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·15 octobre 2021

ENTRETIEN / Benjamin Bourigeaud : « Ce rôle de cadre, c’est un cap supplémentaire pour moi »

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Au moment d'entamer sa cinquième saison au Stade rennais, Benjamin Bourigeaud s'est habillé d'un nouveau costume, celui de cadre. A 27 ans, le dynamique milieu de terrain franchit (...)

Tu arrives en juin 2017 à Rennes. Est-ce que tu peux me raconter comment ça se fait ?


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Ça se fait long, déjà. J’étais dans le Nord lorsque j’ai appris que je devais partir faire ma visite médicale le lendemain matin. J’avais rendez-vous à 8h00. Je devais passer par Paris, rejoindre mes agents pour venir signer à Rennes, donc je me suis tapé la route Calais-Paris, Paris-Rennes. Je suis arrivé à 6h du mat’, j’ai dormi dans la voiture. A 7h00, on est venu me chercher à l’hôtel, et ensuite la visite médicale se fait, puis tout s’enchaine. Je signe au club, on mange ensemble avec les représentants et les dirigeants, Hamari (Traoré) signait le même jour je crois. J’étais content de rejoindre le club, et aujourd’hui je suis encore là.

Tu as 23 ans, et tu viens de quitter le RC Lens. C’est une déception de devoir quitter le Racing à ce moment ?

Forcément c’était un sentiment particulier, car je finis sur une saison où on accède pas à la Ligue 1, à un point. C’était une déception de ne pas avoir pu remonter avec mon club formateur. C’était un déchirement car j’y ai vécu beaucoup de choses depuis tout petit. J’ai quitté ma famille à 10 ans et demi pour rejoindre ce club, j’ai grandi là-bas, j’y ai passé toutes mes classes, et j’y suis passé en pro. Un déchirement oui, une déception non, car j’étais content de rejoindre le Stade rennais. Ça me permettait de redécouvrir la Ligue 1, que j’avais découverte avec Lens, et de voir autre chose, de progresser, ce qui était mon objectif premier. Mais forcément, c’était douloureux de quitter le RC Lens.

Tu fais un sacré début de saison (4 buts, 2 passes dé), et là, Christian Gourcuff et René Ruello sont licenciés, Sabri Lamouchi et Olivier Létang arrivent, 4 mois après ton arrivée. Comment on vit un changement d’entraîneur dans un club dans lequel on vient de débarquer ?

C’est sûr que quand un coach te fait venir dans un club, le sentiment est mitigé. C’est toujours triste de devoir se séparer d’un coach. On travaille tous ensemble, ce n’est pas toujours facile. Il m’avait convaincu de venir. C’étaient beaucoup de changements, je n’avais jamais connu un changement de président. En tant que joueur on doit malheureusement faire avec, ce qui nous préoccupe le plus c’est le terrain.

Un changement de président justement, ça ne fait pas peur ?

Tu es dans l’inconnu, tu découvres, tu ne sais pas ce qui t’attend. On dit toujours que tu sais ce que tu perds, mais pas ce que tu récupères derrière. L’adaptation s’est faite assez rapidement, je me suis senti tout de suite bien. Après ces 4 mois, il y a eu un peu de flottement au club mais il a fallu se remettre au travail rapidement. Les nouveaux coach et président se sont mis au diapason, ont montré leurs valeurs, et on a pu faire de belles choses avec eux.

En venant à Rennes, tu as changé de cadre. Quelle importance a un cadre pour le footballeur de haut niveau ?

Pour moi c’était tout nouveau, je n’avais jamais quitté la région si ce n’est pour aller en vacances. Je n’avais jamais changé de club non plus. Tout a été une découverte, tu ne sais pas combien de temps tu vas mettre à t’adapter, comment seront tes nouveaux coéquipiers. J’ai eu la chance d’avoir ma femme et mon fils qui m’ont accompagné tout de suite, après le logement trouvé. C’était important pour moi car ça permet d’avoir cette stabilité. Quand tu pars dans l’inconnu, c’est bien d’avoir quelqu’un auprès de soi. Mon fils n’avait que 5 mois, c’était aussi la découverte du rôle de papa. Je pense que l’adaptation s’est bien faite et que je m’en suis bien sorti au final.

Ta compagne Marine évoquait récemment les difficultés d’adaptation à vos débuts à Rennes. Comment on ne lâche pas, avec en plus toute la pression d’un palier à franchir au niveau sportif ?

