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·17 décembre 2024
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Quelques jours avant de rejoindre la Guinée pour participer à la CAN 2023, Facinet Conte nous a reçus, durant 48 heures, en immersion dans son quotidien. La révélation du SC Bastia s’est, pour la première fois de sa jeune carrière, exprimée sur son histoire aussi singulière que touchante. De sa tragédie familiale à son éclosion en Corse en passant par son adoption au Maroc, « Fas’ » se confesse comme jamais. À la rencontre de la nouvelle pépite du football africain.
Voici quelques extraits de notre interview de Facinet Conte. L’intégralité de cet interview de 6 pages est à retrouver dans le magazine n°364 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 9 février.
Entretien réalisé avant son transfert au BSC Young Boys.
Comment s'est déroulée ton enfance ?
J’ai grandi avec ma grand-mère et mes oncles, à Conakry, en Guinée. Nous vivions dans une maison. Au début, je ne faisais pas de football, j’étais concentré sur l’école. Mais quand ma grand-mère est décédée, j’ai arrêté les études et j’ai tout misé sur le football. Ma famille m’a soutenu dans mon choix. J’ai six frères et sœurs, je suis le benjamin de la famille. Ils vivent tous en Guinée. Je n’ai jamais connu mes parents.
Comment étais-tu à l’école ?
J’étais pas mal. J’ai toujours été parmi les cinq premiers de la classe. J’étais bon en sciences et en mathématiques. Mais j’ai arrêté assez rapidement, à 13 ans. Ma grand-mère était tout pour moi. Lorsqu’elle est partie, je ne voulais plus rien faire. Je n’avais plus le moral.
Tu étais quel type d’enfant ?
Gentil, rigolo, discret (sourire). Je ne faisais pas de bêtises, je n’aime pas me faire remarquer. De base, je ne parle pas beaucoup. Je suis toujours très calme. C’est ma nature.
Comment as-tu débuté le football ?
Grâce à mon frère. Il est aussi décédé, que son âme repose en paix. Un jour, après m’avoir vu jouer au quartier, mon frère m’a dit : « Facinet, maintenant que tu as arrêté l’école, il faut te concentrer sur le football ». À force de jouer au quartier, j’ai intégré une académie qui s’appelle SIAK Foot, une structure informelle. On n’avait même pas de maillots, on jouait comme ça.
As-tu une anecdote sur ton enfance ?
Lorsque j’étais petit, j’étais avec ma grand-mère, mais elle ne voulait pas que je fasse du foot. Mes oncles aussi, ils refusaient tout le temps. Ils voulaient que je mise tout sur les études. D’ailleurs, la première fois où j’ai réellement joué au foot, c’était lors d’une détection, on était plus de 200 enfants. Et j’ai réussi à tirer mon épingle du jeu. Pour te dire, je n’ai jamais eu de crampons, c’est mes amis qui me prêtaient des crampons pour jouer.
Comment se sont passés tes débuts à SIAK Foot ?
Quand je suis arrivée à SIAK Foot, j’avais 13 ans. On a fait des matchs de détection entre nous et plusieurs clubs du pays se sont intéressés à moi. Mais les gens de SIAK Foot ont refusé, ils voulaient me garder près d’eux. Avant mes 13 ans, je ne jouais pas réellement au foot, enfin, je tapais le ballon tout seul. Après, des gens m’ont promis un essai en Italie. Mais je me suis retrouvé dans une situation compliquée. Je devais d’abord voyager au Sénégal pour avoir le visa. J’attendais tout seul dans une maison pour avoir les papiers. Finalement, je n’ai pas eu le visa. Et je suis rentré au pays. Je n’étais pas déçu, car je savais que j’allais réussir quoi qu’il arrive. Ma famille me soutenait.
Qu’as-tu fait par la suite ?
Lors d’une nouvelle détection, mon père adoptif et mon agent m’ont amené au Maroc. Ils m’ont placé dans une académie et j’ai été adopté officiellement. Des clubs comme Bordeaux, Ajaccio ou Auxerre m’ont sollicité. À mon arrivée au Maroc, ma vie a changé. Au début, c’était difficile, mais avec le temps, je me suis adapté.
Comment était le niveau au Maroc ?
