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·28 mars 2023

EXCLU - Aïssa Laïdouni : « Je ne voulais pas m’arrêter d’y croire »

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Après des années de galère en National, en Roumanie puis en Hongrie, Aïssa Laïdouni a (enfin) pu atteindre son objectif : signer dans un grand championnat européen. Profitant de ses belles performances avec Ferencváros et de son statut de révélation de la Coupe du Monde, l’international tunisien a rejoint l’Union Berlin contre une indemnité de plus de 4 millions d’euros. Quelques jours après sa signature, le milieu de terrain de 26 ans a reçu Onze Mondial pour raconter son inspirant parcours. Entretien plein de volonté et de détermination.


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« Je ne peux pas oublier mon enfance. Si c’était à refaire, je la referais.»

Avant tes 18 ans, tu n’avais jamais connu de structure professionnelle, était-ce frustrant ?

Non, ce n’était pas une frustration. Ma vie a été faite ainsi, ce n’est pas moi qui ai voulu ça. J’étais très heureux dans mon club de toujours, à Montfermeil. J’étais proche de ma famille. Quand je voyais mes amis signer dans des clubs professionnels, je me disais toujours : « J’aimerais bien être à leur place », tout en les encourageant et en leur souhaitant le meilleur. Je me fixais des objectifs et j’essayais de les atteindre. Je n’avais pas de frustration en moi. Rester à la maison jusqu’à mes 18 ans, ça m’a permis de devenir un homme et de savoir qu’il faut se battre pour obtenir ce qu’on veut. Ça a été long, surtout quand on est jeune et qu’on aspire à intégrer un centre de formation dès le plus jeune âge. J’ai atteint cet objectif en U19 deuxième année, sachant que je visais ça depuis les U10. Ce fut long (sourire).

Qu’est-ce qui bloquait selon toi ?

À l’époque, j’avais effectué certains essais. J’avais été à Lyon et à Sochaux en U15. En U19, j’ai essayé plein de clubs. Certains disaient que j’étais trop petit et trop frêle. Ça ne passait pas. Je n’ai pas été retenu à Clairefontaine non plus, je n’avais tout simplement pas le niveau nécessaire à ce moment-là. Il n’y avait pas de raison particulière. Quand j’allais à l’essai et que je n’étais pas pris, c’était dur. Quand tu vas dans un club, tu te vois dans ce club, tu rêves. Tu vois le logo du club, les recruteurs, les installations et tout ce qui va avec. Ce n’est pas facile quand tu rentres à la maison et que tu sais que tu ne vas pas y retourner. Surtout que je pensais avoir le niveau, je ne me suis jamais dit : « Je suis dépassé, il sont trop forts ». Mais ça ne passait pas, donc il y avait bien une raison… J’apprenais de ces désillusions pour devenir encore meilleur.

As-tu pensé à arrêter le foot ?

Jamais ! Je n’ai jamais pensé à ça. J’aime le foot, j’ai toujours voulu jouer au foot, j’ai toujours pris du plaisir à jouer. Je ne manquais jamais les entraînements. J’aimais vraiment ça. Je ne voulais pas m’arrêter d’y croire.

As-tu réfléchi à un autre métier que footballeur ?

Honnêtement, non. J’ai toujours voulu être footballeur. Après oui, une fois arrivé au lycée, il fallait quand même choisir une orientation scolaire. Donc je pensais à un plan de secours au cas où. Il fallait que je fasse quelque chose de ma vie. C’est beau de rêver du football, mais si ça ne passe pas, il faut être capable de rebondir. J’avais une idée en tête. Je voulais travailler dans l’aéronautique. Après ma seconde, j’ai intégré une école pour ça. Et malheureusement, j’ai été mal orienté. On m’avait dit : « Va dans ce lycée, il y a ce que tu recherches ». J’ai été, et en réalité, ce n’était pas ce qu’il me fallait pour travailler dans l’aéronautique. Je suis donc revenu dans mon lycée pour faire du management, la filière s’appelait STI2D (sciences et technologies de l'industrie et du développement durable).

Pourquoi l’aéronautique ?

C’était quelque chose qui me fascinait ! C’était l’une des seules choses qui me plaisait à l’époque. Je me voyais faire une carrière dans ça, bosser sur des avions et leur réparation, ça me plaisait. Je ne saurais pas te dire pourquoi.

Comment étais-tu à l’école ?

Je ne vais pas dire que j’étais un bon élève, mais je n’étais pas mauvais non plus. J’étais entre les deux. J’avais 10-11 de moyenne. J’étais assez bavard, j’aimais bien rigoler. Je m’amusais avec mes camarades. Parfois, c’était un peu trop. Je me maintenais. J’essayais d’avoir la moyenne. J’étais un élève tranquille, je ne faisais pas de bêtises, je n’étais pas irrespectueux ou autre.