Je pars du principe qu’à partir du moment où tu donnes tout sur le terrain, les gens t’accueilleront rapidement, car ils savent que tu es là pour te battre, faire du bien. J’ai eu la chance au club de pouvoir prouver tout de suite, j’ai été efficace rapidement donc je pense que ça leur a donné confiance en moi, et c’est ce qui a fait que je me suis adapté rapidement. Je m’entends bien avec tout le monde, ça aide aussi.

Le cadre du footballeur de haut niveau est aussi diamétralement opposé à celui de tes jeunes années.

Même si Lens est un grand club, quand tu es en Ligue 2, tu n’as pas forcément les mêmes choses que dans un club de Ligue 1. Je suis repassé récemment chez eux, il y a énormément de changements, beaucoup de choses ont évolué. On se rend compte qu’ils sont entrés dans une autre dimension. C’était un cap pour moi à franchir, et c’est pourquoi je l’ai fait en venant ici. On a franchi les caps année après année, je ne me suis pas précipité. J’ai fait un choix de carrière justement pour franchir des paliers. J’ai la chance d’être tombé sur une évolution du club qui m’a fait évoluer aussi. Aujourd’hui, je ne peux pas regretter d’avoir signé ici, j’ai franchi des caps importants, comme je voulais le faire. Je suis très content aujourd’hui.

Ibiza, Majorque, Dubai… En général c’est là que les footballeurs vont en vacances en octobre. Toi c’était à Lens, pour un match de l’équipe réserve.

Je suis quelqu’un d’assez familial. J’aime bien rentrer à la maison, ça me permet de me ressourcer, de reprendre l’air du Nord. J’avais le choix de partir autre part, mais j’ai préféré me ressourcer en famille, voir mes amis, retourner dans mon ancien club car le petit frère de ma femme y joue aussi (José Capon, ndlr). Ça me permet de le voir jouer et de revoir des gens que j’ai connu à Lens.

Repasser à Lens pour toi, c’est obligatoire ?

Oui, j’ai toute ma famille là-bas, celle de ma femme aussi. Ça nous permet de changer d’air aussi. On se ressource parfois tous les trois ailleurs, mais de temps en temps c’est aussi bien de rentrer chez soi.

J’ai franchi des caps importants, comme je voulais le faire

Tu t’es créé un nouveau cadre à Rennes. Combien de temps on met à le construire ?

Ça dépend de comment se passe ton adaptation, rapide ou pas, celle de ta famille. Comment elle se sent dans la ville, comment ton fils évolue à l’école. Ça dépend de plein de choses. J’ai la chance de m’être adapté très vite, et ma femme aussi. C’est pour ça qu’on s’y sent très bien aujourd’hui, qu’on est épanouis.

Est-ce important de consommer la ville du club où l’on joue ?

Je consomme la ville, oui. Je pars du principe que quand tu restes toi-même avec les gens… Tu restes avant tout un être humain. C’est un tout. On a des périodes de repos où tu peux aller te promener. J’aime bien sortir en centre-ville. Ma femme aussi est tout le temps en centre-ville, et maintenant que j’y habite c’est beaucoup plus facile d’y aller. Ça permet de rencontrer des gens. Les gens sont plutôt agréables ici, j’aime bien aller au restaurant, on est pas trop embêtés ici, les gens sont plutôt cool, le soir comme la journée. C’est ça que j’aime ici.

Est-ce que tu te sens chez toi à Rennes ?

Bien sûr ! Ça fait quand même quatre ans et demi que je suis là, j’entame ma cinquième saison donc je peux dire aujourd’hui que je suis chez moi quand même (rires).

Tu es un des joueurs les plus populaires de ces dernières années au Stade rennais. Est-ce que tu en as conscience, et pourquoi selon toi ?

J’en ai conscience oui, car j’ai les retours. Je le vois. Hier j’étais à l’accrobranche avec mon fils, il y a une tonne de gamins qui sont venus vers moi. Ça fait plaisir, car ça prouve que mon travail est reconnu, que je suis une personne appréciée de par mes valeurs. J’ai l’habitude de me battre comme un acharné sur le terrain. En dehors, je suis assez simple, accessible, j’arrive facilement à échanger avec les gens. Je pense que c’est ça aussi qui fait que les gens m’apprécient. Je reste moi-même, je ne me la racontes pas. Quand tu fais le job sur le terrain et qu’en dehors tu es gentil, respectueux, tu ne peux être qu’apprécié. Je pense que c’est ça qui fait que je suis apprécié au Stade rennais, comme je le suis à Lens.

