Lucarne Opposée
·22 juin 2025
Il était une fois le foot en Amérique

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·22 juin 2025
Acteurs majeurs du mondialisme prôné par les premiers championnats du monde, les États-Unis ont participé aux deux premières Coupes du Monde avant de subir l’européanisation d’une compétition qui se voulait mondiale et tomber dans l’anonymat en même temps que le sport roi s’effondrait au pays. Retour sur les premières années du football au pays de l’Oncle Sam.
29 juin 1950. En ce mardi de moitié de siècle, ils sont environ dix mille à garnir les travées de l’Estádio Independência et ainsi venir assister à une rencontre comptant pour la deuxième journée du premier tour du Groupe 2. Les États-Unis affrontent l’Angleterre quatre jours après que les premiers sont tombés face à l’Espagne en ouverture alors que les seconds ont écarté le Chili et ont ainsi parfaitement lancé leur première participation à une Coupe du Monde. Les « Rois du Football » ont débarqué à Belo Horizonte et l’on ne donne pas cher de ces pauvres Américains à qui l’on promet une déroute. La stupeur est immense lorsque Joe Gaetjens surgit à la trente-huitième minute pour ouvrir la marque et surtout, inscrire le seul but de la rencontre. Quelques semaines avant ce qui reste le plus grand drame du football brésilien, les Rois venus d’Europe tombent face à une équipe bricolée et composée de professionnels et d’amateurs. Si la surprise est grande, ce résultat vient pourtant célébrer de la meilleure des manières la revanche d’un pays ayant développé son football à un stade très avancé face à des « créateurs » du jeu qui n’avaient jusqu’ici fait qu’en ralentir son expansion.
Le football aurait débarqué aux États-Unis près d’un siècle plus tôt, vers 1850 donc, du côté de la Nouvelle-Orléans, porté par des migrants irlandais et écossais notamment, même si, comme dans bien des pays situés sur l’autre rive de l’Atlantique, on trouve des traces d’un football chez les Indiens, le pasuckuakohowog (ils se rassemblent pour jouer au ballon avec leurs pieds en français) étant décrit dès le XIIe siècle comme le rapporte Mike Roberts dans The Same Old Game. Le premier match de « football moderne » aurait ainsi été disputé à cette époque, faisant de la Nouvelle-Orléans et par extension de la Louisiane l’un des berceaux du football aux States. Mais pas le seul. À partir des années 1870, on trouve ainsi des matchs de football organisés entre des universités qui posent de nouvelles bases aux règles : en 1870, l’Université d’Harvard affronte celle de McGill au Canada et modifie les règles de Londres en ajoutant des filets aux buts, en fixant d’autres dimensions au terrain. Ce match est considéré comme étant le premier véritable match de football disputé par une équipe américaine. À peine plus de dix ans plus tard, le football devient déjà en partie professionnel notamment du côté des clubs d’usine des pôles industriels tels que Fall River ou Lowell dans le Massachusetts, qui créent leur ligue dès 1886 ; dans le New Jersey, où les usines de textile créent leur ligue, la National Association Football League, dix ans plus tard ; ou encore à St.Louis où la St.Louis League voit le jour également en 1886. L’idée d’une instance dépassant les frontières régionales naît rapidement. En 1884, l’American Football Association (AFA) voit le jour, regroupe des équipes du nord du New Jersey et du sud de New York avant de « déborder » jusqu’en Pennsylvanie et au Massachusetts. Cette première instance reste cependant très anglaise dans son fonctionnement, mais crée la première compétition « nationale » l’American Cup.