Comment ça se passait à la maison ?

Très bien. J’ai la chance d’avoir une famille assez proche, j’ai plein de cousins du même âge. On passait du temps ensemble. C’était bien. J’ai connu une bonne enfance. J’ai grandi dans un quartier de Montfermeil, la Cité Rose. J’ai profité de ma jeunesse. On passait du temps à jouer au ballon, à rigoler et à faire des petites bêtises. Je ne peux pas oublier mon enfance. Si c’était à refaire, je la referais. J’ai un petit frère. Mon père était chauffeur-routier et ma mère femme au foyer. Mes parents n’étaient pas des grands fans de foot, mais ils ont évolué avec moi. Leur amour du football est venu avec le temps.

As-tu essayé d’autres sports ?

Pas du tout, rien à part le football. Au quartier, c’était le sport le plus simple à pratiquer. Il suffisait d’un ballon. C’était football 24 heures sur 24. Je jouais dehors et je rentrais pour regarder les matchs. On faisait des matchs à la récréation. Je n’avais que le football dans ma tête. Bon allez, je vais te faire une confidence. J’aime bien le catch aussi, avec la WWE (sourire). J’ai un peu bifurqué, mais ça n’a pas duré longtemps.

Tu as pensé à percer dans le catch ?

Ouais (il éclate de rires). J’ai une anecdote d’ailleurs. À l’époque, le quartier était en travaux. On avait fait un ring avec les rubans blanc et rouge pour les travaux. On se battait dans le ring et on essayait de reproduire ce qu’on voyait sur les vidéos de catch. Un jour, j’ai tenté une prise spéciale sur un ami. Je lui ai cogné la tête au sol, et du coup, il est resté au sol pendant plusieurs minutes. On a vraiment eu peur ce jour-là. On a compris par la suite que le catch, ce n’était pas comme on le pensait (rires). C’était plutôt de la mise en scène ce qu’on voyait à la télé.

« Durant certains matchs, des motocross pouvaient débarquer autour du stade. »

À Montfermeil, tu jouais dans les meilleures équipes ?

Honnêtement, non. Après les U15, tous les joueurs de ma génération ont intégré le groupe U17DH. Moi, je n’ai pas été retenu avec les U17, je suis allé avec les U16. Donc non, je n’ai pas toujours été dans les meilleures équipes. J’ai même dû quitter Montfermeil par la suite car le coach des U17 ne voulait pas de moi. Je suis allé en U17 DSR à Villemomble. Je mettais entre 20 et 30 minutes pour aller au foot.

Ne pas être retenu à cause de son physique, ce n’était pas trop dur ?

Ça faisait mal. Surtout à l’époque, je ne comprenais pas. Je voyais les autres en train de s’épanouir, et moi, ça ne passait pas. Avec du recul, je comprends. Ce n’était pas facile à accepter. Mais je ne m’apitoyais pas sur mon sort. Je me réfugiais dans le travail. Je savais que ça allait payer un jour ou l’autre. Je n’ai jamais baisé les bras. J’ai toujours cru que les choses allaient venir. Tout ça fait mon parcours et ma personnalité. Sans ces difficultés, je ne serais pas là aujourd’hui. J’ai beaucoup appris.

Montfermeil est considéré comme l’un des meilleurs clubs de la région parisienne. Comment faire pour résister à la concurrence ?

Je fais partie des premières générations qui ont fait connaître Montfermeil, avec les joueurs nés en 93, 94, 95, 96 et 97. Ces générations ont aidé le club à se développer. À notre époque, Montfermeil commençait tout juste à se faire connaître. Ce n’était pas comme aujourd’hui où une vingtaine de joueurs par an signent dans des clubs pros.

Montfermeil est aussi connu pour être un club difficile à jouer à domicile…

Oui (sourire). Nous les joueurs du club, on aimait ça ! On avait les supporters, ça nous galvanisait. On avait cette image de maison imprenable. On sentait que les adversaires avaient peur. Avec du recul, ce n’est pas une bonne une chose car ce n’est pas très fair-play. Mais nous, les joueurs, on kiffait. Tous les week-ends, les matchs étaient animés. Durant certains matchs, des motocross pouvaient débarquer autour du stade. C’était magique à l’époque. Ça nous faisait rire. On se nourrissait de ça pour gagner et atteindre nos objectifs. Je ne peux pas oublier ces années.

Comment s’est déroulée ta signature à Angers ?