A Lens, tu es chez l’enfant du pays. A Rennes, c’était peut-être plus dur…

Oui, Lens je suis formé là-bas. Ici il a fallu travailler pour. Quand je suis arrivé, j’ai vu que les gens étaient un peu inquiets de savoir d’où je sortais, quel profil de joueur j’étais. Je le voyais, je l’entendais. Je suis resté serein, sûr de moi, et c’est pourquoi à force de travail et de me connaître, les gens s’identifient à moi, ou m’adorent.

Tu as senti qu’il y a pu avoir la même défiance avec toi à ton arrivée qu’avec tes nouveaux coéquipiers de cette saison par exemple ?

Forcément, quand tu es un club de Ligue 1 et que tu recrutes des joueurs de niveau inférieur, les gens se posent toujours des questions, comme ce que je vais pouvoir leur apporter. En tant que supporter, tu veux avoir la meilleure équipe possible, que ton équipe gagne, ça peut se comprendre. Mais si tu es là, ce n’est pas pour rien. Fais ton job. Il y a des gens qui t’aiment, d’autres te détestent, mais au moins, donne tout et tu n’auras aucun regret. C’est ce qui a fait que je suis plutôt apprécié à Rennes.

Tu en parles avec tes coéquipiers, notamment ceux pour qui les débuts peuvent être compliqués ?

Pas forcément. J’en ai reparlé avec Flav’ (Tait) il y a 2-3 semaines. Ce qui lui arrive aujourd’hui, ce n’est que le mérite de son travail. Il a vécu des débuts très très compliqués chez nous. Quand il arrive, il a été suspendu, il a eu du mal à s’adapter, les gens l’ont tout de suite pris à partie. Dès qu’il sortait, il se faisait siffler. C’était une période compliquée pour lui. Aujourd’hui, avec un peu plus de confiance, il démontre tout son talent, et ses qualités, et pourquoi il a signé chez nous. Les gens se rendent compte que le Flavien qu’on a connu à son arrivée n’était pas le vrai. Aujourd’hui, c’est le vrai. Quand tu vois ce qu’il a traversé, ce n’est pas facile. En tant que coéquipier, peut-être qu’un jour tu te retrouveras dans cette situation. Le foot est un monde particulier, tu dois faire avec. Il a réussi à rester fort, et aujourd’hui, il démontre toutes ses qualités.

Je peux dire aujourd’hui que je suis chez moi à Rennes

Ce qui explique aussi ta popularité, c’est le terrain, et l’un des grands souvenirs te concernant, c’est un but. Est-ce que tu peux me raconter en détails ce but face à Arsenal ?

(Sourires) C’est sûr que c’est un moment que je n’oublierai jamais, je m’en rappellerai toute ma vie. Il y a faute sur Isma (Sarr). Je me souviens prendre le ballon, être autour avec Hatem (Ben Arfa). Je me concentre, je fais ma petite routine d’avant-coup franc. Je pose la balle, je fais 2-3 pas en arrière. Je m’apprête à tirer, je suis tranquille. Je commence à m’élancer, je tape la balle et vois qu’elle tape le mur. Elle me revient parfaitement devant. Sans vraiment réfléchir, je ne me pose pas de questions, je renvoie ce que je peux. La trajectoire fait qu’elle va en pleine lucarne. Le stade explose, toi t’es un peu euphorique. Je suis parti sur le côté faire ma petite glissage, Isma m’a foncé dessus, on s’est retrouvés tous par terre. C’était un moment magique, car c’était mon premier but en coupe d’Europe. On était dans un gros match face à une grosse équipe d’Arsenal, avec une ambiance complètement folle. C’était un moment très fort.

Est-ce que tu arrives à sentir avant les rencontres, qu’il va se passer quelque chose comme face à Arsenal ?

Avant, non. Chaque équipe est concentrée, chacun a envie de gagner. C’est au fur et à mesure du match que tu te rends compte qu’il ne peut rien nous arriver. On a une entame de match difficile, on prend un but rapidement. Si tu te mets à douter tout de suite, tu ne joues pas le même match. On a la chance de revenir et de les mettre en difficulté. Ce jour-là, on a vraiment senti une force collective, et il ne pouvait vraiment rien nous arriver.

L’avant-match, c’est aussi la mise au vert. Comment celle-ci s’est passée ?