Lorsque je suis arrivé, je me suis tout de suite dit : « Qu’est-ce que je suis nul ! ». Le football en Guinée et au Maroc, ça n’a rien à voir. Tactiquement, j’étais à la rue. On avait un coach brésilien à l’académie, il m’a dit : « Tu as des qualités, je vais te faire progresser ». J’ai bossé sur les déplacements par exemple. Comme je courais vite, on a travaillé sur les appels en profondeur. Il m’a montré comment je dois courir. Et j’ai commencé à devenir efficace.
Comment as-tu réagi lorsque tu as appris que tu devais te rendre en France pour des essais ?
J’étais trop content, mais c’était aussi dur. Je vivais au Maroc avec ma famille adoptive et on m’a dit : « Des clubs sont intéressés mais tu n’as pas le visa, tu n’as que 14 ans, tu ne peux pas voyager ». J’ai répondu : « Ok, je vais bosser en attendant que ma situation se débloque, avec le temps, je vais y arriver ». J’ai eu un déclic, j’avais envie de tout casser. Au Maroc, j’ai tout fait pour réussir, ensuite, quand j’ai eu l’opportunité de Bastia, j’ai tout cassé aussi. À Rennes, pareil, à Lille, pareil, au Havre, pareil.
Comment trouvais-tu les infrastructures ?
C’était magnifique, en plus, je n’étais pas habitué. À Rennes par exemple, c’était trop bien. Les gens me montraient de l’amour et me disaient : « Tu dois rester avec nous ». Je leur répondais : « Ce n’est pas moi qui décide, il faut voir avec mon père et mon agent ». J’étais proche de rejoindre Le Havre, mais ils n’ont pas accepté ma requête car je voulais vivre avec ma famille. Voilà pourquoi j’ai signé à Bastia. Les dirigeants ont accepté de me laisser vivre avec ma famille. Je voulais garder ce cadre familial.
Quels sont tes souvenirs ?
C’était top, car je ne payais pas les billets d’avion (rires). Je voyageais bien. En plus de ça, mon père travaille à Air France, donc j’étais mis dans de bonnes conditions avec ma mère et ma petite sœur.
Pourquoi avoir choisi Bastia ?
Mon entourage m’a conseillé Bastia, alors que moi, au départ, je préférais le Stade Rennais. Je devais être avec les U19 et la réserve. Finalement, j’ai signé à Bastia, car je pouvais rester avec ma famille. Là-bas, j’ai commencé avec les U19, ensuite, j’ai grimpé avec la réserve. Et puis, on m’a fait monter avec les pros. Lors de mon premier entraînement avec les pros, j’avais mal au ventre (rires). J’avais trop peur, j’avais la pression, je voulais bien faire.
Comment t’es-tu adapté à la vie en France ?
Grâce à ma famille. Mon père, ma mère et ma petite sœur ont tout fait pour que je sois bien. Ils m’ont soutenu et accompagné au quotidien. Par exemple, je suis très casanier, je déteste sortir, je suis toujours enfermé dans ma chambre. Ma famille a pris soin de moi et m’a fait sortir pour que je m’adapte au mieux. On allait au restaurant, on faisait des visites.
Te souviens-tu de tes débuts à Bastia ?
C’était difficile, car j’ai passé une année sans jouer. Je m’entraînais mais je n’avais pas le droit de jouer, du coup, j’attendais. Lors d’un match amical face à la Fiorentina, j’ai fait un gros match. La Fiorentina s’est intéressée à moi, et là, le coach a dit : « Facinet n’est pas à vendre ». D’ailleurs pendant le match, comme j’étais bon, mon coach a changé la tactique et m’a replacé latéral droit. Je crois qu’il ne voulait pas qu’on remarque mes qualités (rires). C’était pour me protéger.
Comment as-tu fait pour tenir un an sans jouer ?
