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·11 août 2021
France et Argentine : c’est aussi une histoire de football

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·11 août 2021
Comme tout le monde le sait, l’Argentine moderne est multiculturelle. Partagée entre l’Amérique du Sud et l’Europe, le pays a notamment connu une forte crise migratoire durant le XIXème siècle. Britanniques et Italiens sont venus s’agglutiner aux Espagnols déjà présents. Cette immigration a forgé la société et la culture Gaucho. Parmi la multitude d’immigrés ayant débarqué au siècle dernier, se trouvent une poignée de Français. Moins nombreux que leurs voisins européens, la France a tout de même laissé sa trace dans les strates de la vie argentine. Chanteurs, politiciens, militaires, économistes et tant d’autres argentins peuvent aujourd’hui aussi se réclamer du “Pays des Lumières”. Et si dans le domaine du football, les Français se sont fait plus discrets que les autres, l’histoire sportive liant le football argentin à la France n’en reste pas moins vaste.
Pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui, il faut faire un peu d’histoire. Peu nombreux durant le XIXème siècle, les argentins d’origine française représentent aujourd’hui entre 12 et 17% de la population argentine. Majoritairement issus du Pays Basque, on peut néanmoins retrouver des Bretons, des Alsaciens, des Savoyards ou encore des Occitans parmi les premières vagues d’immigration. Facilités par la loi du président Avellaneda qui encourage et facilite l’immigration sur le territoire, ces français fraîchement débarqués du pays vont investir tout les recoins de l’Argentine. Mendoza, San Miguel de Tucumán et même certains quartiers de Buenos Aires, avec notamment le quartier de Recoleta, très célèbre pour son cimetière et son architecture si particulière. Les colonies françaises elles, vont aussi se multiplier. Ainsi au cours du siècle, les villes de Pigüé, Eduardo Castex ou encore la Francia voient le jour dans une Argentine en pleine construction territoriale et politique. En n’oubliant évidemment pas d’amener à chaque fois, un petit bout du pays à travers les différents patois mais aussi et surtout à travers la viticulture qui deviendra, par la suite, la plus réputée du pays.
Très vite, la société argentine apprend à composer avec les Français, qui commencent doucement mais sûrement à prendre de plus en plus de place dans les institutions nationales. Surgissent alors de nombreuses personnalités qui vont s’inscrire durablement dans le roman national Gaucho. Plusieurs présidents de la Nación (Yrigoyen, Pellegrini, Lanusse etc…), un militaire de la guerre d’indépendance (Pueyrredón), de nombreux artistes comme le légendaire Carlos Gardel, des architectes, des journalistes, des économistes, des ingénieurs et tant d’autres encore qui feront rayonner l’Argentine dans le monde. Et même si l’histoire franco-argentine n’a pas toujours été rose, surtout après la Seconde Guerre Mondiale, force est de constater que le lien qui nous unit aujourd’hui est indéniable et indéfectible. C’est notamment ce lien fort qui fera que la France soutiendra discrètement l’Argentine contre le Royaume-Uni durant la guerre des Malouines en 1982. Cette amitié, encore largement perceptible aujourd’hui se traduit surtout dans les échanges interculturels entre les deux pays et la multitude d’Allianza Francesa (sorte de maisons culturelles françaises) implantées dans le pays, font encore perdurer un lien qui ne s’est jamais réellement amenuisé.
A la fin du XIXème siècle, le football est en plein essor en Argentine. Sous l’impulsion de deux britanniques, Alexander Watson Hutton et Jorge Gibson Brown, le football se développe très vite et prend une place importante dans la société. Créant rapidement des clubs comme l’Alumni Athletic Club, le Buenos Aires Football Club ou l’Escula Escocesa San Andres, les Britanniques donnent rapidement des idées aux autres communautés déjà présentes sur le territoire. Pas en reste, les Italiens et plus particulièrement les Génois vont répondre en participant à la création de River Plate et son ennemi juré Boca Juniors ainsi qu’une multitude d’autres, comme le Sportivo Italiano, pour ne citer que lui. Les Espagnols eux, vont aussi se tourner vers ce drôle de sport anglo-saxon et participent activement à sa démocratisation en constituant notamment deux clubs à Buenos Aires : le Club Deportivo Español et le CSR Español un peu plus tardivement.