Plutôt sereinement, une préparation de match habituelle, même si c’était un match important. Il faut quand même rester tranquille dans ta tête. Si tu joues le match avant, après ça risque d’être compliqué. On était concentrés, on avait un très bon groupe, une belle bande de potes. Une fois la causerie terminée, tout le monde s’est concentré à sa manière dans le bus.

Toutes les mises au vert ne se ressemblent pas, si ?

Non, ça va parfois être différent, mais le programme est souvent le même (rires). Tu manges souvent à la même heure, certains vont en soins, d’autres dans leur chambre, ou on se rejoint pour regarder des matchs.

C’est quoi la routine de « Bourige » en mise au vert ?

On arrive à l’hôtel, et on mange souvent tout de suite. Je remonte ensuite en chambre, je vais passer un peu de temps avec les kinés, pour des soins ou pour discuter. C’est là-bas où souvent les gens se rejoignent. Ensuite je rejoins ma chambre ou je regarde le match avec les kinés. S’il n’y a pas de foot, je regarde des séries. Le lendemain, petit déjeuner, ensuite on a un peu de temps pour nous. Moi je n’arrive pas à me rendormir après le petit déjeuner, donc je continue ma série. Ça m’est déjà arrivé de regarder les dessins animés le matin, tu vois ! Là j’ai regardé Squid Game, et Validé saison 2. Après la série, c’est promenade, repas et tout dépend de l’heure du match ensuite. Si on joue le soir, il y a sieste et collation.

Oui, c’est différent, ça permet de te retrouver en groupe, de préparer ton match ensemble. Franchement j’aime bien. Je ne dis pas que je n’aime pas être à la maison, mais j’aime bien me concentrer en mise au vert. Si pas de mise au vert, je reste à la maison tranquille avec mon fils, et je fais ma propre mise au vert à moi.

Le foot a perdu un peu en passion

Après quatre années, est-ce que tu te considères comme un cadre ?

Oui, j’ai cette ancienneté là au club. Je ne suis pas le plus vieux, mais avec le groupe jeune qu’on a, je fais partie des plus anciens. Cette ancienneté là, la confiance du club et du coach me donnent ce rôle là. Un cadre doit monter l’exemple. De par mon comportement sur le terrain et en dehors, je pense que je le fais. Il s’agit d’encadrer le groupe un maximum. On a beaucoup de jeunes, il faut les aider à franchir les paliers que j’ai pu franchir auparavant, et faire respecter les règles, comme les horaires par exemple. C’est un peu le rôle d’accompagnateur. C’est un rôle que je découvre, je suis quelqu’un qui de base ne parle pas forcément fort dans le vestiaire. Je le fais davantage car j’ai davantage cette confiance là, et cette expérience. Avant, je ne le faisais pas car j’étais jeune, j’avais des plus anciens dans le vestiaire, même si j’aurais pu m’exprimer, mais je ne sais pas, je ne me sentais pas de le faire tout de suite. Là, avec l’expérience et l’âge que j’ai, tu peux te permettre de parler un peu plus, je me développe à ce niveau là, et j’essaye de passer les bons messages aussi. Ce rôle là, je le prends à coeur, et c’est un cap supplémentaire pour moi.

Est-ce que tu ne le faisais pas avant car il y avait déjà des joueurs pour le faire, et qu’aujourd’hui tu as dû saisir cette place là ?

A Lens, c’était compliqué car j’étais le petit jeune qui sortait du centre de formation. Il y avait déjà des anciens installés depuis longtemps. J’avais un peu plus ce rôle de cadre la dernière année, juste avant de partir. Alain Casanova m’avait vraiment donné ce rôle là. A Rennes, ça a mis autant de temps. Tu arrives dans un club, tu ne vas pas devenir un cadre tout de suite. Il y avait des gens comme Romain Danzé, Benjamin André, qui étaient là depuis longtemps et avaient ce rôle là. Il y avait des mecs comme Wahbi Khazri qui avaient déjà de l’expérience. C’est pourquoi ils avaient ce rôle là et pas moi. C’est la maturité, l’âge, l’expérience qui font que tu peux te permettre d’avoir ce rôle là aujourd’hui.

Est-ce que ta vie personnelle fait de toi un bon cadre ?

C’est ma base, ce qui me permet d’avoir cette stabilité là. Ça m’a permis aussi de gagner en maturité. Quand tu as un enfant et que tu es jeune, tu gagnes vite en maturité. Forcément ça joue sur ce rôle de cadre. J’ai aussi ma femme qui a connu le haut niveau, elle peut m’accompagner à ce niveau là.

