Exténué mentalement, Íñigo Martínez ou l’homme qui a renoncé à l’Euro pour se reconstruire | OneFootball

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·5 septembre 2021

Exténué mentalement, Íñigo Martínez ou l’homme qui a renoncé à l’Euro pour se reconstruire

Image de l'article :Exténué mentalement, Íñigo Martínez ou l’homme qui a renoncé à l’Euro pour se reconstruire

L’Euro devait être la 1re compétition majeure d’Íñigo Martínez avec la Roja. Mais usé mentalement, le défenseur central de l’Athletic a pris son téléphone pour annoncer à Luis Enrique qu’il préférait renoncer pour se reconstruire. Une décision très rare dans le football et qui fait écho au désarroi psychologique de Naomi Osaka et Simone Biles.

L’argent ne fait pas tout. Un footballeur professionnel peut être particulièrement bien payé, son salaire ne constitue pas un rempart indestructible face aux doutes, à l’usure psychologique et la dépression. De nombreux joueurs ont dû surmonter des épreuves liées à la concurrence exacerbée et à la pression constante qui est leur quotidien depuis le début de leur adolescence. Certains, comme Robert Enke, ont commis l’irréparable. En mai 2018, Bojan Krkic, annoncé comme le futur très grand joueur espagnol, s’était livré auprès de Sid Lowe pour évoquer son anxiété qui l’avait contraint à renoncer à l’Euro 2008 avec la Roja, ce qui avait été caricaturé par la presse espagnole comme un refus malpoli et déplacé de sa part alors qu’il était sous traitement médical.


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« Ceux qui ont des sentiments, qui sont sensibles, qui peuvent être affectés, ont besoin d’un bon bouclier. Les footballeurs sont très jeunes et sont exposés. Même en U15, les joueurs ont Twitter et je suis sûr qu’ils ont déjà reçu des insultes… C’est moche, ça souille la société et le football » Bojan Krkic dans le Guardian, le 18 mai 2018

Depuis plusieurs mois, le tabou de la fatigue mentale s’est (un peu) brisé. Naomi Osaka et Simone Biles, deux icônes du tennis et de la gymnastique, ont dévoilé leurs failles au grand jour. Être athlète de haut niveau est harassant, physiquement et mentalement. Renoncer va à l’encontre de ce qu’est un sportif. Et pourtant, il est parfois raisonnable de faire une pause pour recharger les batteries. Íñigo Martínez s’est autorisé ce luxe, quitte à renoncer à l’Euro où il avait pourtant une place assurée dans la liste de Luis Enrique.

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Photo : SUSA / Icon Sport

Honnêteté personnelle

Le football a beau être une passion, c’est aussi un métier. Et comme dans toute activité professionnelle, il y a un ressenti au travail. Les sommes dépensées, les ambitions démesurées, les retours sur investissement sont exacerbés. Les joueurs sont quantité négligeable face aux décideurs qui proposent toujours plus de matches pour enregistrer davantage de revenus en dépit du bon sens, à commencer par la santé des joueurs. Face aux attentes, il faut avoir du courage pour dire stop. C’est ce qu’a fait Íñigo Martínez. Avec la pénurie de défenseurs centraux, le Basque avait une place garantie pour disputer l’Euro. Mais même s’il n’avait jamais participé à une compétition internationale avec la Selección, il a refusé de participer pour se préserver mentalement.

« J’ai décidé d’arrêter. C’était le moment de prendre cette décision. Je devais être honnête envers moi et mes coéquipiers. C’était le mieux. Je savais qu’une compétition très exigeante arrivait, qu’il fallait être à 100% et je ne l’étais pas. J’y pensais depuis un certain temps. Ce fut un moment difficile car dire non à un tel rendez-vous coûte énormément. Mais l’idée était de pouvoir revenir et d’être à 100% » Íñigo Martínez dans Marca, 1er septembre 2021

Renoncer pour mieux rebondir

Dans la série « Six Goals », Andrés Guardado affirme, pour redonner le moral à Aïssa Mandi, que le football est fait pour rendre heureux, pas pour énerver. Mais que faire quand la tête ne parvient plus à suivre et que le terrain provoque plus de dégoût que de plaisir ? Les places sont chères, les statuts et les hiérarchies peuvent basculer très vite et il vaut mieux mettre un mouchoir sur ses états d’âme. S’il est le référent défensif des Leones et qu’il est un cadre de l’effectif, Íñigo Martínez a pu s’épancher.

« Ce ne sont pas des moments faciles. Tu sens que tu n’as plus ni envie ni forces pour te battre. Tu arrives à l’entraînement et tu ne profites plus comme il se doit. Il faut savoir dire stop. J’en suis arrivé là et j’ai dû m’arrêter. L’Athletic le savait. J’ai dû jouer jusqu’à la fin de saison car il y avait des blessés. Mais si cela n’avait été que de moi, j’aurais arrêté bien avant » Í. Martínez dans Marca, 1er septembre 2021

La suite logique était de l’annoncer à Luis Enrique. Tout faire pour appartenir à l’élite et finalement renoncer à un tournoi qui représente une forme d’aboutissement sportif est un crève-cœur. Mais avoir la lucidité de laisser sa place, avec le risque de ne jamais pouvoir vivre un tel rendez-vous, est un authentique acte de courage.

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Icon Sport-  Juan Lazkano/DeFodi Images)

Prise de position salutaire

Au-delà de son cas personnel, le Basque expose le besoin d’intervenants spécialisés pour s’occuper du mental des sportifs de haut niveau. Une démarche de plus en plus souvent développée par les clubs mais qui a mis du temps à se démocratiser. Souvent présentés comme des demi-dieux, les footballeurs traversent des périodes difficiles et la remise en question est constante. Solliciter une aide extérieure devient, dès lors, essentiel.

« Il faut que cela devienne normal. Quiconque a besoin d’aide à un moment de sa vie. Je continue d’aller voir un psychologue. Nous en avons un au club. J’étais de ceux qui disaient : pourquoi faire ? Mais avec le temps… Quand j’en ai eu besoin, j’ai décidé d’y aller » I. Martínez dans Marca, 1er septembre 2021

Le forfait et l’interview d’Íñigo Martínez dépeignent une réalité du football mise sous silence et régulièrement dépréciée au motif que la rémunération atténuerait les ressentis, sans jamais prendre en considération tous les efforts consentis et les obstacles franchis pour atteindre ce niveau. Ce genre de prise de parole est bénéfique et, n’ayons pas peur de le dire, de sauver des carrières et des vies.

François Miguel Boudet

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