Le Corner
·29 décembre 2019
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·29 décembre 2019
Parmi les (trop) nombreux débats sur le Ballon d’Or, celui-ci revient à chaque année de Coupe du Monde : doit-on sacrer un champion du Monde ayant dominé la compétition ou favoriser un joueur plus régulier tout au long de la saison, mais qui ne s’est pas hissé sur le toit du Monde ? En 1982, les votants avaient penchés pour la première option. Il faut dire que les exploits de Paolo Rossi ne leur laissait pas vraiment le choix.
La carrière de Paolo Rossi aurait dû être celle d’un talent gâché. À la fin des années 1970, le football italien semble avoir trouvé son nouvel attaquant vedette. En 1977, les yeux des observateurs du Calcio se rivent sur un promu, Vicenza. Porté par le jeune Rossi, 21 ans et Capocannoniere (meilleur buteur de la saison) du haut de ses 24 buts en championnat, le club termine 2ème pour sa première saison dans l’élite derrière l’intouchable Juventus. Les performances de Rossi n’échappent pas à Enzo Bearzot, le sélectionneur de l’Italie, qui n’hésite pas à l’intégrer dans la Squadra Azzura pour disputer le Mondial 1978. Le jeune attaquant lui donne alors raison, marquant à 4 reprises durant le Mondial Argentin alors que son équipe échoue au pied du podium après une défaite contre le Brésil.
Alors que « Pablito » semble parti pour régner sur le Calcio pendant plusieurs saisons, l’après-Coupe du Monde semble difficile à digérer. Tout de même auteur de 15 buts en championnat, Rossi ne parvient pas à sauver la chute de son club, qui sera relégué en deuxième division. Hors de question bien sûr pour l’international Italien de connaître l’échelon inférieur, et c’est Perugia qui parvient à attirer le buteur de 23 ans sous forme d’un prêt. Là-bas, Pablito s’adapte assez vite mais est coupé dans son élan par le scandale du Totonero, qui met en cause plusieurs clubs accusés d’avoir truquer certains matchs. Mis en cause pour avoir touché de gros montants pour arranger le résultat du match entre Avellino et Perugia, Rossi est condamné à une sanction exemplaire de 3 ans de suspension, ramenés à 2 après appel. Nous sommes alors en mars 1980, l’Italien ne pourra pas refouler les terrains avant avril 1982, sa participation à la Coupe du Monde de la même année semble donc largement compromise. Mais Rossi parvient à garder une forte exposition dans le paysage du football Italien puisque pendant sa suspension, la Juventus ne va pas hésiter à engager l’ancienne star de Vicenza. Mais avec seulement 3 matchs au compteur sous les couleurs de la Vieille-Dame en 1982, minces sont ses chances de figurer dans la liste d’Enzo Bearzot pour le Mondial Espagnol. C’est bien mal connaître le sélectionneur de la Squadra Azzura qui, malgré le scepticisme presque unanime des Italiens, sélectionne son chouchou, et lui offrira même les rênes de l’attaque de la sélection.
Pour leur entrée en compétition dans ce mondial Espagnol, les Italiens défiaient à Vigo la Pologne qui, portée par une génération dorée, dispute alors sa première Coupe du Monde. L’équipe alignée par Bearzot sera très stable durant toute la compétition : la Squadra Azzura évolue en 4-4-2 à plat, avec Rossi et Francesco Graziani, attaquant de la Fiorentina, pour mener les contre-attaques italiennes. Dans un match qui s’annonce assez serré, Paolo Rossi semble d’abord plutôt bien prendre ses marques en Espagne. En début de match, il se détache de l’image traditionnelle qu’on lui colle de « renard des surfaces » pour décrocher et participer à la construction du jeu assez poussif proposé par les hommes d’Enzo Bearzot. Quelques ballons conservés dans des petits espaces, des coups de pieds arrêtés provoqués ou des centres intéressants… Rossi rentre bien dans son Mondial et aurait pu être récompensé peu avant la mi-temps sur un corner où sa tête frôle le cadre. La deuxième mi-temps est beaucoup moins convaincante : Rossi est transparent et l’Italie n’arrive à rien. Si la Pologne n’est en face pas très inquiétante, la Squadra Azzura ne parvient pas à trouver la faille et signe finalement un match nul décevant.
