Dial Square FC, ou l'imposture d'un contre-Arsenal | OneFootball

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·7 février 2020

Dial Square FC, ou l'imposture d'un contre-Arsenal

Image de l'article :Dial Square FC, ou l'imposture d'un contre-Arsenal

Janvier 2020. Alors qu’Arsenal traverse une des passes les plus difficiles de son histoire récente sur le plan sportif, doublée d’un élan d’agacement voire de protestation parmi ses supporters, un certain fan du nom de Stuart Morgan, décide de créer le Dial Square Football Club au sud de Londres. Un nom et une géographie nous ramenant aux origines des Gunners.

Néanmoins, alors que l’initiative se veut dans la lignée des fameux «contre-clubs» anglais nés au vingt-et-unième siècle, tels le FC United of Manchester ou l’AFC Wimbledon, il se pourrait, derrière les apparences, que s’y cache un projet bien moins sincère et vertueux. Entre complaisance médiatique, points d’ombre et influence potentiellement néfaste, chronique d’une imposture.


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Une histoire populaire des contre-clubs

Avant d’entreprendre toute démarche de déconstruction du projet “Dial Square FC”, il convient d’abord de revenir sur ses (prétendues) inspirations majeures – que sont la création de l’AFC Wimbledon et du FC United of Manchester, respectivement en 2002 et 2005, véritables événements dans le paysage footballistique anglais.

AFC Wimbledon ou l’histoire d’une community

Au commencement, il y avait le Wimbledon Old Central Football Club. Fondée en 1889 par d’anciens élèves de l’Old Central School du Wimbledon Common (au sud-ouest de Londres), l’écurie a connu dans ses jeunes années de nombreux changements de noms et de stades, avec même un court dépôt de bilan d’un an en 1910, mais jamais ne fut abandonnée la localité de Wimbledon.

Bien installés à Plough Lane dès 1912 avec pour simple nom “Wimbledon“, les Wombles ont d’abord navigué dans les échelons inférieurs amateurs tels l’Athenian League ou l’Isthmian League. S’en suivit une progression dans les 30’s, 40’s et 50’s, alliant titres et finales de FA Cup amateure, qui mènera Wimbledon à une domination implacable du football amateur entre 1961 et 1964, date de sa professionnalisation par l’entrée en Southern League.

Avec fracas et coups d’éclat, l’ascension continua de longues années. En 1977, Wimbledon fut choisi pour rentrer dans l’English Football League, remplaçant ainsi Workington. Cependant, les choses se corsèrent quelque peu lorsque le club commença à faire l’ascenseur entre la quatrième et la troisième division dès sa promotion de 1978/79, forçant ses dirigeants à considérer une hypothétique délocalisation à… Milton Keynes, une jeune ville grandissante, dans laquelle ils pourraient construire un stade plus grand et se développer plus vite sous l’impulsion de la Milton Keynes Development Corporation (qui a d’ailleurs financé un stade pour Luton Town à l’époque). Le destin en a voulu autrement.

En 1986, neuf ans après l’admission en EFL, et quatre ans après le dernier séjour en D4, Wimbledon atteint le plus haut échelon du football anglais (sur un titre, qui plus est), et va chercher avec son fameux “Crazy Gang” la FA Cup 1988. Bien qu’ils parviennent à s’y maintenir jusqu’en 2000, les Wombles devront finalement céder en chemin une partie de leur identité – Plough Lane n’étant plus aux normes (mais servira à la réserve), une cohabitation avec Crystal Palace à Selhurst Park est actée dès 1991.

Cependant, si perdre son stade historique est tragique, qu’en est-il de la délocalisation d’un club tout entier ? Après une tentative ratée de retour en première division, le projet autrefois mis au placard devint réalité, approuvé par les institutions du football. Un siècle d’histoire d’un club local devenu grand, partit en fumée pour laisser place aux Milton Keynes Dons, se situant à plus de 90 kilomètres au nord-ouest de là où tout avait commencé.

Outre les déboires sportifs relatifs du club, une des raisons de cette délocalisation est la vente du club, en 1997, par Serge Hammam au profit de deux businessmen norvégiens (K.J Rokke et B.J Gjelsten). Ces derniers, motivés par le retour sur investissement, approuvèrent le déménagement pour des raisons économiques, tout en établissant un projet de commerces en lieu et place de Plough Lane. Un dessein, notons-le, bien similaire à certaines franchises américaines de sports, tels que les Saint-Louis Rams (football américain) qui ont été délocalisés à Los Angeles par leur propriétaire Stan Kroenke… qui s’avère aussi détenir Arsenal.

