Awer Mabil et Tokmac Nguen, d’un camp de réfugiés au Kenya à la Ligue des champions | OneFootball

Awer Mabil et Tokmac Nguen, d’un camp de réfugiés au Kenya à la Ligue des champions | OneFootball

Icon: La Grinta

La Grinta

·16 octobre 2020

Awer Mabil et Tokmac Nguen, d’un camp de réfugiés au Kenya à la Ligue des champions

Image de l'article :Awer Mabil et Tokmac Nguen, d’un camp de réfugiés au Kenya à la Ligue des champions

Pour tout jeune footballeur, disputer la Ligue des champions est un rêve souvent inatteignable. Les probabilités sont encore plus réduites lorsque vous naissez dans l’un des plus grands camps de réfugiés au monde, au coeur de l’Afrique. Et pourtant, mardi 20 et mercredi 21 octobre, face au FC Barcelone et à l’Atalanta, deux garçons issus de ce camp vont pouvoir dévoiler leur talent à la face du monde. Tout en permettant à d’autres enfants de continuer à rêver.

Mabil, Kakuma jusqu’aux pieds

Pour Awer Mabil, le chemin a été très long du camp de Kakuma au Kenya jusqu’aux pelouses européennes. Kakuma ? Littéralement « nulle part » en swahili. Un lieu devenu le refuge de plusieurs centaines de milliers de personnes depuis 1992. Lors du dernier recensement effectué en juin, ils étaient encore 196 000 à vivre à Kakuma. En plus de 25 ans, le camp a priori temporaire s’est transformé en une ville réfléchie pour le moyen terme.


Vidéos OneFootball


Parmi cette population, les Sud-Soudanais forment l’une des communautés majoritaires. Les parents de Mabil en faisaient partie. Mais pour la plupart de ces réfugiés qui ont fui un changement de régime politique, une guerre, des tensions ethniques ou la misère, Kakuma ne peut être une finalité en soi. Le Canada, l’Europe ou l’Australie figurent généralement en tête de liste des destinations rêvées. Pour la famille d’Awer Mabil, ce sera l’Océanie qu’il rejoint à 11 ans.

Le ballon rond est un compagnon fidèle depuis qu’il a 5 ans et son talent sportif lui permet de s’intégrer en Australie. Le club d’Adelaide United le repère en 2012. À 17 ans, Mabil débute en A-League où son sens du dribble et ses capacités athlétiques ne passent pas inaperçus. Dès 2014, la fédération australienne met tout en oeuvre pour que l’ailier puisse jouer avec les Socceroos. Il rejoint les U20 puis gravit tous les échelons jusqu’à la sélection A. Mais le chemin ne s’arrête pas là pour lui.

En effet, si l’Australie a offert une seconde chance à sa famille, le jeune homme devine rapidement que son talent doit le forcer à un nouvel exil. À 19 ans, il découvre un troisième continent et rejoint Midtjylland. Après deux prêts au Danemark et au Portugal, l’enfant de Kakuma devient titulaire à Midtjylland. Il se révèle un élément clé de la campagne estivale triomphale du club danois. Contre les Young Boys de Berne, il marque et face au Slavia Prague, il délivre une passe décisive. Ces belles performances lui permettent ainsi de continuer à écrire son histoire personnelle et de mettre en avant Kakuma sur les pelouses européennes, nom qu’il a inscrit sur ses chaussures.

Pour Mabil, ce n’est pas juste une facétie cosmétique. Sa démarche va bien au-delà. Dans le camp de Kakuma, les organisations non-gouvernementales sont très nombreuses à organiser la vie du camp et le domaine sportif n’est pas en reste. Parmi ces ONGs, on retrouve notamment la multiprimée Mathare Youth Sports Association ou encore Futbol Mas. Et puis il y a Barefoot to Boots. Cette organisation est née en Australie sous l’impulsion d’Awer Mabil. Le principe est simple : permettre aux enfants de Kakuma de jouer avec des chaussures de football alors que beaucoup s’amusent pieds nus. Cette ONG a ainsi mis en place plusieurs livraisons d’équipements sportifs de l’Australie vers le Kenya. Mabil a pu être présent pour certaines d’entre elles. Afin de redonner un peu à la communauté qui l’a vu grandir et de partager son histoire. Pour montrer également qu’un avenir plus doré est possible.

