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Romain Welter·7 mars 2021
Entretien avec S. Bichard, entraîneur adjoint en sélection du Kosovo

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Romain Welter·7 mars 2021
Ayant quitté la France à 19 ans, Sébastien Bichard a vécu sa carrière de footballeur professionnel en Suisse avant de répondre à sa vocation d’entraîneur. Des U14 aux bancs professionnels, il a tout connu en Suisse avant de devenir adjoint en sélection du Kosovo. Il raconte son parcours, ce qu’il a appris au fil des années, son âme d’entraîneur, la gestion des talents, la prise en compte de différentes cultures et en dit plus sur le projet du Kosovo et le travail au sein d’une sélection.
Un joueur qui se projette rapidement en tant qu’entraîneur…
J’ai été formé au Pôle espoir de Tours et Châteauroux puis je suis resté au centre de formation de Châteauroux jusqu’à mes 19 ans. Après une année dans un club amateur français, je suis parti en Suisse pour le football. Cela m’a permis de jouer jusqu’en D2, de pouvoir en vivre. En parallèle, j’ai toujours voulu me former, travailler avec des jeunes, participer à des écoles de football et commencer mes diplômes en ayant une bonne forme physique. J’ai fait les deux en parallèle jusqu’à la licence B UEFA.
Une blessure qui accélère un processus…
A l’âge de 27/28 ans, j’ai eu une blessure importante. Cela m’a permis d’être dans la peau d’un joueur blessé pour la première fois, de comprendre ce que cela pouvait être. Pour me refaire une forme physique, j’ai voulu étudier tout ce que considérait le sport de performance, la condition physique, la réhabilitation… J’ai pu rejouer une année puis j’ai commencé à entraîner dans l’élite en Suisse, en préformation U14/U15 pendant quatre ans, ce qui m’a permis d’aller jusqu’à la licence A UEFA.
Un détour rapide par l’Algérie…
Ensuite, j’ai eu une petite expérience en Algérie pendant deux mois avec un entraîneur suisse (Christian Zermatten). J’avais la volonté de voir autre chose dans un pays passionné, parce que je suis également quelqu’un de très passionné. Cela ne s’est pas forcément bien déroulé parce qu’on a dû arrêter notre mission mais c’était très enrichissant comme expérience… Une autre culture, une autre vision du foot. On a dû s’adapter à un environnement différent donc c’était très bien pour ma formation.
La montée en régime en Suisse…
En revenant en Suisse, j’ai repris mon parcours de formateur. Par le biais d’une école privée et d’une association dans le domaine du sport, on a développé un sport-études où pendant 5 ans j’ai mis en place un projet sur l’entraînement individuel, par petits groupes. Je savais que l’individualisation du travail était quelque chose qui allait devenir important. Et j’ai voulu le mettre en place en préformation et tester. En parallèle, j’ai entraîné une équipe senior semi-professionnelle à Nyon, ce qui m’a ouvert les portes du Lausanne Sport, un club professionnel où j’ai entraîné les U18 pendant deux ans. Et la dernière année, j’ai également été collaborateur technique au sein du staff professionnel de Fabio Celestini donc j’ai pu découvrir beaucoup de choses. Bien entendu, le volume de travail était important mais j’ai pu emmagasiner beaucoup d’expérience et passer la licence professionnelle UEFA.
Le FC Sion puis le Kosovo…
Ensuite, j’ai fait deux ans au FC Sion où j’ai géré les U21 et j’ai également eu quatre missions avec l’équipe professionnelle. J’ai participé aux deux maintiens des deux dernières années en tant que co-entraîneur avec Christian Zermatten puis assistant avec Paolo Tramezzani. Finalement, cette période au FC Sion s’est terminée. J’ai eu la volonté de voir autre chose et j’ai pu partir au Brésil visiter un club professionnel. Ensuite, une proposition est venue du Kosovo pour accompagner Bernard Challandes et son staff à partir de novembre 2020.
Un premier aperçu du Kosovo en vivant en Suisse…
Etant en Suisse, j’ai été amené en préformation, en formation et chez les professionnels à travailler avec des joueurs du Kosovo ou originaires du Kosovo pendant des années. J’ai eu quelques garçons en sélections dans les catégories de jeunes. J’ai travaillé avec eux au quotidien, j’ai dû comprendre leur culture, le chemin qu’ils ont pu traverser ou celui de leur famille. Par exemple, quand j’ai commencé à entraîner, il y avait un enfant de 8 ans que je passais prendre chaque jour pour l’emmener à l’entraînement parce que son papa et sa maman n’étaient plus de ce monde. Il était arrivé en Suisse avec sa tante et elle ne s’occupait pas forcément de lui, ce n’était pas la priorité. Donc j’allais le chercher. Et j’ai essayé de comprendre. Comprendre l’histoire du pays, ça amène de l’empathie, du respect et une compréhension de la culture des garçons avec qui on travaille et qu’on veut faire performer. Je connaissais donc un peu le Kosovo.