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L’AFC Wimbledon fut alors le fruit de la protestation des supporters auxquels on a retiré le club de leur community, pour en faire une équipe dénaturée dont même le blason et les couleurs ont été modifiés. Tel un phœnix renaissant de ses cendres, Wimbledon tout entier se mobilisa pour repartir à zéro. 230 joueurs de la région participèrent aux essais pour intégrer un club avec logo et couleurs originels.

Repartis depuis le 9ème échelon anglais en 2002, Wimbledon se hisse en Football League au bout de seulement neuf années, et est actuellement en League One aux côtés des MK Dons. Une ascension fulgurante témoignant de l’envie et du courage de ces fans, qui via le Dons Supporter Trust possèdent à minima 75% du club et sont en train de construire le nouveau Plough Lane, à quelques centaines de mètres de son ancienne localisation.

L’ancrage local du club est sa force majeure. A travers différents programmes, outres les moult infrastructures offertes aux enfants et aux femmes de la community et des boroughs avoisinants, le club s’investit dans l’éducation, le respect et la santé… Chose qui n’est pas passée inaperçue dans le pays tant pleuvent les récompenses honorifiques et louanges (dont celles de David Cameron) pour services rendus à la community.

En somme, l’esprit de l’AFC Wimbledon, est parfaitement résumé par Erik Samuelson :

“La réussite du club montre qu’un club détenu de façon collaborative peut croire à un haut degré d’éthique, aider assidûment sa communauté, et être économiquement durable tout en restant performant sur le terrain. Tout ceux qui ont contribué au succès du club et à cette récompense peuvent être très fiers d’eux”

Le FC United of Manchester, insurrection au football business

Si l’impulsion donnée par l’AFC Wimbledon en 2002, nous prouve l’utilité, que dis-je, la nécessité pour les supporters de s’accrocher à l’histoire et à l’identité de leur club, le cas du FC United of Manchester est bien différent par ses causes. En témoigne cet excellent article de Demi-Volée.

En 2000, Malcolm Glazer, homme d’affaires états-unien décide de se lancer dans l’industrie du football en acquérant des parts dans le légendaire Manchester United. Parti de 6%, il acquerra petit à petit des parts pour pouvoir atteindre les barres stratégiques pour lancer une OPA, un retrait de la bourse ainsi qu’un achat de parts obligatoire. Alors que la protestation contre cette intrusion américaine a été partagée non seulement par les fans, mais aussi par Sir Alex Ferguson et Ole Gunnar Solskjaer, les Glazers sont parvenus en 2005 à obtenir la main-mise totale sur le club.

Ces rachats de parts ayant été effectués via des mécanismes spéciaux tels que le LBO (expliqués par Romain Molina), Manchester United s’est vu endetté de façon colossale malgré ses forts revenus commerciaux de “franchise” internationale… et comble de l’affaire, l’inflation des droits télés et des revenus de sponsoring/merchandising a accompagné une inflation des prix des places à Old Trafford, rendant l’accès au stade plus difficile pour les locaux.

Les divers mouvements de protestation comme le “green and gold movement“, ont abouti à la mobilisation par J.P O’Neill (gérant d’un fanzine de MU) de 1500 personnes dans l’optique de créer un nouveau club ex-nihilo, pour un total de 850 signatures. 950 joueurs ont effectué un essai pour rejoindre l’équipe en dixième division. Des chiffres supérieurs à ceux de l’AFC Wimbledon, reflet d’une différence démographique, mais qui rapportés au nombre total de Red Devils doivent être somme toute faible.

A l’instar de Wimbledon, le “FCUoM” se veut être le moteur en quelque sorte de sa community. Avec un fort aspect familial, vecteur d’insertion sociale, d’entraide et de participation des jeunes, le club a su fidéliser tout un peuple malgré le développement dans le Greater Manchester de clubs comme Salford City.

Cela dit, le FC United of Manchester est comme un AFC Wimbledon allé encore plus loin dans sa logique. En effet, le fonctionnement de cette institution se fonde sur une démocratie participative totale, où toutes les décisions (dont des élections) à toutes les échelles font l’objet d’un vote. Un membership de quinze pounds comptant pour une voix. D’un point de vue économique, la rigueur est poussée à l’extrême avec des places au meilleur prix, un but non lucratif, un maillot vierge de tout sponsor et la construction via des collectes de fonds d’un stade propre (Broadhurst Park).

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Si l’équipe n’est pas encore arrivée à gravir les échelons pour se professionnaliser, elle a su passer en l’espace de quelques ans du 10e au 6e échelon. De bonne augure pour, peut-être, un destin croisé.

