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·28 avril 2025
EXCLU - Dilane Bakwa : « J’ai arrêté de voir le football comme un simple loisir »

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·28 avril 2025
Le rendez-vous est fixé à 14h au centre d’entraînement du Racing Club de Strasbourg. Preuve de son investissement et son envie de réussir sa première interview de la saison, Dilane Bakwa débarque tout sourire avec 25 minutes d’avance tel un rayon de soleil dans le préfabriqué mis à disposition par le club. Soigneusement habillé et coiffé pour l’occasion, le natif de Créteil tient sur son épaule son maillot avec le fameux patch « P », dédié exclusivement au meilleur passeur du championnat. Échange avec le créateur du hashtag #lejeuesttruqué.
Voici quelques extraits de notre interview de Dilane Bakwa. L’intégralité de cet interview de 8 pages est à retrouver dans le magazine n°371 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 28 mars 2025.
Lors de notre entretien en 2018, tu disais : « Je me considère comme un lion, je ne veux pas laisser de place au répit ». Avec du recul, pour toi, que voulait dire cette phrase ?
Avec du recul, cette phrase voulait dire que je suis un travailleur, un gars qui ne lâche rien, qui fait tout pour atteindre ses objectifs. Pour le moment, mon parcours montre que je n'ai jamais baissé les bras. J'ai toujours été un battant, je me suis toujours battu pour ce que je voulais.
Tu disais : « Je ne laisse pas de place au répit », c’est-à-dire ?
Il n’y a pas de place pour ne pas bosser. Je travaille tous les jours, je donne mon maximum pour avoir ce que je veux. Je m’arrache chaque jour, et ça semble bien fonctionner…
Que veut dire le mot « travailler » pour toi ?
Le travail, ce n’est pas que les entrainements, aller à la salle et faire ce qu’on nous demande. Il y a aussi le travail invisible. Je mets toutes les chances de mon côté. Je fais extrêmement attention à ma récupération, je me donne à fond aux entraînements, j’ai une approche des matchs bien particulière. Je prends soin de moi pour aller le plus haut possible. Et surtout, j’arrive à visualiser où je veux aller.
Quel est le plus gros travail que tu as pu faire sur toi-même depuis le début de ta carrière ?
J’ai fait un travail de fond, notamment de remise en question sur moi-même, sur mon comportement. Je me disais : « Pourquoi ça ne marche pas directement ? Pourquoi ça prend du temps pour moi ? ». Et après ce travail sur ma personne, j’ai switché, j’ai réussi à me mettre dans le rang et prendre le bon wagon.
Tu t'es posé beaucoup de questions. Quel type de questions tu te posais ?
Je me disais : « Dilane, qu’est-ce que tu fais de bien ? Qu’est-ce que tu fais de mal ? ». Je pesais le pour et le contre, je me répétais : « Où veux-tu vraiment aller ? ». Ensuite, une fois que tout était clair dans ma tête, j’ai tout mis en place pour revoir ma manière de fonctionner. J’ai arrêté de voir le football comme un simple loisir, j’ai compris que c’était un vrai métier.
Qu’est-ce que tu faisais de mal du coup ?
Il y avait un problème au niveau de mon attitude, de mon approche. Je n'étais pas vraiment assidu, je n'étais pas vraiment sérieux. En fait, le foot, c’était un plaisir pour moi, ce n’était pas un métier. Je jouais pour le plaisir et pas pour être le meilleur. Une fois que j’ai compris ça, je me suis mis dans le rang et j’ai avancé.
Comment définirais-tu le métier de footballeur ?
Le métier de footballeur, c'est un tout ! Il y a plein de paramètres à prendre en compte. Notamment l’image que j’ai, ce que les gens peuvent percevoir de moi, c'est-à-dire mon comportement, mon attitude sur le terrain, mon langage corporel et visuel. Et quand tu fais attention à tout ça, tu comprends les choses et tu progresses.
Pourquoi avoir choisi la comparaison avec un lion ?
C'est un animal qui a beaucoup de caractère. Et surtout, c'est l'animal préféré de ma mère. Ma maman est une lionne aussi. C’est un clin d’oeil pour ma mère.
Parlons de ton début de carrière, tu as signé pro en mai 2019, mais tu t'es réellement imposé en 2022. Pourquoi tout ce temps ?