Dans le même temps, au fil des années, diverses ligues et associations se forment aux quatre coins du pays – citons la St.Louis Football Association en 1886, la Denver Association Football en 1892 – avec des natifs qui s’approprient le futur sport roi au détriment des immigrants britanniques. Le processus classique de diffusion du football – importation, développement, appropriation par les locaux, évolution indépendante – est en marche. Ces multiples fissures mettent à mal la résistance menée par l’AFA pour maintenir le football sous domination britannique. Elle finit par céder. En août 1894, six propriétaires de franchises de National League Baseball annoncent la création de la première ligue professionnelle de football : l’American League of Professional Foot Ball (ALPFB). Elle regroupe les clubs de Philadelphie, Baltimore, Boston, Brooklyn, New York et Washington, mais son championnat ne se termine pas. Sous pression de l’AFA, qui menace d’exclure tout joueur décidant d’y participer, dirigé par des hommes issus du baseball et non du football, voyant ses affluences réduites notamment par le fait de faire disputer les matchs en semaine, ce premier championnat est également mis à mal par les Baltimore Orioles et leur politique d’importation de joueurs professionnels anglais, recrutés en majorité du côté de Manchester, qui atomisent tous leurs adversaires (les Washington Nationals encaissent par exemple un sévère 10-1). Le 20 octobre, au bout de six matchs, le premier championnat professionnel de football disputé aux États-Unis prend fin, Baltimore et Philadelphie disputant un dernier match sans savoir que la ligue venait d’être dissoute. Il a cependant planté une graine.
Dans le même temps est née la National Association Foot Ball League (NAFBL), ligue semi-professionnelle qui s’interrompt un temps alors que le XIXe siècle pousse ses derniers soupirs pour revenir à partir de 1906 et de fusionner avec la Southern New England Soccer League en 1921 pour créer le premier grand championnat professionnel. Le football ne cessant son développement une fois pris en main par les locaux, une nouvelle association vient défier l’AFA, l’American Amateur Football Association (AAFA) en octobre 1911. Les deux associations se disputent alors le droit d’être reconnues par la FIFA, l’AAFA finit par prendre le dessus et devient United States Football Association (USFA) en 1913 qui absorbe l’AFA et régit l’ensemble du football sur le plan national. C’est elle qui crée la National Challenge Cup l’année suivante, future US Open Cup, la coupe nationale qui se dispute encore aujourd’hui, alors ouverte à la fois aux professionnels et aux amateurs. Cette nouvelle compétition sert d’outil au recrutement des meilleurs joueurs évoluant au pays avec ainsi l’idée de faire véritablement surgir une sélection nationale.
La première véritable US Men’s National Team (USMNT) dispute ses premiers matchs en 1916, elle est composée de joueurs issus des états du nord-est et d’un seul membre issu du Midwest, venant de St.Louis, et embarque pour l’Europe. Le 16 août 1916, elle dispute un premier match, un match nul décroché face à une sélection de joueurs de Stockholm devant 20 000 spectateurs, cinq jours plus tard, elle dispute son premier vrai match international face à la Suède devant 21 000 spectateurs dont le roi Gustave V. Les Américains s’imposent 3-2, l’identité de son premier buteur restant encore un mystère, Charles Harry Spalding étant reconnu comme tel notamment par le National Soccer Hall of Fame, d’autres sources citant le capitaine Thomas Swords. Il faut ensuite attendre huit ans pour retrouver une sélection nationale américaine. Avec l’idée de promouvoir davantage le football, l’UFSA, l’ASL et d’autres ligues amateures s’unissent pour faire revivre la sélection nationale. Composée d’un mélange essentiellement d’amateurs qui n’ont jamais joués ensemble, elle participe aux premiers championnats du monde organisés dans le cadre des Jeux Olympiques de Paris et est éliminée en huitièmes de finale par le futur champion, l’Uruguay. La sélection profite alors de sa présence en Europe pour s’offrir deux amicaux, contre l’Irlande à Dublin (défaite 3-1) puis la Pologne à Varsovie (victoire 3-2). Elle reste cependant, avec l’Uruguay et l’Égypte, l’une des sélections qui donnent sa dimension mondiale au tournoi olympique. Les années suivantes, la sélection US affronte régulièrement le Canada (deux fois en 1925, une fois en 1926) avant de se mettre en pause en 1927 puis, bien décidée à ne pas manquer le deuxième rendez-vous mondial, à se reformer en 1928 pour se rendre aux Jeux Olympiques d’Amsterdam. Mais une fois encore, la sélection est bricolée au dernier moment, composée de joueurs sélectionnés après deux sessions d’essais, et se rend aux Pays-Bas avec aucun match disputé. En ouverture de ses Jeux, la sélection américaine est balayée par le futur finaliste, l’Argentine (11-2). La même mécanique se met ensuite en place. Aucun match n’est disputé en dehors des rendez-vous mondiaux.
