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·20 décembre 2024
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Un concours de circonstances. Initialement sur le départ, Soungoutou Magassa a profité d’une blessure et d’un repositionnement tactique pour lancer sa carrière professionnelle. Pur produit du centre de formation de l’AS Monaco, le milieu de terrain reconverti défenseur central enchaîne les belles prestations depuis le début de saison. Au point d’intégrer l’équipe de France espoirs et d’être considéré comme l’un des meilleurs U21 d’Europe. Rencontre avec un filou assumé.
Voici quelques extraits de notre interview de Soungoutou Magassa. L’intégralité de cet interview de 8 pages est à retrouver dans le magazine n°365 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 13 mars.
Si tu étais journaliste, tu poserais quelles questions à Soungoutou Magassa ?
Je lui demanderais : « Qu’est-ce que ça fait de ne pas jouer à son poste ? », « Comment as-tu vécu tes débuts à Monaco » et « Que penses-tu du niveau de la Ligue 1 ». Ce sont des questions basiques.
Qu’est-ce qui est ressorti de tes premières prises de parole ?
Mon poste, l’équipe de France, le coach Adi Hütter, les matchs que j’ai joués, ma formation.
Petit, tu t’imaginais en interview ?
Bien sûr, ça m’arrivait souvent. Je me posais des questions et je me répondais, tout seul. Je me faisais des situations dans le lit, le soir. Je me disais : « Qu’avez-vous pensé de votre match ? », et je répondais, je fermais les yeux et je m’imaginais les scènes. C'était un rêve pour moi. Je m'interviewais, je répondais, questions-réponses. J’essayais de bien parler, sans bégayer. J’ai déjà fait une interview en fin de match contre Lens. Mais à la mi-temps, je ne pense pas que je serais à l’aise. Car c’est dur d’être lucide.
Ça fait quoi d’être connu des gens et sollicité par les médias ?
Ça fait plaisir. Ça montre que le travail fourni commence à être récompensé. Ce n’est que le début, c’est une fierté. Je me dis aussi que c’est éphémère. Ça peut aller dans les deux sens. Ça peut être positif comme négatif. C’est pour ça qu’il faut prendre du recul.
Tu regardes tes notes ?
Ça m’arrive. Je sais quand je vais être mal noté parce que je sais si j’ai fait un bon match ou pas. Et souvent, ça me montre que je ne me suis pas trompé dans mon analyse. Et que je dois mieux faire au match suivant. Il m’arrive aussi de taper mon nom sur twitter. Mais je ne prends pas les choses à cœur. J’ai déjà été piqué, mais seulement sur le coup. Après une mauvaise prestation, ça me critique forcément. Je peux lire : « Magassa est nul » ou « Magassa n’a pas le niveau ». Sur le coup, ça fait mal, mais je sais que c’est faux. Au bout de trois, quatre, cinq mauvais commentaires, je ferme l’application. Je n’y prête pas plus attention que ça. J’ai aussi lu des commentaires positifs, mais je ne donne pas une grande importance à tout ça, car je sais que c’est éphémère. Tu fais un bon match, on t’encourage, tu fais un mauvais, on te critique. C’est le jeu.
C’est ta première véritable saison avec les pros de l’AS Monaco. Tu t’attendais à ce quotidien ?
Oui, je m’y attendais. C’est la vie classique du footballeur : mise au vert, déplacement, récupération, entraînement. Tout va bien pour l’instant. On me reconnait dans la rue, ça fait plaisir. C’est particulier de voir des gens heureux de te voir, je sens que ça leur procure des émotions positives. C’est plaisant. Ça m’arrive de parler avec des supporters, d’échanger, de donner des conseils dans la rue.
Petit, tu allais demander des photos aux joueurs ?
Non, j’étais trop timide et réservé. Et aujourd’hui, j’ai toujours cette part de timidité. Je suis réservé, c’est bizarre, car petit, j’étais très agité. Je courais et sautais partout. Depuis que j’ai signé à Monaco en 2016, je me suis calmé. Avant, je me battais tout le temps, je criais tout le temps.
Comment ça se fait que tu aimais la bagarre ?
Je ne saurais pas l’expliquer. Je me battais souvent, et pour le moment, je n’ai pas beaucoup de défaite à mon compteur (rires). J’aimais faire des corps à corps.