En U19 première année, j’ai effectué un essai anodin pour Angers. Ça s’est passé à Maisons-Alfort. On était une soixantaine de joueurs. Suite à ça, 15 joueurs ont été sélectionnés pour se rendre à Angers afin de jouer un match contre les joueurs du club. J’ai été retenu. Je me souviens, j’avais mis ma vie sur cette détection. Sur 60 joueurs, si tu ne fais pas le petit truc en plus, tu ne peux pas être retenu. Certains joueurs voulaient garder la balle 40 minutes pour se faire remarquer (rires). Après la deuxième détection, j’ai été appelé pour une troisième détection avec des jeunes issus de clubs pros qui n’étaient pas conservés. À ce moment-là, j’ai compris que j’allais signer au SCO. J’avais senti le truc, le coach avait parlé avec mon père. Sur le retour entre Angers et Paris, on m’a annoncé officiellement que le club souhaitait me recruter. C’était ma première réussite après toutes ces années de galères. C’était le premier pas vers mon rêve. J’étais trop heureux ! Je disais à ma famille : « C’est mon tour ! Je vais signer ». C’était quelque chose de grand à l’époque pour ma famille et moi. Pour moi, le premier grand pas était fait. Mais avec les années, je me suis rendu compte que c’était le plus petit pas (rires).

Comment s’est passée ton intégration à Angers ?

Lors de mon arrivée en U19 deuxième année, j’étais au centre avec Belkacem, un ami avec qui j’ai grandi à Montfermeil. Il était au club depuis un an, il m’a accueilli et expliqué le fonctionnement du centre. On était dans la même chambre. La vie au centre, qu’est-ce que c’était beau ! Le fait de quitter ma famille, ça m’a fait bizarre au début. Après, je m’y attendais, je savais que ça n’allait pas être facile. J’ai eu la chance d’avoir mon ami avec moi. Il m’a beaucoup aidé. Mon adaptation s’est bien passée. À la fin de ma première saison, j’ai signé un contrat de deux ans stagiaire-pro. J’ai démarré ma deuxième saison en CFA, et je l’ai terminée avec les pros. À la fin de cette saison, j’ai signé mon premier contrat professionnel. J’avais fait plusieurs bancs de Ligue 1 et un match de championnat contre Troyes.

Comment s’est passé ce match ?

J’ai une anecdote incroyable au sujet de mon premier match. Pendant la semaine, je m’entraînais avec les pros, et il y a eu une dispute entre deux joueurs, deux latéraux. Le coach décide de les punir et de ne pas les convoquer. De ce fait, je suis propulsé dans le groupe pour le match contre Troyes. J’étais donc prévu remplaçant. Durant l’échauffement, on se fait des passes avec Saïd Benrahma. Et d’un coup, le préparateur physique arrive en courant vers moi et me dit : « Allez Aïssa, va rejoindre le groupe, tu es titulaire, un latéral vient de se blesser ! ». Et il faut savoir que de base, je ne suis pas latéral. Je rejoins l’équipe et je fais mon premier match pro en tant que latéral. Je ne pourrai jamais oublier cette première. Il a fallu deux latéraux punis et un latéral blessé le jour du match. On a gagné 1-0, c’était le match du maintien. Je me souviens que la prime avait été doublée. Grâce à cette prime, j’ai pu acheter ma première voiture, une 207. C’était une petite voiture, mais à l’époque, c’était grand pour moi. En plus de ça, j’avais fait un assez bon match, le coach m’avait félicité. Mon premier match pro m’a permis de m’acheter ma première voiture.

« Au départ, quand on me parle de la Roumanie, je suis catégorique ! Je ne veux pas y aller. »

Pourquoi ça n’a pas marché à Angers ?

Niveau football, tout se passait bien. J’avais même terminé meilleur joueur du centre de formation. J’avais reçu un trophée. Ensuite, j’ai fait la reprise avec les pros. J’avais fait une grosse impression. Les journaux disaient que j’allais démarrer la saison en tant que titulaire avec Mangani. Et puis les événements ont fait que j’ai dû partir…

Tu es passé de potentiel titulaire en Ligue 1 à joueur prêté en National…

Honnêtement, c’était difficile. Ce qui me rassurait, c’est que je savais que ce n’était pas en rapport avec le football. Ce n’est pas facile de se dire : « Je peux avoir ma chance en Ligue 1 » et ensuite se retrouver en National. Ce qui était bien, c’est que j’ai rejoint un club de National, Les Herbiers, qui me voulait vraiment. Le club avait un projet pour moi. Le duo Stéphane Masala et Frédéric Reculeau prônait un jeu tourné autour du football. J’ai pris énormément de plaisir. J’ai réalisé une belle année, il me manquait juste des stats. J’ai fait de belles rencontres aussi. C’était ma première expérience dans une équipe première en tant que titulaire. J’ai beaucoup appris, on m’a donné beaucoup de confiance. C’était une bonne chose pour moi. Je suis revenu au club, et j’ai été, à nouveau, prêté à Chambly avec le coach Luzy. J’avais la chance d’être à une heure de chez moi. Donc j’ai pris un appartement à Livry-Gargan, près de Montfermeil. J’ai vu autre chose, c’était un football différent. Les Herbiers et Chambly ont deux tactiques totalement opposées. Je me suis aguerri et j’ai grandi en tant que professionnel. Tout le monde sait que le championnat de National est difficile, avec de longs déplacements. Je ne regrette pas du tout ces choix-là.