Chaque footballeur est différent. Chaque footballeur a son heure. Mon heure est arrivée en 2022. Mais en 2019, je travaillais dur aussi. J'attendais mon heure avec patience. Je faisais tout pour arriver dans le monde professionnel. Ça a pris le temps qu'il fallait, et aujourd'hui, je suis heureux.
Le temps t’a paru long ?
Non, pas spécialement. C'était une période d'apprentissage, j'apprenais à me connaître. J’ai aussi changé d’entourage. Je devais faire le tri autour de moi, me remettre en question. Tout ça m’a fait du bien.
N’était-ce pas difficile de voir tes amis réussir pendant que toi, tu étais sur le côté ?
Non, au contraire, c'était une motivation de voir ses amis réussir, voir des personnes que tu connais, avec qui tu as joué auparavant, se retrouver sur les terrains de Ligue 1. Je me disais : « C’est possible d’y arriver ! ».
En début de carrière, tu étais en situation d’échec. Comment on transforme l’échec en réussite ?
Pour ma part, la transformation s’est faite grâce à un travail intérieur. Ce n’était pas une question de football, c’était un problème de vision. Ensuite, j’ai aussi opéré un nettoyage autour de moi, je me suis entouré des bonnes personnes. Notamment au niveau de la gestion de ma carrière, avec l’agence sport cover. J’ai aussi choisi les bons amis. Durant ma période de remise en question, j’ai vu que certaines personnes n’étaient pas réellement mes amies. Il fallait faire le tri, prendre des décisions. Quand tu intègres tout ça dans ta tête, le chemin est simple, c’est tout droit.
N’est-ce pas difficile à faire le tri ?
Si, c’est difficile, mais c’était obligatoire. J’ai beaucoup communiqué avec ma famille, mes amis, je discutais beaucoup. Parfois, je me parlais à moi-même, tout seul (sourire). Et je t’assure, quand tu sais ce que tu veux et qu'autour de toi, les gens savent ce qu'ils veulent, ça matche directement.
Sur tous tes posts Instagram, tu mets le hashtag « le jeu est truqué ». Peux-tu l’expliquer ?
Le jeu est truqué, je vois ça comme une mentalité. Aujourd'hui, on peut être mené au score, mais c'est toi l’acteur sur le terrain, c’est toi qui peux retourner le match. Tu peux ne pas être en centre de formation et réussir. Alors que les autres étaient en centre de formation, et finalement, ils n’ont rien fait. C'est plus une manière de voir les choses. Ça veut dire que rien n'est impossible. Tu peux tout faire par toi-même, tu peux tout changer, changer les règles, tout simplement. Tu sais pourquoi ? Parce que tu es un des acteurs de ce jeu, et tant que tu n’es pas éliminé, tu peux y arriver. Il faut juste trouver les solutions et faire en sorte de prendre le jeu à ton compte !
Comment est venue l'idée de ce hashtag ?
Par rapport à mon vécu. Je me suis inspiré d'autres joueurs aussi, comme Marcus Rashford. J'aime bien sa mentalité, il a démontré une grosse force de caractère lorsqu’il était à Manchester, il est parvenu à revenir même quand c’était difficile. C’est fort ! Je me suis approprié sa mentalité à ma manière. Son cas m’a motivé, car j’étais un peu dans la même situation à Bordeaux, et ça m’a aidé à revenir.
Quel était ton cas à Bordeaux ?
C’était difficile, je ne jouais pas beaucoup de matchs. J'étais souvent sur le banc ou en tribune, je regardais les autres jouer. C'est difficile de regarder ses coéquipiers et ne pas pouvoir les aider. Je me suis battu et j'ai réussi à m'imposer.
Dans cette situation, est-ce qu'on se sent nul, on se dit : « On n'a pas le niveau » ? Qu’est-ce qui se passe dans la tête ?
Moi, j’ai transformé cette situation en force, je me suis dit : « C’est le moment de travailler, de tout donner ». Je savais que ma chance allait arriver. Et quand ton moment arrive, c’est à toi de saisir ta chance.
Comment faire pour que le jeu ne soit plus truqué ?
C’est secret ça (sourire).
