Dans les Balkans, des supporters se démènent pour sauver deux clubs historiques | OneFootball

Dans les Balkans, des supporters se démènent pour sauver deux clubs historiques | OneFootball

Icon: La Grinta

La Grinta

·5 mars 2021

Dans les Balkans, des supporters se démènent pour sauver deux clubs historiques

Image de l'article :Dans les Balkans, des supporters se démènent pour sauver deux clubs historiques

En France, les actions de groupes de supporters se multiplient, notamment pour critiquer la gestion de certains propriétaires. En Roumanie et en Macédoine du Nord, les fidèles de deux équipes historiques se mobilisent avec une optique simple mais cruciale : sauver leur club. Que ce soit au Dinamo Bucarest ou au Vardar, les histoires se ressemblent : deux équipes de tradition, deux propriétaires étrangers, des illusions puis des départs qui ont laissé des situations financières exsangues que seuls les supporters semblent prêts à affronter.

Le Program DDB laisse le Dinamo en vie


Vidéos OneFootball


Le Dinamo Bucarest ? 18 titres de champion de Roumanie, 13 Coupes de Roumanie remportées, une demi-finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupes en 1990 mais aussi un club qui vivote depuis une dizaines d’années au moins.

Le coup, qui aurait pu être fatal, a cependant été assené en 2020 avec l’arrivée de nouveaux investisseurs espagnols comme le raconte Dragos Daniel Stochita, fidèle du Dinamo : « Avant leur arrivée, il y avait peu d’argent au Dinamo Bucarest mais la situation financière était plutôt stable. Quand les Espagnols sont venus en Roumanie en mai 2020, ils ont présenté un projet grandiose en promettant 30 millions d’euros d’investissement pour les deux années suivantes. Bien entendu, tout le monde était très excité. Ionut Negoita (l’ancien propriétaire) n’a pas vraiment vérifié si ces personnes avaient réellement les fonds. Il voulait vendre le club et l’a vendu. »

D’ailleurs, dans un premier temps, les actes ont semblé corroborer les promesses du président Pablo Cortacero mais tout a rapidement tourné au vinaigre : « Au début, pendant les deux premiers mois, ils ont amené une vingtaine de nouveaux joueurs dont pas mal d’Espagnols avec des salaires extravagants pour la Roumanie, entre 600 000 euros et 750 000 euros par an. Mais quand ils ont dû payer les premiers salaires et factures, on a découvert que tout était mensonge, qu’ils n’avaient pas les fonds. L’argent qu’ils ont mis dans le club se résume à environ 150 000 euros ou 200 000 euros, c’est tout. Dès septembre, ils ont quitté la Roumanie et ne sont revenus qu’une fois en décembre en promettant d’injecter 5-10 millions d’euros dans la semaine mais rien n’est arrivé. »

Le Program DDB (Doar Dinamo Bucuresti – Seulement le Dinamo Bucarest en VF), qui rallie tous les amoureux du Dinamo et avait été lancé en 2018 pour soutenir certaines actions autour du club, s’est donc trouvé un nouveau rôle et les supporters ont pris les choses en main pour assurer le quotidien du club. Pour Robert Kemeny, supporter du Dinamo exilé en Allemagne, il était naturel de participer au mouvement qui trouve écho bien au-delà des frontières de la Roumanie : « Cette situation fait mal. C’est mon club depuis l’enfance, j’ai grandi avec le Dinamo avec de grands joueurs et de belles joies. Aujourd’hui, le Dinamo a besoin de moi et de tous les membres de DDB pour survivre. Nous avons une communauté incroyable à travers le monde, il existe des branches de DDB en Allemagne, au Canada, en Espagne, en France et au Royaume-Uni entre autres. »

Dragos, qui est d’ailleurs un des leaders de DDB UK, explique la foi qui habite ces supporters : « Nous n’avons pas le choix, nous aimons notre club. Nous n’allons pas le laisser tomber. Quand nous avons débuté, personne ne nous donnait une seule chance. Personne ne croyait en nous, les médias disaient qu’on allait réunir 2000 personnes maximum mais nous sommes quasiment 14500 maintenant (qui payent une cotisation annuelle de 48 à 19480 euros). L’année dernière, nous avons donné environ 1 500 000 euros de nos poches au club. Et quelques 150 000 euros venaient de notre groupe au Royaume-Uni. »

