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·21 juillet 2020

Enjeux et difficultés de l’union des groupes de supporters

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Dans le monde des supporters, les regroupements se font essentiellement autour d’un club. Bien souvent, une seule équipe peut même être suivie par plusieurs groupes de supporters différents. En effet, il existe plusieurs familles dans le supportérisme, dont les pratiques divergent. Ainsi, l’union des supporters derrière la bannière d’un même club n’apparaît pas évidente. Dès lors, l’union des supporters de différents clubs apparaît impensable. Pourtant, de tels regroupements ont existé et existent toujours, mais font face à de nombreuses difficultés.

Premières tentatives de coordination

L’unification des supporters d’un pays sous une même bannière est une question ancienne. On trouve la trace d’une telle union en Angleterre où, dès 1913, une fédération des associations de supporters voit le jour. En 1936, une nouvelle fédération est créée, la National Federation of Football Supporter’s Clubs, dont le slogan est : « aider mais ne pas entraver ». Rassemblant des groupes de supporters traditionnels, ces fédérations n’entendent pas être critiques vis-à-vis des instances ou des clubs mais les soutenir, notamment par des levées de fonds. Une fédération du même acabit naît en 1979 en France. C’est la Fédération des Associations de Supporters, qui reprend le slogan de la National Federation anglaise et bénéficie de l’agrément du ministère des Sports. Elle est dissoute en 2002 mais des liens ont persisté entre les associations qui en étaient membres.


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Cependant, il y eut aussi des velléités d’unions se voulant plus critiques vis-à-vis des instances dirigeantes. Ainsi, au lendemain du drame du Heysel, en 1985, une Federation of Supporters’ Associations est créée en Angleterre. Revendiquant son indépendance et son esprit critique vis-à-vis des autorités, elle est également hostile aux supporters chauvins et violents, dans un contexte brûlant de crise du football anglais suscitée par le poids du hooliganisme.

Cette volonté de revendiquer son indépendance se retrouve chez les ultras, qui prennent de l’importance en France au cours des années 1980-1990. Coïncidant avec, d’une part, le début d’une forme de législation particulière appliquée aux supporters et, d’autre part, le début de la marchandisation du football, les années 1990 voient émerger les premières protestations du côté des supporters ultras français. Dans ce contexte, on retrouve des critiques envers la « businessification » du football et un appel à l’union « pour la survie des ultras« . Ces premiers appels débouchent, au début des années 2000, sur des actes concrets.

Rapprochements entre groupes ultras français

C’est essentiellement à partir de 2002 que les groupes ultras français commencent à collaborer et à mener des actions pour faire entendre leur voix. Un sigle marque particulièrement cette période : UCR, pour Union Contre la Répression, un message que l’on retrouve dans de nombreux stades français au début des années 2000. Les réunions communes sont un aspect essentiel de cette union en devenir. Une telle réunion se tient le 17 janvier 2003 au siège de la Ligue. Elle rassemblait, en plus de représentants de la Ligue, plusieurs groupes ultras majeurs tels que les Boulogne Boys parisiens, les Ultramarines bordelais mais aussi des Lensois, des Messins, des Sochaliens, des Strasbourgeois, ce qui est déjà la preuve d’une étape franchie dans l’union des forces des groupes autonomes.

Dans la même perspective, une autre réunion majeure se tint le 19 juillet 2003 à Clermont-Ferrand. Cette fois-ci, elle ne rassemblait que des groupes ultras entre eux. Chose exceptionnelle, l’ensemble des groupes les plus importants de l’Hexagone était représenté : Devils et Ultramarines bordelais, Bad Gones lyonnais, Boulogne Boys, Supras Auteuil et Tigris Mystic parisiens, Commando Ultra, South Winners, Yankee et Dodgers marseillais, Brigade Sud niçoise, Magic Fans et Green Angels stéphanois, Ultra Boys strasbourgeois et Horda Frenetik messine, pour ne citer que les plus notables. La réunion semble avoir été initiée par des membres des deux derniers groupes cités, ce qui n’est pas étonnant étant donné que la Horda est le groupe ultra messin qui tentait déjà d’appeler à une union dès 1999. Cette réunion permit aux groupes d’évoquer les problèmes qui leur étaient communs et de préparer une première action, qui eut lieu en décembre 2003.

