Le Fussball
·10 juin 2025
Football, pouvoir et répression : l’histoire inédite du BFC Dynamo

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·10 juin 2025
Dix titres de champions consécutifs, un lien indélébile avec la Stasi, une base de fans controversée mais fidèle : le BFC Dynamo, club mythique de Berlin-Est, incarne à lui seul les contradictions du football est-allemand. Plongée dans une histoire où la gloire sportive côtoie les manipulations politiques.
Officiellement fondé le 15 janvier 1966, le Berliner Fußballclub Dynamo (BFC) est né de la section football du SC Dynamo Berlin, mais ses racines remontent à 1949 avec la SG Volkspolizei Berlin, une équipe affiliée à la police est-allemande. En 1954, Erich Mielke, patron tout-puissant de la Stasi et président du Sportvereinigung Dynamo, organise le transfert autoritaire de l’équipe première du Dynamo Dresden, alors champion, vers la capitale de la RDA.
Cette relocalisation n’a rien d’anodin. En tant que capitale, Berlin-Est se devait rayonner face à Berlin-Ouest, bastion du Hertha BSC. Le BFC Dynamo devient ainsi l’outil du régime pour affirmer sa supériorité sportive, sous la tutelle directe de Mielke, surnommé « l’ami des joueurs ». Dès ses débuts, le club bénéficie d’un accès privilégié aux jeunes talents de Berlin et du district de Cottbus. Dans une Allemagne divisée, le BFC incarne la volonté de centralisation et de contrôle.
En Europe, le BFC Dynamo a parfois brillé par fulgurances : 60 matchs disputés sur la scène continentale, un quart de finale de Coupe des clubs champions face à Nottingham Forest en 1979-80, et une victoire mémorable 5-2 contre l’Étoile Rouge de Belgrade en 1978-79, avec un but signé Bernd Brillat. Mais malgré ces exploits ponctuels, le club ne parviendra jamais à franchir définitivement le cap des demi-finales. Son meilleur parcours restera celui de la saison 1971-72, en Coupe des vainqueurs de coupe, où les Berliner atteignent le dernier carré avant de s’incliner aux tirs au but contre le Dynamo Moscou. Un crève-cœur, qui symbolise les limites du BFC à l’échelle européenne malgré une domination nationale sans partage.
Cette domination suscite vite la controverse. Arbitrages litigieux, décisions favorables, « penalty de la honte » contre le Lok Leipzig en 1986 : le doute plane. Erich Mielke aurait directement influencé des transferts, n’hésitant pas à menacer les joueurs : « Si tu ne joues pas pour le BFC, ta carrière est finie », racontera plus tard Falko Götz, passé par le Dynamo de 1979 à 1983. Le surnom de « Stasi FC » colle alors définitivement au club.
Sous la houlette de Jürgen Bogs, les « Weinroten » remportent dix titres consécutifs en DDR-Oberliga (première division d’Allemagne de l’Est) entre 1979 et 1988, un record inégalé. L’effectif, très jeune (22,7 ans de moyenne en 1978-79), aligne des noms comme Andreas Thom, Hans-Jürgen Riediger, Bodo Rudwaleit, Thomas Doll ou Rainer Ernst. Cette saison-là, le BFC marque 75 buts, aligne 22 matchs sans défaite et inflige un retentissant 10-0 au Sachsenring Zwickau.
Si le BFC incarne le régime, ses tribunes racontent une autre histoire. Dès les années 70, le club attire une base jeune issue des quartiers ouvriers de Berlin-Est, notamment à Prenzlauer Berg et Berlin-Mitte. Le groupe Black Eagle, fondé en 1972, crée les premiers badges brodés à coudre, une première dans la RDA. Les stades deviennent un des rares espaces de liberté : punks, rockers, skinheads de gauche ou de droite, tous s’y retrouvent. Pour certains, soutenir le BFC, c’est défier le système de l’intérieur.