Cela les a d’ailleurs forcés à s’organiser pour ne pas devenir hors-la-loi : « Nous avons dû nous adapter et suivre les règles, notamment pour envoyer de l’argent légalement en Roumanie. Par exemple, à l’heure actuelle, nous avons 6-7 gars dont les comptes en banque sont bloqués parce qu’on envoie de trop larges sommes d’argent d’Angleterre en Roumanie. Ils sont surveillés. Mais nous allons trouver une solution légale parce que nous devons continuer. »

La gestion du club par les membres de DDB va cependant bien au-delà de ces dons. Ils gèrent aujourd’hui toute la complexité et les besoins quotidiens d’un club professionnel : « Depuis août dernier, on est donc les seuls à mettre de l’argent dans le club. A l’heure actuelle, la situation du club est stable. Nous avons également négocié avec chaque joueur de l’effectif et 99% de ceux qui sont partis pour trouver des accords financiers. Ils ont accepté de recevoir beaucoup moins d’argent que ce qui était prévu dans leurs contrats. Mais c’était important pour qu’ils ne poursuivent pas le Dinamo en saisissant l’UEFA. Dans ce cas, le club aurait été en grand danger de banqueroute. »

Depuis le début de l’année 2021, une des actions phares du Program DDB est la mise en vente des places pour les matchs de Liga I qui se jouent actuellement à huis clos. Ils viennent ainsi de réussir à « remplir » cinq fois un stade de 55 000 places en quelques semaines. Dragos indique d’ailleurs que quelques supporters d’un autre club roumain, l’U Cluj, qui vivent également en Angleterre n’hésitent pas à dépenser 100-150 livres sterling à chaque match pour les soutenir. Cela montre ainsi la force d’un mouvement qui compte aujourd’hui 14500 membres environ (dont la légende Mircea Lucescu) et espère atteindre le cap des 20000 d’ici la fin de l’année.

Au niveau financier, les prochaines échéances sont connues et n’effrayent pas Dragos : « Fin mars, nous allons devoir payer 850 000 euros pour obtenir notre licence pour le prochain championnat. Mais nous allons réussir sans aucun doute. Dès l’été, nous devrions être encore plus investis dans le management et la gestion financière du club. Je ne pense pas qu’un nouvel investisseur débarque dans la prochaine année donc c’est à nous de gérer. »

Dragos n’oublie pas non plus que l’avenir du club dépend également des résultats sur le terrain : « Les joueurs savent qu’on paie leurs salaires. Ils sont reconnaissants et essayent de tout donner même si la situation est compliquée (le Dinamo est 13e sur 16 équipes). Nous devons éviter la relégation cette saison puisque nous sommes également dépendants des droits TV. Environ un tiers du budget du club provient des droits TV. Ce serait donc difficile de survivre sans ça. Mais dans les prochains mois, nous allons avoir de nouveaux sponsors. Nous avons déjà trouvé un accord avec Suzuki et des institutions financières devraient bientôt nous rejoindre. Cela devrait nous permettre de récupérer environ 1 million d’euros. En tout, avec nos cotisations, les donations, les partenaires, etc. on devrait réussir à boucler un budget d’environ 8 millions d’euros pour la saison prochaine. En Roumanie, c’est suffisant. Par exemple, le champion des dernières années (le CFR Cluj) n’a pas un budget supérieur à cela. »

Concernant les Espagnols qui n’ont plus vraiment voix au chapitre dans la gestion quotidienne du club, les membres du Program DDB essayent de trouver une solution pour qu’ils deviennent simplement un mauvais souvenir : « Ils détiennent 72% du club (contre 20% pour DDB). Nous leur avons fait quelques offres. Je crois que la dernière en décembre était de 850 000 euros pour récupérer 40% des parts afin que l’on devienne majoritaire. Mais ils ont refusé, je ne sais pas quel est leur plan. »

Cela reste donc un chantier important parmi d’autres pour les membres du Program DDB qui espèrent également voir leurs joueurs réussir à pérenniser le Dinamo Bucarest dans l’élite cette année. Quoi qu’il en soit, ce club historique du football roumain semble désormais entre de bonnes mains : la volonté exceptionnelle, l’entraide de ces supporters et l’amour de ces couleurs lui permettent à l’heure actuelle d’entrevoir un avenir.