La suite de la phase de poule s’annonce plus abordable pour les Italiens, et le match nul initial ne devrait à priori pas remettre en jeu leurs chances de qualification. Prochaine étape : le Pérou qui n’a pas pu se défaire du Cameroun en ouverture (0-0). Mais face à la Blanquirroja, les hommes d’Enzo Bearzot vont à nouveau déjouer. Cette fois, Paolo Rossi ne parvient pas à se montrer. Si le Romain Bruno Conti ouvre le score d’un coup de canon lumineux à la 19ème minute, Pablito, lui, semble à court d’énergie, comme si enchaîner un deuxième match en 4 jours était trop dur pour le corps d’un athlète qui retrouve tout juste la compétition. Résultat, son coach le fait sortir à la mi-temps, et les interrogations sur son niveau physique et sur sa place dans la sélection italienne se font toujours plus fortes. Sans lui en deuxième mi-temps, l’Italie ne propose pas plus de jeu et va même concéder l’égalisation. Par chance, la Pologne et le Cameroun se séparent à nouveau sur un score nul et vierge et quelques jours plus tard, les Polonais étrilleront le Pérou (5-1). Le lendemain, puisqu’elle a marqué plus de buts que leurs homologues Camerounais, l’Italie peut se qualifier en concédant un troisième match nul. Mais Rossi ne semble pas vouloir s’en contenter et espère se racheter après son match calamiteux contre le Pérou : dès les premières minutes il est impliqué sur quelques bons coups Italiens. À la 8ème minute, il décale parfaitement Giancarlo Antognoni, milieu de terrain de la Fiorentina, dont le centre trouve Graziani, qui ne parvient pas à trouver le cadre. Dans la foulée, son partenaire à la Juve Marco Tardelli déborde sur le côté droit. D’un modèle d’appel contre-appel, Pablito se défait du marquage camerounais, mais sa frappe est contrée. Quelques « Rossi ! Rossi ! Rossi ! » sont scandés par les supporters Italiens pour encourager le début de match de leur attaquant. Et à la demi-heure de jeu, le numéro 20 a l’occasion parfaite pour confirmer son bon début de match : sur un corner Italien, le défenseur Fulvio Collovati trouve la barre, mais le ballon revient sur Rossi alors que le portier Camerounais est à terre. Même si l’attaquant de la Juve est excentré et en train de reculer, il peut reprendre ce ballon… mais ne trouve pas le cadre. Pablito se rattrapera tout de même en deuxième mi-temps puisqu’à la demi-heure de jeu, il décroche côté gauche et dépose un centre parfait pour Graziani qui propulse le ballon au fond des filets. Rossi s’est enfin montré décisif mais cela ne suffira pas à offrir à son équipe son premier succès dans la compétition puisque juste après l’engagement, Grégoire M’Bida devient le premier buteur Camerounais de l’histoire de la Coupe du Monde en égalisant. Le score n’évoluera plus, l’Italie se qualifie dans la douleur en n’ayant pas décroché de victoire, et Rossi n’a pas encore marqué le moindre but. Au bout de trois matchs, les interrogations sur la présence de l’attaquant Turinois dans le groupe d’Enzo Bearzot semblent toujours plus légitimes.