C’est donc tout naturellement et s’appuyant alors sur une American Soccer League devenue puissante et très compétitive, que la sélection se rend à Montevideo pour disputer la première Coupe du Monde. Les rumeurs courent alors quant au fait que la sélection américaine compte dans ses rangs six joueurs britanniques – la réalité est que quatre d’entre eux sont arrivés aux États-Unis lorsqu’ils étaient adolescents, un seul ayant évolué dans un club professionnel disputant deux matchs de troisième division sept ans auparavant. En terres uruguayennes, les USA, composés d’un mélange de joueurs principalement issus de l’American Soccer League, de New York Nationals, St. Louis Ben Millers, Providence Gold Bugs, Fall River Marksmen, New Bedford Whalers et New York Giants, surprennent. La même équipe dispute les trois matchs : elle écrase la Belgique en ouverture (3-0), en fait de même face au Paraguay lors de la deuxième journée, Bert Patenaude signant le premier triplé de l’histoire d’une Coupe du Monde, et se retrouve en demi-finales face à l’Argentine. Jimmy Douglas, le portier américain, se tord la cheville d’entrée de partie, Raphael Tracey se blesse peu avant l’ouverture du score de Luis Monti. À dix contre onze durant le second acte et avec un gardien sur une jambe, les USA encaissent cinq buts supplémentaires. En 1986, la FIFA adjuge à cette sélection la troisième place de l’épreuve, pour un but.
Au lendemain de la Coupe du Monde, les États-Unis disputent un premier match amical face à Peñarol (perdu 4-1) puis partent en tournée au Brésil. Le 9 août, la délégation arrive à Santos dans la nuit, l’après-midi suivante, elle affronte Santos, pense avoir gagné dans les ultimes secondes lorsqu’Arnie Oliver marque le quatrième but mais découvre que le score validé par l’arbitre central est un nul 3-3. Le lendemain, les USA affrontent le tout jeune São Paulo da Floresta (futur São Paulo FC), s’inclinent 5-3 et un nouveau match est programmé au mercredi suivant. Il ne se dispute pas et la sélection s’envole pour Rio où elle affronte un Brésil composé uniquement de joueurs cariocas (défaite 4-3) puis Botafogo (défaite 2-1). Elle quitte alors le Brésil avec un sentiment amer, fustigeant notamment l’arbitrage partisan et s’étant retrouvée au milieu du conflit opposant São Paulo et Rio. Elle ne se doute pas alors que son retour en terres auriverdes serait triomphal.