On dit souvent que la vie de footballeur est tumultueuse et remplie de péripéties, quels sont les moments forts de ta carrière ?
Le moment le plus rocambolesque de ma carrière, c’est à mon commencement. Quand j’étais à Bordeaux, c'était difficile dans le sens où j'ai fait des erreurs qui m'ont fait apprendre, qui m'ont permis de me relever. Aujourd'hui, je suis un homme différent, j'ai grandi, j'ai mûri. Je sais ce que je dois faire, ce que je ne dois pas faire.
Qui est Dilane au quotidien ?
Je suis quelqu'un de très calme, je suis chez moi, avec mes amis, je profite de la vie, tout simplement. J'aime bien jouer à la Play, à FIFA ou Call Of. Récemment, j'ai découvert le Padel. Je suis très famille, j’aime voir mes proches et passer du temps avec eux. Voilà mes occupations.
Tu joues avec Strasbourg à FIFA ?
(Rires) Non, je ne te mens pas, je ne prends pas Strasbourg et je ne joue pas avec mon joueur. J'essaie de prendre les équipes que j'aime bien. Ou sinon, je joue avec mes amis en club pro, on crée nos propres personnages, on essaie de se créer une carrière, ça nous fait rire.
À quoi ressemble ton personnage ?
J’essaie de créer un joueur totalement différent de moi, qui n'a rien à voir avec moi-même. Je prends juste du plaisir, je tente de lui faire des coupes de cheveux parfois extravagantes. C’est marrant.
Et pourquoi le Padel ?
Avec le club, on a fait une sortie au Padel, on a testé ce sport. Franchement, j'ai bien aimé. J'ai pris des cours et j'ai apprécié.
Chaque matin, qu'est-ce qui te motive quand tu te réveilles ?
Quand je me réveille, ce qui me motive, c'est ma famille, surtout ma mère. Elle s'est battue pour moi toute sa vie et aujourd'hui, c'est le moment pour moi de me battre pour elle. C'est ma première motivation.
Tu as d’autres motivations ?
Oui. Je veux atteindre mes objectifs, être la meilleure version de moi-même, donner mon maximum. Je veux montrer à mes amis et aux jeunes qu'il faut travailler, qu’il faut être acteur de sa vie. Tu ne peux pas rester assis dans un canapé et penser que tout va t’arriver. Je veux réussir pour montrer aux gens que c’est possible.
Que mets-tu en place pour arriver à la meilleure version de toi-même ?
Je fais un travail sur ma personne, un travail de remise en question sur chaque match, de savoir qui je suis réellement, je me dis la vérité à moi-même, c’est très important. Je travaille à fond, je ne triche pas, et grâce à tout ça, je m’améliore de jour en jour.
Tu t'es déjà dit des vérités à toi-même que tu ne voulais pas entendre ?
Oui, évidemment. Surtout après les matchs, quand je fais mon auto-critique. Je me dis la vérité, je n’arrondis pas les angles. Si j’ai fait un mauvais match, il faut se le dire. Par exemple, on va parler du match à Lens où j’ai marqué. Pour les gens, j’ai fait un bon match. Mais pour moi, ce n’était pas assez. J'aurais pu finir ce match avec deux ou trois buts au compteur, mais je ne l’ai pas fait. Donc je n’étais pas satisfait. J'aurais dû faire plus lors de ce match. Un joueur de ma qualité doit faire plus sur le terrain, apporter plus à l'équipe, même si ce jour-là, j'ai apporté la victoire… mais ce n’était pas assez. Je n’étais pas content de moi.
Pourtant, on demande aux joueurs offensifs d’être décisifs. Et tu l’as été…
Oui, mais il ne faut pas se limiter aux stats. C'est vrai qu'aujourd'hui, les stats sont importantes. Mais il n’y a pas que ça. Moi, je regarde ce que je vais produire sur le terrain, ce que je vais faire durant la rencontre. Et malgré ce but victorieux, je n’ai pas été assez bon sur ce match.
C'est quoi un match abouti pour toi ?
Un match abouti, ça va être un match où…. (il coupe). Déjà, ça va être un match où je vais me battre pour l’équipe, que ce soit défensivement ou offensivement. Je dois réussir à amener du danger dans les zones offensives, à faire marquer mes coéquipiers, à être décisif aussi. Mais avant tout, il faut donner le maximum pour son équipe et ne pas économiser ses efforts.
