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·4 décembre 2019

Berlin : Une ville, deux pays, trois histoires

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Le 2 novembre 2019 a eu lieu un événement marquant dans l’histoire du football allemand et de la ville de Berlin. Pour la première fois, deux clubs des deux parties de Berlin s’affrontaient au plus haut niveau, à une semaine des 30 ans de la chute du mur. L’histoire de Berlin au XXème siècle est un condensé de l’histoire de l’Allemagne de la même période. Il en va de même sur le plan footballistique avec trois clubs aux parcours et histoires très différents qui nous en disent beaucoup sur le passé d’un pays qui a longtemps été divisé et tente aujourd’hui de recoller les morceaux.

Pour commencer, un bref rappel du contexte historique s’impose. Après la Seconde Guerre mondiale et la défaite du IIIème Reich en 1945, l’Allemagne est alors occupée par les Alliés. Le pays et Berlin sont partagés en 4 zones, chacune contrôlées par les puissances victorieuses (URSS, Etats-Unis, Royaume-Uni et France). De nombreux plans sont alors proposés pour une nouvelle Allemagne, dont le plan Morgenthau (du nom du secrétaire au Trésor américain dans les années 1940) qui prévoit de diviser le pays en deux Etats indépendants au Nord et au Sud, afin de neutraliser sa puissance et d’empêcher l’Allemagne de déclencher une nouvelle guerre. Si les Américains, les Britanniques et les Français trouvent un accord pour unifier leurs zones sur le plan économique, l’Union Soviétique refuse de son côté tout accord d’union économique et amorce donc déjà la séparation de l’Est de l’Allemagne qu’elle contrôle, du reste du pays. On voit alors la création de deux Etats, avec à l’Ouest la RFA (République Fédérale d’Allemagne, qui regroupe toutes les zones d’occupation américaines, britanniques et françaises) et à l’Est la RDA (République Démocratique Allemande, qui englobe toute la zone d’occupation soviétique) en 1949.


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Dès sa création, l’Allemagne de l’Ouest bénéficie du plan Marshall et renoue rapidement avec la croissance à la différence de l’Allemagne de l’Est qui peine à relancer son économie. Cette disparité économique mais aussi idéologique entre une RFA capitaliste et une RDA communiste conduit alors à un exode massif vers l’ouest. Dès 1952, la RDA tente de contrôler cet exode migratoire et ferme sa frontière avec la RFA avec son « régime spécial » qui officiellement servait à bloquer les « espions, les divisionnistes, les terroristes et les contrebandiers ».

Le rideau de fer, d’après une représentation métaphorique de Winston Churchill pour marquer la limite entre les deux systèmes idéologiques, prend alors une forme physique. La frontière à Berlin, bien que renforcée demeure cependant ouverte et devient alors le passage principal pour les émigrés est-allemands vers l’Ouest. C’est cet exode qui va conduire à la création du mur de Berlin en 1961. On estime ainsi que près de 3,5 millions d’est-allemands émigrent vers l’ouest entre 1949 et 1961 et ce principalement via Berlin.

Sur le plan footballistique, cette division va se marquer par le maintient des championnats régionaux en RFA jusqu’en 1963 et la création de la Bundesliga ; alors que dès 1949, la RDA fonde la DDR Fußball-Verband (Fédération Football de la RDA) et DDR-Oberliga (Deutsche Demokratische Republik Oberliga, le championnat est-allemand de football).

La vieille Dame

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Au moment de la création de la Bundesliga, le Hertha BSC est champion en titre de Berlin Ouest et fait donc partie des membres fondateurs de la Bundesliga.

Le club est fondé en 1892 et tire son nom et ses couleurs d’un bateau à vapeur à la cheminée bleue et blanche. Le club connait de nombreux succès dès l’entre deux guerres et est même le deuxième club le plus titré de la période en Allemagne après le 1. FC Nuremberg avec deux titres en 1930 et 1931 après 4 finales consécutives perdues.