Les Italiens se qualifient ainsi pour une seconde phase de poule où ils devront bataillés avec l’Argentine et le Brésil pour décrocher la première place synonyme de qualification en demi-finale. C’est d’abord l’Argentine de Diego Maradona, championne en titre, qui se dresse face à la Squadra Azzura. Dans une première mi-temps plus que terne, Rossi n’arrive pas vraiment à se mettre en avant, et le carton jaune qu’il reçoit pour contestation témoigne de sa frustration à ce stade de la compétition. En deuxième mi-temps, l’ancien de Vicenza est plus en vue et il est à l’origine d’un contre parfaitement mené par les Italiens qui est conclu par Marco Tardelli, servi par Antognoni. Dix minutes plus tard, à la 67ème minute, alors que l’Italie tente de laisser passer l’orage, bien aidée par un Dino Zoff des grands soirs, Rossi est servi sur un plateau d’argent par Grazziani. Pablito s’offre alors un un-contre-un face à Ubaldo Fillol, le portier Argentin au numéro 7, mais manque cette occasion rêvée d’ouvrir son compteur but. Vainqueur de son duel, Fillol voit sa relance contrée par le Juventino Antonio Cabrini qui en profite pour doubler la mise. Les Italiens explose mais Rossi reste plus mesuré, sachant pertinemment qu’il n’échappera une nouvelle fois pas aux critiques. Si l’Argentine réduira le score par un coup de canon du libéro Daniel Passarella, la Squadra Azzura tient sa première victoire, une nouvelle fois sans briller. Au moment d’affronter le Brésil, la presse Italienne pointe du doigt « Il fantasma di Rossi » (Le fantôme de Rossi). Il n’en fallait pas plus pour réveiller le numéro 20.
Le Brésil ayant lui aussi disposé de l’Argentine (3-1), la confrontation a valeur de quart de finale. Mais à l’inverse des Italiens, la Selecao offre un récital de football depuis le début de la compétition. Menés par Socrates, Zico ou encore Eder, les hommes de Telê Santana illuminent le Mondial et on se demande qui pourra faire tomber ce Brésil, alors vu par certains comme plus fort que jamais.
En clair, l’Italie ne démarre pas du tout ce match dans la peau du favori. Mais pourtant, au bout de 5 intenses premières minutes, Cabrini centre parfaitement vers un Rossi libre de tout marquage dans la surface. La tête de Pablito bat Waldir Peres, le Brésil tremble déjà et Rossi marque enfin, dans le plus dur des matchs. Mais la Selecao n’a pas dit son dernier mot et va pousser fort dans les minutes suivantes par l’intermédiaire d’abord de Serginho puis de Socrates qui bat Dino Zoff à son premier poteau. Les compteurs sont remis à 0 mais l’instinct de buteur de Paolo Rossi semble vraiment s’être réveillé ce jour là, si bien qu’à la 25ème minute, l’attaquant de Juve intercepte une passe un peu molle de Cerezo et s’offre un face-à-face avec le portier adverse, à qui il ne laisse aucune chance. L’Italie reprend les devants et va pouvoir faire ce qu’elle fait de mieux : défendre et saisir les opportunités de contres laissées par des Brésiliens fébriles. En deuxième mi-temps, le match s’emballe mais personne ne parvient à trouver le cadre : Bruno Conti côté Italien, Zico, Serginho ou Cerezo côté Brésilien, tous auraient pu faire trembler les filets mais aucuns n’y sont parvenus. Il faut attendre la 67ème minute pour voir le Brésil inscrire un second but totalement mérité grâce à une lourde frappe de Falcao qui venait d’enrhumer la défense Italienne. Mais 7 minutes plus tard, sur un corner mal négocié par la défense Brésilenne, le ballon retombe dans les pieds de Rossi. Chirurgical ce soir là, il envoie la balle au fond des filets en une touche. Un triplé salvateur pour une Italie dominée mais qui, aussi grâce à un Dino Zoff très inspiré en fin de match, arrache sa qualification. Presque à lui tout seul, Rossi a réussi l’exploit de faire tomber LE Brésil version Zico et Socrates. Et ce n’est que le début.