Tu as grandi dans quel cadre ?
J'ai grandi à Sucy-en-Brie, dans un bon cadre, je n’avais pas à me plaindre. J’étais avec ma famille et mes amis, tout se passait bien. J’ai deux frères et une sœur. Je suis le deuxième. Ma mère était aide de cuisine dans une maison de retraite et mon père plombier. Mes parents travaillent encore, je leur ai demandé d’arrêter, mais ils ne veulent pas. Ils veulent d’abord que j’assure mes arrières avant d’arrêter.
Comment étais-tu à l’école ?
J'étais turbulent, bavard, excité. Je me suis calmé dès que je suis arrivé à Monaco. Comme je faisais trop de bêtises, ma mère me menaçait en me disant : « Je vais appeler Monaco ». Et j’avais peur de ça, donc je me tenais à carreau.
Tu étais bon dans quelle matière ?
Le sport (sourire). Et c’est tout… J’ai arrêté l’école après avoir obtenu mon bac pro commerce.
Soungoutou est un prénom atypique. Connais-tu la signification ?
Non, on m’a appelé comme ça en hommage à mon grand-père.
Qui est Soungoutou dans la vie de tous les jours ?
Je suis humble, joyeux, blagueur et simple. En dehors du foot, j’aime jouer à la play, mais sinon, je ne fais rien de spécial. Je joue à FIFA et à l’UFC, j’ai arrêté de prendre Monaco, car j’aime trop prendre mon joueur et tout faire avec (rires). Je cherche à dribbler, tirer, marquer, et forcément, je n’arrive pas à avoir de bons résultats car ce ne sont pas ses points forts. Je me trouve mauvais dans le jeu. Je passe du temps avec mon préparateur individuel aussi, je le vois tous les deux jours. Autrement, j’aime bien les séries : Power, Narcos, Snowfall ce genre de séries.
As-tu un personnage préféré ?
James Saint-Patrick, un mec qui essaie de s’en sortir. Il est intelligent, réfléchi, malin, il se fait rarement attraper. C’est une série à suspense qui te fait réfléchir. J’aime bien Franklin Saint aussi. Il a connu une belle ascension.
Petit, comment voyais-tu ton avenir ?
Je me voyais déjà footballeur, joueur dans un grand club. C'est tout ce qui m'animait. Je voulais juste faire du foot, être heureux. Je n’avais pas de plan B, je misais tout sur le foot. J’étais persuadé que ça allait passer.
Tu n’as pas peur que tout s’arrête ?
Non, franchement, je ne me pose pas de ce genre de questions. Je sais que ça peut arriver, mais ce n'est pas dans mon esprit. Si je fais les choses bien et que je suis épargné des blessures, il n'y a pas de raison que ça se passe mal.
Avant de démarrer un match ou pour la suite de ta carrière, tu n’as pas peur ?
Non, j'essaie de prendre beaucoup de plaisir. Ça reste un jeu, même s'il y a beaucoup d'enjeux. Tu as des responsabilités, Il y a un club derrière toi, des supporters, mais j'essaie de prendre ça vraiment comme un jeu, de m'amuser, de prendre du plaisir. Je n'ai pas ces questions, ces doutes en tête quand j’entre sur un terrain de foot.
Qu’est-ce qu’il se passe dans ta tête avant d’entrer sur un terrain ?
Je me dis : « Il faut que tu sois toi-même, que tu prennes du plaisir, que tu m'amuses, que tu sois efficace, que tu sois bon, que tu performes ». Avant les matchs, j'essaie de ne pas être trop concentré non plus, je rigole avec mes coéquipiers. Quand tu es trop concentré, l’erreur peut arriver. J’essaie d’être détendu, mais sans être distrait.
Tu te renseignes sur les attaquants que tu vas croiser ?
Non. Je connais déjà les joueurs et les profils. Mais je ne me renseigne pas sur le joueur qui sera en face de moi. Je me dis que si je fais bien les choses, je n’ai pas à m’adapter à eux. C’est à eux de s’adapter à moi. Je me concentre sur moi et sur ce que j’ai à faire.
Comment réagis-tu après une erreur ?
Je switche rapidement. Évidemment, il y a de la déception. Mais je fais vite abstraction de ce qu’il vient de se passer.
Et quand tu prends le dessus sur ton adversaire ?