Le championnat National est semi-professionnel. As-tu vécu une galère marquante pendant tes deux saisons dans ce championnat ?

En réalité, les galères, c’est tous les week-ends. Mais celle qui m’a le plus marqué, c’est un déplacement à Marseille Consolat. Après le match, le retour se fait en car, durant toute la nuit avec des crampes, et une arrivée à Chambly à 5h du mat. Ensuite, il fallait que je prenne ma voiture pour faire une heure de route jusqu’à Montfermeil. Ce n’était pas facile. Ceux qui évoluent en National comprendront ce que je veux dire. Je dis toujours que le National est un des championnats les plus difficiles car on te demande des exigences professionnelles avec un encadrement semi-professionnel. Par exemple, en Ligue 1 ou en Ligue 2, tu fais les déplacements en avion alors qu’en National, tu prends le bus tous les week-ends. Ça veut dire que tu pars le jeudi à 13h, tu arrives à destination à 18-19h, et c’est comme ça quasiment tous les week-ends, ce n’est vraiment pas facile.

Comment gagnais-tu ta vie ?

J’étais prêté par Angers. Honnêtement, je n’ai pas de honte avec ça, j’avais le contrat minimum, à la charte, je n’étais pas à plaindre non plus. C’était la difficulté de l’époque. Mais avec tout ce qu’on entendait en France, je ne pouvais pas me plaindre. Même si je ne gagnais pas des mille et des cents non plus. Ça me permettait de bien vivre et de pouvoir me faire plaisir, je n’étais pas un grand dépensier. D’autant plus que j’étais seul, ensuite, quand j’ai signé à Chambly, je me suis marié. Je ne porte pas vraiment des marques de luxe, je suis simple, et ce que je gagnais me suffisait pour mon rythme de vie.

Comment prends-tu la décision d’aller en Roumanie ?

Ce sont les aléas du football, certaines choses se disaient en France, des événements se sont passés, j’ai dû prendre la décision de quitter la France.

Pourquoi la Roumanie ?

La Roumanie n’est pas la désignation privilégiée des footballeurs, c’est sûr. Au départ, quand on me parle de la Roumanie, je suis catégorique ! Je ne veux pas y aller. Ensuite, mon père m’a encouragé à tenter l’aventure, en m’expliquant que ça pouvait être une bonne chose et qu’il fallait tenter un truc. J’étais d’accord avec lui sur le fait qu’il fallait tenter quelque chose. Petit à petit, j’ai pesé le pour et le contre, je me suis dit : « Pourquoi pas ». J’ai bien réfléchi, je savais qu’en allant dans ce pays, il fallait avoir un objectif de carrière pour la construire au mieux. Surtout que j’avais prouvé que je pouvais jouer au haut niveau durant mes années en France. Mais ce n’était pas passé pour différentes raisons. Je me disais : « Peu importe la destination, il faut y aller pour réussir ». Ma confiance en moi me permettait de me dire : « Signe là-bas et prouve ». Je savais que si je faisais le job, j’allais rejoindre un meilleur club qui joue les compétitions européennes pour m’offrir une certaine visibilité. Voilà pourquoi j’ai signé en Roumanie, au FC Voluntari.

En arrivant en Roumanie, tu devais te dire : « Qu’est-ce que je fais ici ? ».

Forcément, en plus, j’avais une idée reçue de la Roumanie qui était totalement erronée. Au départ, je me disais : « Où est-ce que j’ai mis les pieds ? ». En plus, le premier jour, j’entends dans le vestiaire qu’il y a des problèmes avec le coach et qu’il va se faire virer ! La saison n’avait même pas débuté. Dans le vestiaire, il y avait un autre Français, Abdelhak Belahmeur qui m’avait conseillé de venir en m’expliquant le fonctionnement du club. Et là, je le regarde et je lui dis : « Mais comment c’est possible ? Ils veulent déjà virer le coach ? ». Et il me répond : « Ah oui, c’est vrai, tu ne sais pas comment c’est ici » (rires). Trois jours après, le coach est viré. Et là, j’ai compris qu’il fallait être solide pour tenir. Les premiers jours n’ont pas été faciles : l’adaptation, la barrière de la langue, une mentalité différente. Mais après réflexion, je me répétais : « Je sais pourquoi je suis ici, il faut que je reste concentré sur mon objectif ». Je savais qu’en travaillant dans mon coin, les choses allaient bien se passer. Concernant les conditions de vie, elles étaient très bonnes. Je vivais dans un quartier sécurisé qui se nommait : « Cosmopolice ». Il y avait tout ce dont j’avais besoin.