Au Camp Nou, la Squadra Azzura retrouve en demi-finale la Pologne qu’elle avait quittée sur un triste 0-0 en phase de poule. En début de match, on sent un Rossi très impliqué, qui prend sur certaines séquences un rôle de numéro 10, décrochant bas et distillant des balles de buts à ses coéquipiers, comme pour Graziani au bout de 20 minutes de jeu, qui manque le cadre. Mais c’est une nouvelle fois en tant que renard des surfaces qu’il se montre décisif : à la 22ème minute, personne ne peut reprendre le coup-franc brossé par Antognoni si ce n’est Rossi au second poteau qui va ouvrir le score du plat du pied. De là, les joueurs d’Enzo Bearzot vont complètement fermer le match, cherchant à endormir des Polonais qui avaient déjà enfilés leurs pyjamas, et Rossi doit se contenter de défendre ou de longs ballons peu exploitables. Mais Pablito semble transformé, et il lui suffit de peu pour créer le danger. À la 73ème minute, sur le seul bon ballon qu’il reçoit et alors que son compère d’attaque Graziani vient de sortir sur civière, Rossi propulse de la tête un centre parfaitement ajusté de l’Interiste Alessandro Altobelli pour tuer le match. 2-0 et aucune réaction en face, Rossi enchaîne 5 buts en 2 matchs et les portes de la finale s’ouvrent pour l’Italie. Le même jour à Séville, la République Fédérale d’Allemagne élimine cruellement l’équipe de France et prend le deuxième billet disponible pour la finale à Santiago Bernabeu.
Le début de match Italien est alors loin d’être parfait : dès la dixième minute Graziani, déjà touché contre la Pologne, doit céder sa place dès la 10ème minute et l’Italie ne parvient pas à sortir de son camp. Mais à la 26ème minute, l’inévitable Bruno Conti obtient un pénalty dont se chargera Cabrini… qui ne trouvera pas le cadre. Rossi passe alors une bonne partie de la première mi-temps dans son propre camp, attendant des opportunités de contres et rentrera bredouille aux vestiaires. Mais la deuxième mi-temps lui est bien plus souriante : à la 57ème sur un bon centre de Claudio Gentile il ouvre le score d’une tête plongeante pleine de rage. L’Allemagne est alors obligée de se découvrir et libère des espaces. Paolo Rossi est dans tous les bons coups, il s’implique dans chaque offensive italienne, notamment dans celle parfaitement menée par la Squadra Azzura à la 69ème qui amène le second but italien grâce à une frappe imparable de Tardelli, trouvé en retrait par Gaetano Scirea. Douze minutes plus tard Bruno Conti achève une Allemagne qui prend l’eau en transition en distillant un centre parfait pour Altobelli, qui crochète Harald Schumacher et pousse la ballon au fond des filets. Si Paul Breitner réduit le score dans la foulée, l’écart est trop grand et l’Italie s’offre une troisième Coupe du Monde.
Au coup de sifflet final, Paolo Rossi peut d’autant plus exulter qu’il finit meilleur buteur avec 6 réalisations et est sacré meilleur joueur de la compétition. Quelques mois plus tard, près de 3 ans après l’affaire du Totonero, il reçoit le Graal du footballeur, le Ballon d’Or, récompensant une Coupe du Monde surréaliste, entamée de la pire des manières et conclue majestueusement. Si Bruno Conti ou Dino Zoff ont joué parfaitement leur rôle, c’est bien Pablito qui, grâce à son histoire si singulière mais surtout à son talent, s’affirme comme le visage d’une Italie que personne n’attendait sur le toit du Monde. Surtout, il a probablement marqué l’histoire du football car plus de 35 ans après ses exploits, il semble difficile de citer un joueur ayant autant dominé une phase à élimination directe de Coupe du Monde que Paolo Rossi en 1982.
Crédits photos : Iconsport
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