Avec une ligue forte, des années de professionnalisme, une progression constante saluée par une demi-finale mondiale, on pourrait penser que le football allait poursuivre son expansion aux States. Il n’en est rien. La Dépression frappe rapidement, mettant fin à toute idée de tournées internationales de la sélection et surtout faisant vaciller l’American Soccer League, certaines franchises s’arrêtant et suivant quelques anciens géants balayés par la Soccer War, une guerre d’instances qui avait déjà fortement agité le football professionnel américain. Ces deux catastrophes s’additionnent, le football d’élite entre alors dans un terrible anonymat et retombe à l’ère amateur. En 1934, une équipe est composée après trois matchs d’essais, elle possède dans ses rangs un amateur évoluant au Curry Silver Tops de Pittsburgh : Aldo Buff Donelli. Sur les terrains amateurs, son nom était redouté, ses qualités de buteur ne faisant alors plus aucun doute au point que le Evening Standard du 16 octobre 1929 le décrit comme « le plus grand buteur au football ». À vingt-six ans, il participe aux sélections, ne cesse de marquer et finit par s’imposer au nez et à la barbe de joueurs professionnels qui le rejettent, « il y avait une clique de joueurs de New England et St. Louis qui voulaient m’éjecter de l’équipe » témoigne-t-il ainsi dans US Soccer vs. the World de Tony Cirino. Il garde sa place grâce au « Babe Ruth du football », Billy Gonsalves qui menace de ne pas jouer si Donelli n’est pas aligné. Le choix est payant. Après s’être inscrite tardivement, la sélection américaine se voit contrainte par une Italie mussolinienne qui a pris le contrôle du football et referme la Coupe du Monde, à disputer un match de qualification à Rome face au voisin mexicain. Le 24 mai, Donelli entre dans l’histoire en inscrivant les quatre buts de sa sélection qui s’impose face au Mexique (4-2), sa seule victoire sur le voisin du sud pendant quarante-six ans. Malheureusement pour l’équipe américaine, le tour suivant lui offre la puissante Italie, la Team USA est balayée malgré un but signé Donelli (1-7). S’ensuit une longue traversée du désert, quelques amicaux – deux en 1935, trois en 1937 – puis plus rien. Les États-Unis se présentent aux Jeux Olympiques de 1936 avec une équipe composée au dernier moment et qui n’a jamais joué ensemble, puis ne participent pas à la Coupe du Monde 1938. La sélection ne resurgit qu’après la Guerre, alors que les instances internationales réorganisent le football. En 1946, la North American Football Confederation voit le jour, elle comprend le Canada, Cuba, le Mexique et les États-Unis qui disputent le premier NAFC Championship l’année suivante, que le Mexique remporte à La Havane. La sélection est ainsi relancée. Elle explose face à l’Italie aux Jeux Olympiques de 1948, étant une fois encore bricolée, la fédération voyant son projet de sélection sur plus de cinq mille joueurs rapidement se transformer en fiasco. L’année suivante, une sélection comptant dans ses rangs trois « étrangers » participe au deuxième NAFC Championship. L’enjeu est de taille, les deux premiers se qualifient pour la Coupe du Monde 1950 dont le retour après la Guerre marque à nouveau une volonté d’ouverture au monde. Le Mexique écrase une compétition organisée du 4 au 25 septembre 1949 à Mexico et laisse USA et Cuba (le Canada n’ayant finalement pas envoyé d’équipe) se battre pour la dernière place qualificative. Le premier miracle intervient. Le 21 septembre, les États-Unis choisissent le meilleur des moments pour décrocher leur première victoire depuis 1934 : ils s’imposent 5-2 face à Cuba et scellent leur retour au Brésil.
Comme pour les compétitions internationales précédentes, un comité de sélection est mis en place pour assembler la sélection qui se rendra au Brésil. Le comité ne part pas de zéro : une grande partie des joueurs ayant participé au NAFC Championship de 1949 est rappelée (Walter Bahr, Gino Pariani, Harry Keough, Frank Borghi, Benny McLaughlin, Frank Wallace, John Souza et Charlie Colombo). D’autres ne peuvent venir, en raison de conflit avec leur employeur et ne peuvent se libérer (Benny McLaughlin) ou parce qu’ils ont critiqué ce processus de sélection (Jack Hynes). De nouvelles têtes apparaissent donc, notamment Ed Souza, Joe Maca et Joe Gaetjens, un Haïtien venu à New York en 1947 pour poursuivre ses études et évoluant avec Brookhattan en American Soccer League en parallèle d’un petit boulot de plongeur au Rudy’s Cafe, un restaurant de nourriture espagnole situé à l’angle de la 111e et de Lennox Avenue à Harlem. Maca et Gaetjens sont recrutés au terme d’un dernier match amical à la veille du départ pour le Brésil. Toujours le même bricolage. Reste que sous la direction de Bill Jeffrey, la sélection US trouve du temps pour véritablement se préparer, au point qu’à la veille du départ pour le Brésil, elle réalise une belle performance face à une équipe anglaise en tournée en Amérique du Nord, ne s’inclinant que d’un but. Place alors au retour sur les terres auriverdes.