Notons d’ailleurs que l’AFC Liverpool né en 2008, a été fondé sur les mêmes bases démocratiques et économiques (ainsi que des raisons similaires) que son “homologue” mancunien, malgré un succès et une médiatisation moindre. Une tentative là encore, de renouer avec le football de façon populaire, loin d’une Premier League aux prix démesurés, et d’un club voulant s’approprier le nom de sa ville pour des raisons commerciales (ce qui aurait tué une bonne partie des petits commerces aux alentours d’Anfield).

Dissection du Dial Square FC

Le cadre ayant été posé, il est désormais possible d’appréhender les problématiques majeures qui entourent la création de ce Dial Square FC.

Lorsque celui-ci fut dévoilé au grand jour, nombre de médias se sont emparés de l’information avec des titres chocs. The Athletic, premier sur le coup, écrira “Disgruntled Arsenal fans to launch breakaway phoenix club based in Surrey – Dial Square FC”, c’est à dire “Des supporters mécontents d’Arsenal créent un club-phœnix dissident, basé à Surrey – le Dial Square FC”.

Si l’Evening Standard remplacera “disgruntled” par “disullisioned” (désenchantés), et si le Sun utilisera – comme à son habitude – une hyperbole avec l’adjectif “furieux”, la sphère médiatique anglaise (et française via SoFoot), aura opté pour des mots sensiblement identiques… Et c’est là où le bât blesse – Dial Square n’est ni un club-phœnix, ni un club dissident, ni une initiative populaire.

Une “carte d’identité” cohérente avec les origines d’Arsenal ?

Tout d’abord, par le choix du nom Dial Square, de son écusson et de ses couleurs, Stuart Morgan cherche assurément à renouer avec la genèse d’Arsenal

En 1886, des employés de l’usine Dial Square du Royal Arsenal, située à Woolwich (ville bordant la Tamise dans la banlieue sud-est de Londres) décidèrent de former un club de cricket du nom de leur usine – le Dial Square Cricket Club. Le football étant aussi une occupation prisée par les salariés, une équipe éponyme et associée fut aussi créée.

Cependant, le lien entre l’Arsenal actuel et cette section football, a longtemps été trouble, voire infondé. En Octobre 2011, dans une enquête en 4 temps sur le blog Woolwich Arsenal, Andy Kelly, Mark Andrews et Tony Atwood, les co-auteurs du livre “Woolwich Arsenal, the club that changed football”, écrivaient que la probabilité pour que le Royal Arsenal, dont le premier match avéré s’est joué contre Erith en Janvier 1887, descende de Dial Square était mince.

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Pour cause, une absence dans les archives d’un tel club; des témoignages évoquant un autre club du nom de Woolwich Union (ou United); d’autres évoquant un club ayant changé de nom après un match; et finalement, le bruit d’un potentiel long déplacement à Isle of Dogs, pour un match contre les Eastern Wanderers, du Dial Square FC (coïncidant un an après un déplacement similaire de Milwall).

En 2014, ces mêmes historiens du club, cette fois-ci sur le blog The Arsenal History, trouvèrent les preuves tant recherchées de l’existence du Dial Square FC et du fameux déplacement en Décembre 1886. Ce qui les amena à conclure que, la chronologie coïncidant, c’était peut-être ainsi que le Royal Arsenal avait été engendré suite à une réunion au Royal Oak Pub. Le site officiel d’Arsenal en 2020, corrobore cette version en parlant d’un Dial Square ayant changé de nom directement après la victoire 6-0 contre les Eastern Wanderers.

Cette incertitude historique, bien que normalement résolue, peut ainsi poser d’entrée la question de la pertinence du nom “Dial Square FC”. Factuellement, le choix de Stuart Morgan est cohérent, mais il est possible d’arguer que le véritable acte de fondation du club est l’officialisation du Royal Arsenal, qui deviendra par la suite Woolwich Arsenal en 1893 pour des raisons de statuts légaux.

Quid de l’écusson et des couleurs du club ? Stuart Morgan a fait le choix de faire porter un maillot rouge bordeaux foncé, accompagné d’un short blanc et de chaussettes bordeaux ou bleues foncées. Un choix motivé par l’utilisation de couleurs plus sombres que celles portées par Arsenal aujourd’hui, dans la photo d’archives ci-dessous, datant de 1913 et de l’emménagement à Highbury.

