid. La philosophie de jeu que nous avions avec Vicente comme directeur de la cantera et comme entraîneur par la suite était très bonne. A cette époque déjà avec lui nous avions des entraînements spécifiques pour les attaquants et avec les joueurs les plus talentueux du centre de formation. Aujourd’hui, c’est une chose qui est habituelle et normale dans les clubs mais nous le faisions déjà au Real Madrid il y a 25 ans. C’était novateur de s’occuper de la sorte des joueurs qui avaient plus de projection vers l’avant. C’est très important d’effectuer ce travail spécifique pour les attaquants pour améliorer leurs capacités, corriger les erreurs et progresser. C’est un travail qui se fait aussi ligne par ligne, comme avec les gardiens pour étudier les mouvements, les anticipations des défenseurs centraux, le travail des milieux de terrain. Ce sont toutes les facettes qui arrivent pendant un match où toi tu peux travailler avec ton entraîneur avec ces exercices de déplacements, en fonction de la position et du type de joueur dont il s’agit.
Vous avez aussi été formé par Mariano García Remón (surnommé El Gato de Odessa, souvent considéré comme le meilleur gardien de l’Histoire du Real Madrid jusqu’à Iker Casillas, ndlr) : vous a-t-il aidé à mieux comprendre les mouvements en défense ?
C’est surtout par rapport à la compréhension de ce qu’est un gardien en lui-même. Mariano était un grand gardien et il savait beaucoup de choses sur le football. Logiquement, avec son expérience et l’aide qu’il pouvait transmettre aux gardiens de l’équipe, notre niveau en attaque augmentait par voie de conséquence.
Quand vous passez professionnel, il y a deux monuments en attaque : « El Buitre » et « Hugol ». Difficile d’imaginer meilleures inspirations au quotidien !
Au niveau personnel, Emilio Butragueño a toujours été d’une grande aide avec moi. J’étais un garçon de 18 ans et il me donnait de nombreux conseils. Également, voir comment Hugo Sánchez enchaînait les frappes pendant et après les entraînements ainsi que son professionnalisme, c’était un bon reflet des efforts qu’il fallait fournir pour devenir professionnel. Ils ont été mes professeurs quand j’ai débuté au Real Madrid. Leur expérience m’a beaucoup servi.
Hugo Sánchez, c’était la définition même de l’olfato, le flair du buteur.
Il était très intelligent dans la surface de réparation. Il pouvait frapper dans n’importe quelle position et sans parler de son jeu de tête. Il était toujours là où le ballon retombait pour tirer ou pousser au fond. C’était l’attaquant typique, il ne pensait qu’au but et il marquait à chaque fois.
Merengue de formation, Alfonso Pérez a porté le maillot du FC Barcelone pendant 18 mois, de juillet 2000 à janvier 2002. Son passage chez le rival historique, malgré un intermède de 5 ans au Betis, a provoqué quelques remous. L’attaquant a également participé à un Clásico particulièrement marquant : celui où Figo a failli recevoir une tête de porc sur la tête. Ce soir-là, Alfonso est entré à la 73e minute à la place de Luis Enrique (lui aussi passé du Real Madrid au FC Barcelone mais directement) et a adressé une passe décisive à Simao Sabrosa, auteur du 2e but blaugrana.
Y a-t-il des différences entre préparer un Clásico avec le Real Madrid quand on a été à la Fábrica et quand on porte ensuite le maillot du FC Barcelone ?
On le vit de la même manière. Il s’agit de grandes équipes, souvent les deux seules à pouvoir remporter la Liga. Il y a aussi toute la répercussion médiatique, même si actuellement il ne peut pas y avoir de public, il y aura beaucoup de monde pour le suivre à la télévision. De l’intérieur, on le vit avec beaucoup d’intensité et de passion tout au long de la semaine.
Vous avez participé il y a quasiment 20 ans pour jour pour jour au Clásico del cerdo, avec la tête de porc jetée sur Luis Figo au Camp Nou. Quelle était l’ambiance ce soir-là vu du terrain ?