« De la lutte pour le maintien en Roumanie, j’allais me retrouver à jouer la montée en Premier League. C’était incroyable ! »

Que retiens-tu de ces deux années ?

C’était une belle expérience de vie, j’ai appris plein de choses, j’ai découvert une nouvelle culture. J’ai connu aussi quelques retards de paiement (rires). Mais il faut faire avec, c’est comme ça. Pour te dire, je n’ai pas encore reçu la totalité des sommes dues à l’heure actuelle. Quand tu vis ce genre de situation, ce n’est pas facile. Surtout quand on est seul à l’étranger, je n’avais que ma femme. J’avais besoin d’une stabilité financière que je n’avais pas. Et encore, dans mon cas, ça allait. Les retards étaient corrects par rapport aux autres. J’avais environ deux/trois mois de retard, j’avais la chance d’être apprécié au club. Les dirigeants essayaient de m’arranger quand ils pouvaient. Dans l’ensemble, je vivais très bien, il y avait tout ce qu’il fallait. L’idée que j’avais de la Roumanie était erronée.

Comment voyais-tu la Roumanie ?

J’ai honte de le dire car ma vision du pays était fausse. Je voyais la Roumanie comme un pays avec plein de champs, sans aucune infrastructure. À mon arrivée, j’ai été très surpris, il y avait tout. C’est un pays développé avec des centres commerciaux et des appartements de haute qualité, la sécurité est assurée. J’ai vécu de très bons moments là-bas.

Après la Roumanie, tu signes en Hongrie, une nouvelle aventure galère sur le papier…

Honnêtement, non, car durant mes deux années en Roumanie, j’ai compris que nous, les Français, négligions ces pays mais qu’une fois sur place, ce n’est pas comme l’on peut croire. Quand j’ai signé en Hongrie, je savais que tout allait bien se passer d’autant plus que je rejoignais le meilleur club du pays. En Hongrie, ça devenait plus sérieux, car le club était beaucoup mieux structuré. Je n’avais donc aucun problème à m’engager avec Ferencváros.

En rejoignant un club qui joue l’Europe, ton objectif initial était atteint.

Exactement. Il faut savoir qu’après ma première saison en Roumanie, l’un des plus grands clubs de Roumanie, le Steaua Bucarest, a tenté de me recruter. Je n’ai pas donné suite car le contrat était difficilement acceptable, le club voulait inclure une clause libératoire à 30 millions. Je ne sentais pas le truc. Six mois après, j’ai reçu une offre de Swansea. Je n’en revenais pas, je ne pensais pas qu’un club comme Swansea pouvait recruter en Roumanie. Surtout qu’à l’époque, mon club jouait le maintien. De la lutte pour le maintien en Roumanie, j’allais me retrouver à jouer la montée en Premier League. C’était incroyable ! Je suis même allé sur place.

Pourquoi n’as-tu pas signé ?

J’ai été à Swansea avec l’autorisation de mon club. En arrivant sur place, c’était le rêve de footballeur que j’imaginais quand je fermais les yeux, avec notamment des installations magnifiques, des terrains de fou, salle de sport, spa, que des belles voitures dans le parking, etc. Mon contrat avait été négocié, je passais dans une nouvelle dimension, c’était vraiment incroyable. En plus, Swansea jouait le haut de tableau. En arrivant, on me fait visiter le centre, j’enfile les affaires du club, je fais la visite médicale, tout se passe bien. Les dirigeants étaient agréablement surpris par mes résultats. Tout était prêt, j’avais même signé le contrat, en attendant l’accord final entre les deux clubs. C’était la toute fin du mercato. Et de dernière minute, le deal est tombé à l’eau.

À cause de quoi ?

Initialement, FC Voluntari réclamait entre 200 000 et 250 000 euros pour mon transfert. Et quand Swansea a envoyé l’offre avec le montant réclamé, le club roumain a changé de discours. Les dirigeants ont dit : « On ne veut plus ça, on veut le double ». Par principe, Swansea n’a pas accédé à cette demande, car ce n’était pas honnête de la part du club roumain. Ils ont changé de version à la dernière minute.

Comment as-tu vécu cet épisode ?