Ça me met en confiance. Ça me donne envie de faire plus, de continuer à faire ce que je fais.
Quels sont les gestes qui te mettent en confiance, par exemple ?
Les récupérations de balle, le jeu vers l'avant, obtenir une faute et réussir tout ce que je tente. Et non, je discute pas avec mon adversaire, je reste dans mon match. Je n’ai jamais été provoqué avec les pros, juste en réserve. Je pouvais me faire insulter, me faire écraser les pieds, mais ça me faisait rire. J’avais simplement envie d’être performant.
Au centre de formation, vous étiez beaucoup de jeunes. Pourquoi Soungoutou évolue en pro et pas un autre, selon toi ?
Au début, je n’étais pas le meilleur ou l'un des plus forts, j'étais bon. Au fur et à mesure des années, j'ai su gravir les échelons. Chaque année, ça n’a jamais été simple. J’ai toujours commencé remplaçant ou en dehors du groupe. J’étais frustré et déçu. Mais je me suis réfugié dans le travail. Et quand j’ai eu ma chance, j’ai su la saisir à chaque fois. Je n’étais jamais surclassé par exemple. Je profitais d’une blessure ou d’une absence. Et à l’entraînement, j’étais bosseur, je ne montrais jamais ma frustration. Je me donnais toujours à 100%.
Tu ne te posais pas de questions ?
Si, évidemment. La génération 2002 était vraiment forte. Je voyais l’écart de niveau entre les 2002 et moi. En plus, on ne gagnait pas souvent. Je me disais : « Ça va être chaud ». Après la signature de mon contrat pro à Monaco, j’ai intégré la N2. Au début, je jouais en U19 simplement, et je m’entraînais en réserve. Pour commencer, le coach m’a donné 30 minutes, j’ai fait une bonne entrée. Et depuis ce jour-là, je ne suis plus jamais sorti de l’équipe. Et je suis devenu capitaine.
Tu as dû être repositionné pour jouer avec les pros, souvent les joueurs n’aiment pas ça.
On n’aime pas du tout ça. Mais c’est mieux d’être défenseur en Ligue 1 que milieu en N2. Au début, j’ai vraiment eu du mal à jouer à ce poste, je prenais moins de plaisir, je touchais moins de ballons. Moi, j’aime courir à gauche, à droite, toucher des ballons, monter, attaquer, défendre. Quand on m’a mis défenseur, au début, je n'étais pas d'accord. Mais au fur et à mesure du temps, j'ai pris en maturité et je me suis dit : « Je dois jouer, le coach a besoin de moi et si un jour je dois repasser milieu de terrain, il faut que je sois prêt ».
Quelles sont les différences notables entre les deux postes ?
En défense, si tu fais une erreur, ça se paie cash. Au milieu, on te voit davantage dans un match, tu touches plus de ballons. J’aime ça : toucher des ballons, monter, tirer, marquer. Alors qu'en défense, tu es derrière, tu défends, tu touches moins le ballon, tu es moins vu. Je prenais moins de plaisir à jouer défenseur.
Et aujourd'hui, ça va mieux ?
Aujourd'hui, ça va mieux. En plus, là, à Monaco, on joue dans une défense à trois. Je touche déjà pas mal de ballons. Et du moment que je joue, ça ne me pose aucun problème. J'essaie de répondre présent quand le coach fait appel à moi, que ce soit au milieu ou en défense.
Comment le coach est parvenu à te convaincre à jouer défenseur ?
C'était en début de saison. J'étais en instance de départ pour un prêt. Ensuite, le coach m'a fait jouer 20 minutes contre Leeds en amical, car Ruben Aguilar s’est fait mal à l’épaule. J’ai dépanné en tant que défenseur. J’ai fait une bonne entrée, le coach m’a dit qu’il voyait un potentiel en moi en tant que défenseur. Il m’a ensuite dit : « Le week-end prochain, tu seras titulaire en défense ». J’ai fait un bon match, après ça, il m’a dit : « Je ne veux plus que tu partes ». J’ai joué contre Arsenal, et ce match m’a réellement révélé en tant que défenseur. J’ai fait un gros match, le coach m’a dit : « Ce sera ton poste cette saison ».
La saison dernière, tu ne jouais pas. Ça fait quoi de se retrouver sur le devant de la scène ?