En Macédoine du Nord, le Komiti fait avec les moyens du bord

En Macédoine du Nord, il n’y a pas vraiment de débat pour connaître le club historique du football national : le FK Vardar est le nom qui revient avec insistance. Champion de Macédoine à 11 reprises depuis la chute de la Yougoslavie, le Vardar était également un membre régulier de l’élite du football yougoslave, allant jusqu’à remporter la Coupe de Yougoslavie en 1961.

Malgré tout, le grand Vardar a dû démarrer la deuxième moitié de cette saison avec un groupe de très jeunes joueurs issus de l’académie du club, chaperonnés par quelques vétérans comme Dejan Blazevski. Comment en sont-ils arrivés là ?

En 2014, un riche homme d’affaires russe récupère le FK Vardar : Sergey Samsonenko. Il n’est pas inconnu puisqu’il préside depuis quelques mois le RK Vardar, club de handball. Andrej, membre du groupe ultra Komiti, raconte : « En réalité, Samsonenko a débuté avec le club de handball du Vardar avec lequel il a réalisé de belles choses en investissant 250 000 euros. Avec le club de football, il pensait pouvoir faire de même mais cette somme n’était pas suffisante, il lui fallait au moins un million. Les salaires des joueurs, l’entretien des terrains, etc. Tout coûtait plus cher. »

Malgré tout, la période est plutôt dorée pour l’équipe de handball et celle de football. Les Rouge et Noir remportent deux fois la Ligue des champions en handball alors que les footballeurs sont champions de Macédoine à quatre reprises et arrivent même à se qualifier pour la phase de groupes de la Ligue Europa en 2017-18, du jamais vu pour un club du coin.

Mais l’investissement sportif de Samsonenko n’était pas seulement philanthrope et devait lui permettre de faire fructifier ses affaires dans le pays. Malheureusement pour lui et le Vardar, les vents (politiques) ont peu à peu tourné et les investissements non-sportifs de Samsonenko (notamment un complexe immobilier dans le centre de Skopje) ont peu à peu été freinés et ont mené à sa démission du Vardar en 2020.

Pour les supporters du Vardar, la surprise fut bien mauvaise : « Quand Samsonenko est arrivé, le club avait déjà des dettes d’un million d’euros. Mais il ne s’est pas occupé de ces dettes et en a créé encore plus. Elles étaient montées jusqu’à deux millions d’euros quand il s’est retiré du club. Quand il est parti, nous avons finalement constaté leur importance. En fait, les joueurs ne recevaient pas leurs salaires depuis 2-3 mois. Aujourd’hui, personne ne veut s’occuper du club parce qu’il y a trop de dettes et les joueurs ne veulent pas nous rejoindre. »

Si la mairie de Skopje a récupéré la gestion du club, le maire Petre Shigelov a également annoncé fin février que les dettes étaient en réalité de 3,5 millions d’euros désormais et personne ne semble vouloir ni pouvoir les éponger. Les fidèles du Vardar se sont donc mobilisés : « Nous avons fait comme le Dinamo Bucarest. Nous avons mis en vente des places alors que les matchs sont à huis clos et réussi à récupérer 30 000 euros. Mais c’est très peu, les dettes sont trop importantes. Nous, supporters, sommes si fiers du Vardar et nous ne pouvons pas le laisser mourir. Nous avons demandé de l’aide à la ville, au maire mais… »