Vous échangez beaucoup autour de ton quotidien avec ta compagne ?

Oui, ça peut m’arriver. Ça peut aussi lui arriver de me donner des conseils sur ce qu’elle ressent de la tribune, puis je lui dis ce que je ressens de la pelouse. Parfois tu ne vois pas forcément tout, et d’avoir un regard extérieur, ça permet d’échanger, de voir ce que tu peux faire de mieux. Je ne dis pas que c’est mon coach non plus, mais ça permet quand même d’avoir des conseils de l’extérieur. Le fait qu’elle ait connu le haut niveau, elle a cette expérience là.

Quelle différence entre le jeune « Bourige » encadré au RC Lens par les anciens, et les jeunes du Stade rennais encadrés par « Bourige » aujourd’hui ?

Déjà ils ne nettoient pas mes chaussures (rires). Le foot a évolué et les jeunes évoluent différemment. Il y a huit ans, quand j’arrivais dans le vestiaire des pros, tu dis bonjour, tu ne t’assois même pas dans le vestiaire. Tu attends dehors, ou tu t’assois dans ton vestiaire côté réserve. Tu dis bonjour à tout le monde. A la fin de l’entraînement, c’est toi qui ramasse le matériel. Si quelqu’un te demande de laver ses chaussures, tu dois le faire. Ça fait partie du jeu. T’es jeune, je ne dis pas que tu dois être un esclave, mais ça fait partie du jeu, pour te montrer que ce sont eux les anciens, et toi le petit jeune, et que tu dois te mettre au diapason de l’équipe, au service du collectif. C’est juste pour ça que ça se passait comme ça avant. Maintenant, ça ne se passe plus pareil, le foot a évolué, ça va beaucoup plus vite aujourd’hui. Avant, pour intégrer un groupe professionnel, il fallait cravacher. Là, les stats le montrent, il y a beaucoup plus de jeunes joueurs qui intègrent les équipes professionnelles, et démontrent leur talent.

Est-ce que les jeunes du Stade rennais ne se considèrent pas comme les jeunes du Stade rennais ?

Non non, c’est à nous de leur rappeler qu’ils restent malgré tout jeunes. C’est ça aussi le rôle de cadre, de savoir remettre à sa place un jeune quand il dérape, quand il sort du cadre tout simplement. Les plus anciens doivent faire respecter la loi dans le vestiaire. C’est comme dans la vie, tu as le respect de l’ancien, dans le vestiaire ça se passe de la même façon.

Qu’est-ce que tu penses de cette évolution ?

Je pense que le foot a perdu un peu en passion. C’est le foot moderne. J’ai connu un peu les deux, là ça évolue. La société évolue aussi de cette manière là, c’est un tout.

Et ça t’embête, non ?

Forcément. Moi je suis passionné par ce que je fais, par le foot depuis tout petit. Je suis professionnel car quand je viens à l’entraînement, je sais pourquoi je suis venu. Je ne traine pas les pieds, je suis content d’être à l’entraînement. Parfois ça, ça se perd un peu. On peut avoir des jeunes qui trainent un peu les pieds, qui font la gueule. Je comprends leur envie de jouer rapidement, mais parfois il y a ça aussi qui se perd. Tout dépend de ton encadrement aussi, ça dépend de plein de choses. Mais oui forcément, ça m’embête que le foot perde en passion, car je suis passionné par ça et j’aimerais que tout le monde soit comme moi. Mais ce n’est pas possible, car chacun est différent, a un vécu et un parcours différent. Oui, la perte de passion ça m’embête, car le foot n’est plus comme il était avant.

Cette nouvelle génération peut parfois être impatiente, surtout au Stade rennais, on l’a vu notamment avec les départs de Georginio Rutter (Hoffenheim), Brandon Soppy (Udinese) ou Eduardo Camavinga (Real Madrid). Finalement, les jeunes ne sont-ils pas influencés par les autres jeunes plutôt que par les anciens ?