Les finalités des coordinations de supporters

Le week-end du 5 au 8 décembre 2003, pendant une journée de championnat, une grève des groupes ultras a ainsi lieu. La coordination réunit alors 48 groupes qui demandent à leurs membres de rester passifs pendant les vingt premières minutes des matchs du week-end. Le but proclamé est de sensibiliser les divers acteurs du football au rôle des associations de supporters. Relayé par la presse sportive, le communiqué de l’UCR proclame : « depuis plusieurs années, les conditions d’existence et d’activité des supporters se sont très sensiblement dégradées (…). Les attentes des supporters sont trop souvent occultées au profit des exigences des gros financeurs du foot français : actionnaires, télévisions, sponsors (…). La crainte de voir leur responsabilité pénale engagée amène certains clubs à adopter des politiques abusives envers les supporters au mépris de leurs droits. ».

La grève est un moyen d’action récurrent des supporters. Par l’ambiance qu’ils créent dans les stades, les supporters considèrent qu’ils aident les joueurs en les encourageant – d’où le célèbre qualificatif de « douzième homme ». Ils attirent les spectateurs en rendant l’environnement plus spectaculaire et ils justifient ainsi en partie la valeur du produit vendu aux télévisions. En stoppant momentanément leurs activités, ils tendent à montrer que leur rôle est important, puisque sans eux les stades sont silencieux et bien moins animés.

Dans leur fanzine, les ultras messins reviennent sur le succès de l’action commune de décembre 2003, relevant la participation de presque toutes les tribunes françaises. De plus, malgré le « boycott de certains médias », l’action a globalement été relayée, comme le prouve la retranscription partielle du communiqué par L’Equipe. Toujours selon le compte-rendu publié dans le fanzine lorrain, cette journée d’action aurait amené la Ligue à entamer le dialogue. Trois groupes de travail auraient été ouverts, auxquels participent supporters et instance. Ces groupes portent sur l’accueil des supporters, les spectacles mais également plus largement sur le rôle des supporters. Les rédacteurs semblent satisfaits et optimistes quant à ce qu’ils sont en mesure d’obtenir. Est évoquée l’idée de créer un département supporters au sein de chaque club, avec une personne dédiée à plein temps – sorte de référent-supporters avant l’heure. Les ultras avancent également l’idée d’un prix fixe des places en parcage visiteurs, la possibilité de sanctions contre les stadiers et les clubs se comportant mal avec leurs supporters et travaillent également à une charte liant les supporters à leur club et définissant leurs droits et leurs devoirs. Enfin, la question des fumigènes serait également en discussion, la Ligue étant prête, selon les rédacteurs, à porter la voix des supporters auprès du ministère des Sports. La maturité et la cohérence des actions des supporters autonomes sont mis en avant pour expliquer les progrès effectués.

Institutionnalisation du combat mené en commun par les supporters radicaux

Entre 2003 et 2004, la coordination se structure et prend le nom de Coordination Nationale des Ultras (CNU). Deux réunions se tiennent à nouveau entre groupes autonomes français, l’une à Ecully, qui réunit la plupart des gros groupes, la deuxième à Lyon, où la majorité des associations de supporters radicaux se rassemblent. Parmi les absents de cette deuxième réunion, les Tigris Mystic, alors en plein conflit avec la tribune Boulogne. Les Tigris quittent par ailleurs la CNU un mois après la réunion de Lyon. En 2004, ce sont les Boulogne Boys qui quittent la Coordination, plus par la faute de luttes de pouvoir et de divergences de vues avec les Marseillais, les Lyonnais ou les Niçois que par rapport aux incidents avec Auteuil.

Le site de la CNU relate une réunion avec Frédéric Thiriez, alors président de la LFP, le 19 juillet 2007. Ce sont les représentants de huit groupes ultras parmi les plus importants (Paris, Marseille, Saint-Etienne, Lens notamment) qui se sont entretenus avec le président ainsi que le directeur de la cellule sécurité de la Ligue. Un article de L’Equipe revient sur cette réunion qui doit faire à terme de la CNU un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics sur les questions de supportérisme. Sur son site, la Coordination tient un discours engagé, porteur d’une certaine vision du football, en opposition à sa marchandisation. On retrouve des arguments depuis longtemps mis en avant par les ultras, notamment l’hostilité aux chaînes télé, détentrices des droits des matchs : « La CNU, […] dénonce « la toute puissance des télévisions » qui « décide du jour et de l’heure d’un match de football au détriment des spectateurs », dans un communiqué transmis à la presse. « Nous regrettons que pour cause de retransmissions télévisées, les matches soient décalés à des jours ou à des horaires inappropriés », regrette la CNU. Pour protester, la CNU voudrait organiser une « animation commune » sur les stades de L1 et L2 ce week-end en « reprenant de manière sarcastique le slogan de la Ligue de football professionnel (LFP) ‘Allez au stade ça change tout' » avec des banderoles « Aller au stade ça change… Tout le temps! » ».