Le contact avec Bernard Challandes…
Bernard Challandes est arrivé à la tête de la sélection avec une personne que je connaissais. Tout de suite, il y a eu des performances donc de la lumière. Il y a eu un vent de sympathie grâce au superbe travail effectué par Bernard, son staff et la fédération. Connaissant un peu Bernard et cette personne qui avaient envie de développer de nouvelles choses, on a discuté, ils m’ont demandé si cela pouvait m’intéresser et j’ai voulu amener ma pierre à l’édifice.
Le projet au Kosovo et son rôle…
Le projet, c’est d’accompagner Bernard Challandes au quotidien, de travailler sur l’idée du staff, ce qui doit être mis en place et doit se développer. Nous allons travailler pendant les éliminatoires pour la prochaine Coupe du Monde et je vais essayer d’amener un soutien, un autre regard, un dynamisme différent pour aider le staff et les joueurs.
Ses premiers pas au Kosovo (lors du rassemblement de novembre 2020)…
J’ai découvert des joueurs et un environnement professionnels. Une fenêtre internationale, c’est condensé, très court mais j’ai vu du professionnalisme, des joueurs bien pris en charge, une fédération derrière avec du monde, un véritable soutien. Ils ont envie de se développer donc c’est vraiment très intéressant. Concernant les joueurs, ils sont de qualité voire de grande qualité et ont été rapidement mis en valeur grâce à leurs performances. Ils ont donc également des exigences vis à vis de la fédération. C’est également une nouveauté avec les jeunes générations. A une époque, aller en sélection, c’était plus naturel mais aujourd’hui, les joueurs ont également des attentes, des exigences par rapport au staff, à la fédération et je pense que c’est bien. Ils viennent de clubs de très haut niveau et c’est bien qu’ils aient ce même type d’exigences en sélection. Les joueurs doivent se sentir bien pour performer.
Le rythme accéléré en sélection…
On a moins d’impact sur le travail, à la différence d’un club. Il faut accueillir les joueurs, en 2-3 jours les mettre ou remettre dans le dynamisme de la compétition. Récupération, préparation, vous êtes au match et idem pour le suivant. L’impact de l’environnement est donc très important, peut-être encore plus que la philosophie de jeu. Vous êtes vraiment dans du condensé.
La construction d’un projet…
Il y a eu cette montée de sympathie rapide avec les résultats du Kosovo. Mais dans le football, il faut rester prudent, humble, accepter qu’on doit construire. Et ce n’est pas forcément en gagnant qu’on construit. Il n’y a pas de chemin idéal mais il faut construire et avoir des bases vraiment solides. Je sais que la fédération avec le soutien de l’UEFA met beaucoup de choses en place pour la formation des jeunes, le développement des centres d’entraînement, les conditions de travail, l’accompagnement des joueurs, des choses intéressantes. On est sur le bon chemin.
S’intégrer en tant qu’étranger et l’héritage de Challandes au Kosovo…
Par exemple, je suis arrivé en Suisse il y a plus de 15 ans mais je reste un étranger aux yeux de certains. Les questions sont donc pourquoi vous venez et qu’apportez-vous. Et c’est très sain. Pour moi, c’est la même exigence que pour un joueur. Si on vous prend de l’extérieur, c’est pour amener des compétences et une plus-value. Et il est important de savoir qu’on est de passage avec la volonté de laisser une trace. Par exemple, il est certain que Bernard Challandes aura laissé une trace au Kosovo et cela se respecte. Il a laissé une trace par l’homme qu’il est, il connait bien mieux le Kosovo que beaucoup ne peuvent imaginer. C’est quelqu’un de très riche culturellement et il a vu naître et a travaillé avec de nombreuses grandes générations de footballeurs kosovars ou albanais, il ne faut pas l’oublier. Après, il va laisser une marque par ses compétences et l’homme qu’il est. Je pense que tout le monde s’en souviendra dans 50 ans. Cela restera formidable même si on tourne très vite la page de nos jours. Et à mon modeste niveau, j’ai également cette envie de laisser quelque chose donc de collaborer, de développer les ressources en interne. Aujourd’hui, il y a de très bons échanges au quotidien, une très bonne collaboration avec une réelle envie de se développer. Et je l’espère dans un avenir proche de former les entraîneurs, des jeunes du pays pour qu’ils prennent la relève.