Moi j’ai vécu ça différemment car on était pas beaucoup à intégrer le groupe professionnel. Aujourd’hui quand tu regardes nos entraînements, il y a limite plus de jeunes que d’anciens. C’est un effet de groupe aussi, c’est partout pareil. Ils sont entre jeunes, on essaye de les intégrer le mieux possible, mais forcément quand tu arrives dans un vestiaire tout seul, quand tu ne connais pas les gens, tu auras du mal à aller vers eux. Si tu arrives à plusieurs, tu auras plus de facilités à parler avec tout le monde. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui ils ont peut-être cette impatience là car ils sont entre eux engrainés. Pourtant ils devraient se tirer vers le haut, et nous les plus anciens, on doit leur faire comprendre qu’il faut être patient. Parce que ça se construit une carrière. Ne sois pas pressé de jouer tout de suite, sois pressé de durer sur le long terme. Tu peux faire un match, tu vas le jouer, et après il va se passer quoi ? Prends le temps de construire ton avenir, plutôt que de vouloir te brûler les ailes tout de suite, et faire les choses trop rapidement. Il y en a plein qui se brûlent les ailes comme ça. J’en connais plein, d’exemples de joueurs qui ont voulu jouer tout de suite, qui sont partis à l’étranger, et qui se sont perdus.

Est-ce que ce n’est pas un risque d’avoir beaucoup de jeunes dans une équipe pro ?

Non, tout dépend des jeunes, de ton vestiaire, de comment tu les abordes, de plein de choses. Nous on a de très bons jeunes à Rennes, des jeunes qui sont à l’écoute, travaillent super bien, ont beaucoup de talents. L’encadrement du staff est important dans l’encadrement des jeunes. Je me souviens d’avoir eu plusieurs discussions avec Antoine Kombouaré (à Lens, ndlr), pour me dire « prends ton temps, tu as le temps, ça va venir, ne sois pas trop pressé ». A Rennes, on a de bons jeunes et ça nous permet d’avoir de bonnes séances, et de travailler dur pour garder sa place parce que tu sens qu’ils poussent derrière. S’il doit jouer, c’est lui qui jouera. Ça nous pousse, et eux progressent aussi rapidement.

Tu te sens autant inquiété par un jeune que par un joueur plus expérimenté ?

J’ai été jeune, et je sais par quoi je suis passé. Je sais tout ce que j’ai fait pour gagner ma place, et pourquoi j’ai joué. Je ne prends personne à la légère, car tu as des jeunes qui ont la dalle aujourd’hui. Si tu veux que ton équipe ait des résultats, il faut que tu mettes les meilleurs sur le terrain. Qu’ils soient jeunes ou plus anciens, pour moi le meilleur doit jouer.

Peut-être fait-on comprendre aux jeunes aujourd’hui qu’ils n’ont pas beaucoup de temps ? Loïc Badé est finalement très jeune, même s’il a un statut de gros transfert à assumer.

Oui, mais ça c’est un peu l’effet des réseaux sociaux aussi. Tu regardes ce que disent les gens. Les réseaux sociaux ont un effet négatif sur la progression des jeunes joueurs. Des mecs vont te dire que ça ne les atteint pas, mais au fond d’eux ça les touche. Moi je le sais car j’ai été comme ça. Je suis quelqu’un qui regardait beaucoup ce qui se disait sur moi avant. Aujourd’hui je n’en ai rien à carrer. Les gens peuvent être méchants. Tu as des gens qui n’ont pas forcément beaucoup joué au foot qui se permettent de juger tes performances, et parfois ça peut aller trop loin. Ils peuvent être très méchants, avoir des paroles assez lourdes, qui dépassent le cadre du foot et touchent à ta famille. Des trucs hallucinants. C’est pour ça que ça peut être chiant pour un jeune de voir tout ce qui se dit sur lui. Loic est arrivé plein de confiance à Rennes, il a eu des débuts compliqués. C’est le même exemple que Flav’ (Tait) ! Les gens vont le cataloguer, puis après ça va s’estomper, il sera un peu plus en confiance, et derrière les gens vont l’adorer, car Loïc a de grosses qualités. Il l’a prouvé la saison dernière avec Lens. Il a une marge de progression énorme car il est encore très jeune. C’est pour ça que nous, on doit essayer de le garder un maximum concentré. Il faut lui laisser le temps d’adaptation, il vient d’arriver, c’est un jeune. Laissons-lui le temps. C’est à nous de l’emmener.

En tant que cadre, tu as un rôle de relais avec le coach. Es-tu à l’aise avec ça ?

Oui, parce que j’ai eu la confiance du coach, donc c’est quand même à moi de lui rendre. Je suis quelqu’un de simple, et le coach humainement est top. Le discours est fluide et le relais est plus facile à faire quand tu as une très bonne relation avec le coach.