Après la Seconde Guerre mondiale, le club demeure très populaire auprès des Ouest-allemands et Est-allemands et garde un certain succès avec 3 titres en Oberliga Berlin en 1957, 1961 et 1963. La construction du mur de Berlin apporte cependant de nombreuses complications pour un certain nombre de ses fans à l’Est qui dès lors ne peuvent plus se rendre au stade. Ceux-ci se pressèrent alors contre le mur et applaudissaient lorsque la foule s’exclamait. Ceci vaudra cependant à un certain nombre d’entre eux des soucis avec la Stasi (la police d’Etat en RDA), causant confiscations de passeports, pertes d’emplois et interrogatoires.

Les deux premières saisons du Hertha BSC verront le club se maintenir en Bundesliga mais lors de la saison 1964-1965, le club sera relégué en raison d’un scandale de corruption des joueurs. Ces derniers ne voulant pas jouer dans une ville enclavée en RDA, et à la situation politique instable, le club s’est retrouvé à payer des primes illégales aux joueurs afin de les convaincre de jouer à Berlin. Le scandale va profondément gêner la DFB (Fédération allemande de football) qui, pour des raisons politiques, souhaite maintenir une équipe à Berlin, fondée avant la division des deux Allemagnes.  Dans la compétition qui eut lieu pour la promotion à la Bundesliga, le Tennis Borussia Berlin a terminé en bas de son groupe et ne pouvait donc pas être considéré pour la promotion devant ces clubs. La DFB se tourne alors vers le Spandauer SV, qui avait terminé deuxième de la Regionalliga Berlin, avec une offre de promotion que le club a refusée. Tasmanie 1900 Berlin, troisième de Regionalliga Berlin et champion de la saison précédente, fut alors approché et accepta de rejoindre la Bundesliga pour la saison 1965-1966.

Cela conduit à des objections du Karlsruher SC et FC Schalke 04, qui alors relégués, estimèrent qu’ils avaient une meilleure revendication à la place ouverte par la relégation du Hertha que n’importe lequel des clubs basés à Berlin de Regionalliga. Pour apaiser ces clubs, la Bundesliga a été élargie de 16 à 18 clubs la saison suivante et les deux équipes ont maintenu leur place dans la compétition de première division. Quant à l’équipe de Tasmanie surclassée, leur seule saison au haut niveau a été la pire saison de l’histoire de la Bundesliga, établissant des records de médiocrité qui tiennent encore aujourd’hui.

En réponse aux problèmes économiques sous-jacents, la DFB n’a apporté qu’une réponse symbolique, en relevant les limites sur les frais de transfert et les salaires des joueurs, mais pas assez pour faire de la Bundesliga une ligue véritablement professionnelle et compétitive dans le contexte européen plus large. Cela a jeté les bases d’un deuxième scandale similaire à peine six ans plus tard.

En dépit des scandales, « die Alte Dame » (ndlr, la Vieille Dame, comme la Juventus) revient en 1968-1969 en Bundesliga et s’impose alors comme le club le plus populaire de Berlin. Le club connait alors un certain succès durant les années 1970 malgré un nouveau scandale en 1971. Il parvient en effet à finir 2ème au classement en 1975 puis 3ème en 1978, ainsi qu’à atteindre la finale de la DFB Pokal en 1977 et 1979.

Les années 1980 sont plus difficiles et voient le club relégué en Regionalliga (3ème division) en 1986 avant de revenir en 2. Bundesliga (2ème division) en 1988 puis de remonter dans l’élite en 1990.

Le 1. FC Union Berlin et le BFC Dynamo

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Si les deux clubs sont officiellement créés dans le cadre de la restructuration du Football en RDA, l’Union est en fait fondé en 1906 sous le nom du SC Olympia 06 Oberschöneweide. Ce dernier connait un certain succès avec une place de deuxième au plus haut niveau en 1923, ainsi que 4 titres de champion de Berlin en 1920, 1923, 1940, et 1948.

Le BFC Dynamo, quant à lui, est en fait initialement une entité du SV Dynamo, l’association sportive de la Stasi qui fait alors scission de l’association pour entrer en DDR-Oberliga mais reste propriété du SV Dynamo, ce qui lui vaudra d’être relativement peu populaire malgré les succès sportifs.