Il y avait beaucoup de tensions en raison des circonstances. Luis Figo avait signé au Real Madrid alors qu’il était une personne très aimée et très représentative du vestiaire du FC Barcelone. Florentino Pérez a été très habile pour le ramener à Madrid et tout le stade était très crispé pour ce qui était arrivé. Mais finalement ce qui compte c’est ce qui se passe sur le terrain et aujourd’hui Figo vit à Madrid avec sa famille et il reste un très grand joueur, reconnu partout dans le monde.
C’était aussi une preuve d’amour pour Figo, un amour trahi parce que c’était le meilleur joueur du Barça
Je crois que cela a évolué. A mon époque, quand tu passais d’un camp à l’autre, c’était très mal vu, c’était une trahison. Aujourd’hui, les gens ont évolué et il n’est pas rare qu’un joueur, quand il revient dans son ancien stade, soit applaudi car on reconnaît les efforts et le travail qu’il a réalisés quand il portait ce maillot. Avant, on t’appelait « pesetero ». A présent, les supporters ont intégré qu’il y avait toujours des transferts et beaucoup de changements de joueurs. Ce qui est amusant, c’est que des journalistes nous appelaient « peseteros » mais eux ne se sont pas privés non plus de changer de journal, de radio ou de télévision et on ne leur a jamais rien dit !
Quand vous avez signé au Barça, vous faites une confession en conférence de presse : quand vous aviez 9 ans, vous étiez pour le FC Barcelone. Vous avez même eu droit à une polémique absurde.
Mais c’était la vérité ! Mon meilleur ami était pour le FC Barcelone alors moi aussi j’étais pour le FC Barcelone. Et quand je suis entré au Real Madrid à 13 ans, je suis devenu supporter du Real Madrid, indépendamment du fait que j’ai joué par la suite pour le FC Barcelone parce que j’étais un professionnel et que je devais tout donner pour mon équipe. Il y a de nombreux joueurs qui, quand ils étaient gamins, supportaient un club rival comme Guti, Raúl ou Iniesta qui était pour le Real Madrid. Ce sont des choses qui arrivent. Je l’ai dit publiquement et il n’y a aucun problème, c’est ce qui s’était passé quand j’étais enfant.
Vous n’avez remporté qu’une Liga en 1995 et une Copa del Rey en 1993 avec le Real Madrid, à une époque où le Cruyffisme était à son apogée. Cela devait être difficile de se confronter à cette philosophie quand on était chez le rival.
J’ai eu la malchance de jouer au Real Madrid quand le FC Barcelone était très fort et de jouer au FC Barcelone quand le Real Madrid était très fort. Quand l’un gagnait tout, j’étais chez l’autre ! (rires). J’ai gagné des titres, j’ai aussi remporté une Supercoupe avec le Real Madrid (doublé lors de la victoire 3-1 à l’aller, ndlr) et une Copa del Rey avec le Betis mais c’est vrai que j’aurais pu disputer plus de matches, marquer plus de buts et avoir plus de sélections avec moins de blessures. Mais en vrai, je ne peux pas me plaindre. J’ai eu la chance de jouer dans de grands clubs, de remporter une médaille d’or olympique qui a eu un grand retentissement en Espagne.
Ce n’est pas un trophée mais c’est une immense reconnaissance qui vaut tous les hommages : le stade de Getafe, votre ville natale, porte votre nom. Cela vous classe au rang d’icône, comme Fernando Torres à Fuenlabrada ou Vero Boquete à Compostelle.
Le plus important pour moi, c’est que le nom du stade a été choisi après un vote local effectué par toute la population de Getafe. En fait, j’étais le sportif le plus connu de la ville. Je n’ai jamais porté le maillot du Getafe FC mais j’ai toujours vécu ici. J’ai entendu dire que le président pourrait prochainement renommer le stade avec un naming pour récupérer un peu d’argent. Je comprendrais parfaitement et j’imagine que ce n’est qu’une question de temps.
Pour en revenir à 2020, ce Clásico intervient à des moments difficiles pour les deux clubs, surtout pour le Real Madrid qui est sur 2 défaites consécutives.