Les États-Unis sont placés dans le Groupe 2 qu’ils partagent avec l’Espagne, le Chili et surtout l’Angleterre qui participe enfin à une Coupe du Monde que la Football Association anglaise a jusqu’ici rejetée, quitte à en freiner son développement autant qu’elle le pouvait. L’Angleterre arrive au Brésil avec un statut de favori, depuis la fin de la Guerre, son bilan est de quatre défaites seulement en trente matchs disputés (trois nuls, vingt-trois victoires) avec notamment des victoires 4-0 face à l’Italie à Turin, 10-0 face au Portugal à Lisbonne. Tout le monde attend déjà le duel face au Brésil en phase finale, que certains annoncent même comme une sorte de finale d’une Coupe du Monde dont le dernier tour est une nouvelle phase de groupes. Les cotes des parieurs ne mentent pas, l’Angleterre aborde la Coupe du Monde avec une victoire finale annoncée à trois contre un. Pour leur premier match, les Three Lions disposent du Chili (2-0) pendant que la Team USA affronte l’Espagne et passe tout proche d’un exploit. Ce 25 juin, à Curitiba, après avoir résisté à la pression espagnole durant le premier quart d’heure, les États-Unis ouvrent le score par Gino Pariani et entrent en résistance. Les minutes défilent et l’Espagne ne parvient pas à trouver la faille, jusqu’à une perte de balle de Colombo qui permet à Sylvestre Igoa d’égaliser. Il reste alors neuf minutes à jouer, l’Espagne les exploite à merveille avec deux autres buts durant cet intervalle. S’il y a défaite au bout du compte, les joueurs de Bill Jeffrey en acquièrent une énorme confiance en eux alors que le deuxième match leur offre l’ogre anglais. « On avait confiance en nous parce qu’on avait fait peur à l’Espagne. On avait deux jours et demi avant d’affronter l’Angleterre. Nous n’avions certainement pas l’idée que nous allions les battre, mais nous avons pensé que nous pouvions leur donner du fil à retordre », raconte ainsi Harry Keough, le latéral droit qui évolue alors avec St.Louis McMahon, anciens Raiders qui évoluaient en North American Soccer Football League et étaient redevenus amateurs à la chute de celle-ci en 1947. Mais confiance en soi n’est pas non plus synonyme d’espoir fou de renverser la grande Angleterre. Jeffrey se prépare même à recevoir une rouste, évoquant « des moutons prêts à être massacrés », ne croit pas en les chances des siens. La presse titre en ce sens, le Belfast Telegraph décrivant les joueurs américains comme une « bande de sans-espoirs ».