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Mais, encore une fois, Mark Andrews et Andy Kelly (sur Woolwich Arsenal) viennent à notre rescousse. Par une analyse des différents joueurs présents sur la photographie et de dates de matchs, appuyée par un témoignage du Historic Shirts Website, déduction a été faite qu’Arsenal n’a jamais joué (ou qu’occasionnellement) dans un maillot bordeaux sombre par le passé, et que cette photo a sûrement été colorisée à des fins marketing par Nike, pour promouvoir le maillot de la saison 2005-06 (la dernière à Highbury).

D’ailleurs pour venir appuyer ce constat, nous pouvons mentionner le fait que les couleurs d’Arsenal ont été héritées de Nottingham Forest. En effet, ces derniers leur avaient généreusement offert, pour qu’ils puissent se développer, certains de leurs maillots de la couleur rouge Garibaldi (et non bordeaux), qui n’a depuis jamais quitté les Gunners.

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En ce qui concerne le logo, l’on pouvait s’attendre à un canon prédominant, puisqu’il représente les armoiries de Woolwich (utilisées par le club de 1888 à 1922) et le domaine d’activité des usines de Woolwich, là où le Dial Square FC ambitionne de revenir. Mais que nenni. Trône au premier plan un cadran solaire, “Dial” signifiant en anglais cadran. Même si The Athletic avance qu’il symbolise un nouvel horizon (en lien avec la “Renaissance” en latin), l’histoire le relie directement à l’usine du Royal Arsenal, où il trônait sur le bâtiment. Les feuilles de laurier et les glands de chêne renvoient quant à eux à la présumée réunion de création du club au Royal Oak Pub.

Pour l’anecdote, le petit canon pointe ici vers l’Ouest. Dans un souci d’hommage aux origines profondes d’Arsenal, il aurait dû pointer soit vers le Nord soit vers l’Est (1922-25)… comme le fait l’actuel logo.

Entre efforts louables d’hommage, et fautes ou approximations historiques, l’imagerie visuelle est déjà un point de clivage possible au sujet du Dial Square FC… et ce n’est que le début.

Retourner à Woolwich, pour quoi faire ?

La mesure phare du programme de Stuart Morgan est le retour géographique au Sud de Londres, avec un “Back to Woolwich” omniprésent dans la communication du club.

Mais puisque trouver un stade n’est pas choses aisée, Dial Square devra d’abord partager l’Addlestone Moore à Surrey avec le Abbey Rangers FC, avant de pouvoir déménager dans un stade construit à Woolwich, à une cinquantaine de kilomètres de distance.

“Notre but est de jouer des matchs de championnat dans notre propre stade construit spécialement à Woolwich, d’ici 15-20 ans. Nous voulons être au plus près des vieilles usines d’armement”. Stuart Morgan, pour The Athletic.

Si Morgan considère son projet réaliste et faisable sur le plan temporel, car le FC United of Manchester l’a réussi après 10 ans d’existence, la vraie question n’est pas là. Elle réside dans l’utilité même de revenir à Woolwich.

Certes, on peut y voir un énième retour aux sources symbolique car Arsenal a joué de 1886 à 1913 dans la région, notamment à Manor Ground (Plumstead Common, à 1 miles de Woolwich), et car le déménagement à Highbury a été acté pour des raisons économiques (risques de faillite) par les investisseurs Henry Norris et William Hall, mais Arsenal est aux antipodes du cas de Wimbledon. Seul le contexte sportif négatif est commun aux deux histoires.

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En effet, le déménagement à Highbury a été motivé par une chute de l’affluence aux matchs et des finances des ouvriers, elle-même due à l’arrivée de nouveaux clubs aux alentours. Arsenal a donc émigré pour mieux survivre en contexte de concurrence, là où les MK Dons ont laissé un vide dans leur community.

Et quand bien même cela eut été le cas, le bon sens doit être de mise. Sur 134 ans d’histoire, seules 17 petites années ont été passées à Woolwich (contre 113 pour Wimbledon), et ce, il y a plus d’un siècle. PERSONNE n’est encore en vie pour témoigner de cette époque et avoir la légitimité de réclamer un retour (contrairement aux fans du club habitant là-bas fortuitement). Même si les supporters de Tottenham s’en donnent à cœur joie pour rappeler ses origines sudistes, l’âme actuelle et véritable d’Arsenal se trouve au nord de Londres et autour de feu Highbury.

Creusons encore plus loin. The Athletic mentionne le fait que le Dial Square FC ait envisagé de s’installer à Islington, au nord de Londres.