Oui et en plus, il y a ce calendrier avec de nombreux matches, y compris internationaux avec des joueurs qui ont parfois fait de longs déplacements pour retrouver leurs sélections. Du coup, les équipes travaillent mal pendant la semaine. Tout influe. Alors même si Cádiz et Getafe avaient très bien préparé leur match, le Real Madrid et le FC Barcelone ont dû attendre pour récupérer tout le monde et ensuite refocaliser tous les joueurs sur le match de championnat. Il y a souvent un coup de moins bien et c’est ce qui s’est passé le weekend dernier.
On a l’impression que de part et d’autre le jeu collectif disparaît petit à petit en espérant la solution individuelle pour gagner le match
Les entraîneurs n’ont quasiment plus de temps pour pouvoir travailler correctement. En l’espace de quelques jours, il y a eu la sélection, le championnat, la Champion’s. La semaine prochaine, il y aura de nouveau la Coupe d’Europe. Quand on met tout bout à bout ça devient de plus en plus compliqué de travailler.
Attaquant réputé en Espagne, Alfonso Pérez était un joueur complet, un buteur racé auteur de 106 buts en 376 matches de clubs, auxquels il faut rajouter ses 11 réalisations en 48 sélections avec la Roja. Le Madrilène a côtoyé un grand nombre d’entraîneurs et de nombreux coéquipiers sont eux-mêmes devenus des techniciens (Pep Guardiola, Luis Enrique, Julen Lopetegui notamment). L’homme qui a le plus marqué Alfonso est El Sabio Luis Aragonés quand ils étaient au Betis. Chez les Verdiblancos, il a été le référence en attaque, au point de devenir un joueur emblématique du Manquepiedra et de la Liga.
En 1997-1998, vous avez été couronné meilleur joueur de la Liga. C’était avec le Betis et votre entraîneur était Luis Aragonés. Un personnage capital dans l’histoire du football espagnol.
C’était une personne très folklorique, très proche de ses joueurs dont il savait obtenir le meilleur rendement grâce à la motivation qu’il transmettait et pour sa manière de dire les choses. C’est une notion très importante pour un entraîneur. Cette proximité mais aussi l’exigence à chaque séance parce qu’il fallait être très sérieux et discipliné avec lui. Luis Aragonés avait tout ça, il savait traiter les joueurs, y compris quand ça n’allait pas trop bien. C’était toute la méthodologie de cette époque, avec des entraînements qui étaient un peu plus physiques qu’aujourd’hui où quasiment tout se fait avec le ballon. Bien sûr, le football a beaucoup évolué, la récupération, les entraînements avec des moyens informatiques qui ont permis d’obtenir des données très importantes pour les techniciens. Mais à cette époque, cela n’existait pas. Au niveau professionnel comme au niveau personnel, Luis Aragonés a été le meilleur entraîneur que j’ai eu, simplement pour sa façon de dire les choses face-à-face. Les joueurs valorisent beaucoup cet aspect. Il y a des entraîneurs faux, qui disent que tu es bon mais qui ensuite ne te font pas jouer. Lui te disait « tu ne vas pas jouer mais si tu améliores ton rendement, alors tu joueras ». Cette sincérité était une des grandes vertus de Luis Aragonés et ce n’est pas donné à tous les entraîneurs.
Il vouvoyait les joueurs, ce qui n’est pas très usuel.
Oui, il s’adressait à nous en disait « usted » mais ça ne l’empêchait pas de rire avec nous et dire des choses carrément familières mais toujours avec cet « usted » (rires).
Vous avez constitué avec Finidi George, un duo qui est resté dans les mémoires et pas uniquement chez les supporters verdiblancos.
Finidi George fait partie des meilleurs joueurs avec qui j’ai évolué. A cette époque, il était un joueur qui faisait les différences, tout comme le Croate Robert Jarni qui évolué sur le côté gauche et qui était pour moi une garantie de recevoir de bons centres et de proposer du beau jeu. J’ai toujours dit que ces deux-là m’ont énormément aidé. Ce sont des joueurs dont une équipe a besoin parce qu’ils apportent du poids pour adresser de bons ballons.
Vu de l’extérieur, on a toujours l’impression que le Betis est un monument du football espagnol constamment entre deux crises sportives ou institutionnelles.