Photo : Keystone/Getty Images
Lorsque les Américains arrivent à l’Independência, ils découvrent qu’il faut se changer dans une petite cabane alors que les Anglais arrivent déjà en tenue, s’étant préalablement changés à l’hôtel. La confiance est telle côté Anglais qu’on laisse Stanley Matthews au repos, il suit le match depuis les tribunes et assiste ainsi à une entame qui donne raison à tous les observateurs. Au cours des douze premières minutes, les Three Lions ont déjà frappé six fois au but. Mais les minutes s’égrènent et si l’Angleterre domine encore, la défense américaine s’organise et résiste calmement, à l’image de son gardien, Frank Borghi. Né à St.Louis le 9 avril 1925, Borghi s’adonne d’abord au base-ball qu’il pratique à un tel niveau qu’il devient professionnel avec l’équipe de ligue mineure associée aux St.Louis Cardinals et pratique le football durant l’intersaison pour rester en forme. N’ayant pas de grandes qualités avec ses pieds, il se place logiquement dans les buts, la légende voulant même qu’il ne dégageait qu’à la force de ses bras. C’est ainsi qu’il rejoint les St.Louis Simpkins-Ford avec qui il remporte les National Challenge Cups de 1948 et 1950 et qu’il arrive jusqu’à la sélection. Ce 29 juin, Borghi est infranchissable, chaque centre anglais revient inexorablement dans ses mains. Il assiste alors à l’événement de la 38e minute. « J’ai frappé de vingt-cinq mètres et le ballon filait vers la droite du gardien », se souvient Walter Bahr, « j’ai bien pris le ballon qui filait vers le but. Le gardien adverse [Bert Williams] a commencé à partir vers sa droite. C’est alors que Joe Gaetjens a surgi et a détourné le ballon. L’a-t-il volontairement touché ? Il a plongé vers ce ballon, qui devait être à un mètre cinquante au-dessus du sol, il était au milieu d’un grand nombre de joueurs présents dans les seize mètres. S’il n’a pas placé une tête parfaite, il l’a clairement dévié volontairement. Joe était un type qui avait le sens du but, il marquait des buts dont vous vous demandiez comment il avait eu le ballon et encore moins comment il avait fait ». Pour reprendre les termes de Borghi « le ciel vient de tomber sur leur tête ».
Le portier US sort un coup franc sur l’action suivante puis continue de frustrer les offensives anglaises qui, au fil des minutes, sont de moins en moins dangereuses. « Il avait des mains immenses, tout ce qui passait dans sa zone, il le prenait dans les airs. Il lisait le jeu rapidement, prenait ses décisions rapidement et c’était toujours la bonne décision. Ils ont eu tant d’opportunités de faire de bons centres que Franck a juste interceptés », se souvient Walter Bahr. Les minutes défilent et l’exploit se dessine, l’Angleterre essaie tant bien que mal mais ne parvient plus à véritablement se montrer dangereuse. Pire, elle s’expose aux contres, notamment lorsque Frank Wallace, parfaitement servi par Pariani, s’offre un face à face avec le portier anglais. Puis arrive cette dernière action, décrite comme un penalty dans le court résumé du match publié le lendemain par le St.Louis Dispatch – une colonne placée à côté d’une photo presque pleine page de Morgan Childs et sa pèche record d’un poisson de vingt-et-un kilos. Il s’agit en fait d’un coup franc consécutif à une faute de Charlie Colombo qui a ceinturé un adversaire filant seul au but. Borghi intervient encore, sauve une nouvelle fois les siens. L’exploit devient miracle. La sensation est immense, annoncée si puissante, l’Angleterre s’incline face à des amateurs. Au Brésil, on prend alors conscience que personne ne pourra priver la sélection locale d’une victoire finale, les joueurs américains – en particulier Gaetjens et Borghi – sont portés en triomphe par le public de l’Independência. L’histoire veut que personne n’a cru les dépêches qui tombaient à la suite de la rencontre, pensant à une faute de frappe dans celle-ci et lisant 10-1 pour l’Angleterre et non 0-1 en faveur des États-Unis. Un seul reporter américain était présent ce jour-là à l’Independência : Dent McSkimming, du St.Louis Post-Dispatch qui avait effectué le voyage à ses frais. Personne au pays n’aurait pu croire que cette sélection composée d’amateurs aurait pu décrocher le moindre résultat au Brésil. « En se donnant à fond, on peut tenir une équipe en respect pendant quelques minutes, mais il est rare de museler un tel adversaire pendant aussi longtemps, d’autant que nous avions marqué relativement tôt. Franchement, nous nous serions contentés d’une défaite 2-0. Même dans nos rêves les plus fous, nous ne pensions pas à la victoire. Nous étions venus pour faire de notre mieux, en espérant un résultat honorable », raconte Harry Keough plusieurs années plus tard. Borghi ajoute : « Nous avions de bons rapports au sein de nos clubs. Cinq des joueurs venaient de St. Louis, Colombo, Pariani, Wallace, Keough et moi-même, Walter Bahr et Ed McIlvenny jouaient ensemble à Philadelphie, Ed et John Souza à Fall River. Nous avions opté pour du marquage individuel, Bill Jeffery nous avait laissés nous diriger par nous-mêmes, car il ne croyait pas que nous ayons la moindre chance ».
