Chili 1962, l’équipe qui était à deux doigts | OneFootball

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Derniers Défenseurs

·14 novembre 2021

Chili 1962, l’équipe qui était à deux doigts

Image de l'article :Chili 1962, l’équipe qui était à deux doigts

En cette année 1962, la Coupe du Monde de la FIFA pose ses valises au Chili pour la 7e édition de la compétition. Le pays hôte ne fait pas partie des favoris. Mais portée par un public survolté dans un pays meurtri, La Roja va réaliser la plus belle performance de son histoire dans un mondial. Retour sur une épopée.

Valdivia, 15h11 le dimanche 22 mai 1960. Un peu moins de 4 ans après la désignation du Chili comme pays hôte de la prochaine Coupe du Monde, la ville est en effervescence. La capitale de la région de Los Ríos est en effet l’une des villes qui doit accueillir des rencontres de la plus importante compétition internationale de football. C’est alors que tout bascule.


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Entre 15h11 et 15h21, tout le Sud du Chili bascule dans l’horreur. Dix minutes interminables pendant lesquelles la terre va trembler sans discontinuer avec une puissance inégalée. 9,5 sur l’échelle de Richter. Le tremblement de terre le plus violent jamais enregistré par l’homme. Dans la foulée, un gigantesque tsunami parcourt tout le Pacifique, au point de provoquer des vagues de 10 mètres jusqu’aux côtes japonaises.

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Une rue de Valdivia, dévastée suite au tremblement de terre et au tsunami

Le bilan est dramatique. Près de 2000 morts ou disparus. À Valdivia, environ 40 % de la ville est détruite. Dans un pays fragile économiquement, traumatisé par la plus grande catastrophe naturelle de son histoire, l’organisation de la Coupe du Monde semble désormais bien futile. La compétition aura pourtant bien lieu. Galvanisés par un désir de retrouver la joie et l’insouciance, les Chiliens tournent désormais leurs espoirs vers leur équipe nationale.

“Le mondial se fera au Chili, quoiqu’il arrive”

Ces mots du président de la République Jorge Alessandri, reflètent bien la détermination du Chili à vouloir tourner la page de l’horreur. Organiser une Coupe du Monde est donc un premier défi. Face aux problèmes matériels provoqués par le tremblement de terre, la fédération chilienne négocie avec la FIFA une aide de 20 000 dollars afin de restaurer et moderniser les infrastructures restantes. Seuls quatre stades sont maintenus, tous dans la moitié nord du Chili.

L’État et la Fédération ont fait leur part du travail pour que le mondial puisse avoir lieu. À présent, la balle est dans le camp des joueurs et du sélectionneur Fernando Riera. Pourtant, peu de monde attend le Chili aux avants-postes de ce mondial. Cela n’est alors que la troisième participation du pays longiligne, et les deux premières (1930 et 1950) se sont soldées par des échecs cuisants dès le premier tour. En Copa América, les résultats ne sont guère plus réjouissants. Après deux deuxièmes places en 1955 et 1956 (la Copa se jouait alors en format championnat, ndlr), La Roja reste sur deux gros échecs avec une 6e place en 1957 et une 5e place en 1959.

Mais l’espoir est là ! Le Chili joue à domicile et va être porté par un public désireux de vivre des moments d’allégresse et de communion nationale. Carlos Dittborn Pinto, alors délégué du Chili auprès de la FIFA, résumait la situation nationale en ces mots passés à la postérité :

« Puisque nous n’avons plus rien, nous voulons tout réaliser »Carlos Dittborn, au congrès de la FIFA 1962

Le Chili hérite d’un groupe très difficile. Dans le Groupe 2 aux côtés de la Suisse, de l’Italie et de la RFA, La Roja ne fait pas figure de favori pour se qualifier en phase finale. Au-delà de la qualité des équipes adverses, il faut aussi souligner l’inexpérience internationale du groupe chilien. Tous les joueurs disputent alors leur première Coupe du Monde, voire leur première compétition internationale pour beaucoup d’entre eux. De plus, l’entièreté de l’effectif jouait alors dans le championnat national, qui était déjà en dessous du niveau des championnats brésilien et argentin. Un manque de talent et d’expérience ? Qu’importe. Le Chili jouera son mondial avec ses armes, aussi polémiques soient-elles.