C’est vrai qu’il y a eu des problèmes. A titre personnel, j’étais sur le point d’entrer dans l’organigramme du Betis il y a 4 ou 5 ans car j’avais fait acte de candidature pour devenir directeur sportif du club mais finalement, cela n’a pas pu se concrétiser. Mais c’est vraiment dommage que nous soyons toujours dans cette situation au niveau institutionnel parce que c’est un grand club charismatique avec de nombreux supporters partout dans le monde. Malheureusement, pour une bonne année, il y en a 3 de mauvaises. C’est quand même dommage de ne jamais faire mieux que la 7e ou 8e place parce que ce sont les compétitions européennes qui t’offrent du prestige et de la reconnaissance.
Certains de vos anciens coéquipiers sont devenus des entraîneurs cotés. Est-ce qu’on comprenait mieux le football qu’aujourd’hui ?
Chaque époque a ses caractéristiques. Cela dit, quand ils étaient joueurs, la différence venait d’eux en créant le déséquilibre. Ce sont des profils de joueurs que l’on voit de moins en moins. Je ne vois plus le style de jeu d’un Butragueño dans la surface adverse. Cela me manque beaucoup. Il y a évidemment de bons joueurs aujourd’hui mais plus autant d’actions aussi intelligentes, ou même les passements de jambes, les contrôles. Il n’y a plus de Marco van Basten, des chilenas d’Hugo Sánchez, des centres de Jarni et Finidi.
Vous avez évolué avec un grand joueur qui a connu les deux clubs et qui a même entraîné l’EuroGetafe : Michael Laudrup. On a l’impression qu’il est oublié alors qu’il a été un joueur mythique.
J’ai joué avec lui au Real Madrid et c’était un très grand joueur. Pour moi, Michael Laudrup est un des tout meilleurs avec qui j’ai pu jouer. Et en plus, c’est un type exceptionnel. C’était un régal quand tu étais attaquant parce qu’il avait une immense qualité de passe. Il ne perdait pas un ballon. Extraordinaire.
Alfonso Pérez a porté 38 fois le maillot de la Roja, participé à la Coupe du Monde 1998 et à l’Euro 2000. Mais son principal fait d’arme avec l’Espagne, c’est le titre olympique conquis à domicile en 1992 à Barcelone dans un Camp Nou comble. Lors de la finale contre la Pologne (3-2), il était titulaire. Si la Selección Absoluta n’a rien gagné et était même surnommée « la championne du monde des matches amicaux », le passage du Madrilène a été marquée par un doublé au bout du suspense lors de l’Euro 2000 qui avait offert le droit de disputer un partidazo contre la France de Zinedine Zidane.
Ce titre olympique, même si c’était avec les Espoirs, a été le premier grand titre de l’Espagne depuis l’Euro 1964 dans un stade scandant « España, España » ce qui, avec le contexte actuel, comporte un peu de nostalgie.
Oui, c’est très dur de voir ça car à Barcelone, beaucoup d’Espagnols se sentent Espagnols. Mais vu les circonstances politiques actuelles, c’est parfois très compliqué de le revendiquer
Avec la sélection olympique, vous avez joué avec un autre attaquant emblématique des années 90 : Kiko Narváez.
Un phénomène, aussi bien comme joueur que comme personne. Nous nous sommes côtoyés ensuite avec la Selección mais on s’est très souvent affronté, surtout quand il jouait à l’Atlético de Madrid et moi au Betis. Nous entretenons une belle amitié tous les deux.
Forcément, quand on parle avec vous de la Roja, on doit revenir à votre doublé contre la Yougoslavie lors de l’Euro 2000. Votre but à la dernière seconde libère tout un pays !
C’est un grand souvenir et c’est un moment qui est gravé chez beaucoup de gens. Je m’en rends quand je discute dans la rue. Ce match a transmis beaucoup d’émotions et il a eu une grande importance pour l’équipe à ce moment-là. Le scenario était fou puisqu’on a gagné au bout du temps additionnel contre une grande sélection. La Yougoslavie était puissante, et pas seulement en football mais aussi en basket. Ce n’était plus la sélection de quand le pays ne faisait qu’un avant l’éclatement, mais leurs joueurs étaient tous techniquement très doués et très compétitifs. C’était un grand moment parce que cela nous a permis de nous qualifier pour les 1/4 de finale.
Quand vous marquez le but de la qualification, on voit Pep Guardiola exulter comme jamais !