Quand tu as été mauvais, que fais-tu ?
Je fais de la vidéo. J’aime bien entendre les avis extérieurs, en l’occurrence de mon agent, de mes amis aussi de temps en temps. Je prends uniquement les avis constructifs. Ça m'aide beaucoup dans mes analyses et dans mon auto-critique.
Durant ta période de remise en question, as-tu fait appel à des professionnels ?
Oui, j'avais un préparateur mental. J'ai arrêté, mais j'avais un préparateur mental qui m'a beaucoup aidé lors du commencement de ma carrière. J’ai aussi fait de l’analyse vidéo pour voir ce qui allait ou n’allait pas. C’est bien de se regarder pour se rendre compte de certaines choses. Mon entourage m’a aussi aidé à franchir les paliers.
En quoi ton préparateur mental t’a aidé ?
Il me donnait des cours comme : « comment gérer la pression », « comment aborder les matchs », « comment se concentrer ». J'avais des problèmes de concentration par exemple. Pendant les matchs, j'arrivais à être bon durant 30 minutes, et ensuite, on ne me voyait plus pendant 45 minutes. Il m’a aidé à ce niveau, et aujourd’hui, ça va beaucoup mieux.
À quoi ressemblaient tes exercices ?
Il donnait une grande importance à la manière de respirer, au souffle. Sinon, il me jetait plusieurs balles et je devais rester focus sur une seule balle. Je faisais plein d’exercices. Je devais aussi me projeter au niveau de la physionomie du match, savoir comment je devais gérer mon positionnement sur le terrain. Il me demandait si je regardais les autres joueurs ou si j’étais uniquement concentré sur moi-même, et tout ça, ça m’a aidé à mieux me repérer.
Penses-tu que tu es parvenu à devenir un meilleur joueur grâce à ce travail ?
En tout cas, ça m’a beaucoup aidé.
Qu'est-ce que représente le foot pour toi ?
C'est ma vie, c'est ce que je fais depuis que je suis petit, j'ai toujours baigné dans ça. C’est ce que je veux faire, ce que j'aime faire, c'est ma passion, mon métier, mon plaisir. C'est là où j'arrive à me procurer des émotions et à donner des émotions aux fans. C'est ma vie.
Tu es le meilleur passeur du championnat. L’objectif est de conserver la tête de ce classement ?
Je ne mets pas de pression sur ça. Je sais que j'ai une bonne qualité de passe. Je me concentre sur l’équipe. Évidemment, je vais me battre pour garder cette première place. Mais avant tout, je veux donner le maximum de moi-même, ne pas faire semblant. Je serai plus content de me dire les vérités et de ne pas tricher avec moi-même plutôt que de finir meilleur passeur.
Il t'est déjà arrivé de tricher ?
Ça m'est déjà arrivé par le passé. Je vais te raconter une anecdote quand on faisait des 15-15. Je ne mettais pas le pied sur la ligne. J’essayais de grappiller des mètres. Pendant les matchs, quand je marquais un but, j’arrêtais de jouer tout simplement. Je me relâchais. Aujourd’hui, je suis un autre joueur, je suis un joueur différent, un homme différent. Que ce soit dans la vie de tous les jours ou au foot, je ne triche plus, je donne tout ce que j’ai dans le ventre. Et quand je n’arrive pas à faire un truc, je répète les gammes jusqu’à ce que j’y arrive.
Quand tu faisais tes petites tricheries, tu ne t’en voulais pas ?
Sur le moment, je n'y pensais pas. C’est après, lors de mes remises en question, lors des discussions avec mon entourage, que j’ai compris les choses, ça m’a fait grandir. J’ai pris conscience que c’était inutile de tricher. Maintenant, je mets toujours sur le pied sur la ligne (rires).
C'est quoi une passe décisive pour toi ?
C'est quand tu sers ton coéquipier sur un plateau, quand il reçoit le ballon, il n’a plus qu’à finir l’action. Ce n’est pas une passe où le joueur doit faire 10 touches de balle avant de marquer. Moi, je parle de « l’art de la passe ». La passe, ça ne s’explique pas. Il y a un tempo, une vitesse, une manière de claquer le ballon, c’est vraiment un geste minimaliste. Mais avant tout, il faut que la passe mette le coéquipier dans les meilleures dispositions, pour lui simplifier la vie.