Ça fait plaisir. Tu attends ça depuis un moment et quand l'opportunité se présente, tu es excité, tu as envie de vivre ça tous les week-ends, tu as envie de jouer, tu es pressé. Il y a un peu de pression, forcément, mais tu essaies de rester dans ta bulle, concentré et faire abstraction de ce qu'il se passe autour.
Comment étais-tu avant ton premier match de Ligue 1 ?
J'étais impatient de jouer, j'étais pressé. Je voulais jouer parce que j'avais fait beaucoup de groupes avant de jouer. Je regardais comment les joueurs se préparaient dans le vestiaire, je regardais les supporters, l’atmosphère. Je voyais que Axel Disasi et Youssouf Fofana s’échauffaient vachement avant les matchs. Ils s’échauffaient bien, ils étaient dans leur bulle avec leur musique. Ils étaient vraiment concentrés. Moi, j'arrivais dans le vestiaire, je parlais avec les jeunes qui venaient de monter avec les pros. J'étais moins concentré qu'eux. J'ai vu qu'il fallait vraiment entrer dans une bulle pour être performant durant le match. Il y a aussi les supporters, l’ambiance, ça te pousse, ça te donne envie. Franchement, le 12ème homme, tu le sens vraiment quand tu es sur le terrain.
As-tu été étonné par quelque chose en particulier ?
Lors du match retour contre le PSV en barrage de Ligue des Champions, à l’extérieur, on menait au score, et à la fin du temps réglementaire, le PSV marque, et on va en prolongation. Leur stade a explosé, c’était impressionnant. J’étais sur le banc, j’ai reçu une bière sur la tête. Les joueurs du PSV étaient boostés, ils courraient partout, on a encaissé un but à la fin. On a loupé la qualification. C’était mon cinquième ou sixième groupe avec les pros. J’avais été choqué par les supporters. Je me disais : « Moi aussi, je veux vivre ça ! ».
Tu gagnes désormais bien ta vie, comment gères-tu tes finances ?
Je ne m'attendais pas à gagner autant d'argent aussi jeune. Mais comme j'ai un bon entourage, une bonne famille, je suis bien encadré. Du coup, j'arrive à garder les pieds sur terre. Je me dis toujours : « Aujourd’hui, tu as de l’argent, ça se passe bien pour toi, mais on ne sait jamais ce qu’il peut se passer demain, du coup, économise, investis et sois intelligent ». Il ne faut pas faire n’importe quoi. Tout va vite dans les deux sens. Tu peux avoir beaucoup un jour, plus rien le lendemain. Il faut faire attention, j’ai eu de la prévention par rapport à tout ça. Ma famille m’a mis en garde, les cadres du vestiaire aussi. Ils parlent beaucoup. Ils nous disent : « Vous êtes jeunes, vous gagnez bien, faites attention ».
Comment se passe la vie à Monaco avec toutes les tentations ?
De base, je suis quelqu'un qui n’aime pas trop sortir. Je suis casanier, donc ça m'évite des problèmes. Je n’aime pas me mélanger. J’essaie de rester dans mon petit cocon avec mes amis. Et mon prépa aussi, c’est un bon passe-temps, je trouve. Quand je m'ennuie, je vais faire des soins ou m'entraîner. Ça m'évite de faire des choses négatives en dehors du terrain ou d’être dissipé. Il n’habite pas loin de chez moi. Quand je ne fais rien, je l’appelle, on fait des séances. J'essaie de me développer physiquement, bas du corps, haut du corps. C’est un plus. Même si au club, je travaille bien, ça m’apporte un plus qui peut m’aider. Je suis encore jeune, je peux me développer.
Tu regardes les défenseurs à la télé ?
J'essaie, mais j’ai toujours ce côté milieu de terrain qui revient (sourire). Je regarde les défenseurs, leurs déplacements, comment ils réagissent après un but. Mais je reste toujours attiré par mon poste de prédilection.
Tu dois attendre aussi ton premier but avec impatience…
Grave ! J'ai eu plusieurs opportunités, mais ça ne s’est pas concrétisé. J’ai déjà ma célébration en tête. Je vais faire une glissade sur mes genoux. Je vais même en faire plusieurs. Ce jour-là, ce sera inoubliable, je vais faire trois ou quatre célébrations en même temps. Je ne vais plus m’arrêter (sourire). J’attends ça avec impatience.