La bataille de Santiago

L’aventure aurait pu très mal commencer. Le match d’ouverture opposant le pays hôte à la Suisse dans un Estadio Nacional bondé doit être une formalité pour espérer se qualifier par la suite. C’est pourtant la Suisse qui ouvre le score par l’intermédiaire du milieu de terrain Rolf Wuethrich dès la 6e minute. Stupeur. Touchés, mais pas sonnés, les chiliens se révoltent, menés par leur attaquant Leonel Sánchez. Ce dernier égalise juste avant la mi-temps avant d’inscrire un doublé à la 51e et mettre le Chili sur de bons rails. Jaime Ramírez viendra parfaire la victoire des locaux. 3-1, la première étape est achevée, sans pour autant convaincre.

Vient alors la deuxième rencontre et celle qui doit être la plus décisive. Le 2 juin au Nacional, le Chili reçoit l’Italie. Le contexte d’avant-match est on ne peut plus détestable. Dans les jours qui précédent la rencontre, la presse italienne se déchaîne contre le Chili en tant que pays. Les journalistes d’Il Resto del Carlino (journal de Bologne) parlent ainsi d’une « capitale d’une infinie tristesse », continuant avec des mots d’une extrême violence :

«  [Santiago] est le symbole d’un des pays les plus sous-développés au monde affligé par tous les maux possibles : malnutrition, prostitution, analphabétisme, alcoolisme et misère… »Extrait de l’article d’Il Resto del Carlino

Les journalistes italiens concernés sont alors priés par les autorités locales de faire leurs valises et de rentrer en Europe. Un climat de défiance s’installe entre les transalpins présents et les chiliens, tournant à la haine. Un contexte néfaste qui va accoucher d’un des matchs les plus violents et controversés de l’histoire du football.

Le match commence, dès la 12e seconde de jeu, l’arbitre anglais Ken Aston siffle une première faute, la première d’une longue série. À la 7e minute, l’attaquant Giorgio Ferrini est expulsé (le carton rouge n’arrivera pourtant que lors de la Coupe du Monde 1966, ndlr) après avoir donné un coup de pied au chilien Honorino Landa. Refusant catégoriquement de quitter le terrain, le joueur de la Squaddra est interpelé par les Carabineros (équivalent de la gendarmerie au Chili).

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Mario David est expulsé par M. Aston. Tandis que Sánchez reste au sol

À la 38e minute, le match vire au grotesque. Alors que Leonel Sánchez est stoppé par le défenseur Mario David, ce dernier donne plusieurs coups de pied au chilien encore au sol. Furieux, l’attaquant se relève et lui assène un violent crochet du gauche, lui brisant le nez. Dans la minute qui suit, Mario David avec le visage ensanglanté se « venge » en donnant un coup de pied aérien près du cou de Leonel Sánchez qui restera inconscient plusieurs minutes. Deuxième expulsion côté italien dans un match devenu incontrôlable.

En large supériorité numérique, le Chili fini par s’imposer 2-0 en fin de rencontre. L’inévitable Sánchez ouvre le score à la 74e avant que Jorge Toro ne vienne clore le match avec un bijou des 30 mètres. Le Chili se qualifie pour la phase finale de sa Coupe du Monde. Tout en se faisant justice face à l’affront italien. Si l’image du pays hôte et du mondial est particulièrement écornée à l’internationale, les spectateurs s’en moquent.

Mais comme une forme de retour à la réalité, il n’y aura pas de nouveau miracle face à la RFA. Dominé, le Chili fini par s’incliner 2-0. Cette deuxième place fait que le Chili devra affronter un monstre en quart de finale. Mais l’histoire est en marche.

L’armée rouge

Le 10 juin 1962, dans la ville de l’extrême nord de l’Atacama, Arica, le Chili a rendez-vous avec son destin. Dire que les locaux font figure d’outsider est un bel euphémisme. Leur adversaire n’est autre que l’Union Soviétique, vue comme co-favorite avec le Brésil de cette Coupe du Monde.