Avec le temps, on se rend compte de choses inexplicables… C’est une situation personnelle qui lui appartient. Il a ses idées que je ne partage pas du tout. Ces histoires d’indépendance, et tout ce qui s’est passé à Barcelone et en Espagne, ont séparé des familles et des amis et ça détruit le pays.
Alfonso Pérez appartient à une génération bercée par le mythe de la Furia, dont le style était radicalement opposé à celui qui a triomphé de 2008 à 2012 avec la Selección. Le problème actuel de la Roja est l’absence de 9 purs. A quoi cela est dû et comment perçoit-il cette évolution du jeu d’attaque ? L’ancien buteur a la dent dure mais difficile de lui donner tort.
Quand on regarde les effectifs du Real Madrid et du FC Barcelone quand vous en faisiez partie, on se dit que le niveau global était énorme et qu’il était difficile de se faire une place. Il fallait être patient. Aujourd’hui, on a l’impression que c’est une qualité qui n’existe plus, il faut tout, tout de suite.
Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’argent en jeu. Cela offre plus de sécurité et de garanties et tu ne penses plus à te battre pour ton poste et pour convaincre ton entraîneur. La réaction est souvent « je m’ennuie avec cette équipe, je veux aller dans un autre championnat ». A mon époque, sortir d’Espagne était beaucoup plus compliqué parce que la Liga était le championnat le plus puissant du monde et tout le monde voulait y venir. A présent, on voit tellement de football qu’évidemment les joueurs sont beaucoup plus tentés d’aller voir ailleurs. Donc à partir du moment où tu ne joues plus en Espagne, tu peux rebondir en Premier League, en Bundesliga, en Ligue 1. En d’autres termes, tu peux aller dans n’importe quel championnat puissant, chose que tu ne pouvais pas faire auparavant. Sans oublier que jusqu’à la moitié des années 1990, seulement 3 étrangers étaient autorisés. C’est pour ça qu’il y a autant de transferts et des équipes qui changent très rapidement.
On a l’impression que le niveau des attaquants a régressé, c’est votre avis ?
Il y a quelques jours, je regardais un match avec mon fils et je lui racontais que les choses que moi je faisais, plus aucun joueur ne les fait aujourd’hui. Faire un passement de jambes pour centrer ou des trucs de ce genre, je n’en vois plus. Je vois surtout des joueurs qui évoluent sur le côté qui veulent rentrer dans l’axe. Ils ne centrent pas. Tout est circulation avec beaucoup de passes, de touches de balle, de temps de possession très long. Je ne parle pas de Messi qui peut faire des choses extraordinaires. Mais je ne vois plus de joueurs qui font ce que je faisais et je le dis très humblement.
On le voit avec la Roja et même en Liga : il n’y a quasiment plus de joueurs de surface.
Au Real Madrid, il n’y a pas de 9 pur, sorti de Luka Jovic. Karim Benzema n’est pas un avant-centre. C’est un attaquant qui décroche pour recevoir le ballon, c’est plus un registre de mediapunta, un joueur qui porte la balle, qui s’incorpore très bien au jeu mais même s’il marque, ce n’est pas un « mega-goleador ». Il assume le rôle de buteur mais c’est parce qu’il n’y a pas de joueur avec ce rôle typique de buteur comme peut l’être Luis Suárez qui est un joueur de surface. A l’heure actuelle, c’est vrai qu’il n’y a plus trop de très grands buteurs. Il y a de très bons joueurs, qui touchent très bien le ballon, qui peuvent évoluer des deux côtés ou 9 et demi, mais il n’y a plus de « killers », peut-être aussi parce qu’on ne centre plus autant qu’avant, comme ce que faisaient Finidi et Jarni.
Vous avez récemment retweeté une vidéo d’un fan qui dit que vous étiez un Álvaro Morata des années 90-2000. Vous voyez une filiation avec lui ?
Je ne sais pas trop. Il faut dire que j’avais des caractéristiques particulières. Je pouvais frapper des deux pieds, j’avais des appuis, j’étais rapide dans la surface et j’étais bon de la tête. La vérité, c’est que j’étais assez complet et j’avais des qualités. Álvaro Morata est plus grand que moi pour commencer. On a peut-être des points de comparaison mais tout dépend du point de vue où l’on se place. Chaque joueur a sa façon de jouer mais à partir du moment où tu peux frapper du droit comme du gauche et avoir un bon jeu de tête, tu te rapproches de mon profil.