Et nos Français ? Soyons honnêtes tout de suite, les Français sont assez absents des affaires footballistiques en ce début de XXème siècle. A contrario des autres communautés, le football ne semble pas être l’une des préoccupations principales des Français, qui sont un peu plus éloignés des zones urbaines où ce sport est en train de prendre de l’ampleur. Pourtant l’influence française est encore légèrement perceptible aujourd’hui dans quelques clubs d’Argentine.
Le Racing Club Avellaneda en 1903. German Vidaillac est le premier assis, en partant de la gauche.
Si le nom de Germán Vidaillac ne vous dit rien, c’est assez normal. Peu connu même dans son pays, cet Argentin descendant de basques français a pourtant pris une décision plutôt importante lors de l’année 1903. A ce moment-là, le Racing Club d’Avellaneda, qui s’appelle encore le Football Club Barracas al Sud, a déjà une année d’existence mais des conflits internes gangrènent le jeune club, notamment sur la couleur des maillots, conduisant même à un scission et à la fondation d’un club dissident, le Colorados Unidos. Une nouvelle réunion est alors planifiée et la situation se détend entre les deux parties, jusqu’au moment où le choix du nouveau nom est évoqué. Vidaillac, qui vient juste de lire un magazine dans lequel est mentionné le grand Racing Club de France, soumet le nom au comité qui, emballé par l’idée, le valide immédiatement. Terminé donc le Football Club Barracas al Sud, désormais, grâce à un petit coup de pouce du destin, place au Racing Club d’Avellaneda, qui est devenu au fil des années, un club populaire et couronné de succès en tout genre. Un club, devenu el Primer Grande de Argentina, qui aurait peut-être influencé un certain René Goscinny (qui a passé quelques années en Argentine) pour la création de la tenue ciel et blanche du très célèbre gaulois de bande-dessinée Obélix. La boucle est bouclée.
Même son de cloche chez les Calamars. Au coeur du quartier français de Recoleta, au milieu de l’année 1905, un groupe de personnes fonde le club de Platense, qui devient par la suite l’un des clubs les populaires d’Argentine et la capitale Porteña. Parmi la bande originelle qui compose le premier comité de direction de l’institution, on peut y retrouver quelques noms à consonance française : Roque Jaureguiberry et Leopoldo Lacoste.
Plus au sud de Buenos Aires, on peut aussi retrouver une petite part de l’héritage français. À Lanús plus exactement, une ville d’environ 450 000 habitants qui possède l’un des clubs de foot les plus célèbres d’Argentine (et pourvoyeur intarissable de mauvais jeux de mots en France), le C.A Lanús. Celui que l’on surnomme el Granate (le Grenat) tire son nom d’un commerçant argentin, Anacarsis Lanús, fils de Jean Lanusse, né dans les Pyrénées-Atlantiques. Comme pour Platense, l’histoire française s’arrête hâtivement malheureusement, mais elle a tout de même le mérite d’exister.
Dans la province de La Matanza, à quelques encablures de la capitale argentine, se trouve la petite municipalité de Gregorio de Laferrère. Fondée en 1911, la ville porte le nom d’un Argentin d’ascendance française, Gregorio de Laferrère. Homme politique et dramaturge connu pour ses vaudevilles, Gregorio de Laferrère n’a pas énormément de liens avec le football. Décédé en 1913, son vaste héritage ne se trouve pas seulement dans ses œuvres mais aussi dans le nom du club de la municipalité, le Deportivo Laferrère, un club affilié à l’AFA depuis 1978 et habitué des basses divisions du pays.
Plus à l’ouest, à presque mille kilomètres de Buenos Aires, une autre équipe peut se targuer de faire vivre (indirectement) le souvenir français en Argentine. À San Rafael dans la province de Mendoza, évolue le Sportivo Pedal Club. Végétant dans les divisions régionales depuis le début de sa création, le club possède tout de même une particularité significative : ses couleurs sont celles du drapeau français. Un choix plutôt curieux car rien n’indique que les fondateurs du club possédaient des origines françaises. Le 14 avril 1924, le Sportivo Pedal Club voit le jour dans un magasin de bicyclettes de San Rafael. Après avoir expédié les affaires les plus importantes, les fondateurs se penchent alors sur la questions des couleurs du maillot. Un des participants, Graciliano Trimiño, qui avait pris un drapeau français avec lui, propose d’utiliser les mêmes couleurs. N’y voyant aucune objection, les membres acceptent et le Tricolor Sanrafaelino voit définitivement le jour.
Le Sportivo Pedal Club, le jour de la présentation de ses nouveaux maillots, avec en fond le drapeau français, comme un rappel à l’histoire du club.