L’URSS arrive en effet sur les bords du Pacifique en tant que championne d’Europe en titre. Ils comptent dans leur effectif des joueurs considérés comme faisant partie des meilleurs au monde. À commencer par « l’araignée noire » Lev Yachin, meilleur gardien de la Coupe d’Europe 1960. Emmenés par le capitaine Igor Netto, maître à jouer du Spartak Moscou, la délégation soviétique compte aussi les champions ukrainiens du Dynamo Kiev, ainsi que plusieurs médaillés d’or des Jeux Olympiques de Melbourne en 1956.

Malgré l’hiver qui approche, il fait très chaud à Arica. Il fait aussi chaud dans les tribunes, où 18 000 chiliens donnent de la voix dans le plus petit stade du mondial. La Roja semble arriver sur la pelouse sans pression aucune, libérée du premier poids que représentait la qualification pour la phase finale. La pression n’est pas de leur côté, et cela va vite se faire sentir.

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Yachin ne peut que constater les dégâts. Leonel Sánchez vient de mettre l’un des plus beaux buts de la Coupe du Monde 1962

Dix minutes ont passé depuis le coup d’envoi et le Chili est bien plus conquérant que son rival. Maître du ballon et lançant offensive sur offensive, le quatuor d’attaquants Sánchez-Tobar-Landa-Ramírez met une pression folle sur la défense soviétique. C’est alors que Tobar est fauché à l’entrée gauche de la surface de réparation. Leonel Sánchez place le ballon et fusille Yachin d’un léger extérieur du gauche sous la barre. Le plus beau but de Sánchez dans cette Coupe du Monde.

Malgré l’égalisation soviétique à la 26e minute grâce à Chislenko, rien ne semble pouvoir arrêter La Roja. Symbole d’une décontraction totale, Rojas dégaine en toute décontraction un missile du droit qui termine dans le petit filet gauche de Yachin. Moins de deux minutes après le but soviétique, le Chili reprend les devants, jusqu’à la fin.

La maîtrise chilienne est impressionnante. Malgré un milieu à deux, les chiliens privent totalement leurs adversaires de ballon. Aidés par les nombreux retours des offensifs dans le cœur du jeu. Le score aurait pu s’aggraver encore, mais le dernier rempart de l’URSS multipliera les parades pour maintenir son équipe en vie. Mais l’essentiel est là. Le Chili se qualifie pour le dernier carré de sa Coupe du Monde. Dès lors, au vu de la décontraction affichée, tout semble possible.

La naissance d’une bête noire

Dans les heures qui précèdent la demi-finale, qui va opposer le Chili au champion du monde en titre, tous les espoirs sont permis. Certes le Brésil reste sur une démonstration de force lors de la dernière Coupe du Monde en Suède, mais le roi Pelé est blessé. Sans son leader offensif, le Brésil est vu comme plus faible offensivement. L’attaque chilienne ayant montré de très belles choses depuis le début de la compétition, c’est avec une grande ambition que les 70 000 spectateurs de l’Estadio Nacional accueillent leurs héros ce 13 juin 1962.

Un Brésil handicapé par l’absence de Pelé ? C’est pourtant un artiste ayant une jambe plus courte que l’autre qui mettra fin brutalement aux espoirs de finale des chiliens. Si le roi n’est pas là, le prince Garrincha se mue en chef-d’orchestre d’une Seleção qui n’a en rien perdu de sa superbe.

Le Brésil domine, mène, et ne sera jamais rattrapé. Pourtant le Chili va jeter toutes ses forces dans la bataille. Emmenés de nouveau par un magnifique Leonel Sánchez, le Chili revient par deux fois à un but des brésiliens. Jorge Luís Toro juste avant la mi-temps (2-1) et l’inévitable Sánchez sur penalty à la 61e (3-2). Mais que faire face à un Garrincha et un Vavá touchés par la grâce ? Chacun des deux attaquants, auteur d’un doublé, assomment les chiliens.