Depuis le début de saison, tu as été pas mal sollicité sur ce rôle là, notamment après les matchs de Reims ou Marseille. Est-ce que tu te dois de représenter le groupe, ou n’es-tu pas un peu tiraillé ?

Non, car on fonctionne ensemble. Dans la hiérarchie du respect, il y a le staff, et les joueurs. Mais quand on parle football, on est tous ensemble, c’est le staff et les joueurs. Il n’y a pas forcément à être le cul entre deux chaises. Tu dois aller dans la même direction. C’est pour ça que je ne suis pas le cul entre deux chaises quand je suis le relais du coach, ou que je dois dire quelque chose à quelqu’un, pour garder le groupe concerné. On est tous ensemble, et c’est ça qui fait qu’on atteindra les objectifs qu’on se fixe que par la solidarité, pas seulement les joueurs mais aussi le staff.

Tous les coachs n’acceptent pas de discuter, ou de remettre en cause leur football.

C’est pour ça qu’il faut savoir t’adapter aussi à ton coach. Avec lui, le discours et la relation humaine sont top avec tout le monde. Il te met en confiance. Justement parfois c’est lui qui te demande. Lui a son ressenti de son côté, et nous on a celui de la pelouse. Il y a le ressenti extérieur et le ressenti interne. On peut discuter de ce qu’on ressent sur le terrain, et lui de ce qu’il ressent sur le côté. Ensuite, on voit pour essayer de peaufiner les choses.

Il faut savoir profiter de l’instant présent, et prévoir l’avenir

Le 6 décembre dernier, tu pousses un vrai coup de gueule après la défaite face à Lens, une séquence qui a marqué beaucoup de monde. Pourquoi est-ce devenu si rare dans le foot de laisser libre court à ses émotions ?

Les médias. Désolé de te dire ça. C’est à cause du journalisme d’aujourd’hui, car ils sont toujours à chercher la petite bête. Paris joue en Ligue des Champions face à Manchester City, et la veille on n’a pas trouvé mieux que de dire que Neymar et Mbappé étaient en froid. Mais pourquoi ? Pourquoi ramener de la négativité dans un groupe, alors que tu es un média français qui doit entre guillemets supporter ton équipe et lui donner de la force ? Là tu les plombes avant un match de Ligue des Champions. Mais pourquoi ? On n’a pas besoin de faire ça aujourd’hui. Tu peux avoir une analyse, mais tu ne peux pas être toujours dans la critique. Moi qui ne fait pas trop attention à ce qu’il se dit sur moi sur les réseaux sociaux, parfois je vois des articles, je me dis « pourquoi ? ». Pourquoi tu vas chercher ce genre d’information ? Ça te sert à quoi ? Ils oublient un peu ce côté humain que tu peux avoir. Tu peux faire du mal aux joueurs, mais à côté de ça tu peux faire du mal à la famille, aux enfants. C’est triste d’en être arrivé là aujourd’hui. Ça ne devrait pas exister de devoir se faire descendre autant dans les journaux. Le truc c’est que maintenant c’est à celui qui va faire le plus de buzz, de vues. Parfois les articles sont méchants, juste parce que tu sais que les gens vont aller lire ces informations croustillantes. Parfois je vois des titres de fou, tu lis l’article, il n’y a rien dedans. Les gens vont lire le titre et dire « t’as vu, lui il a fait ça ». Alors que tu lis l’article, et il n’y a rien du tout. Aujourd’hui c’est dommage que la relation entre médias et monde du sport ait changé. Je pense qu’il y aurait eu beaucoup moins de maitrise au niveau des paroles. C’est pour ça qu’il faut faire attention à ce qu’on dit.

Est-ce que tu penses que tous les médias sont comme ça ?

Non, il y a des gens différents. Mais il y a des gens qui ne sont pas honnêtes, qui vont te dire des choses, te faire dire des choses pour justement casser du sucre derrière. Moi je n’aime pas ce genre de personnes. Je préfère être honnête avec les gens qui le sont, c’est pour ça qu’aujourd’hui je te parle sans filtre. Là ce que je suis en train de te dire, si je l’avais dit à d’autres personnes, j’aurais pu lire « Bourigeaud défonce les médias français ». Tu vas écrire ton article, et les autres médias vont reprendre ce que eux veulent. Quand on casse du sucre sur ton dos, tu n’es pas forcément bien, ta famille non plus. Je me souviens que les premières périodes un peu négatives ont été compliquées pour ma mère. Voir qu’on me critique, et de ne pas pouvoir répondre, ce n’est pas facile. Je lui ai dit que ce serait comme ça, qu’il faudrait faire avec, qu’elle ne pourrait pas répondre, d’éviter de lire ce que disaient les gens. C’est pour ça que les réseaux sociaux, j’y suis pour y voir l’actualité, mais je trouve qu’il y a beaucoup de choses qui font que si t’es pas solide mentalement, tu peux vite tomber dans un truc dégueulasse.