Si la DDR-Oberliga se restructure en 1966 c’est parce que les clubs de RDA ne sont pas au niveau sur le plan international et c’est pourquoi un certain nombre de clubs sont créées ou restructurés comme le l’Union Berlin, le BFC Dynamo, le Hansa Rostock, Magdeburg, Carl Zeiss Jena, …etc.

Le championnat est gangrené par la corruption et c’est souvent l’équipe ayant les faveurs du régime locale qui gagne le championnat. Le BFC Dynamo étant le club de la police d’Etat, celui-ci va gagner 10 titres de suite entre 1979 et 1988 avec en tribune d’honneur, les officiers de la sécurité d’État avec leurs enfants, comme Erich Mielke, ministre de la Stasi et président du Berliner Fussball Club Dynamo.

L’Union lui, soutenu par la modeste union des syndicats de Berlin est l’équipe du prolétariat à Berlin. Ses supporters détestent le tout puissant Dynamo, financé par la Stasi et son chef Erich Mielke. C’est le club qui tient tête à la Stasi, au régime communiste. Lors des derbys, lorsque le Dynamo accueille l’Union au Jahn-Sportpark, avec le Mur de Berlin juste derrière la tribune Nord, le kop des locaux, les supporters de l’Union scandent «  Die Mauer muss weg ! die Mauer muss weg!  » (visez le mur ! Visez le mur !) quand un coup franc est sifflé pour l’Union et que se forme le mur des joueurs.

L’Union n’est pas un club comme les autres en RDA. Celui-ci s’oppose ouvertement au régime et offre à ses supporters un espace de liberté où ils peuvent s’exprimer dans l’Alte Försterei (l’ancienne maison forestière), le stade des Eiserne (les hommes de fer, en référence à l’origine ouvrière des membres et supporters du club). En effet, il est compliqué pour les agents de la Stasi de localiser ou d’identifier un individu dans une foule complice.

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De l’amitié à la rivalité

Les supporters ouest-allemands étant autorisés à passer à l’Est, nombre d’entre eux avaient l’habitude d’assister à des matchs l’Alte Försterei, ce qui renforça la réputation du stade comme un lieu de dissidence contre l’Etat est-allemand.

Les supporters de l’Union le leur rendaient bien en se déplaçant lors des matchs de l’Hertha en Europe de l’Est, notamment à Prague en quart de finale de la Coupe de l’UEFA 1979, où près de 15.000 supporters des deux parties de Berlin assistèrent au match.

Malgré la chute du mur en 1989, l’amitié et la solidarité entre les supporters de deux clubs demeurent intactes. Deux jours seulement après la chute, le 11 novembre 1989, le Hertha réceptionne alors Wattenscheid en 2. Bundesliga. Pour l’occasion, les supporters est-allemands sont accueillis gratuitement, et on note près de 44.000 supporters dans l’Olympiastadion de Berlin alors que le stade accueillait en moyenne près de 10.000 supporters seulement.

A peine quelques semaines plus tard, le Hertha BSC affronte l’Union Berlin ce qui constitue une première en 28 ans. On estime que près de 51.000 personnes assistèrent à la rencontre bien que ce chiffre soit contesté par certains, estimant qu’il est sous-évalué. Un prix fixe symbolique unique de 5 marks est fixé aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest pour la rencontre qui fêtait alors la réunification de toute une ville. Supporters et spectateurs des deux camps se prenaient dans les bras, chantaient ensemble et nombre d’entre eux se lièrent d’une nouvelle amitié auparavant impossible.

Le BFC Dynamo, quant à lui, cherche à rompre tout lien avec la Stasi et est renommé FC Berlin entre 1991 et 1999 mais les difficultés économiques et les piètres performances sportives entraînent sa chute rapide jusqu’en cinquième division, avant de revenir en 4ème division.

L’Union rencontre lui aussi des difficultés financières conséquentes qui affectent aussi ses performances sportives. Le club connaît alors une lente descente aux enfers jonglant entre la Regionalliga (3ème division) et 2. Bundesliga jusqu’en 2004 où le club se voit relégué en Oberliga (4ème division). Paradoxalement, la période est aussi l’une des plus fastes de l’histoire du club avec une finale de coupe d’Allemagne perdue aux tirs au but contre le Borussia Mönchengladbach en 2001. La défaite leur permet néanmoins de se qualifier pour les tours préliminaires de la Coupe UEFA de l’année suivante, une première pour un club allemand de Regionalliga. Le club devient aussi le tout premier champion de la 3. Bundesliga en 2009 (repoussant au passage la Regionalliga en 4ème division et l’Oberliga en 5ème division). Il accède alors à la 2. Bundesliga, et parvient à s’y maintenir durant une décennie.