Le travail d’un staff de sélection entre deux rassemblements…
De novembre à maintenant, on analyse les matchs du dernier rassemblement pour voir ce qui a été positif ou négatif. On continue à suivre les joueurs au quotidien, leur temps de jeu et on développe nos ressources. On partage également avec les moins de 21 ans afin de développer les relations avec eux, essayer de faire en sorte que ces jeunes arrivent plus tôt en sélection A. Le réservoir en U21 est existant et doit être valorisé pour que les jeunes s’habituent également à nos méthodes. Et désormais, nous préparons les éliminatoires pour la Coupe du Monde. L’analyse des adversaires est un travail passionnant mais qui demande beaucoup de temps et de minutie.
Les prochains objectifs du Kosovo…
Avec le Covid, une des particularités est déjà de réussir à avoir les meilleurs joueurs à disposition. Ils ont été identifiés, on fait un gros travail de scouting, des moins de 21 ans jusqu’aux A. Le but est de pouvoir accueillir les meilleurs à chaque rassemblement et ce n’est pas simple actuellement. Après au niveau du jeu, l’objectif est de rester sur un football dynamique et offensif. C’est ce qu’a inculqué Bernard mais c’est aussi ce que propose le « joueur-type » kosovar avec une grande qualité technique et un allant offensif et ce qu’aime le public local. Donc le but est que les joueurs puissent s’épanouir sur ce plan-là et trouver l’équilibre avec l’aspect défensif et la récupération du ballon en restant dynamiques. Après il faut réussir à être décisif dans les deux surfaces, dans les moments clés. Allier la possession avec l’efficacité. C’est ce qui fait la différence avec les très grandes nations et ce sont nos axes de progression et de travail.
Formateur ou entraîneur ?
Aujourd’hui, on est souvent catalogués. Je le vois aussi en France. Vous êtes soit formateur soit entraîneur des professionnels. Pour moi, cela fait partie d’un cursus. Il y a différents chemins. A la fin de ma carrière de joueur, mon idée était de me former en tant qu’entraîneur et une des meilleures écoles est le secteur de la formation. On doit apprendre à éduquer, à s’éduquer. On doit savoir communiquer. On est très regardant de l’individu, plus qu’au niveau professionnel. Travailler avec les jeunes ouvre également divers horizons sur les méthodes de coaching, la manière de se comporter, la gestion d’un groupe. Et on apprend au quotidien avec une pression moins importante qu’au niveau professionnel. J’espère avoir un esprit de formateur toute ma vie mais je suis surtout entraîneur. Pour moi, quand on est avec des professionnels, on est aussi avec des jeunes adultes. Ils gardent au fond d’eux une âme d’enfant, ce sont des joueurs et ils ont besoin de revenir à des valeurs. A tout niveau, on doit avoir cette esprit de vouloir continuer à former, à développer.
Le football, une chance…
J’ai toujours eu une âme d’entraîneur. J’ai toujours voulu comprendre à quoi servait l’entraînement, pourquoi je le faisais. J’avais une exigence extrême envers moi-même. Mais je pense que c’est une éducation et c’est quelque chose que je veux mettre en avant. Etre éduqué par le monde du football professionnel, à une époque où les entraîneurs avaient peut-être moins de réflexion sur le jeune et l’individu que maintenant, ça m’a beaucoup amené en étant vite éloigné de ma famille. J’ai dû apprendre à me construire, avec mes partenaires, mes entraîneurs, mes professeurs, avec le football. C’est ma passion qui m’a donné envie de m’éduquer, de me former. Je suis convaincu que le football est une grande école de formation, une richesse. C’est une chance d’avoir le football dans nos sociétés.
Guider des joueurs…
Le premier vecteur pour moi reste la passion. C’était important de leur donner envie de croire en leurs possibilités, leurs rêves et leur talent. Après qu’ils arrivent là-haut ou pas… nous ne sommes que des guides sur un chemin. L’important est de leur transmettre quelque chose. En grandissant, j’ai compris aussi qu’il y avait différentes méthodes au-delà de la mienne. Notamment par rapport à des cercles d’individus. Par exemple, en Suisse, il m’est arrivé d’avoir 13 pays représentés dans un effectif de 22 joueurs. Vous êtes donc amenés à vous développer et à vous ouvrir. Je suis parti d’une âme de joueur et j’essaye d’avoir une bonne gestion de l’environnement, du quotidien. Avec les jeunes, ça passe notamment par les aspects culturel, éducatif, social. Et avec les pros, il y a moins de scolaire mais il y a toujours le culturel, le social, le familial. Cela m’a aidé à m’ouvrir et ça me donne encore plus envie.