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En parcourant Internet, nous trouvons aussi la trace – sous réserve de véracité – d’un club (surement fermé aujourd’hui) du nom d’Addlestone United, qui aurait joué en Guildford & Woking Alliance League. Ce club, issu comme par hasard de la ville où Dial Square pose ses valises provisoirement, a été fondé en 2014 par… Stuart Morgan, avec des attributs pour le moins étonnants – canon sur un blason rouge, maillot rouge avec manches et short blanc, surnom “The Cannons“, et devise “Victoria Per Labore”. Si des passages dans d’autres petits clubs de Stuart Morgan (nous y reviendront) sont mentionnés par The Athletic, celui-ci ne l’est pas. Chacun se fera son opinion.

Mentionnons aussi que Dial Square, en s’insérant dans une localité, peut créer un effet domino sur les clubs amateurs pré-existants du coin, notamment s’ils sont sur la corde raide, au niveau des bénévoles, des joueurs et des fonds. Comme le soulignent des internautes anglais, Thamesmead Town (non loin de Woolwich et Plumstead) par exemple, a dû en 2017 quitter son stade et déposer bilan l’année suivante.

Une dissidence sans projet populaire

Stanley Kroenke, tycoon américain originaire du Missouri, détient au travers de sa société Kroenke Sports & Entertainment, bon nombre de franchises américaines (Colorado Rapids, LA Rams, Denver Nuggets) ainsi qu’Arsenal.

Sa progression dans l’actionnariat d’Arsenal, a été pour le moins insidieuse. En 2007, il racheta pour commencer les parts d’ITV (9,9%), puis au fil du temps, grâce aux parts de Danny Fiszman, Nina Bracewell-Smith et Richard Carr monta jusqu’à 66,64%, faisant de lui l’actionnaire majoritaire du club dès 2011.

A l’époque, Peter Hill-Wood (loin d’être exempt de tout reproche), descendant d’une famille historique d’actionnaires d’Arsenal, monta au créneau pour s’opposer à la présence d’un milliardaire américain au club, à l’instar de Sir Alex Ferguson contre l’arrivée des Glazers, mais le loup est tout de même entré dans la bergerie, faisant au passage une belle affaire financière. Nous en avions longuement parlé en Novembre 2017 :

Depuis, ce que les fans pouvaient craindre est arrivé. Alisher Usmanov, détenteur de 30%, las de n’avoir aucun pouvoir en tant qu’actionnaire minoritaire sans perspective de développement (et étant peut-être de façon détournée, actionnaire avec Everton), a décidé de tout vendre… Pour £600M de livres, Kroenke monta à 96,64% de parts, chiffre qui lui a permis de dé-lister (racheter compulsivement) toutes les autres actions et d’atteindre les 100%.

Ce rachat forcé, soupçonné d’être réalisé avec un mécanisme de LBO (avec prêt à la Deutsche Bank de £567M), est l’élément final requis pour pouvoir comparer pleinement Kroenke à Glazer. Le monopole permettant une opacité totale, alors qu’Arsenal avait pour habitude de faire des meetings annuels incluant ses actionnaires minoritaires (comme l’Arsenal Supporters’ Trust) et de publier ses comptes, amplifia l’inquiétude que l’on pouvait avoir quant à l’utilisation des revenus d’Arsenal et à l’investissement dans une politique sportive cohérente.

Ainsi, un embryon de comparaison entre le Dial Square FC et le FC United of Manchester peut se former. Nous avons là deux clubs légendaires, dans lesquels des actionnaires américains ont pris le pouvoir et rendu le fonctionnement du club opaque. Le tout, dans un contexte de défiance des associations de supporters, d’un désintéressement total envers l’aspect sportif, de hausse continue des prix des places et de promesses non-tenues.

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Difficile d’imaginer cette défiance des supporters d’Arsenal s’estomper, tant les résultats du club n’en finissent pas de décevoir (compte tenu des standards de performance), même si Josh Kroenke (fils de Stan) tente de montrer son engagement pour le club… En prime, des difficultés financières naissent avec l’absence de Champions League (masse salariale déséquilibrée, transferts ratés, grand échelonnage de certains paiements), et il y a une ouverture du club aux super-agents. En effet, avec le départ d’Arsène Wenger (et d’Ivan Gazidis), accompagné par la montée en grade de Raul Sanllehi, Arsenal renie petit à petit certains de ses principes, auxquels l’entraîneur français était tant attaché. Kia Joorabchian, via Edu Gaspar (recruté dans la direction), David Luiz et Cedric Soares semble faire son trou, tandis qu’Arthuro Canales (agent d’Unai Emery) et Jorge Mendes (entre autres) sont prétendument impliqués dans des transactions.

Mais, alors que Dial Square FC aurait pu, et dû, être le fruit de mouvements de contestations légitimes comme le très populaire #WeCareDoYou de l’été 2019 ou naître à partir de l’Arsenal Supporters’ Trust, il n’a au final été créé que par une personne (et quelques associés sans doute).

