Le Corner
·20 septembre 2020
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Certains joueurs ont besoin de passer toute leur carrière dans un seul club pour acquérir le statut de légende. Diego Maradona, lui, n’a eu besoin que d’une année, 40 matchs, 28 buts et le trophée Métropolitain (l’équivalent du titre de champion d’Argentine) pour marquer au fer rouge le cœur des supporters de Boca Juniors. En 1981, Maradona a signé pour le club à la bande jaune. Une histoire forcée par la dictature argentine mais qui est devenue rapidement naturelle. Parce qu’El Pibe de Oro était au fond de lui, et ce depuis toujours, un bostero (un bouseux, surnom donné aux supporters de Boca Juniors).
« Là d’où vient Diego, les deux sentiments importants qui font une trajectoire d’existence, ce sont le besoin et l’envie. C’est pourquoi il incarne la rue, la passion, la virtuosité, la ruse, la malice, la débrouillardise, toutes ces choses qu’on acquiert en jouant dans des rues non goudronnées. » Omar da Fonseca dans Maradona – Fou, génial et légendaire, SoFoot.
Le premier événement marquant de la relation entre Maradona et Boca Juniors a eu lieu dans le stade d’Argentinos Juniors, le stade Amalfitani. Le coup de foudre est défini comme un amour soudain, contre lequel un individu ne peut pas lutter. Il s’agit sans doute du sentiment ressenti par les Xeneizes (autre surnom des supporters de Boca) suite à la rencontre Argentinos Juniors – Boca Juniors du 9 octobre 1980, où Maradona a brillé de mille feux contre son futur club.
En revanche, Hugo Gatti, gardien emblématique de Boca entre 1976 et 1988, n’a pas dû avoir la même perception de l’événement. Le coup de foudre reçu par le portier argentin ressemble davantage à l’expérience du cerf-volant de Benjamin Franklin. Sauf qu’à la place d’un cerf-volant, ce sont ses déclarations d’avant-match qui lui ont permis d’attirer les foudres du futur meilleur joueur de tous les temps. Interrogé au sujet de son adversaire et jeune vedette du championnat argentin, Gatti déclara :
« Maradona ? C’est un petit gros qui joue très bien au football. »
Une petite phrase qui provoqua la colère de Maradona. Ce dernier répondit plus tard à cette provocation en promettant au gardien de faire trembler deux fois ses filets. Promesse qu’il changea avant le match, en disant directement à son homologue qu’il n’allait pas marquer deux buts, il allait en planter quatre.
Un penalty marqué, provoqué par Maradona suite à un coup du foulard. Un premier coup franc direct, malicieux. Un face à face parfaitement maîtrisé, grâce à un extérieur du pied astucieux. Et un deuxième coup franc direct, cette fois parfaitement placé. Quatre buts marqués, pari réussi.
En quittant le stade, les supporters de Boca présents ce jour-là se sont sans aucun doute dit qu’il fallait absolument recruter ce jeune Diego Armando Maradona. Un rêve qui se réalisera quelques mois plus tard.
A 20 ans, Maradona est déjà trop grand pour son club formateur. Sa courbe de progression exponentielle, exceptionnelle, attire le regard des recruteurs européens. A une époque où les joueurs sud-américains commencent à envahir le Vieux Continent, Maradona s’imagine bien revêtir la tunique d’un club européen.
Une ambition rapidement refroidie par la terrible dictature argentine qui compte bien utiliser ce joueur comme porte-étendard. Comme a dit Lucas Alves Murillo (rédacteur du Corner, ndlr) dans Guerre et Football des Nations : « Ces joueurs sont, dans l’imaginaire, la représentation d’un pays, d’une nation et par extension, de valeurs. »
Bien que cette réflexion s’applique aux sélections nationales, elle est parfaitement transposable à la situation du jeune Maradona en 1981. Un gamin qui marche sur le football, sport le plus populaire du monde, est un magnifique symbole pour la dictature. Hors de question de se séparer d’une telle caisse de résonance pour valoriser l’Argentine et son gouvernement. Déjà, en 1980, l’AFA (Asociación del Fútbol Argentino, la fédération argentine de football) avait empêché le FC Barcelone de recruter El Diez. Malgré des négociations très avancées, Julio Grondona, président de l’AFA, déclarait :
« Diego Maradona ne partira pas du pays avant le Mondial 1982. Il fait partie d’une liste de joueurs intransférables établie par César Luis Menotti. L’entraîneur national a besoin de toutes les forces vives de notre football pour préparer la Coupe du Monde. La sélection reste, en Argentine, la priorité numéro 1 ».
Guerre et football des nations. Suite à cette déclaration, si Maradona quittait son pays natal, il aurait été condamné pour trahison par l’ensemble de la population. Une manœuvre habile de la part de la fédération, qui permettait de calmer les envies d’ailleurs du jeune Argentin. Le public, les médias, les personnalités : Tous avaient un avis à propos de l’avenir du gamin originaire du bidonville. Son cas était au cœur des débats publics. Harcelé par les supporters et les journalistes, Dieguito n’en pouvait plus. Il était au bord de la rupture mentale. C’était la première fois qu’il était le centre de l’attention pour autre chose que du football. Un avant-goût de la vie qui l’attendait.
C’est dans ce contexte si particulier que les clubs argentins sentent le bon coup en 1981. Ils ont la possibilité de faire le casse du siècle. Ils peuvent subtiliser l’un des plus grands joueurs du monde aux géants européens. D’après les déclarations de Grondona, 1981 est leur dernière occasion de recruter ce phénomène. Après la Coupe du monde 1982, Diego Maradona sera libre de signer où il le souhaitera.