C’était très, très difficile, je suis passé de tout à rien. Enfin, je ne peux pas dire « rien » car je ne crache pas dans la soupe. Mais ce que j’avais vu à Swansea m’avait fait rêver. Je ne peux pas employer le mot dépression car il est fort mais ça n’a pas été facile. Mon travail acharné quotidien prenait forme, je voyais le bout du tunnel en rejoignant l’Angleterre. Tout est tombé à l’eau à cause de broutilles, pour un mauvais agencement. Le retour a été compliqué, j’ai mis deux-trois semaines avant reprendre, je suis même resté en France pour digérer l’échec du transfert. Après ça, j’avais toujours l’espoir que cela se fasse au mercato estival. Ça m’a permis de rester concentré et de me dire que je devais continuer de travailler. Mon objectif était le transfert à Swansea en été.

Que s’est-il passé en été ?

Swansea est revenu à la charge, mais Ferencváros a proposé le triple du montant. On m’a clairement poussé vers la sortie. Au début, je voulais quand même attendre Swansea. Ensuite, j’ai écouté ce que Ferencváros avait à me proposer. J’ai tout de suite compris le sérieux du club et ses ambitions. J’ai accroché car il venait de disputer l’Europa League et leur objectif était de jouer la Ligue des Champions. Je doutais au départ, je pensais que c’était seulement de belles paroles, et finalement, je me suis laissé séduire par le projet. C’était ma volonté initiale : quitter la France, rebondir et rejoindre un club qui joue les compétitions européennes. On était donc dans la catégorie que je visais. On m’a transmis des vidéos des supporters, des matchs, et quand je suis allé sur place, j’ai vu les installations et le projet. J’ai été séduit. C’était en 2020, pendant la période du Covid.

« J’ai eu la chance d’être très bien accueilli en sélection, avec un réel projet. »

Et puis, tu te retrouves à affronter Lionel Messi et Cristiano Ronaldo en Ligue des Champions…

Exactement, comme je te disais, au départ, je pensais que c’était seulement de belles paroles quand les dirigeants me parlaient de Ligue des Champions. Et finalement, on l’a vraiment jouée. Lors des tours préliminaires, on a rencontré de belles équipes comme le Dinamo Zagreb ou encore le Celtic Glasgow. Et là, je commence à comprendre que c’est du sérieux, on joue contre des équipes de renom dans de beaux stades. Je me retrouve en Ligue des Champions, je réalise mon rêve de gosse. En plus de ça, même si rien n’est lié au hasard, lors du tirage du sort, on tombe sur le Barça de Messi et la Juve de Ronaldo, que demander de plus ?

Comment se déroule ton premier match en Ligue des Champions ?

Mon premier match se passe au Camp Nou, on perd 5-1, je suis titulaire titulaire. C’est incroyable. Tout commence la veille, quand on s’entraîne au Camp Nou, en rentrant sur la pelouse, tu as les yeux en cœur, avec plein d’étoiles. Tu te dis : « Je suis au Camp Nou, je ne suis pas là en spectateur ou en visite, je suis là pour jouer ! J’ai le même rendez-vous que Messi ».

As-tu pensé à récupérer un maillot d’un joueur adverse ?

Non, car j’ai honte de demander. En plus, on avait les maillots avec l’emblème de la Ligue des Champions, je préférais le garder et le donner à ma famille, plutôt que de l’échanger. Pendant l’échauffement, je me retourne, je vois Messi et tous les autres grands noms. C’était un truc de fou. Là, tu comprends que c’est une autre galaxie et que mon rêve devient réalité. J’ai profité de chaque instant.

La Hongrie est un pays décrié, as-tu vécu des galères ?

Pas du tout. Encore une fois, ce sont des idées reçues, il y a des bons et des mauvais partout, on ne peut pas le nier. Personnellement, je n’ai rencontré aucun problème. J’ai passé deux ans et demi là-bas, et je peux te dire que c’était l’un des meilleurs moments de ma vie. J’ai profité, j’ai commencé à vraiment vivre du football, j’ai vécu la vie de footballeur, on me demandait des photos dans la rue, j’ai joué de gros matchs.

Le contrat était meilleur…

C’était clairement un salaire de footballeur donc j’étais content de ce que je gagnais, même je ne me plaignais pas avant. Là-bas, je me disais que j’étais footballeur et que je vivais la vie de footballeur. J’ai toujours été proche de ma famille et j’ai toujours considéré que ce qui m’appartient, leur appartient. Eux aussi m’ont beaucoup aidé.

Ta famille venait en Roumanie et en Hongrie ?

Honnêtement, j’ai un cercle très restreint. Partout où je suis allé, ils se sont toujours déplacés pour moi. Je les remercie aujourd’hui pour cela. Malheureusement, ils n’ont pas pu assister aux matchs de Ligue des Champions à cause de la pandémie. Les stades n’accueillaient pas de supporters. Lors de ma deuxième année, ils ont pu assister aux matchs d’Europa League.