Il n’y aura donc pas de nouveau miracle. Le Chili est battu aux portes de sa finale. Une défaite qui inaugure la série de revers infligés par le voisin brésilien en Coupe du Monde. La malédiction des huitièmes de finale contre les Auriverde qui sortiront le Chili en 1998 (4-1), 2010 (3-0) et 2014 (1-1, 3-2 aux tirs au but).

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Emmenés par un Garrincha au sommet de son art, les brésiliens priveront le Chili d’une finale à domicile

Battus, mais loin d’être abattus. Au-delà du parcours qui est déjà un premier exploit, le jeu chilien a totalement évolué pendant la compétition. Terminé la savate de la phase de groupe. Face à l’URSS et au Brésil, le Chili propose un jeu offensif et séduisant. À l’image de l’hymne de la Coupe du Monde, « El rock del Mundial » (Le rock de la Coupe du Monde) interprété par le groupe Los Ramblers, La Roja fait bouger ses adversaires et a conquis le cœur de son public. Une si belle aventure ne peut pas s’arrêter là.

Pour entrer dans la légende

Nombreuses seraient les équipes frustrées à l’idée de disputer un match pour une troisième place. Et pourtant, ce match opposant le Chili à la Yougoslavie a de véritables airs de finale. Plus de 60 000 spectateurs se sont donné de nouveaux rendez-vous au Nacional. Dans une ambiance encore plus survoltée que pour la demi-finale.

Si ce dernier match ne brillera pas autant que les deux précédents en terme de qualité de jeu, sa dramaturgie le fera entrer dans l’histoire du football chilien. Alors que les deux équipes se sont rendu coup pour coup et semblent exténuées, on se dirige doucement vers un 0-0 et un match à rejouer.

Dans un dernier effort, le capitaine du jour Jorge Toro mène alors une offensive en partant depuis sa surface de réparation. Une fois franchie la ligne médiane, il glisse le ballon à Eladio Rojas. Ce dernier tente alors sa chance hors de la surface de réparation. Une frappe à ras de terre, presque inoffensive. Mais Šoškić, le gardien yougoslave est masqué par ses propres défenseurs. Pris à contre-pied, il ne peut empêcher le ballon de franchir la ligne. Dans les derniers instant, le Chili vient de s’imposer et de grimper à la troisième place du podium de sa Coupe du Monde.

Le stade exulte, une partie du public et des photographes rentrent sur la pelouse. Dans la confusion l’arbitre siffle la fin de la rencontre. La Roja peut fêter son triomphe en faisant un grand tour de stade sous des applaudissements nourris. Le Chili vient de terminer troisième d’une compétition qui a bien failli ne pas avoir lieu. Le public célèbre partout dans le pays ce moment de joie. Qui succède aux difficultés traversées dans les deux années qui ont suivi le tremblement de terre.

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Leonel Sánchez aura donc attendu 53 ans pour trouver des successeurs à la première “génération dorée” du football chilien

Les joueurs de cette Roja deviennent des légendes. Des légendes qui vont peiner à trouver des successeurs. Alors que les acteurs de l’épopée rejoignent le ciel les uns après les autres, Leonel Sánchez, meilleur joueur et meilleur buteur de l’équipe en 1962, faisait ce vœu pieux lors d’un documentaire en 2002 :

« Cette 3e place en 1962 semble être comme une barrière qu’il faut surpasser. Ça doit être une barrière qui, avec du sacrifice, de l’effort et de l’humilité, peut être franchie. En tant que chilien, je serai ravi qu’une génération fasse cet effort. Pour ressentir la satisfaction et la fierté que nous avons tous ressenties alors »Leonel Sánchez dans “La Gran Hazaña del 62” (2002)

Un vœu qui sera exaucé plus de 50 ans après. Quand le Chili gagnera ses premiers titres, et trouvera enfin en Alexís Sánchez ou Arturo Vidal les dignes successeurs de Leonel Sánchez ou Eladio Rojas. Mais cette équipe de 1962 reste encore aujourd’hui celle qui a réalisé la meilleure performance en Coupe du Monde pour le Chili. Cette équipe, qui était à deux doigts de la remporter.

Crédits Photos : La Roja / OurPrint.com / FIFA / Estadio / AP / Universidad de Chile

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