Tu travailles la passe au quotidien ?
La passe, c'est quelque chose d’inné. Ça se travaille aussi à l'entraînement. Quand tu cherches ton coéquipier, tu veux le meilleur pour ton partenaire, le mettre dans un certain confort pour qu’il puisse rapidement enchaîner.
Tu es un dribbleur. Que préfères-tu la passe ou le dribble ?
Je préfère le dribble, après, c'est vrai que la passe, c'est quelque chose de beau aussi. Ça fait plaisir de voir ses coéquipiers heureux, j’aime qu’ils soient dans les meilleures conditions.
Le meilleur passeur du championnat porte un maillot spécial avec le patch « P ». En quoi ça fait de toi un joueur spécial ?
Déjà, ça fait de moi le meilleur passeur de Ligue 1. Ça montre aussi que je suis un joueur différent dans le sens où j'arrive à débloquer des situations de match. Ça fait de moi un joueur qui n'est pas comme les autres, qui arrive à se démarquer. Et aussi, je suis le seul joueur qui porte ce maillot en Ligue 1. Je suis fier et heureux de l’avoir, mais ce n’est pas une fin en soi, c'est le commencement de toute chose.
Te considères-tu comme un joueur différent ?
Oui, je me considère comme un joueur différent. Je suis un joueur moderne qui aime provoquer les défenses, qui aime faire mal aux défenseurs, qui aime créer du danger, qui aide son équipe aussi. Je suis un leader du groupe. Je parle beaucoup à mes coéquipiers, je conseille mes partenaires, donc oui, je me considère comme différent.
Si tu étais un supporter, tu kifferais Dilane Bakwa ?
(Rires) Bonne question. Tout dépend de ce que tu aimes. Mais personnellement, oui, j’apprécierais Dilane Bakwa. Je pense que j’apporte du plaisir aux fans, quand tu vas dans les stades, tu viens pour voir des joueurs comme ça. Je veux donner le maximum de plaisir aux supporters. Lorsque les gens me voient jouer, je veux qu’ils aient envie de reproduire la même chose avec leurs amis.
Tu as déjà senti que ton geste avait fait kiffer les supporters ?
Oui, ça m'est arrivé plusieurs fois. Par exemple, la saison dernière face à Rennes, j’ai fait un geste technique sur le côté. Et j’ai entendu la foule crier, ça m’a fait plaisir, ça m’a donné confiance pendant le match, c’est pour ce genre de moment que tu joues au football.
Avec Emanuel Emegha et Diego Moreira, vous aimez faire le show, vous dansez après vos buts. Vous préparez tout ça ?
Non, ce n'est pas spécialement préparé. C'est des musiques qu'on aime, qu'on écoute souvent. Ce sont des chorégraphies trouvées sur les réseaux sociaux et on essaie de les reproduire. On les voit, on se les envoie sur les réseaux. On se dit : « Prochain but, on va faire ça ». Et quand on arrive sur le terrain, c'est l'instinct. Quand tu vois ton ami danser, tu le suis. Je suis d’origine congolaise, la danse, c'est inné. Quand tu viens du Congo, tu grandis avec la danse.
Votre groupe vit très bien. Comment l’alchimie s'est créée entre vous ?
On a un groupe jeune, on a tous, plus ou moins, le même âge. On aime tous les mêmes choses. On regarde tous les mêmes choses. C'est facile de s’entendre avec des personnes comme ça. Il y a une bonne ambiance, un bon groupe, tout le monde est heureux.
Emmanuel Emegha vient des Pays-Bas, mais il chante du rap français dans le vestiaire, comment est-ce possible ?
Dans le vestiaire, on met nos musiques. Et lui, il aime bien la France, la musique française. Il essaie d'apprendre au maximum pour être en lien avec les Français. Il veut que ça soit fluide entre nous, ça lui tient à coeur de connaître notre culture. Quand on voit ça, ça nous rend heureux (sourire).
Que pensent les plus anciens du vestiaire ?