Grâce à ma famille, j’ai été patient. C’était difficile d’attendre et de voir les autres sur le terrain. Les dirigeants ont été tops avec moi. Ils m’ont soutenu, ils me répétaient : « Tu es le futur du club, sois tranquille, on compte sur toi ». Lors de ma première convocation officielle avec le club, j’étais dans les nuages. Je n’étais même pas concentré et lorsque j’ai entendu mon nom. J’ai dit : « Quoi ? », on m’a répondu : « Oui, oui, tu es convoqué ». J’étais étonné car je n’avais pas été convoqué lors des trois premiers matchs. Pour mon premier groupe, je suis entré en jeu, j’ai inscrit un doublé contre Troyes, c’était comme dans un rêve. Il y avait une ambiance de fou dans le stade. C’était magnifique. La nuit qui a suivi ce premier match, je n’ai pas dormi, j’ai reçu des centaines de messages. J’étais trop content. Je me disais : « Je vais bosser fort pour arriver tout en haut ».
Tu n’étais pas frustré lors des trois premiers matchs ?
Non, je me disais : « Facinet, tu n’es pas prêt » car à l’entraînement, j’étais trop nul. Notamment au niveau de la finition, je ratais tout. J’ai oublié de te dire aussi, avant ce premier match avec les pros, je n’avais jamais joué de match officiel de ma vie, jamais fait de match de championnat, même en Guinée. Je n’avais fait que des matchs de détection ou des matchs amicaux.
Et aujourd’hui, tu as déjà inscrit plusieurs buts en Ligue 2…
Je suis content, je travaille dur à l’entraînement pour ça. Les supporters m’aiment bien, car je ne suis pas un tricheur, je donne tout. Tant que je ne suis pas fatigué, je m’arrache sur le terrain. Je ne fais pas semblant. Même quand je suis fatigué, je cours. Je me dis : « Facinet, tu dois courir ». Cette force vient de mes racines en Guinée. J’ai aussi fait de l’athlétisme, c’est pour ça que je cours vite. En Guinée, les gens m’appelaient « Usain Bolt ». Tout le monde voulait me défier et voulait parier de l’argent contre moi (rires). On faisait des courses, et je laissais même de l’avance à mes adversaires. Je donnais deux mètres.
Les supporters de Bastia t’aiment énormément. Tu le ressens ?
Oui, ça me fait plaisir. Et moi aussi, je les adore. J’aime jouer au Stade Armand Cesari de Furiani car il y a une ambiance magnifique. Quand on me demande des photos ou des autographes, je me dis : « Oh je suis devenu une star » (rires). Dès qu’un supporter me demande quelque chose, je dis immédiatement « oui ».
Comment juges-tu le niveau de la Ligue 2 ?
J’ai 18 ans, c’est ma première année, c’est vraiment dur pour moi. Comme je te disais, le premier vrai match de ma vie, c’est mon premier match professionnel. Je n’avais jamais fait de compétition officielle avant ça. Et puis, c’est difficile, car j’ai un petit manque de puissance. Parfois, j’ai envie de faire des choses, mais je ne peux pas. Et les défenseurs savent que je suis un jeune joueur, du coup, ils essaient de me faire vraiment mal.
Si tu devais présenter Facinet, que dirais-tu ?
Je suis tranquille, très simple, je n’aime pas trop parler. Quand je sors, je me cache pour que les gens ne me voient pas. Je suis discret et timide (sourire). C’est ma nature, depuis tout petit, je suis comme ça. Je n’aime pas quand le regard est porté sur moi. Parfois, j’aimerais être invisible.
Qu’aimes-tu faire en dehors du foot ?
(Direct) J’aime dessiner. Je dessine tout et n’importe quoi, j’ai un petit talent dans le dessin. Parfois, je dessine le portrait de ma petite sœur, Inès. Je fais de la calligraphie. J’ai appris ça en Guinée, car mon oncle était un grand calligraphe. Il m’a transmis son savoir et ses secrets. Quand je dessine, ça m’apaise et surtout, ça me demande une grande concentration. Ça me permet de bosser ma concentration. J’aime aussi la danse. Avec ma petite sœur, on fait des chorégraphies dans ma chambre, on s’amuse bien. J’ai récemment acheté une playstation aussi. Je joue aux jeux d’aventure. Sinon, j’aime passer du temps avec ma famille, surtout ma petite sœur.
Quelle est ta relation avec ta petite soeur ?
Nous sommes fusionnels, on est toujours ensemble. Je l’ai vu grandir, elle est toujours près de moi. Quand j’ai marqué mes premiers buts, je suis allé la voir dans les tribunes.