As-tu une anecdote marquante ?
Durant mon adolescence, j’ai effectué plein de tests. Et mon premier test était à Nantes. J’avais participé à un tournoi avec le FC Nantes en U12. Et c’est le coach de la catégorie au-dessus qui m’avait accompagné pour le test. J’étais stressé, je n’avais pas été bon. Je n’avais joué que deux matchs sur six. Et sur tout le trajet retour, le coach m’avait critiqué. Il disait : « Soungoutou, qu’est-ce qu’il est nul ! » et moi, pendant ce temps-là, je faisais semblant de dormir. J’entendais vraiment tout. Il disait aussi : « Il nous a humiliés, il a mal représenté le club ». Il n’arrêtait pas de me critiquer. Quand on est sortis de la voiture, il a voulu me serrer la main et je lui ai dit : « non ». Depuis ce jour-là, je l’ai un peu en travers de la gorge. J’ai été marqué par cet épisode. Maintenant, c’est du passé, j’ai récemment parlé avec lui. Sur le coup, ça m’a vraiment fait mal. Quand j’ai refusé de lui serrer la main, il m’a dit : « Tu nous entendais depuis le début », et je n’ai pas répondu, j’étais trop énervé. Je suis rentré à la maison et j’ai pleuré dans ma chambre.
Tu pleurais beaucoup ?
Je pleurais tout le temps. Je ne contrôlais pas mes émotions, je pleurais pour un oui ou pour un non. Maintenant, c’est fini, c’est de l’histoire ancienne. Même au centre de formation, j’ai pleuré. À mon arrivée, dès le premier match de championnat, j’ai pleuré. Avant de signer, j’étais tout le temps titulaire et surclassé. Et là, j’étais remplaçant avec ceux de mon âge. Ça m’a fait bizarre de m’asseoir sur le banc. Je n’avais jamais connu ça. Le coach m’avait fait entrer deux minutes contre Castelneau. J’étais choqué. Je m’étais échauffé pendant 45 minutes pour jouer 2 minutes. Après, je suis rentré dans ma chambre, j’ai pleuré, j’ai appelé ma mère pour lui dire : « C’est trop dur, je n’en peux plus ». Je pleurais sous la douche, je comprenais rien à ce qui m’arrivait. Je ne montrais pas aux autres que je pleurais. J’ai connu une première année difficile.
Tu pleurais pour d’autres choses ?
Oui, quand mon frère me disait que je n’allais pas devenir footballeur. Ça me touchait. Il me comparait à d’autres joueurs de ma génération. J’avais des coéquipiers qui étaient déjà au PSG et qui étaient forts. Ils étaient meilleurs que moi, en fait, j’étais dans les temps. On me disait : « Regarde, lui est fort, et toi, tu es nul ». On me comparait à Daniel Labila, il était au PSG, il est désormais à Hoffenheim. Il est prêté en D2. Et lui était vraiment fort. Quand on me comparait à lui, c’était méchant, c’était pour me blesser. Et moi, je pleurais. Maintenant, tu peux me critiquer, ça ne me fait plus rien. Mais petit, j’étais une pleureuse (sourire).
Pourtant, tu étais bagarreur…
Oui, c’était un problème de gestion des émotions. Je pouvais être énervé et pleurer. Mon frère aimait me défier aussi, on se confrontait tout le temps. On faisait des goal à goal, des 1 contre 1, je le battais tout le temps. Du coup, il se vengeait et me frappait. Bon, c’est vrai, que j’étais un mauvais joueur. J’étais prêt à tout pour gagner. J’avais tous les vices possibles. Je pouvais jurer et mentir pour me rajouter un but (rires). J’ai toujours eu cet esprit de gagnant. J’ai encore ce côté vicieux d’ailleurs. J’ai toujours essayé d’être le plus malin possible.
Ça fait quoi de jouer à l’AS Monaco ?