Je fais partie des plus anciens (rires). Plus sérieusement, ils sont heureux aussi. Ils essaient de suivre, de danser avec nous, de chanter avec nous. On leur apprend les musiques aux anciens. Ça rend tout le monde heureux, c'est une bonne vibe.
Tu as un statut de leader dans l'effectif. Comment assumes-tu ce rôle ?
Je parle beaucoup, je fais attention à mon attitude sur le terrain et en dehors, je donne beaucoup de conseils, je donne confiance aux joueurs qui ne jouent pas forcément. J’échange avec eux, je leur dis que ça va arriver, que je suis passé par là, je leur parle de mon expérience. Je pense que ça apporte beaucoup aux jeunes du vestiaire qui commencent à arriver. Quand ils me voient, quand ils voient mon parcours, quand ils voient mon attitude, ça les motive, ça leur donne espoir.
Quel sont les mots de Dilane leader ?
Je leur dis de ne pas lâcher, que ça ne sera pas toujours facile, mais qu’il ne faut rien lâcher, qu’il faut continuer à tout donner, ne pas tricher. Je leur dis aussi : « À votre âge, j’étais impatient moi aussi, j’étais pareil, je sais ce que tu vis et ressens ». En plus, j’ai vécu ça il y a peu de temps, j’ai réussi à me relever, à me battre. Si tu te bats, tu pourras avoir tout ce que tu veux.
Tu es un jeune avec un discours d’ancien. Et souvent, les jeunes sont saoulés par ce genre de discours, car c’est toujours les mêmes phrases…
C'est vrai que ça peut les saouler, mais je ne leur parle pas comme un ancien, je leur explique ça comme comme un conseil d'ami qui essaie d'aider son prochain. Je suis croyant, aider son prochain, c'est la moindre des choses. J'essaie vraiment de les soutenir.
Quand les anciens te parlaient à l’époque, comment réagissais-tu ?
J’essayais de prendre le maximum d'infos. C'est vrai que tout ne reste pas dans la tête, on ne va pas se mentir. Je prenais le nécessaire. À Bordeaux, Jimmy Briand, Yacine Adli et Timothée Pembélé m’ont beaucoup aidé. Ils m'ont beaucoup apporté, beaucoup conseillé. J'essaie aussi de transmettre ce que j'ai appris.
Une phrase résonne dans ta tête ?
Je n’ai pas gardé des phrases en tête, mais plutôt des actions. Quand Timothée Pembélé est arrivé à Bordeaux par exemple. Lui, c'est un gros travailleur. Et moi, je n’étais pas un travailleur. Parfois, je dormais, il m'appelait ou il toquait chez moi pour aller en salle. Juste des actions comme ça, ça m'a fait du bien. Je me disais : « Punaise, lui est titulaire et continue d’aller à salle, moi je ne joue même pas et je dors dans mon lit ». J’avais un peu la flemme de bosser. Mais ce qu’il faisait, ça m’a motivé, j’ai pris conscience de certaines choses.
Tu aurais pu être un talent gâché, tu en as conscience ?
Oui, j’aurais pu être un talent gâché. On peut dire ça comme ça. Mais aujourd'hui, Dieu merci, je donne tout pour exploiter au mieux mon talent.
Tu as été élu meilleur joueur du club par les supporters. Pourquoi ils ont choisi Dilane Bakwa selon toi ?
Ils ont aimé ma manière de jouer, ils ont aimé me voir me dépenser sur le terrain. Je donne tout pour le club, pour les supporters. Je ne suis pas un joueur qui triche. Ils ont aussi aimé le personnage que je suis dans le vestiaire ou sur le terrain. C'est pour ça que les supporters m’ont choisi. Je suis content, ils me donnent beaucoup d’amour, ils sont là pour moi. Il y a eu des moments difficiles, mais ils m’ont motivé. On les voit à chaque match, car on est à guichets fermés. Ça nous motive.
Aimes-tu les échanges avec eux ?
Oui, j’ai déjà reçu des cadeaux, des mots. Ça fait plaisir de les voir avec les maillots floqués à mon nom. Ça me donne de la force, je veux les rendre fiers. Ils me donnent de l’amour à chaque fois, ils me demandent des photos, ils ont toujours un petit mot gentil. C’est touchant. Ils restent après les matchs et attendent des heures et des heures pour nous voir. Je ne les évite jamais, je vais toujours à leur rencontre. Je leur donne un maximum de mon temps. En plus, ça me fait plaisir d’échanger avec eux. C’est bien d’avoir leur avis aussi. C'est une autre manière de voir le football, de savoir ce qu’ils pensent de mes performances. Ça fait du bien.