Ça fait quoi d’être considéré comme un joueur très prometteur ?
Ça fait plaisir. J’ai envie d’aider mon club, car il a beaucoup fait pour moi. Je veux rendre au club ce qu’il m’a donné. Je n’ai pas la pression, je suis calme, je sais où je veux aller.
Travailles-tu en dehors des séances ?
Oui, je fais de l’athlétisme, je travaille ma course. Je fais également des séances de NeuroStim pour travailler ma concentration. C’est pour améliorer mes performances. Je sens que les séances me font du bien.
As-tu des surnoms ?
Quand j’étais petit, on m’appelait Isco, car je dribblais tout le monde, à l’école. Dans le vestiaire, à Bastia, on m’appelle « Fas’ ».
Quels sont tes objectifs ?
Aider Bastia, remporter le Ballon d’Or africain, aider ma famille, et pourquoi pas terminer meilleur buteur du championnat un jour (sourire).
Tu n’as pas connu tes parents, n’est-ce pas difficile ?
C’est très difficile, j’en pleure souvent la nuit. Je me bats au quotidien pour que mes parents soient fiers de moi d’où ils sont. Je ne les ai jamais connus, je ne les ai jamais vus en photo. Et ça me fait très mal au cœur. Quand je demande à mon oncle de me montrer leur photo, il refuse. Il me dit : « Concentre-toi sur ta vie ». Je ne sais pas de quoi ils sont morts, j’étais tout petit…
Comment définirais-tu ton jeu ?
Je suis un joueur de profondeur, j’aime avaler les espaces, si tu m’envoies le ballon dans la profondeur 100 fois, je vais y aller 100 fois. Je suis habitué à répéter les efforts. Même si je sais que je ne vais pas avoir le ballon, je vais faire la course pour libérer les espaces pour mes partenaires. Je me considère comme un joueur d’axe, je préfère jouer devant car je n’aime pas défendre (rires).
Si tu devais parler de tes points forts et de tes points faibles ?
À l’entraînement, je suis nul. Par exemple, à l’entraînement, j’ai du mal au niveau de la finition, par contre, en match, je suis bon. Je ne sais pas pourquoi. Je suis concentré à 100% en match, mais à l’entraînement, j’ai du mal à me concentrer. Je n’y arrive pas, mais le coach en est conscient. Il sait que je suis efficace en match. Concernant mes points forts, je dirais ma détente, mes dribbles, mes courses, ma pointe de vitesse.
Qui est ton exemple ?
(Direct) Victor Osimhen, c’est mon idole. En plus, tout le monde me dit que je lui ressemble, que je joue comme lui. Ils trouvent que je cours et marche comme lui. Le but est de réaliser la même carrière que lui, il vient de remporter le Ballon d’Or africain en plus. Je regarde tous ses matchs. Quand j’étais petit, j’aimais bien Jamie Vardy, Isco et Mbappé. Je regardais tout le temps le Real Madrid.
Quels sont tes rêves ?
Investir, construire des mosquées, aider mes proches, fonder une famille.
Si tu n’avais pas été footballeur, tu aurais fait quoi ?
(Sourire) J’aurais été électricien, car mon père était électricien, mon oncle aussi. Avant, je l’aidais sur ses chantiers.
Si tu avais un super-pouvoir, lequel choisirais-tu ?
Celui d’être flash ! Comme ça, je demande le ballon, je vais dans la surface adverse en une seconde et je marque.
Si tu étais journaliste, tu poserais quelle question à Facinet ?
Je lui demanderais : « Penses-tu que tu vas remporter le Ballon d’Or un jour ? ». Et je répondrais : « Oui ! Je vais tout faire pour ».
Si tu devais finir l’interview par une phrase qui te représente, tu dirais quoi ?
Quand j’étais petit, mon oncle me disait toujours : « Ne jamais abandonner ses rêves ». Je viens d’une famille pauvre, je n’ai pas connu mes parents, mon oncle me disait que j’étais l’avenir de la famille. Je sais que j’ai une responsabilité. À chaque fois que j’entre sur le terrain, je pense à ma famille.
Si tu devais te donner une note pour cet entretien, tu dirais quoi ?
(Rires) Je me mets un petit 8 sur 10.
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