Retour près de Buenos Aires, et plus précisément au sud-ouest de la capitale, à Punta Alta. Comme pour le Sportivo Pedal Club, le Club Rosario Puerto Belgrano utilise lui aussi les couleurs tricolores pour habiller son club. Mais à contrario des Sanrafaelinos, les raisons qui ont poussés la direction à choisir le bleu-blanc-rouge sont connues et ne sont pas seulement liées au hasard. Fondé le 3 avril 1920, l’histoire du Club Rosario Puerto Belgrano est étroitement liée à celle des chemins de fer argentins. Au début du XXème siècle, les lignes ferroviaires se multiplient dans le pays. Parmi les ingénieurs ayant réalisé la construction de la ligne reliant Rosario à Punta Alta, se trouvent deux français : François Sisqué et Edouard Otten. Le premier ayant cédé des terrains au club pour construire le premier stade, se voit naturellement proposer un poste au sein de l’un des premiers comité du club. En hommage, le club adopte, quelques mois plus tard, les couleurs françaises.
Au contraire de ses homologues européens qui ont vu rapidement dans le football un outil de convivialité populaire, communautaire et fédérateur, les Français n’ont jamais réellement fait du football une affaire primordiale. La faute à un éloignement géographique des colonies françaises, par rapport aux grandes zones urbaines, premiers lieux de développement puissant du football argentin. La faute aussi, peut-être, à un manque de considération pour un sport importé par l’ennemi britannique. Malgré tout, encore aujourd’hui, l’héritage français, bien que léger, reste encore très perceptible dans le microcosme du football argentin.
L’immigration française n’aura donc pas été l’un des moteurs dans l’expansion du football en Argentine. Peu intéressé par le ballon rond à la base, les Français ont fait l’impasse sur les clubs. Ce n’est qu’au début du vingtième siècle et au moment de l’explosion du football partout dans le monde que les Franco-Argentins commencent à s’y intéresser. Petit à petit d’ailleurs, il est de moins en moins rare de voir surgir des noms à consonances françaises dans les effectifs des clubs argentins.
Formé à Tigre, Hector de Bourgoing est l’un de ceux-là. Descendant de diplomates français basés en Espagne, De Bourgoing est l’un des premiers joueurs franco-argentins professionnels en Argentine et l’une de ses figure de proue. Né à Posadas, cet attaquant de formation passe la majeure partie de sa carrière en France, à Nice, Bordeaux et au Racing Club France. Il compte même cinq capes avec les Tricolores même si sa sélection a provoqué, au début, un imbroglio à la Fédération, du fait de ses sélections antérieures avec l’Albiceleste et de sa double nationalité. Et même si aujourd’hui son nom est un peu tombé dans les limbes des joueurs oubliés, il ne fait aucun doute que lui et ses 153 buts dans le championnat de France auront ouvert la voie à bien d’autres.
D’ailleurs, au début des années 60, l’Olympique Lyonnais (et quelques autres) se mue en spécialiste français des joueurs argentins en engageant coup sur coup, deux joueurs aux ascendances françaises, Nestor Combin et Ángel Rambert. Les deux réunis feront les beaux jours de la Capitale des Gaules. La Foudre Combin marque 78 buts et gagne la Coupe de France 1964, tandis que Rambert joue 10 ans et 380 matchs sous les couleurs lyonnaises, empochant lui aussi la Coupe de France 1964 mais aussi celle de 1967. Comme Hector de Bourgoing d’ailleurs, les deux joueurs se retrouvent même à jouer avec le maillot bleu le temps de quelques sélections et d’une Coupe du Monde pour Combin, en 1966. Sebastián, le fils d’Ángel, va aussi connaître les joies du monde professionnel en Argentine et en Espagne notamment.
“La Foudre” Nestor Combin. Né à Las Rosas en Argentine et ici avec le maillot frappé du Coq, avant la Coupe du Monde 1966.
Dans les années 70 et 80, le joueur argentin est un joueur à la mode en Europe et plus particulièrement en France. Delio Onnis, Jorge Burruchaga, Carlos Bianchi et tant d’autres y ont gagné le statut de grand joueur et/ou de légende dans leurs clubs respectifs. Et évidemment, lorsque l’on parle de footballeurs franco-argentins, comment ne pas évoquer la famille Trezeguet ? Si l’immense David est lui né en France, Jorge lui est bien né en Argentine. Originaire de Morón, à l’ouest de la capitale, il commence sa carrière professionnelle à Chacarita Juniors avant de bifurquer vers Rouen en 1976. Il n’y joue que trois petites années et termine sa carrière française sur une descente en deuxième division, en laissant néanmoins un bon souvenir aux supporters normands. Comme pour les joueurs cités au-dessus, Jorge Trezeguet (et David par la même occasion) est un descendant de français, du Lot-et Garonne plus précisément et comme eux également, il a eu l’occasion d’arpenter les terres françaises.