Tu ne t'es jamais fait secouer ?
Si, je me suis déjà fait secouer, mais ce n'est pas méchant (sourire). C’est fait avec amour. Ils me disent : « Oh Dilane, aujourd’hui, tu as été mauvais, on espère que ce sera mieux lors du prochain match », « Oh Dilane, t’as raté une grosse occasion aujourd’hui ». Si les supporters me disent ça, c’est parce qu’ils me portent dans leur coeur, ça me motive. Ils veulent que je fasse plus pour le club.
Tu regardes ce qui se dit à ton sujet sur les réseaux ?
Non, jamais. Je suis focus sur le terrain et sur l'analyse vidéo que je peux avoir après les matchs. Je ne veux pas savoir si je suis le meilleur, le plus nul ou le plus fort.
En quoi l’amour des supporters réagit sur ton bien-être ?
Quand tu rentres sur le terrain, ça te donne confiance. Tu sais que tu te bats pour des personnes qui t'aiment, qui t'apportent de l’amour. C’est des gens qui paient pour venir nous voir quand même. Il faut les respecter en étant performant.
Tu es croyant. Quelle est la place de la religion dans ta carrière ?
Je place ma religion avant ma carrière, avant ma vie tout court. Sans Dieu, tu ne réussiras à rien. La religion, c’est trop important pour moi. C'est ma force, c'est mon tout. Je donne un maximum de mon temps à ma religion. Je suis très reconnaissant de tout ce qui m’arrive.
Qu’est-ce que ça t’apporte ?
Ça apporte de la confiance, de l'amour, de la joie, de la bonne humeur. Ça m’apporte tout aujourd'hui. Tout ce que j'ai dans ma vie, c'est grâce à Dieu. Je ne peux que remercier mon créateur.
Ça se caractérise comment au quotidien ?
Ce sont des prières, de la méditation. Je lis beaucoup la Bible. Je m’instruis. La religion a aussi un impact sur mon comportant, ça me met dans les bonnes conditions, ça m’inculque les bonnes valeurs. Au niveau de ma famille aussi, j'ai une famille qui est très croyante et qui accorde une grande importance à la religion. J’essaie de suivre, de divulguer ma sagesse aux autres.
Quand tu médites, tu penses à quoi ?
À ce que je peux faire de bien dans la vie, comment apporter de l’amour aux gens, comment rendre heureux son prochain, comment grandir, comment se comporter dans la vie de tous les jours. Voilà la voie que j'essaie de suivre.
Tu as grandi seulement avec ta maman. Était-ce une force ?
Voir sa maman se lever tous les jours, tous les matins, pour aller chercher à manger pour ses enfants, voir sa mère se battre, voir sa mère souffrir, ce n’est pas facile. La vie peut être difficile, mais il ne faut pas se plaindre. Cette situation m’a apporté beaucoup de force. Je me bats pour elle aujourd’hui. Ça m'apporte une émotion que je ne pourrais pas te décrire. C'est ma maman, je vais tout donner pour elle. Quand je suis fatigué sur le terrain, je pense à elle, et elle me donne un second souffle.
Tu l’as vu souffrir, c’est-à-dire ?
Surtout quand j'étais petit, je la voyais se réveiller à 6h00 du matin pour aller faire du ménage ou travailler. Ce n’est pas simple. Elle était fatiguée, mais elle donnait tout pour ses enfants. Elle n'avait pas forcément les moyens de me payer des paires de baskets, mais elle faisait le maximum pour m’en acheter. Elle m’a toujours donné beaucoup d’amour, à ma grande soeur aussi.
Quelle est ta relation avec ta maman ?
Ma mère, c'est mon sang, c'est ma pote, c'est ma mère, c'est tout. Je ne peux pas te décrire notre relation. C’est tout sur terre à mes yeux. J’essaie de lui rendre au maximum tout ce qu’elle m’a donné.
Elle te fait des retours sur tes matchs ?