Quelques mois plus tôt, en janvier 2007, une autre association voit le jour : la Coordination Nationale des Supporters (CNS). C’est une réunion se tenant à Paris et regroupant une quarantaine de groupes actifs de différentes divisions qui a donné lieu à cette nouvelle union. On retrouve, dans leur communiqué, les mêmes plaintes concernant la répression du supportérisme et le sentiment de ne pas être traité comme des citoyens ordinaires : « Durant les derniers mois, les supporters de football ont fait l’objet d’un acharnement judiciaire et répressif sans précédent qui s’est accompagné d’une diabolisation systématique de la part des médias. En 2007, les supporters sont une catégorie clairement à part dans la société française. Il s’agit en effet du seul groupe social dont les droits de citoyen sont régulièrement et allègrement bafoués. ». Tout comme la CNU, les groupes membres de la CNS s’inscrivent dans l’héritage d’un « football à dimension populaire ».

Force est de constater que ces deux associations s’enchevêtrent. Les deux coexistent, la CNS rassemblant beaucoup de groupes, mais la CNU rassemblant les groupes ultras les plus importants et les plus influents. Pourtant, les discours se rejoignent globalement sur la dénonciation de la répression, de la marchandisation du football et la liberté de supporter.

Échec puis renouveau des fédérations de supporters

Le 28 janvier 2010, ce sont 96 associations de supporters qui se réunissent au Stade de France pour un congrès national dont le comité de pilotage a été dirigé par le sociologue Nicolas Hourcade. En plus de ces nombreuses associations de supporters, l’ensemble des acteurs institutionnels sont présents, ainsi que les représentants de 34 clubs professionnels. Deux types d’associations de supporters étaient présentes : les associations traditionnelles, ainsi qu’un grand nombre de groupes ultras – bien que certains parmi les plus importants n’étaient pas présents. Les discussions s’organisaient autour de cinq ateliers : animation des stades ; relations entre supporters, instances et diffuseurs ; liberté d’expression et lutte contre les discriminations ; accueil dans les stades ; dispositifs préventifs et répressifs. Ce congrès national de 2010 a donné lieu par la suite à la rédaction d’un Livre Vert ainsi qu’à la mise en place de différents groupes de travail tournant principalement autour des questions de l’accueil des supporters et de l’animation dans les stades. Mais une des ambitions était aussi de reformer une grande fédération nationale des associations de supporters, regroupant les deux grandes traditions du supportérisme français, groupes traditionnels et groupes autonomes. Néanmoins, cette tentative fut un échec, les demandes et les attentes de ces deux grandes familles de supporters ne se rejoignant pas. De plus, la mort de Yann Laurence – supporter parisien de Boulogne, lynché par des supporters d’Auteuil en marge d’un PSG-OM – un mois après cette réunion qui avait tout d’un acte fondateur, stoppa net l’élan initié. Plutôt que des avancées dans le processus de dialogue et l’obtention de certaines de leurs revendications, les supporters radicaux subissent alors un renforcement de la répression.

Après plusieurs années noires dont le supportérisme radical français n’est toujours pas entièrement sorti, des évolutions importantes surviennent néanmoins au cours des années 2010. Tout d’abord, le 17 avril 2014 se tiennent les premières assises du supportérisme, rassemblant différents acteurs issus du monde des tribunes et des pouvoirs publics. Elles donnent lieu à la création du Conseil National des Supporters Français (CNSF). Puis, le 6 octobre 2014, c’est l’Association Nationale des Supporters qui est fondée après un sommet fondateur en septembre à Orléans. L’ANS vise à rassembler tous les groupes de supporters, mais compte, de fait, surtout des groupes ultras, sans toutefois être parvenue à intégrer l’ensemble des groupes les plus importants. En revanche, les associations de défense des supporters en font partie, telles que l’Adajis (Association de défense et d’assistance juridique des intérêts des supporters) ou LFP (Lutte pour un Football Populaire). Elle entretient également des liens avec des coordinations européennes comme Supporters Direct Europe. Afin d’intégrer l’ANS, les groupes doivent accepter la charte de l’association, qui rejette toute forme de violence, ce qui pourrait expliquer le refus de certains groupes ultras d’en faire partie, tout comme l’échec des précédentes coordinations, qui est un argument souvent invoqué pour expliquer le pessimisme de certains groupes concernant les fédérations d’associations de supporters.