Entre temps, la Fédération Tunisienne te sollicite, tu participes à la CAN et à la Coupe du Monde. Aurais-tu signé à l’Union Berlin sans le Mondial ?

Oui, j’intègre la sélection tunisienne après ma signature à Ferencváros. La sélection a mis un boost à ma carrière, m’a fait grandir. Avoir le statut d’international, ça change tout. J’ai eu la chance d’être très bien accueilli en sélection, avec un réel projet. Je suis très heureux et satisfait de ce choix. Avant le Mondial, il y a cette CAN au Cameroun.

Comment s’est-elle passée ?

J’ai plusieurs anecdotes au sujet de cette CAN, ce sont vraiment des moments inoubliables. Par exemple, en arrivant à l’hôtel, tu vois le couloir tout étroit et sombre, tu regardes les chambres, tu as la chaleur aussi. En plus, on se trouvait dans une zone à risques, il y avait une guerre civile, avec des milices qui pouvaient nous attaquer à tout moment. Quand on se rendait aux entraînements, c’était sous escorte militaire, il y avait des militaires armés tout au long du chemin. On se croyait dans Call of Duty. Les bâtiments étaient aussi remplis de militaires armés pendant les séances. C’était spécial, mais ce sont des souvenirs inoubliables. On perd malheureusement en quart de finale contre le Burkina Faso, c’est la déception de cette compétition. On se relève ensuite et on se qualifie pour la Coupe du Monde, c’est l’un des moments les plus spéciaux que j’ai vécus dans ma jeune carrière de footballeur. Après la Ligue des Champions, l’Europa League, la CAN, la seule chose qui me manquait, c’était la Coupe du Monde. Tu te sens privilégié, car tout le monde n’a pas la chance de jouer une telle compétition. Je me suis dit : «  Kiffe, joue en n’ayant aucun regret, fais ce qu’il faut, bats-toi sur le terrain chaque minute, profite car rien ne dit que tu vas en rejouer une ». J’ai la chance de faire une assez bonne compétition, même si tout n’a pas été parfait. Cette compétition m’a permis d’apprendre, j’ai découvert le très haut niveau. Ce Mondial m’a ouvert plusieurs portes. Sans la Coupe du Monde, je n’aurais certainement pas reçu quatre offres concrètes durant ce mercato hivernal. Cette compétition a été un réel coup de boost.

Qu’as-tu ressenti lors du match contre la France ?

Incroyable ! Spécial surtout car je suis né en France, j’ai grandi en France, ma famille vit en France. On a cet attachement à la France, on est aussi Français. Un match spécial où l’on rencontre des stars du football. Les copains charriaient avant le match, c’était magnifique. J’en garde de supers souvenirs.

« J’aime bien regarder Kevin de Bruyne dans ses prises d’info et pour sa qualité de passe. »

Tu as reçu quatre offres, pourquoi l’Union Berlin ?

Déjà, avant même de recevoir les offres, je voulais signer en Allemagne. Ce championnat me fait kiffer depuis longtemps, j’ai toujours pensé que ce championnat pouvait me convenir. Je trouve qu’il me ressemble. Quand l’Union Berlin s’est présenté, deuxième de Bundesliga, avec un vrai projet sportif et de grandes ambitions, je me suis tout de suite imaginé dans ce club. J’espère réussir ici. Je vais tout faire pour.

L’Olympique de Marseille et l’Olympique Lyonnais n’ont pas retenu ton profil. As-tu été piqué par ces refus ?

Honnêtement, non, je n’ai pas été piqué. Je sais comment le foot marche. Pour commencer, tu ne peux pas plaire à tout le monde. Ensuite, tout dépend des profils, et du type de recrutement du club en question. Peut-être que je n’entrais tout simplement pas dans leurs critères. Je ne m’arrête pas à ça. Je suis très heureux d’être à l’Union Berlin. Ça ne me traverse pas l’esprit de me dire : « J’aurais pu aller à Lyon ou à Marseille ». Je ne pense pas à ça. J’avance avec mes valeurs tout simplement. Le meilleur choix, c’était l’Union Berlin. Je l’ai fait. À moi d’être bon sur le terrain pour confirmer tout ça.

Quand tu signes à l’Union Berlin, tu te dis que le plan a marché ?

Oui, tu te dis que tout ce que tu as planifié ces dernières années, ça a fonctionné. Mais je ne m’arrête pas là. National, puis Roumanie, puis Hongrie et désormais Bundesliga. J’ai parcouru du chemin. Du temps s’est écoulé pour en arriver là. Maintenant que j’y suis, je fais quoi ? Je ne suis pas là pour me reposer sur mes lauriers. J’ai d’autres ambitions à l’esprit, des objectifs encore plus grands. J’espère y arriver.