Nguen, le frérot Odegaard et le plaisir à Ferencvaros

Si l’avènement de Midjtylland en Ligue des champions était attendu à court ou moyen terme, le retour de Ferencvaros a sans doute été l’une des plus grandes sensations de cet été footballistique. Il faut dire que le champion d’Hongrie a dû éliminer de solides équipes comme le Celtic, le Dinamo Zagreb ou Molde pour rallier la phase de groupes de la C1. Pour l’équipe de Sergei Rebrov, le rêve a sans doute pris forme le 26 août au Celtic Park. Ce soir-là, Ferencvaros plie mais ne rompt pas et un certain Tokmac Nguen marque un but devenu historique.

Pour ce fils de réfugiés sud-soudanais, le chemin a été un peu plus direct. La Scandinavie devient sa nouvelle terre d’accueil alors qu’il n’a que cinq ans. Il débarque à Drammen et son amour du football le mène logiquement vers le grand club du coin : Stromsgodset. Là-bas, Tokmac Nguen franchit tous les paliers et se lie d’amitié avec le grand phénomène norvégien, Martin Odegaard.

Alors que tout est simple pour ce dernier qui est rapidement annoncé comme un futur grand de la planète football, Nguen doit emprunter des chemins de traverse. Malgré quelques sélections chez les U18 et U19 norvégiens, il ne réussit pas vraiment à percer en Eliteserien. À 26 ans, il décide donc de tenter l’aventure en Hongrie où Ferencvaros l’accueille.

Même si la fédération hongroise lui colle un blâme lorsqu’il ose célébrer un but en dévoilant un message en soutien à George Floyd, Nguen découvre un pays et un club où il peut vraiment exprimer son talent. Grâce à ses performances, l’ancien réfugié permet à Ferencvaros de rejoindre la phase de groupes de Ligue des champions 25 ans après leur dernière apparition. Et certains journalistes en Norvège se sont étonnés de ne pas avoir vu son nom dans la dernière liste de Lärs Lagerback.

Un message d’espoir dans le camp

Cette saison, Nguen aura d’autres occasions de convaincre les sceptiques. Dans les prochaines semaines, Ferencvaros affrontera ainsi le Barça de Messi et la Juve de Cristiano Ronaldo alors que Mabil aura l’honneur d’évoluer face à Liverpool, l’Ajax et l’Atalanta.

Au camp de Kakuma, il ne fait aucun doute que ces matches seront scrutés avec attention et fierté. Ce fut déjà le cas en 2016 lors des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro. Lors de cette édition, alors que la crise des réfugiés devenait un sujet global, le CIO avait décidé de créer une « Team Refugees ». Quelques athlètes avaient ainsi été choisis dans le camp de Kakuma, principalement des coureurs de semi-fond et avaient pu participer à cette grande fête internationale.

Pour l’occasion, le CIO et l’UNHCR avaient fait installer un grand écran dans le camp afin que chacun puisse profiter des performances de ces cinq athlètes qu’ils côtoyaient au quotidien. L’objectif était double : permettre au monde entier de voir que ces réfugiés avaient de véritables talents si une main leur était tendue mais aussi donner de l’espoir au peuple de Kakuma qui peut avoir le sentiment d’être délaissé parfois.

Que ce soit ces athlètes, la mannequin Halima Aden ou nos deux footballeurs, tous les exemples positifs s’érigent en modèles permettant de garder espoir en un futur meilleur. De nombreux sportifs ont visité ce camp de Kakuma ces dernières années tels Nadia Amiri ou Mohamed Salah et le temps qu’ils ont passé au côté des réfugiés a été une belle expérience commune. Mais quand Awer Mabil ou Tokmac Nguen reviendront à leur tour après cette saison, ils seront forcément regardés différemment : ils ont commencé leurs vies dans ce camp et ont réussi à réaliser un rêve quasiment impossible. Certes, cela ne fera peut-être que nourrir plus d’illusions de lendemains qui chantent. Mais c’est important les illusions, surtout quand on n’a rien.

Crédit image : Iconsport

À propos de Publisher