Mais est-ce que ça ne vaudrait donc pas le coup de te dévoiler davantage comme après Lens ? Ça avait été bien reçu par le public.

Oui mais ça dépend du caractère des gens. Tout le monde n’est pas capable de le faire non plus. Moi je l’ai fait car j’avais ce ras-le-bol là, de perdre des matchs, de ne pas avoir de résultats. On était dans une période où ça durait depuis un moment, on était à domicile. Je voulais aussi montrer aux médias qu’on ne s’en battait pas les couilles. Aux médias, et aux gens aussi. Avant la conférence de presse, j’ai demandé l’autorisation à être libre dans mes paroles, parce que je ne vais pas me permettre de parler comme ça si le coach ou le club n’est pas d’accord avec moi. Ça peut être interprété de deux façons. Je l’ai fait car j’ai parlé avec le coeur, pour le groupe, pour montrer qu’on ne s’en battait pas les couilles, que c’était dur pour nous, qu’on allait tout faire pour s’en sortir. Il fallait être sans filtre à ce moment là. Moi j’ai pensé que c’était la bonne décision à ce moment là. Aujourd’hui, je ne le regrette pas. Ça m’a donné de la force, car mon message est passé comme j’ai voulu le faire passer.

Ce message est bien passé aussi car tu es un joueur de club. Aujourd’hui c’est rare. Pourquoi selon toi ?

Parce que le foot à changé, comme je le disais. Tu ne fais plus de foot par passion. Je n’ai fait que deux clubs en huit ans, donc je peux dire que je suis un joueur de club (rires). Il y a plein de choses qui jouent. Des mecs vont partir car ils ne se sentent pas forcément bien là où ils sont, il y a les performances, la progression. Ramy Bensebaini est parti à Mönchengladbach, il s’éclate. Benji (André) a joué la Ligue des Champions avec Lille et a été champion de Ligue 1. Ce sont des choix de carrière qui sont faits, que les gens ne comprennent pas forcément. C’est le foot, c’est comme ça. Si j’avais eu la possibilité de partir la première ou la deuxième année, je ne serais peut-être pas là en train de parler de ça. Les opportunités je les ai eu. Il y a eu plein de choses qui ont fait que je suis resté à Rennes, mais je comprends tout à fait que les joueurs aient des ambitions supérieures, ou fassent des choix de carrière. Peut-être que certains ne veulent pas de clubs en France, ou veulent jouer à l’étranger pour découvrir une autre culture foot. La carrière elle ne dure pas longtemps. Il faut savoir profiter de l’instant présent, et prévoir l’avenir. Notre carrière s’arrête très tôt, et si tu ne prévois pas l’avenir, tu fais comme tout le monde, tu repars au boulot.

Tu aurais pu franchir ce cap cet été. Tu ne l’as pas fait car tu pensais franchir ce cap à Rennes ?

Il y a plein de choses qui rentrent en compte. Je suis assez sûr de moi, je pense que je peux franchir des caps ailleurs qu’à Rennes aussi. Les caps je les ai franchi à Rennes. Je suis content, épanoui d’être ici. Je suis toujours aussi heureux qu’avant. J’ai eu une opportunité, ça ne s’est pas fait. Dans un club, beaucoup de choses rentrent en compte. Il y a les départs, tu dois garder une ossature pour garder un équilibre de groupe et d’équipe. Comme on me l’a dit, je représente les valeurs du club. Le club a tout fait pour que je reste, ils avaient été clairs dès le début avec moi. Ça fait partie du foot, peut-être que dans les années suivantes, je ne serai plus là, je ne sais pas de quoi est fait l’avenir. Mais moi aujourd’hui je vis le moment présent, je suis épanoui et heureux à Rennes.

Est-ce que le Stade rennais doit se préparer à vivre sans Benjamin Bourigeaud ?

Non, je suis encore là (sourires). Mais je ne sais pas de quoi est fait l’avenir, on verra bien plus tard. Pour l’instant, profitons des moments présents parce que c’est aujourd’hui que ça se passe, pas demain.

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