Comprendre les individus et les associer…
D’abord, il faut penser à l’individu, prendre en compte sa culture. D’où il vient et où il veut aller. C’est primordial de savoir ce qui est important pour lui, sa culture, la manière dont il vit. C’est fondamental pour essayer de le développer et partager une philosophie de travail, un projet en commun. Après, le but est d’associer les individus, les fédérer et les convaincre qu’on va leur amener quelque chose qui va les faire avancer.
Le collectif et les motivations individuelles…
Si un joueur n’a pas la volonté de performer, il n’est intéressant ni pour lui ni pour l’équipe. J’essaye donc de comprendre pourquoi le joueur a envie. C’est très important. Parfois je discute avec des collègues, des directeurs de centres de formation ou des présidents, on fait le constat qu’il y a des joueurs qui sont là sans vraiment qu’ils sachent pourquoi. Ils sont là dans un club, ça leur permet d’être bien à cet instant. Mais ce qui est intéressant, c’est de leur demander pourquoi ils sont là, ce qu’ils veulent faire de leur avenir, leurs ambitions. Et le but est que ces ambitions individuelles alimentent le collectif et vice-versa. Pour moi, il est fondamental qu’un joueur ait de grandes ambitions et c’est à nous de lui proposer un cadre de travail qui lui permette de se développer autant individuellement que collectivement. Après certains aiment être en groupe et ont besoin des autres pour être bien et d’autres ont besoin d’être seuls. On doit donc être en mesure de proposer les deux. Certains joueurs ont besoin de se développer par eux-mêmes pour ensuite interagir avec le groupe et d’autres ont besoin d’interagir avec le collectif pour se développer personnellement. Pour moi, l’important est de mettre le cadre, connaître les individus et savoir comment les manager.
Ses sources d’inspirations dans le management…
On apprend tous les jours. L’inspiration dans le management vient du vécu. Il faut le construire et être attentif au quotidien. Que ce soit dans les échanges quotidiens hors football, le monde de l’entreprise que j’ai eu la chance de côtoyer, les autres sports… Le management, c’est de la relation humaine. Donc finalement vous l’avez aussi dans la famille, dans les conflits de famille, le voisinage. Je suis donc très ouvert au quotidien avec une soif d’apprendre et de comprendre.
Son regard sur son parcours…
C’est une question difficile. Je ne pense pas trop à mon parcours, plutôt quand je m’interroge, pour revenir à la ressource. Je suis jeune, je n’ai que 37 ans et j’ai eu la chance de vivre beaucoup de choses humainement. J’aurais voulu faire une plus grande carrière de joueur mais j’ai toujours pris ce qui arrivait et j’ai toujours été le même, peu importe le niveau où j’étais. Je considère qu’être professionnel, c’est un état d’esprit. Pour moi, le football a toujours été plus important que le reste. J’ai sacrifié ma famille très tôt à l’âge de 13 ans en partant de la maison. J’ai sacrifié une bonne partie de ma vie jusqu’à maintenant. J’ai fait un choix de vie un peu solitaire pour me consacrer à mon métier, ma passion. Je suis ambitieux, je travaille beaucoup avec l’ambition de la compétence et de travailler dans un cadre des plus professionnels. Quand vous débutez, il n’y a que vous, les joueurs, le sac de maillots et les ballons et puis avec le temps, en arrivant là-haut, en travaillant au sein d’un staff, il y a plein de choses à développer dans le management, les idées, la post-formation, etc. Vous êtes plus dans le partage et vous continuez à apprendre, à vous nourrir de tout.
Ses ambitions…
Mon parcours est fait d’opportunités, de rencontres. Je n’ai pas de limites (géographiques). Ce qui m’importe est de travailler dans un cadre professionnel. Pour me sentir bien, j’ai vraiment besoin de cet environnement professionnel, que ce soit en seniors ou en formation. C’est un peu comme un joueur, il est important de trouver le cadre où on peut réellement s’exprimer. Mais je suis ouvert et j’ai un côté caméléon qui m’aide à m’adapter donc cela pourrait être en France, en Suisse, au Kosovo ou ailleurs selon les opportunités.