(Rires) Non. Elle me demande juste si j'ai marqué ou pas, quand elle ne regarde pas les matchs. Elle veut savoir si je vais bien, si je suis en bonne santé, elle ne connaît pas le football en détail. Elle me laisse au maximum.
Et quand tu étais petit, elle t’accompagnait ?
(Rires) Quand j’étais petit, elle m’empêchait d’aller au foot. Elle voulait que je travaille à l’école. Elle voulait que je sois focus sur les études. Par exemple, elle prenait mes affaires de foot, et elle les cachait. Elle déchirait mes crampons. Au bout d'un moment, elle a compris que le foot, c'était ce que je voulais faire dans ma vie, elle m'a donc laissé faire. Et aujourd’hui, je suis ici.
Comment faisais-tu quand elle déchirait tes affaires ?
Je demandais à mes amis de me passer des affaires. Je jouais avec des baskets qu’elle m’avait achetées. Je les trouais, elle ne comprenait pas. Elle me posait des questions, je lui expliquais que c’était le football. Et là, elle a compris qu’elle ne pourrait pas m’empêcher de jouer au foot.
As-tu une anecdote marquante sur ton enfance ?
Je dirais à Bordeaux, j’ai vécu des moments difficiles, notamment pendant le Covid. Comme je ne jouais pas, que je ne pouvais rien faire, les kinés m’avaient amené un vélo chez moi. Et le vélo, je ne l’ai jamais rendu au club. Je faisais juste du vélo à la maison, je travaillais à fond. Le club me demandait de leur rendre le vélo, et moi je ne leur rendais pas, je leur disais que j’avais vendu le vélo alors qu’il était à la maison.
Et plus jeune ?
Tous mes amis faisaient du football dans le club de ma ville, à Boissy. Et moi, je n’étais pas inscrit. Je passais mon temps au city stade. Mes potes et les coachs m’appelaient pour que je vienne. Et moi, je refusais. J’ai commencé le football en club tardivement. Je préférais travailler les dribbles et les frappes tout seul au city stade.
Et U16, U17, tu étais souvent appelé en équipe de France de jeunes. Ensuite, tu n’as plus été appelé. Comment as-tu vécu cette période de trou ?
Cette période-là m'a permis de grandir, m’a permis d'apprendre sur mon football, sur moi-même. J'ai pu me reconcentrer sur moi-même, savoir ce que je voulais faire, où je voulais aller. Ça m'a permis de grandir en tant qu’homme aussi. Aujourd'hui, ça m'a permis d’atteindre l’équipe de France espoirs et j’en suis content.
L’Euro espoirs arrive fin de saison. Que peut-on attendre de l’équipe de France et de Dilane Bakwa ?
Déjà, j'espère être sectionné en équipe de France espoirs. C’est une chance d’être appelé en sélection, de représenter son pays, c’est l’opportunité de donner de l’amour aux Français et au football français. J'espère qu'on ira le plus loin possible tout en étant sur la continuité des Jeux Olympiques.
Cette sélection a mis du temps à arriver. Tu ne t’es pas posé des questions ?
Non, ça a mis le temps qu'il fallait. Si les coachs m'ont appelé à ce moment-là, c'est que c'était le moment pour moi. J'en suis très reconnaissant. Je suis très heureux de pouvoir être appelé en équipe de France aujourd'hui. Quand j'y vais, je donne le maximum.
Si tu étais journaliste, tu poserais quelle question à Dilane Bakwa ?
Je lui demanderais : « Es-tu heureux ? ». Et je répondrais : « Aujourd'hui, je peux dire que je suis heureux, je suis en bonne santé, ma famille va bien, mes proches vont bien. C'est le minimum que je me souhaite ».
Si tu devais terminer par une phrase qui te représente, que dirais-tu ?
Je te dirais « Réussir ou mourir ». C'est une phrase qui me représente. Cette phrase sort d'un film qui s’appelle « Réussir ou mourir » justement. C’est un de mes films préférés. La phrase veut tout dire. Aujourd’hui, soit tu donnes le maximum de toi-même, tu t’arraches et tu existes, sinon, tu ne fais rien, tu laisses ta vie défiler et tu disparais.
Comment te notes-tu pour cette interview ?
Je dirais 7 sur 10 pour être humble (sourire).
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