Même si c’est un peu différent, la famille Higuaín a aussi foulé les terres françaises. Et surtout Jorge, le papa. Ancien défenseur du Stade Brestois (anciennement Brest Armorique), Jorge Pipa Higuaín passe une seule saison en Division 1, lors de l’exercice 87-88. Son fils Gonzalo Pipita Higuaín, est né en France et possède la nationalité française également. Et même si les deux joueurs n’ont absolument rien à voir avec l’immigration française d’Argentine, car ils ne possèdent pas d’aïeux français, ils auront aussi contribué à leur manière, à la pérennisation des liens franco-argentins.Comme Gonzalo Higuaín et à l’inverse des joueurs précédemment cités, certains joueurs d’origine française n’ont parfois jamais foulé le pré hexagonal, comme Oscar el Mago Garré. Avec plus de 500 matchs joués, Garré est une véritable légende de l’incroyable Ferro Carril Oeste des années 80. Ce défenseur fait partie de la grande Argentine de 1986, championne du monde au Mexique. Il est d’ailleurs couronné en même temps qu’un autre joueur d’origine française, le gardien Ubaldo el Gato Fillol. Ses fils Ezequiel Garré et Emiliano Garré furent tous les deux des footballeurs professionnels ainsi que Benjamin, son petit-fils, qui est actuellement un joueur du Racing.
Oscar Garré, légende de Ferro et défenseur de la mythique Albiceleste de 1986, fait partie de la grande liste des joueurs argentins d’origine française.
Pêle-mêle, on peut encore citer les fratries Cambiasso (Esteban et Nicolás), Curuchet (Facundo et Cristian), Sebastian Dubarbier, éphémère joueur du FC Lorient, Juan Eluchans passé par le Stade Malherbe de Caen et même l’actuel entraîneur du Celta Vigo et ancien champion d’Argentine en 2019 avec le Racing, Eduardo Chacho Coudet. Et la liste est encore terriblement longue. Car depuis les années 90, les Gauchos d’origine française semblent s’être multipliés dans le petit monde du football argentin.
L’histoire franco-argentine dans le football reste, malgré tout, plutôt vaste. Pas collectivement donc, car les Français n’ont jamais directement fondé de clubs pour s’y retrouver entre amis ou collègues, comme l’ont fait les Italiens et les Britanniques. Non, cette histoire est plus individuelle. Une histoire faite de grands joueurs et de moyens, aux carrières diverses et variées. Une formidable histoire, commencée au milieu du XIXème siècle et qui perdure encore aujourd’hui, au XXIème. La jeune génération n’est pas en reste et frappe déjà à la porte de cette longue liste. Aujourd’hui il n’est pas rare de croiser, au détour d’un effectif, des joueurs comme Franco Rivasseau, gardien de Patronato ou Jeronimo Pourtau, lui aussi portier à Estudiantes.
Ce phénomène, de plus en plus massif, s’est d’ailleurs étendu dans d’autres disciplines sportives dans lesquelles les Argentins se défendent bien, notamment dans le rugby ou le hockey. Et la France elle, n’est pas en reste. À travers son histoire quasi bicentenaire avec l’Argentine, elle est devenue aujourd’hui un endroit privilégié pour les joueurs argentins. D’ailleurs, depuis la professionnalisation du football au milieu des années trente, c’est plus de 200 joueurs Gauchos qui ont foulé les pelouses du championnat français, avec plus ou moins de réussite.
Aujourd’hui les descendants de français représentent six millions de personne dans la population argentine. Depuis 1949, un jour leur est même consacré (avec d’autres nationalités) dans le calendrier argentin, le 4 septembre ou el Día del Inmigrante. À travers cette large histoire commune, il est toujours beau de voir que le lien entre les paysans français, venu chercher la prospérité dans la pampa Argentine, et les jeunes argentins d’aujourd’hui, n’est certainement pas prêt ni de se rompre, ni de s’arrêter.
Crédits photos : Agrocampus / MediaMendoza / PesMitiDelCalcio / RacingdeAlma / RadioCut