C’est flatteur de jouer dans un tel club, avec de grands joueurs. Je progresse au quotidien, j’observe les anciens, j’essaie de comprendre ce qu’ils font pour atteindre un tel niveau. J’analyse leur routine, j’essaie de les imiter. J’ai été marqué par le comportement d’Axel Disasi, c’est un vrai bosseur. Il ne s’arrêtait jamais, j’essayais de faire comme lui. Et puis se frotter à l’entraînement à des joueurs comme Ben Yedder ou Balogun, c’est formateur. Car le week-end, j’affronte des joueurs qui ne sont pas forcément de leur calibre. Du coup, je progresse plus vite. Ce sont des joueurs très intelligents. Ben Yedder est un véritable tueur devant les cages, il ne se loupe jamais. Du coup, il ne faut pas le laisser tirer. Balogun est très puissant, il ne faut pas lui laisser prendre de la vitesse. Il faut toujours anticiper. Les gars me conseillent. Face au PSG, j’ai fait une erreur, Maripan m’a réconforté. Comme je ne suis pas défenseur de formation, ils prennent le temps de m’aiguiller. Fofana, Maripan, Kehrer, Zakaria, ils m’aident et j’essaie de mettre en œuvre ce qu’ils me disent.
Tu t’énerves sur le terrain ?
Je peux m’énerver, mais j’essaie de rester tranquille. Si on prend un but bête, je peux m’énerver et crier, mais j’essaie de me contrôler.
Tu visionnes tes matchs ?
Oui, j’ai un analyste vidéo au club et un analyste vidéo perso. Après les matchs, j’aime regarder mes matchs pour voir ce que j’ai fait de bien et de moins bien. Je prends l'avis de mon entourage, de l'analyste vidéo du club. Comme ça, si la situation se répète, je pourrai faire les meilleurs choix.
Quelles sont les situations que tu gères mieux désormais ?
Je ne me jette plus. Parfois, j'ai encore des réflexes de milieu, à vouloir récupérer le ballon directement. Alors qu'en tant que défenseur, il faut temporiser, mettre en place un recule-frein, tu ne peux pas toujours aller au duel. Moi, j'avais cette tendance à vouloir récupérer le ballon à chaque duel, alors que ce n’est pas toujours possible. Parfois, tu peux avoir envie de te jeter pour récupérer le ballon, derrière l’adversaire en profite et te sanctionne. J’essaie d’être très réfléchi, je me parle à moi-même, je me dis : « Te jette pas, juste cadre, replie-toi », car je n’ai pas certains réflexes de défenseurs.
Vois-tu le match de la même manière en défense ou au milieu ?
Quand tu es en défense, logiquement, tu es face au jeu, tu as plus de temps pour exécuter les actions, tu vois le jeu venir, tu as le temps d'anticiper. Alors qu’au milieu, on te presse de partout, tu peux te retrouver dos au jeu, c’est plus difficile au milieu. Et comme j'ai joué milieu, j'ai plus de facilités en défense, que ce soit au niveau des relances ou de l’anticipation. Je sais aussi que je dois m’aguerrir sur certains points : duels aériens, tacles, jeu de tête, concentration.
Qui sont les défenseurs que tu regardes ?
J’aime bien Thiago Silva, il n’est pas très rapide, mais il se déplace bien, il a de l’expérience. J’aime Konaté aussi, il est puissant, grand, rapide, et intelligent. Mais la référence pour moi, c’est Thiago Silva. Je regarde ses skills sur YouTube. Quand je suis devant un match à la télé, je regarde plus les milieux ou le ballon. Les défenseurs, c’est moins attirant. Et même si je suis pas attaquant, je regarde Neymar, Messi, Dembélé, Modric, Kroos, j’aime visionner ce qu’ils font sur YouTube, ça me procure du plaisir. Parfois, je me dis : « Moi aussi, il faut que je fasse ça » (rires). Par exemple, Singo a fait un geste de fou face au PSG sur Barcola. Je me suis donné pour objectif de le reproduire. Je l’ai réussi à l’entraînement (sourire).
Comment gères-tu la concurrence ?
La concurrence, c'est bien. Ça te pousse à repousser tes limites, à être le plus fort possible. Parfois, c’est frustrant de ne pas jouer, car tu penses mériter de jouer. Mais ce sont les choix du coach, il faut les respecter. À l’AS Monaco, la concurrence est saine, tout le monde se tire vers le haut, tout le monde s’encourage, tout le monde comprend les choix du coach et les respecte. On fait avec.
Tu n’as pas été appelé pour la préparation aux JO, tu ne l’as pas mal pris ?