Pour participer à la Coupe du Monde 2002, Alfonso Pérez a fait le choix de l’exil pendant 6 mois. Alors qu’il était au FC Barcelone, l’Olympique de Marseille le recrute sous forme de prêt. L’OM n’est pas exactement le meilleur endroit pour se relancer, surtout avec des blessures récurrentes. Pourtant, son arrivée avait provoqué de l’enthousiasme dans le marasme.
Vous avez joué pendant 6 mois à l’Olympique de Marseille. C’était en 2002 et le directeur sportif était Bernard Tapie. Comment vous vous êtes retrouvé dans cette galère ?
A cette époque, j’étais au FC Barcelone et ce que je voulais c’était jouer. Et entre Rivaldo et Patrick Kluivert, ce n’était pas simple d’être titulaire. Moi, je voulais disputer le Mondial. Donc je devais trouver une équipe où j’aurais eu du temps de jeu pour que José Antonio Camacho me convoque avec la Selección. Finalement, il a choisi Pedro Munitis. Je suis venu en France, à l’OM qui est un club historique et un lieu très spécial. Ce fut une belle expérience en vrai. Mais j’ai dû me remettre d’une blessure aux ischios-jambiers que j’avais contracté à Barcelone. A l’OM, je n’ai pas pu jouer à 100% comme je l’espérais.
C’était l’auberge espagnole à l’époque, avec une très grande quantité de joueurs avec des niveaux très disparates. Vous n’étiez pas le seul Espagnol puisqu’il y avait Alberto Rivera, annoncé par Bernard Tapie comme le « Zidane espagnol » !
C’était vrai qu’il y a beaucoup de joueurs et différentes nationalités. Avant de signer à l’OM, j’avais discuté avec Javier Clemente, Iván de la Peña et Rafael Martín Vázquez qui connaissaient le club de l’intérieur et ils m’avaient tous parlé en bien du club. Effectivement, Bernard Tapie était un personnage très particulier et il dirigeait le club de la manière qu’il croyait être la meilleure et la plus opportune à ce moment-là.
Tout au long de votre carrière, vous avez joué dans des clubs où l’afición est très présente et importante. D’une certaine manière, le Betis et l’OM ont un peu le même fonctionnement institutionnel et populaire. Est-ce qu’il est plus simple de jouer avec des supporters exigeants ?
Tout dépend des personnes. Mais si tu gagnes l’affection des gens et leur reconnaissance en tant que joueur important, alors cela te donne de la confiance. En revanche, si tu descends dans ce genre de stades et qu’on te siffle, ça devient beaucoup plus difficile. L’important c’est de se sentir bien, parce que ça les supporters le valorisent et c’est ce qui permet d’avoir le meilleur rendement. On en revient au rôle de l’entraîneur qui doit savoir gérer son effectif car chaque joueur a sa manière d’être et de penser et il a besoin de se sentir entouré et en confiance pour le rendre sur le terrain. L’afición veut que tu joues bien. C’est ce qui s’est passé pour moi à mes débuts au Real Madrid et surtout au Betis où j’étais très aimé.
Avant de finir, il y a une question à laquelle il est impossible de déroger : pourquoi les chaussures blanches ?
Alors les chaussures blanches, c’était un pari avec le directeur général de Joma. C’est un ami et comme ils avaient dessinés des chaussures blanches, il m’a dit qu’il m’inviterait au restaurant si je les portais. Je n’étais pas vraiment superstitieux et c’est un beau coup marketing pour Joma. Du coup, je l’ai fait et ça a fait l’effet d’un « boom ». A partir de ce moment-là, tout le monde a voulu porter des chaussures différentes, les équipementiers ont adapté leurs formats, les couleurs, les crampons. Au Barça j’en ai même porté des dorées. Il y a eu un avant et un après dans le monde du football parce qu’avant toutes les chaussures étaient noires et j’étais le seul à les avoir blanches.
Propos suscités et traduits par François Miguel Boudet