Si ces nombreux fans protestataires, qui depuis des années vocifèrent au sujet de la déconnexion totale entre le supporter et le dirigeant (Kroenke n’étant quasiment jamais sur place), d’une machine tournant toute seule sans apport de fonds, d’un Emirates Stadium aseptisé, de l’épuration du blason, du prix des places, de la soumission aux horaires de la télévision, de la mauvaise politique sportive (rappelons nous des “Wenger/Emery Out“, “spend the f*****g money“) et plus récemment de la VAR, n’ont pas soutenu publiquement cette initiative, censée leur redonner un “vrai” Arsenal, c’est qu’il devait bien y avoir une raison.

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Idem pour les légendes du club, contactées par Dial Square – Tony Adams, David Seaman, Ian Wright, Paul Merson – qui n’ont pas souhaité répondre ou participer.

Le discours de Stuart Morgan sur Arsenal, bien qu’il soit vrai dans sa globalité, reste tout de même classique par rapport aux divers avis exprimés par les protestataires:

“Le club a perdu son identité de tant de façons. Cette équipe d’Arsenal – le club, l’organisation, le stade – n’a absolument rien à voir avec celle d’antan. Tout est si commercialisé… Je suis abonné au club level, tout est sans vie et sans âme, ce n’est pas l’Arsenal FC. La raison pour laquelle je construis ce projet est de revenir au commencement, d’essayer de retrouver l’Arsenal originel”Stuart Morgan, pour The Athletic.

(Il serait possible de critiquer l’évocation du club level, qui est une catégorie de place permettant aux fans plus aisés de ne pas être sur liste d’attente pour un abonnement, moyennant des prix plus élevés, et donc une des causes du manque d’ambiance… mais passons.)

Il se veut être celui qui offre aux fans mécontents un échappatoire. Mais alors, comment compte-t-il donner une âme à un jeune club qui sera initialement à Surrey, endroit sans aucun lien avec Arsenal ? Pourquoi dans son interview pour So Foot, ne va-t-il pas au bout de sa logique en résiliant son abonnement au stade en signe de mécontentement par rapport au football-business d”Ashburton Grove ? Pourquoi n’évoque-t-il pas le potentiel social de son initiative, avec une démocratie participative et un investissement pour la community ?

Toute réponse réside dans le statut légal du Dial Square FC. Le club est une “limited company“, lui appartenant entièrement ainsi qu’à une deuxième personne (avec un comité de management derrière). Il n’y a, aujourd’hui, aucun trust, ni groupe de fans, qui co-détiennent à parts égales le club, comme c’est le cas pour l’AFC Wimbledon ou le FC United of Manchester… ni même un statut de but non lucratif. RIEN.

Alors, que sommes-nous censés penser, lorsque Morgan à propos de son modèle de club, déclare dans le Non-League Paper :

“Ce n’est pas une utopie. (Le projet) a du sens, son modèle est prouvé. Nous essayons d’imiter le modèle de l’AFC Wimbledon ou du FC United – regardez comment il marche bien. Cela ne sera pas facile, mais vu l’intérêt que cela a suscité et le nombre de personnes à bord, je crois que c’est une aventure qui a des jambes.”

Jusqu’à preuve de propriété du club par tous les fans de Dial Square, ces comparaisons de projets sont donc mensongères (de façon voulue, ou non) et impunément relayées par les médias lui accordant la parole. Attention, le problème n’est pas d’être détenu par une unique personne (ou une poignée), nombre de clubs amateurs le sont, mais bien de s’estampiller club-dissident pour obtenir de la visibilité.

Pour rendre aux supporters ce qui leur aura été pris par les actionnaires, c’est à dire une voix et un pouvoir, il aurait fallu un système “un membre égal un vote”, et non reproduire l’organisation critiquée dans un premier lieu.

Clou du spectacle – Dial Square a entrepris, via la plateforme GoFundMe, une levée de fonds par crowdfunding. La cagnotte, dans sa description, demande en somme, aux fans de faire des dons pour permettre au club de commencer sur les bons rails et d’assurer certains coûts (ligue, assurances, budget pour l’équipe et le staff, stade etc). Une justification assez vague pour être à même de considérer la pertinence d’un don.

Créée il y a deux semaines avec pour objectif £50,000 (allant directement à la société du club), elle n’a pour l’instant récolter que £340 venant de 17 personnes… Des nombres qui auraient été dérisoires si l’initiative était populaire, et si donner une certaine somme accordait un membership et un droit de vote.