Néanmoins, l’effort de dialogue du côté des pouvoirs publics, lié à ce renouveau des coordinations nationales, permet l’instauration d’un dialogue qui tend à s’institutionnaliser, même si des divergences perdurent. Début 2015, le CNSF organise les secondes assises du supportérisme. Le CNSF et l’ANS se mettent alors d’accord pour collaborer, les deux associations s’occupant chacune d’un sujet différent. Le CNSF souhaite en effet faire avancer la question de l’actionnariat populaire et de la participation des supporters à la gouvernance des clubs alors que l’ANS s’occupe des enjeux de gestion des supporters. Pourtant, une réunion préparatoire du CNSF au siège de la Fédération Française de Football avec Noël Le Graët – le président de la FFF – se déroule mal. L’association déplore le manque de volonté de la Fédération pour faire avancer les sujets défendus par les supporters. A la suite de cette entrevue qui entraîne la non-participation de la FFF aux assises à venir, la LFP et l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF) annulent également leur venue. Les instances du football rejettent la coexistence de deux fédérations de supporters et réclament qu’il n’y en ait qu’une, afin qu’elle soit la plus représentative possible. En revanche, malgré la défection des grandes instances dirigeantes du football français, le secrétaire d’Etat aux Sports Thierry Braillard maintient sa participation aux assises qui se tiennent le 11 février 2015. Cela tend à prouver une volonté de dialogue plus importante du côté des pouvoirs publics que de celui des dirigeants du football.

Enfin, le 30 septembre 2016 se déroulent les troisièmes assises du supportérisme. Cette fois-ci, en plus du secrétaire d’Etat aux Sports, la LFP et les syndicats de clubs professionnels envoient des représentants. En revanche, la FFF ne le fait pas et surtout, l’ANS est également absente. Il est alors toujours reproché par les différents acteurs présents la coexistence de deux fédérations de supporters. Toutefois, la loi Larrivé du 10 mai 2016 est saluée. Il s’agit maintenant, selon les participants, de la faire vivre. L’accent est mis sur la nécessité de l’agrément pour les associations de supporters afin de participer à l’Instance Nationale du Supportérisme, comme l’exige la loi. Enfin, comme le rappelle là-aussi la loi, il s’agit pour les clubs de s’engager eux aussi, en mettant en place des référents-supporters. Le retard de la France dans ce domaine est souligné, le pays étant un des trois derniers de la zone UEFA à ne pas s’être conformé à cette règle de la confédération européenne. En ce qu’elles sont un des premiers congrès post-loi Larrivé, ces troisièmes assises constituent un point de départ afin de construire le dialogue au sein d’une nouvelle instance qu’est l’Instance Nationale du Supportérisme, alors en train de se mettre en place.

Depuis, l’ANS s’est imposée comme un acteur incontournable et un interlocuteur privilégié. L’institutionnalisation du dialogue au sein de l’INS a permis de nombreuses avancées, telles que l’expérimentation d’un retour des tribunes debout et le gel du prix des places en parcage, deux demandes anciennes des supporters. Même si ces évolutions, dont les effets ne se font ressentir que doucement, n’auraient su voir le jour sans une volonté des pouvoirs publics, ce sont bien les efforts des supporters unis au sein d’une même fédération qui en sont le moteur. Or, cette fédération qu’est l’ANS s’inscrit dans un héritage riche et ancien et répond à un constat implacable : s’unir pour être plus forts, malgré ses divergences.

Sources :

  • Christian Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1995.
  • Ma tribune va craquer, n°1, décembre 1999.
  • Wurtemberg, n°3, avril 2003, pp.17-19.
  • L’Equipe, « Grève des supporters », 5 décembre 2003, p.2.
  • Ma tribune va craquer, n°9, février 2004.
  • « CNU Infos », cnu07.free.fr, n°1, août 2007.
  • L’Equipe, « Les ultras se regroupent », 10 août 2007, p.5.
  • Communiqué CNS, psgclan.com, 21 janvier 2007.
  • Le Télégramme, « Supporters. L’union fait la force », 24 janvier 2007.
  • Le Figaro, « Foot : les ultras dénoncent la télé », 7 novembre 2008.
  • Nicolas Hourcade, Ludovic Lestrelin, Patrick Mignon, Livre vert du supportérisme. Etat des lieux et propositions d’actions pour le développement du volet préventif de la politique de gestion du supportérisme, Secrétariat d’Etat aux sports, 2010.
  • Pierre Bathélémy, « Supporters : des promesses bien assises », Cahiers du Football, 22 avril 2014.
  • Valentine Autruffe, « Une association nationale de supporters de football créée à Orléans », La République du Centre, 9 septembre 2014.
  • Anthony Cerveaux, « S’ils ne veulent pas avoir de contestations tous les week-ends… », So Foot, 19 septembre 2014.
  • Dépêche AFP, « Foot: les supporteurs déplorent la « porte au nez » des instances du football », Le Point, 14 janvier 2015.
  • Adrien Verrecchia, « Le CNSF va se tourner vers la solution politique », La Grinta, 11 février 2015.

Crédit photos : IconSport

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