Borghi pointe ainsi les limites du système américain. La victoire de la Team US est historique, elle est la seule. Le 2 juillet à Recife, les États-Unis tombent de nouveau face au Chili, après avoir égalisé en début de second acte, mais craquent dans la dernière demi-heure. « Je pense que si aujourd’hui il y a trop de coaching dans le sport, nous aurions nécessité d’en avoir un peu plus et cela nous aurait sans doute permis d’aller plus loin dans ce tournoi. Nous n’avons jamais joué le moindre match où nous avons cherché à conserver notre avance. Si nous avions été suffisamment malins ou si un entraîneur nous avait dit de le faire, nous aurions sans doute pu aller plus loin », explique Bahr en référence aux deux défaites concédées face à l’Espagne et au Chili, en grande partie par la faute à une incapacité à gérer l’effort. De l’autre côté de l’océan, nombreux sont évidemment ceux qui expliquent que ce résultat est avant tout une défaite anglaise et non une victoire américaine. Sir Tom Finney raconte : « Ce n’était pas notre jour. Parfois, la défaite semble inévitable, quoi que l’on fasse. Les poteaux ont renvoyé nos frappes plusieurs fois en première mi-temps et à deux autres reprises encore après la pause. Quand nous avons pris ce but totalement absurde, nous avons perdu le fil du match. Nous nous sommes mis dans la tête que le sort était contre nous et nous avons cessé de jouer. Si on rejouait ce match cent fois, nous finirions avec quatre-vingt-dix-neuf victoires ». Le fait est que l’Angleterre, au sein de laquelle Matthews fait son retour, s’incline de nouveau trois jours plus tard face à l’Espagne. La première Coupe du Monde des « Rois du football » est un fiasco.
Côté américain, la belle campagne de la sélection ne débouche sur rien. La sélection ne dispute aucun autre match en 1950, il faut attendre avril 1952 pour retrouver trace d’un match amical, en préparation des Jeux Olympiques d’Helsinki que la sélection quitte d’entrée sur une défaite 0-8 face à l’Italie après une nouvelle absence de véritable préparation collective et une sélection composée en bricolant. Dans ses rangs, on y retrouve Harry Keough, Charlie Colombo, Ed Sousa et John Sousa, derniers rescapés de 1950. Le 8 juin 1953, les USA retrouvent l’Angleterre pour un amical à New York. Dans leurs rangs, cinq rescapés de 1950 et une sélection composée au dernier moment, sans aucun entraînement, certains joueurs découvrant leurs coéquipiers le jour du match. Elle s’incline 6-3 devant à peine plus de sept mille spectateurs. Entre le 2 juillet 1950 et le 10 janvier 1954, date du coup d’envoi des éliminatoires pour la Coupe du Monde 1954, les États-Unis ne disputent que trois rencontres. Pendant ce temps, le football local reste amateur, il faut attendre la fin des années soixante et la création de la NASL pour que le professionnalisme fasse son retour. La sélection ne participe à aucune Coupe du Monde entre 1950 et 1990. Du côté des héros de l’Independência, Frank Borghi raccroche rapidement les crampons, il rentre à St.Louis pour diriger un funérarium jusqu’en 2003. Il s’éteint le 2 février 2015. Quant à Joe Gaetjens, la promesse de lui délivrer la nationalité américaine n’a jamais été respectée. On trouve sa trace en France, au Racing Club de Paris (aujourd’hui Racing Club de France) et à Alès, avant qu’il ne rentre à Haïti. Le 8 juillet 1964, il est arrêté par la police de Papa Doc. On ne l’a ensuite plus jamais revu.