Quel futur pour le Dial Square FC ?

Si larcin profond il y a, encore faut-il savoir où il nous mènera.

Malheureusement, il convient pour cela de faire un rapide constat ad hominem. Selon The Athletic toujours, Stuart Morgan n’est pas étranger au monde du football. Il aurait eu l’envie par le passé d’investir dans des clubs comme Billericay Town ou Lincoln City, avant de prendre en 2016 un rôle dans la direction de Camberley Town, qu’il a quitté peu de temps après pour des différents d’ambitions. A cela, rajoutons l’hypothétique création d’Addlestone United, sorte de bêta-test de Dial Square.

En terme d’interprétation, il nous est possible de faire face à ces informations de deux manières. D’un côté, concevoir ces pérégrinations comme une façon d’engranger de l’expérience et des contacts dans le monde de la Non-League, en vue de mener à bien un projet noble envers l’histoire d’Arsenal qui lui tient très à cœur (et c’est ce qu’il avance). De l’autre, voir un (potentiel) investisseur attaquer le milieu du football en multipliant les tentatives, pour in fine en tirer les profits qu’il souhaite.

En tout cas, s’il y a un mot que Stuart Morgan ne cesse d’employer c’est gagner. “Gagner des matchs, à tout prix“, tel est son objectif. La marche à suivre étant de construire un effectif en 2 ans, capable de remonter rapidement les échelons (3 promotions visées en 5 à 7 ans, et une professionnalisation d’ici 10 à 20 ans). Le tout pour qu’avec un auto-financement, des aides extérieures et un investissement privé, le club puisse grossir… Mais n’y a-t-il pas là une contradiction avec ses propos dans So Foot ?

“Les gens sont mécontents. Ma décision de créer ce club, c’était pour donner à ces fans mécontents une équipe à suivre juste pour l’amour du foot et oublier le côté économique. Le football amateur, c’est juste du foot, le seul but est de gagner et d’être promu. Il n’y a pas cet aspect économique, même si, bien sûr, tu as besoin d’argent pour faire tourner le club”Stuart Morgan

Gagner des matchs et pouvoir subsister sont pour tout club des objectifs constants, certes, mais un discours obnubilé par la croissance sans considération pour l’immatériel, le social, ne peut être compatible avec l’envie de donner un football pur à son public. L’AFC Wimbledon et le FC United of Manchester par leurs initiatives sociales avant tout, ont bénéficié d’une telle mobilisation populaire que les résultats sportifs ont suivi… Pour une belle histoire, combien de clubs “normaux” ont échoué ?

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Administrativement parlant, les projets du club vont être considérablement ralentis par la Combined Counties Football League, organisme dirigeant des divisions amateures dans les comtés du Berkshire, du Hampshire, du Middlesex et de Surrey. Celui-ci a refusé l’admission de Dial Square en 9ème division pour la saison 2020/21 (ils commenceront donc un échelon plus bas), prétextant que le club ne présentait pas un profil adéquat… en d’autres termes, l’engouement pour le club a été jugé trop faible, tout comme la capacité d’amener 200 à 300 spectateurs.

C’est dire tout le chemin qu’il reste à accomplir. Sans parler du travail que tout club doit faire pour se structurer et créer une équipe. A l’heure actuelle, Dial Square se résume à un site web, des comptes de réseaux sociaux et un enregistrement d’entreprise… les structures financières, le financement, les actions, les plans sont encore bien flous.

Le Mot de la fin

Il serait à la fois injuste et malhonnête, après un papier très majoritairement critique, à charge et évidemment débattable, de ne pas laisser un “droit de réponse” à Dial Square et Stuart Morgan. Dans une lettre ouverte faisant office de communiqué sur son site officiel, le fondateur évoque les problématiques pointées par ce papier et les détracteurs du projet après sa médiatisation.

Dans cette lettre, il réitère tout d’abord son attachement pour Arsenal et son constat global envers sa gestion/aseptisation/internationalisation (indépendamment du fait qu’il ait un abonnement en club-level), nie renier son club de cœur en créant Dial Square et insiste sur le fait que ce club doit servir, peu importe son appellation (“club phœnix” ou “dissident”), d’échappatoire du football business et de ses tensions, tout en gardant une identité d’Arsenal en arrière-plan. Présenté ainsi, le projet devient tout de suite bien plus compréhensible et donc appréciable, que lorsqu’il était à tort comparé au FC United et à l’AFC Wimbledon.

Concernant Addlestone United, Morgan en parle comme d’un club créé pour le plaisir, dont les attributs auraient été inspiré par son club de coeur pour le fun, mais aussi comme d’une expérience lui ayant donné envie de poursuivre dans la voie de la gestion de clubs de Non League et y acquérir une certaine expérience. Une explication plausible et visiblement honnête.