La saison 2018-2019 voit alors les Unioner être l’équipe avec la plus longue série d’invincibilité du football professionnel allemand avec 17 matchs consécutifs sans défaite, ce qui lui permet d’obtenir la 3ème place du championnat et un barrage pour l’accès à la 1. Bundesliga contre le VfB Stuttgart que le club gagne grâce aux buts à inscrits à l’extérieur (2-2 à Stuttgart puis 0-0 à Berlin).

Comme un signe du destin, cette promotion permet à l’équipe d’intégrer le plus haut niveau allemand à temps pour les 30 ans de la chute du mur. Hasard du calendrier ou non, l’Union affronte, de plus, le Hertha, le 2 novembre 2019, soit une semaine avant les 30 ans de la chute du mur de Berlin. En 30 ans cependant, de l’eau a coulé sous les ponts et les disparités économiques entre Ouest et Est ont créé une identité distincte opposant les deux clubs. Le Hertha BSC est vu comme le club des puissants, des riches, à l’Ouest, basé dans un quartier qui a abrité la demeure de nombreux dirigeants prussiens. C’est aussi le club jouant à l’Olympiastadion, immense stade Olympique de près de 75.000 places construit pour les jeux Olympiques de 1936 à Berlin. A contrario, le FC Union est vu comme un club ouvrier, basé dans le quartier industriel de Oberschöneweide à l’Est de la ville, dans un stade bien plus petit avec près de 22.000 places et rénové en janvier 2007 par les supporters de l’Union alors que ce dernier traversait des difficultés financières. Une lutte des classes en somme qui n’est pas sans rappeler les différences idéologiques opposant RDA et RFA lors de la seconde moitié du XXème siècle.

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La réunification des deux Allemagnes a amplifié ces inégalités, causant un exode massif vers l’Ouest et notamment parmi les meilleurs footballeurs allemands. Le passage à une économie de marché a aussi forcé les clubs d’Allemagne de l’Est à devoir batailler contre les clubs aussi bien sportivement qu’économiquement, mais la faiblesse de l’économie de l’ex-RDA n’a pas permis à ces clubs de trouver des sources de revenu durables, que ce soit à travers les sponsors ou la billetterie. Ces phénomènes sont d’autant plus visibles à Berlin où le Dynamo BFC, qui restait sur 10 titres consécutifs avant la chute du mur, s’est retrouvé en à peine cinq ans en 5ème division du fait de ces difficultés. L’Union qui a aussi connu des difficultés s’en est mieux sorti, notamment grâce à son immense popularité auprès des communautés ouvrières de la ville. Le Hertha, de son côté, est toujours resté plus prospère malgré des hauts et des bas sur le plan sportif. Ces différences font, qu’aujourd’hui, les rencontres entre ouest et est sont souvent le lieu de rivalités, parfois de tensions, et démontrent que même si le mur est tombé il y près de 30 ans, disparités et inégalités subsistent. La réunification n’est peut-être alors pas un acquis, mais un processus pour lequel il reste important d’œuvrer.

Crédits photo: Iconsport

Sources:

  • Site du Hertha BSC
  • Site du FC Union Berlin
  • Site du BFC Dynamo
  • Fuẞballmeister – Union Berlin – Hertha BSC : De l’amitié à la rivalité
  • Sofoot – Désunion Berlin
  • Eurosport – Union – Hertha, le derby de l’unité
  • La Croix – Union-Hertha: un derby à l’ombre du Mur de Berlin
  • Tifo Football Youtube – Punks, Skinheads & Dissidents: A History of Union Berlin
  • Bundesliga Youtube – The Battle for Berlin – Union vs. Hertha Berlin 
  • FranceTV Info – Pourquoi le FC Union Berlin est le club le plus mythique d’Allemagne
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