Sans la foi, aurais-tu pu surmonter tous ces obstacles ?

Honnêtement, non. J’ai des valeurs, je suis reconnaissant de tout ce que j’ai. Je sais que tout vient d’abord de Dieu. Et ensuite, de moi. J’avance toujours avec ma ligne de conduite, ma manière de penser, ma manière d’être. Je ne veux pas changer. Je veux rester comme ça.

Tu es assez nerveux sur le terrain, ta foi te permet-elle de te canaliser ?

Il est vrai que sur le terrain, j’ai du mal à contrôler entièrement mes émotions. Sur le terrain, je suis dans mon truc. La foi me permet de me retenir parfois. Mais je dois devenir encore plus calme. Ça peut me jouer des tours. C’est lié à mon envie. Je suis même trop déterminé (sourire). Sur le terrain, j’ai vraiment faim ! Voilà ce qui me rend comme ça. Tout ce que j’ai traversé, je l’ai surmonté grâce à ma détermination et mon envie. C’est moi. C’est ma personnalité. Ma nervosité s’explique par un excès de détermination.

Qu’aimes-tu faire en dehors du foot ?

J’aime bien rigoler, c’est l’une de mes passions préférées. Sinon, j’aime bien lire, j’aime bien m’instruire, passer du temps avec ma famille, mes deux enfants. On se promène au zoo par exemple. J’aime faire des choses simples,  je ne suis pas compliqué. J’aime profiter des miens et faire plaisir à mes enfants.

Beaucoup de jeunes galèrent dans le foot, qu’aimerais-tu leur dire ?

Déjà, il faut savoir que galérer dans le foot, c’est une chose normale. C’est le foot qui veut ça. Je me souviens d’une phrase de Kylian Mbappé. Il avait dit : « Avant même d’être footballeur, il faut un mental à toute épreuve ». Je le rejoins largement. Le football, c’est d’abord mental. Si tu n’es pas prêt à faire des sacrifices, à travailler plus que les autres et à galérer, ça ne sert à rien de faire du foot. Dans toutes les  histoires de footballeurs, la galère revient souvent. Je ne suis personne pour donner des conseils. Mais si on me demande mon avis, je dirais : travail, patience, détermination et surtout croire en soi et croire en ses rêves. Rien n’est impossible. En Roumanie, je jouais pour ne pas descendre, deux mois après, je jouais contre Messi et Ronaldo en Ligue des Champions. C’est le meilleur exemple. Tout va très vite. Et surtout, rien n’est jamais trop tard.

Regardais-tu des parcours à l’époque ?

Je n’ai pas réellement pris de parcours comme exemple. Samba Diakité (ancien joueur passé par Nancy ou encore Queens Park Rangers, ndlr) me parlait beaucoup, il m’expliquait le fonctionnement du football, il me donnait des conseils. Je regardais beaucoup de documentaires de footballeurs qui racontaient les aléas du foot. Et racontaient ce qu’il fallait pour réussir. Je m’intéressais à ce genre de choses plutôt qu’un parcours en particulier.

Quels sont les joueurs que tu aimes regarder ?

Je ne vais pas te donner un nom en particulier. J’aime bien l’analyse de jeu et les récupérations de balle de N’Golo Kanté. Il fait un gros travail défensif. J’aime bien regarder Kevin de Bruyne dans ses prises d’info et pour sa qualité de passe. J’observe certains défenseurs aussi pour leur détermination. Je tire des enseignements sur la qualité première de plusieurs joueurs. Et pas seulement sur un joueur.

Si tu pouvais bénéficier d’un super pouvoir, tu choisirais lequel ?

Rendre ma famille heureuse.

Si tu étais journaliste, quelle question poserais-tu à Aïssa Laïdouni ?

Bonne question ça (rires). Je lui demanderais : « Où est-ce que tu veux t’arrêter ? » et « Quelle image aimerais-tu donner pour la suite ? ». Pour la première question, je dirais : « Je n’ai pas de limite, je ne veux pas m’arrêter, je veux jouer dans les plus grands club du monde ». Concernant la deuxième, je dirais : « Je veux donner l’image d’un garçon qui prouve que rien n’est impossible, je veux montrer aux jeunes qu’avec de la détermination, il n’y pas de barrière. Il n’y a pas de honte à jouer en Roumanie ou en Hongrie. Si c’est ton rêve, il faut le faire ! ».

Si tu devais terminer l’interview par une phrase qui te représente, que dirais-tu ?

« Croire en soi, croire en ses rêves et ne jamais s’arrêter de rêver ». Cette phrase me refait penser à tout mon parcours et tout ce qui m’arrive.

Quelle note tu te mettrais pour cette interview ?

Je n’ai pas été très bon (rires). Je me mets 6 sur 10.

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