Au sujet de la localisation du club, Dial Square se serait confronté aux refus de nombreuses équipes pour partager leur stade (que ce soit vers Woolwich ou Islington). Le choix de Surrey a donc été effectué dans l’urgence pour pouvoir remplir à temps les critères de la Combined Counties League, en prenant à minima en considération l’accessibilité et la qualité des installations. Cela nous confirme bien qu’il n’y avait pas de projet inflexible pour revenir à Woolwich rendant caduque la comparaison avec Wimbledon. Si le choix de Surrey devient logique, la question de l’âme d’un club nouveau et pourtant déjà hors-sol se pose toujours.

Dial Square, ensuite, dément toute velléité de profit via la création de club, et confirme que des contacts ont eu lieu avec les groupes WeCareDoYou et l’Arsenal Supporters’ Trust. Ces contacts n’ont cependant rien donné, l’AST ne voulant pas participer tout comme les leaders de WDOY, même si certaines personnes ont tout de même été intéressées et ont échangé des idées (comme le retour à Woolwich, ou l’imagerie). Une fois encore, nous avons la confirmation que l’on a pas affaire à une initiative populaire soutenue par des groupes de fans, mais Dial Square a si c’est vrai le mérite d’avoir essayé.

Morgan se dit ouvert à la vente de parts voire à l’embauche de personnes qui seraient impliquées, intéressées par le projet et compétentes. Il reconnaît les différences avec l’AFC Wimbledon et le FCUoM qui sont détenus par les fans, et dit vouloir s’inspirer d’eux sans tout copier… Il ne souhaite pas de divisions dans l’actionnariat, ni de polémiques comme après l’annonce médiatique de création de Dial Square. Si, l’ouverture à un actionnariat de fans était envisageable (et non un rétro-pédalage), pourquoi n’avoir pas choisi un statut légal adapté ? Et l’argument d’une division parmi des fans-propriétaires est fort de café, étant donné que ce système a marché ailleurs.

Finalement, est reconduite l’explication de l’intérêt de la cagnotte, puisque le club ne souhaitait pas vendre directement des actions qui ne vaudraient rien ou peu. Mais sous le poids du débat, Dial Square a décidé néanmoins d’envisager plus sérieusement la vente d’actions pour s’auto-financer. Un rattrapage intelligent, mais la mise au point aurait dû précéder le lancement des procédures… Mais est-il garanti que des actions seront vendues, ou est-ce juste une promesses sur les réseaux sociaux ? Et si c’est le cas, pourquoi la cagnotte existe-t-elle toujours ou ne prend cela en compte ?

D’ailleurs, ce 7 Février, Dial Square décidé de communiquer officiellement sur Twitter son ouverture à la vente de parts. Une décision qui va à l’encontre des plans initiaux, même si elle n’aboutira tout de même pas à la structure du FC United.

S’il fallait tirer une morale de cette affaire… Ce serait que tout est une question de perception. Il est possible (et c’est peut-être l’impression donnée par ce papier) de voir Dial Square comme un club voulant s’appuyer sur Arsenal (un peu comme le fait Arsenal Fan TV) et sur des clubs aux destins particuliers (mais incomparables), pour promouvoir son activité. Ou bien, nous pouvons y voir une initiative, n’ayant pas l’ambition de rassembler ou d’effectuer un retour aux sources inflexible (malgré des hommages certains), mais juste la volonté de changer les idées aux Gooners en étant comme chez soi et improviser la suite des évènements.

Qu’importe si Stuart Morgan avait prévu son coup médiatique et ajusté par la suite son positionnement, ou s’il a juste mal formulé ses intentions, c’est la sphère médiatique dans sa course à l’information, par la non-vérification de ses comparaisons avec l’AFC Wimbledon et le FC United Of Manchester, et le manque de précisions sur la structure du club et d’esprit critique, qui a faussé tout jugement. Le Dial Square n’est peut-être pas une imposture de club et son fondateur n’est peut être pas malhonnête, mais c’est bien une imposture de contre-club, tel qu’on les a défini.

Cela dit, au delà des sondages ludiques pour un maillot sur les réseaux sociaux, ou des querelles sémantiques, n’oublions pas qu’un club de football est une chose bien sérieuse – bénévoles, communauté, direction, staff, fans doivent fournir, en toute conscience, un travail de l’ombre inquantifiable dans des conditions souvent difficiles. Tout projet doit être à la fois accompagné du cœur et de la raison.

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