Malgré le réel soutien populaire dont jouit le Vardar auprès des Macédoniens, Andrej reste pessimiste : « Même si nous réussissons à récupérer 30 000 euros pour chaque match du Vardar, ce ne sera pas suffisant parce que les dettes sont abyssales. Et nous sommes plus pauvres que les pays aux alentours comme la Roumanie. Nous avons besoin d’aide, d’investisseurs financiers de l’étranger. Mais personne avec un esprit sain n’investira dans le Vardar, c’est un gouffre financier. C’est vraiment triste et nous ne savons pas vraiment comment le sauver, hormis avec nos actions comme la vente de billets, etc. En réalité, il nous faut un investisseur étranger ou une aide de la ville. »

Le Komiti et tous les amoureux du Vardar tentent donc de préserver ce qui peut l’être, en attendant un hypothétique repreneur. Très ému, Andrej espère que la grandeur du club pourra l’aider à être sauvé : « Le Vardar est le plus ancien club de Macédoine. C’est le club que toute la Macédoine aime, pas seulement les membres du Komiti. C’est triste parce que nous avons eu une bonne équipe ces dernières années mais à cause de la situation, le club va décliner, même cesser d’exister peut-être. »

Malgré ces immenses difficultés dans la coulisse, les fidèles du Vardar peuvent se réjouir grâce aux belles performances des jeunes pousses du Vardar qui font honneur à leurs couleurs. Propulsés dans l’élite du football local, ces jeunes ont réussi dernièrement un nul contre Pelister et un beau match face à Shkendija. Ils devraient donc pouvoir avoir assurer leur maintien en attendant que les choses évoluent hors du terrain.

Un mix de promesses bancales et de contextes difficiles

L’économie du football repose souvent sur trois voire quatre piliers : les droits TV, la vente de joueurs et le sponsoring, voire les aides de l’État ou des autorités locales dans certains pays.

Malheureusement, dans les Balkans, les deux premières mamelles apportent bien souvent peu de lait, hormis pour les excellents clubs formateurs. Et tout le monde sait que les aides publiques sont bien souvent dépendantes des bonnes relations personnelles (politiques) et peuvent vite se tarir.

Alors il est parfois plus simple de croire en un mirage, un étranger qui viendrait avec un beau projet, des investisseurs et une nouvelle approche. Cela fonctionne parfois, cela échoue souvent.

Et au final, il reste toujours quelques joueurs perdus et surtout ces supporters qui seront toujours fidèles à leurs couleurs. Si Andrej explique que « certains membres du Komiti sont en contact avec les gars du Dinamo Bucarest », la perspective d’une grande amicale internationale solidaire semble cependant bien improbable, tant chacun doit se battre dans son contexte et pour ses couleurs.

Reste alors certains projets qui ont pu paraitre farfelus mais tiennent dans le temps comme celui de Druckeria à Timisoara : ces supporters qui, en contestation face au pouvoir politique local, ont su gérer eux-mêmes l’ASU Poli Timisoara pour le faire monter de la 5e à la 2e division en Roumanie. Pour Robert, le supporter du Dinamo, ce n’est cependant pas la solution idéale : « Un club doit malgré tout être géré par des professionnels, avec un investisseur principal sérieux et une communauté de socios à côté. Les décisions dans chaque club doivent être prises par des professionnels. Nous avons vu ces dernières années au Dinamo comment l’incompétence peut plomber un club. »

Dragos abonde dans son sens et rappelle l’essence d’un supporter : « Notre nature est d’être dans les tribunes pour soutenir notre équipe, de pousser les joueurs, pas de mettre l’argent de nos familles pour sauver le club. Mais c’est la situation actuelle et nous devons le faire. Si un véritable investisseur arrive, il aura notre soutien total. »

Alors un autre modèle va-t-il émerger de ces deux grands cas symboliques ? Ou les supporters seront-ils à jamais contraints de subir les envies (parfois passagères) et la gestion d’investisseurs sans avoir leur mot à dire ?

Merci à Dragos, Robert et Andrej pour leurs témoignages et à @FrMacedonien pour son éclairage sur le sujet.

À propos de Publisher