Mais cette scène dérive parfois vers l’extrême droite. Lors de la finale de la FDGB-Pokal 1988 contre le Carl Zeiss Jena, des hooligans chantent des slogans fascistes et provoquent de graves incidents, malgré la présence d’Egon Krenz (haut dirigeant et dernier chef de la RDA) et Erich Mielke (patron de la Stasi). La Stasi tente d’étouffer les chants lors des retransmissions télévisées.
En 1985-86, la Stasi recense 22 fan-clubs non officiels du BFC contre seulement 6 enregistrés, bien moins encadrés que ceux de l’Union Berlin, son rival historique de Berlin-Est. Cette rivalité, aujourd’hui plus ou moins atténuée par la différence de niveau, fut jadis exacerbée : Union se voulait le club « populaire », loin des manœuvres du pouvoir.
Après la réunification, les supporters se battent pour la survie de leur club. En 2001, alors que le BFC frôle la faillite, des centaines de fans marchent jusqu’à la Rotes Rathaus (mairie de Berlin), récoltant 30 000 marks. En 2023, le groupe Ultras BFC se dissout après une attaque, mais d’autres groupes, comme les 79er, Gegengerade (à gauche), ou Fraktion H, maintiennent encore la ferveur lors des matchs du Dynamo.
Crédit photo : Ronny Hartmann/Bongarts/Getty Images
Un centre de jour pour enfants, actif depuis 2003, vise à améliorer l’image du club, tandis que des banderoles comme « Thanks Norway » ou « There is a light that never goes out » soulignent l’ironie politique ou la sensibilité alternative d’une partie de ses tribunes.
La chute du Mur en novembre 1989 marque la fin d’un monde. La Stasi disparaît début 1990, le club perd son soutien et ses meilleurs joueurs s’exilent : Andreas Thom file au Bayer Leverkusen, Thomas Doll au Hamburger SV. Le 19 février 1990, le club tente une rupture symbolique et devient le FC Berlin. Mais le mal est fait.
Quatrième de la DDR-Oberliga 1990-91, le BFC échoue à rejoindre la Bundesliga ou la 2. Bundesliga. L’affluence s’effondre année après année (11 500 spectateurs de moyenne en 1989 contre 1 700 en 2019), les finances se dégradent. Les promesses d’investissements s’évanouissent, tandis que des détournements de fonds, orchestrés par le SV Dynamo ou certains agents, freinent lourdement toute tentative de relance du club. L’insolvabilité est déclarée en 2001.
Sauvé in extremis par des supporters et anciens du club, le BFC efface ses dettes en 2004 et retrouve la NOFV-Oberliga Nord (D4 à ce moment là, D5 aujourd’hui). En 1999, les Weinroten retrouvent son nom historique : BFC Dynamo.
Depuis 2010, le BFC se stabilise. En 2013-14, l’équipe, invaincue, décroche sa promotion en Regionalliga Nordost (D4) sous Volkan Uluc. En 2021-22, elle remporte le championnat mais échoue en barrages de promotion pour la 3.Liga face au VfB Oldenburg. En 2023, Rufat Dadashov marque 13 buts mais le club termine deuxième. Cette saison, le BFC Dynamo a terminé à la 4ème place du championnat.
Crédit image : Christof Koepsel/Getty Images for DFB
Sous la présidence de Peter Meyer, le BFC récupère son écusson historique en 2023 et structure son avenir. Le Sportforum Hohenschönhausen, sans chauffage au sol ni éclairage adéquat, bénéficie d’un plan d’investissement de 4 millions d’euros du Sénat de Berlin. Un projet de stade moderne (10 000 à 15 000 places) reste en suspens, bien que promis depuis 2006.
Le club peut compter sur l’engouement croissant de ses membres : en 2021, il a enregistré la troisième plus forte hausse d’adhésions à Berlin, derrière le Hertha BSC et l’Union Berlin.
Le BFC Dynamo reste un cas unique dans l’histoire du football allemand. Véritable vitrine du régime est-allemand, il a été une machine à gagner… mais aussi un club honni pour son lien avec la Stasi. Aujourd’hui, son identité repose sur une contradiction féconde : un passé sulfureux et une base de fans passionnée, déterminée à tourner la page sans l’oublier.
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Crédit image : Christof Koepsel/Getty Images for DFB