Plusieurs clubs argentins veulent profiter de la dernière année d’El Diez en Amérique du Sud :
Cependant, en 1981, recruter ce joueur demande un effort financier colossal. Et les bosteros n’ont pas les moyens de s’offrir cet incroyable footballeur. Pour régler ce problème, un montage financier est réalisé et, à l’issue des négociations, les dirigeants doivent sortir de leur portefeuille :
En combinant son salaire mensuel, ses primes, ses pourcentages sur ses diverses activités et ses contrats de sponsoring : Maradona est désormais le joueur le mieux payé du championnat argentin. La vie des bidonvilles est maintenant loin derrière lui.
LIRE AUSSI – El Pibe de Oro, né dans la poussière du potrero. Mais un nouveau défi de taille se présente devant lui. Porter haut les couleurs du club mythique qu’est Boca Juniors. Pire, ou meilleur selon le point de vue, l’entraîneur du club lui réserve une immense surprise : le brassard de capitaine.
Depuis son plus jeune âge, Maradona aime les ambiances sulfureuses. Capable de résister aux menaces de ses aînés lors des matchs sur le potrero. Capable de jouer son premier match professionnel à 15 ans et mettre un petit pont à l’un de ses premiers adversaires professionnels. Capable de faire chavirer le volcan napolitain. Capable de faire exploser le peuple argentin. La pression ne semble pas avoir d’emprise sur ce joueur. Pourtant, l’un de ses plus grands défis a sans doute été de rentrer pour la première fois dans la Bombonera, avec le brassard de capitaine sur le bras.
Lors de l’arrivée de Maradona à Boca, l’entraîneur Silvio Marzolini voulait mettre en confiance sa nouvelle recrue. Pour cela, il a eu l’idée de lui offrir le capitanat de l’équipe. Petit problème, le capitaine de l’époque était nul autre que Roberto Mouzo, défenseur Xeneize depuis 10 ans et, encore aujourd’hui, recordman du nombre de matchs joués avec Boca Juniors.
Cependant, le coach n’a eu aucun mal à convaincre ce joueur emblématique. D’après Roberto Mouzo, le capitaine doit être le symbole de l’équipe. Il n’a pas hésité un instant, Maradona a le caractère et le talent nécessaire pour briller dans ce rôle, avec ce maillot si particulier sur les épaules. Un grand dîner a été organisé pour l’accueillir dans l’équipe. C’est lors de ce rendez-vous que l’ancien capitaine légua de ses propres mains le brassard à son nouveau coéquipier.*
Maradona voulait briller plus que tout à Boca Juniors, ce club comptait beaucoup pour lui. Les adversaires, en revanche, étaient sur-motivés à l’idée de l’arrêter. Affronter Boca était un événement pour tous les clubs du pays. Avec Maradona en plus, cela devenait le match de l’année. Malgré tout son talent, Diego a eu besoin d’un temps d’adaptation. Ses adversaires étaient plus féroces et plus violents dans leurs interventions. Il était la cible numéro 1 des tacles les plus tranchants. Heureusement, Maradona s’est rapidement mis au niveau et s’est rapidement habitué aux joutes difficiles. La preuve : ses matchs préférés ont été les Superclásico, contre les millionnaires de River Plate.
« J’ai joué un Barcelone – Real Madrid, mais Boca – River, c’est différent. C’est comme dormir avec Julia Roberts. » Diego Maradona
Le 10 avril 1981, Boca remporte ce match si particulier contre River Plate par le score sans appel de 3 à 0. Impliqué dans deux des trois réalisations de son équipe, Maradona a surtout inscrit un but resté dans les mémoires des supporters (à 2mn02 dans la vidéo). Il réceptionne le ballon devant le but suite à un centre, feinte de frappe pour éliminer le gardien. Puis face au but, il crucifie le dernier défenseur resté sur la ligne.
« Gagner contre River Plate, c’est comme le baiser d’une mère au réveil. » Diego Maradona
Avec 28 buts en 40 matchs, Maradona était inarrêtable cette année-là. Provoquant sans cesse, il a créé un nombre incalculable d’occasions pour lui et ses coéquipiers. A l’issue de la saison, il offre aux supporters peuplant la Bombonera le trophée Metropolitano 1981. Les mots ne sont pas suffisants pour décrire le niveau d’El Pibe de Oro lors de cette année. Il a appris à sauter pour éviter les tacles adverses au niveau du genou. Il a encaissé et s’est relevé à chaque fois pour continuer ses actions. Il a surtout donner de la joie à des millions de supporters à travers l’Argentine. Mais une vidéo vaut bien plus que des mots pour se rendre compte de son talent lors de cette saison hors du temps.
La question mérite d’être posé : Est-ce que le Diego Armando Maradona de 1981 sous le maillot de Boca est la meilleure version de lui-même ? Loin de son addiction à la drogue et pas encore découpé par le boucher de Bilbao, Goicoechea. Maradona était pleinement concentré sur le football et en pleine possession de ses moyens. Personne ne semblait pouvoir l’arrêter. Cette interrogation ne pourra jamais être totalement résolu tant sa Coupe du monde 1986 fut un succès. Dans tous les cas, cette seule année aura accouché d’un amour éternel entre les Xeneizes et Maradona. Ce dernier déclara : « Tout ce qui reste de mon cœur est pour Boca ».
Sources :
Crédits photos : IconSport