J’étais un peu déçu. Mais comme je joue moins ces derniers temps en club, c’était logique que je ne sois pas appelé. Les joueurs appelés jouent chaque week-end. Les JO restent un objectif. Quand tu es éligible et que tu es dans les pré-listes, tu as forcément en tête cette compétition. Ça approche, j’espère retrouver du temps de jeu et y aller.
Tu as moins de temps de jeu, comment ça se passe dans ta tête ?
Quand tu joues tous les matchs au début et que d’un coup, tu as moins de temps de jeu, c’est compliqué. Tu te poses certaines questions, tu essaies d'obtenir des réponses que tu n'as pas forcément. Ce n’est pas simple, mais il faut se réfugier dans le travail. Je sais que ma chance va revenir, il faudra que je sois prêt quand ça va se présenter.
Tu as mal fait certaines choses ?
À un moment donné, mes prestations ont baissé. Il y a aussi eu le retour de certains blessés. Quand le coach fait des choix, les résultats sont souvent positifs. On ne change pas une équipe qui gagne. Je suis patient, j’attends mon tour. Quand le coach fera appel à moi, je répondrai présent. J'essaie de relativiser, de me dire que je suis à Monaco, avec des tops joueurs. La saison dernière, je n’ai disputé que 3 matchs, cette saison, j’en suis déjà à 17. Je suis un compétiteur, je veux jouer tous les matchs, mais parfois, il faut positiver. L’idée est de devenir un joueur important de l’équipe. Monaco est un grand club, qui joue la qualification en LDC chaque année. Je me projette dans ce club, j’ai envie de faire de belles choses ici.
Quelle est ta meilleure anecdote à Monaco ?
Mon premier match en pro. Ce match va me marquer à vie. De base, j’étais en tribune parce que le coach prenait 23 joueurs. Et il n’y avait que 20 joueurs sur la feuille de match. À l’échauffement, Eliot Matazo ressent une gêne. Du coup, je passe de tribune à sur le banc. Au bout de 15 minutes, Fofana prend un rouge. Du coup, j’entre contre Rennes, à 10 contre 11. Tout ça n’était pas prévu, je ne m’y attendais pas. Mais j'étais prêt physiquement et mentalement à entrer. Je suis entré, j'ai réussi un très bon match. Je n’ai pas eu le temps de cogiter, j’ai fait un aller-retour à l’échauffement et je suis entré directement sur le terrain. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, de me poser des questions ou de stresser.
Pourquoi le numéro 88 ?
J'aime bien le numéro 8. Comme cette année, grâce à la nouvelle règle, on peut prendre un numéro jusqu’à 99, je me suis dit : « Mettre le 88, c’est stylé ». En plus, quand je faisais des carrières sur FIFA, je prenais le 88, je trouvais ça stylé. J’ai dit : « Allez, je vais faire ça dans la vraie vie ». J’ai toujours voulu ce numéro, car j’aime vraiment le numéro 8, je trouve ça beau. Avant, j’étais milieu, j’avais souvent le numéro 8. Du coup, j’ai dit : « Deux fois le 8, ça peut être encore plus beau ». Et j’ai demandé le 88. Tout le monde me disait : « Pourquoi, pourquoi », et moi, je ne voulais pas expliquer. Du coup, voilà la signification, je trouve juste ça beau (sourire). Le coach m’a d’ailleurs dit en anglais : « Tu es fou de choisir ce numéro ». Moi, j’ai répondu : « C’est juste pou le fun ». Et il a rigolé. Mais c’est vrai que c’est un numéro atypique. Je vais garder ce numéro toute ma carrière.
Si tu n'avais pas été footballeur, tu aurais fait quoi ?
Je n’en ai aucune idée. Parfois, on se pose la question avec mes amis et je n’ai pas la réponse.
Si tu pouvais bénéficier d'un super-pouvoir, tu choisirais lequel ?
Être invisible. Comme ça, je vois tout, j’entends tout, et personne ne me voit. Et je peux être partout. Je pense que voler, ça pourrait être bien aussi.
Si tu devais terminer l’interview par une phrase qui te représente ?
(Il réfléchit longuement) Je vais te dire trois mots : « Détermination, discipline, travail ».
Si tu devais te noter pour cette interview ?
Je me mets 8 sur 10, j’ai été bon, j’ai bien progressé (sourire).
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