Derniers Défenseurs
·29 mars 2022
Alex de Souza : pour l’amour de Fenerbahçe

In partnership with
Yahoo sportsDerniers Défenseurs
·29 mars 2022
Il est très difficile de faire l’unanimité en Turquie. Être apprécié de tous les supporters, peu importe son équipe, c’est pourtant l’exploit qu’a réalisé Alex de Souza. Devenu un joueur légendaire de Fenerbahçe, le joueur brésilien aujourd’hui retraité ne laisse personne indifférent.
“Un jour, un supporter de Galatasaray est venu devant ma maison avec des maillots de son club floqués à mon nom. Il m’a dit qu’il me respectait et voulait prendre une photo avec moi. Il a fini par dire qu’il me respectait beaucoup, bien que je sois son adversaire. C’était tout simplement incroyable.” Alex de Souza
Né le 14 février 1977 à Curitiba au Brésil, Alexsandro de Souza fait ses premiers pas dans le foot dans les catégories jeunes de sa ville natale. Il alterne entre le football et le futsal durant sa jeunesse. En 1995, il fait ses débuts en équipe première avec le Coritiba FC à l’âge de 18 ans. Il y joue 124 matchs en deux ans et rejoint Palmeiras en 1997. Le club le recrute pour combler le départ de Rivaldo ; la tâche s’annonce corsée. Alex s’en sort pourtant très bien. Il remporte plusieurs titres avec le doublé Coupe du Mercosur-Coupe du Brésil en 1998 et la Copa Libertadores en 1999.
Après deux expériences ratées au Flamengo et à Cruzeiro durant la saison 2000/01, Alex revient à Palmeiras mais repart presque aussitôt vers l’Italie, où il signe à Parme. Sa relation avec Cesare Prandelli s’avère très compliquée et Alex préfère revenir au pays. Il brille en 2003 avec le Cruzeiro où il est le leader de l’équipe qui remporte le championnat et la coupe. Il est élu ballon d’or brésilien la même année. Mais son envie de jouer en Europe ne change pas. Des scouts du Fenerbahçe le repèrent et il signe chez les Stambouliotes en 2004, pour environ 6 millions d’euros.
Le Brésilien est milieu offensif de métier, jouait souvent dans l’axe et il lui arrivait de jouer plus haut sur le terrain, proche de son attaquant. Naturellement attiré par le but, c’est un milieu qui marquait énormément, même si sa spécialité restait avant tout la passe décisive. Joueur très complet, il possédait une palette technique phénoménale, éliminant souvent ses adversaires par des dribbles magiques, dignes des plus grands joueurs brésiliens. C’est un gaucher très complet, qui marquait souvent du pied droit ou de la tête. Même s’il n’était pas le plus grand (1,76m), il était souvent bien placé. Pour couronner le tout, c’était un excellent tireur de coups francs et un meneur d’hommes, aussi bien sur le terrain que dans le vestiaire.
C’est avec un statut de star qu’il débarque sur les rives du Bosphore. L’entraîneur de l’époque, l’Allemand Christoph Daum, met la pression sur la direction pour signer le joueur, il le veut absolument. Un ancien dirigeant du club raconte que même le personnel de l’aéroport où à atterri Alex portait des drapeaux du Fener. Mais globalement, les supporters du Fener sont plutôt méfiants à son arrivée. Deux éléments en sont la cause : le passage récent d’une autre pseudo star sud-américaine, Ariel Ortega (qui se battra avec ses collègues avant de quitter le club), et la première expérience européenne ratée du Brésilien, deux ans plus tôt, à Parme.
Le joueur ne met que peu de temps à mettre tout le monde d’accord. Un regard sur ses stats suffit : pour sa première saison en Turquie, Alex marque 24 buts et distribue 16 passes décisives. Un démarrage de rêve. Grâce à son apport, le club est titré champion de Turquie en 2005. Après un titre 2005/06 perdu lors du dernier match, Christoph Daum quitte le club et Zico le remplace. Pour fêter ses 100 ans, Fenerbahçe souhaite marquer le coup et le titre de 2007 forme l’objectif suprême. Une fois encore, Alex de Souza répond présent et termine meilleur buteur du championnat. C’est la première fois qu’un étranger portant ce maillot réussit cet exploit.
Adriano “L’empereur” et Alex de Souza sous les couleurs du Brésil
Lors de la saison 2007/08, le Fener réalise le plus grand exploit européen de son histoire et atteint les quarts de finale de la Ligue des Champions. Alex assume encore une fois son statut de leader d’équipe et de capitaine et est le meilleur passeur de la compétition avec 6 caviars.
L’exercice 2008/09 est beaucoup moins bon pour Alex et le Fener qui finissent dernier de leur poule en Ligue des Champions et à la quatrième place en championnat. Un événement qui change le cours de la carrière d’Alex se produit alors : Aykut Kocaman est nommé directeur du football. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est tout simplement le cinquième meilleur buteur de l’histoire de la Süper Lig qui a porté le maillot du Fener durant 8 saisons et l’un des plus grands noms du football en Turquie.
Les rapports sont tendus dès le départ. Alex raconte dans une récente interview que lors de son premier entraînement sous la présence de Kocaman, on lui a fait changer sa voiture de place car celle-ci était soit disant réservée au nouveau directeur du football. Il n’en croit pas ses oreilles et dit ne jamais avoir entendu telle chose de toute sa vie. Lors de la saison 2009-10, Alex devient meilleur buteur du club en coupes d’Europe, joueur le plus capé en coupes d’Europe, joueur le plus capé du club. Rien que ça. Une forme de jalousie commence à se faire sentir chez Kocaman, qui voit qu’Alex empile les records et lui fait de l’ombre. La situation se tend encore lorsque le Brésilien demande des congés pour la naissance de son fils au Brésil, son coach faisant tout pour lui compliquer la tâche.
Tout se calme quelque peu jusqu’en 2011, année où le Brésilien marque le 3000e but de l’histoire du club et termine meilleur buteur du championnat pour la deuxième fois de sa carrière. Fener finit champion cette saison-là. Pourtant, le club entame alors une descente aux enfers. Le président de l’époque, Aziz Yildirim, est accusé de corruption et est emprisonné. Le TAS interdit à Fenerbahçe de participer aux coupes d’Europe pour deux saisons.
Alex ne lâche pas le club et continue à porter son club dans la difficulté. Il arrive alors à ses 35 ans et Aykut Kocaman décide de réduire drastiquement son temps de jeu, prétextant l’âge avancé de son milieu offensif. Le coach le fait de moins en moins jouer, l’humilie régulièrement en public et décide même de lui retirer la responsabilité de tirer les coups de pied arrêtés. La situation devient alors intenable et Alex annonce sur Twitter que son entraîneur est jaloux de lui. Le match suivant, Alex est en tribunes et les supporters scandent son nom. Aziz Yildirim prend alors le micro devant tout le stade et demande aux supporters d’oublier Alex, disant qu’il a manqué de respect au coach et au club.
Quelques jours plus tard, Kocaman démissionne mais la direction refuse de le laisser partir. Le coach reste mais demande alors à Alex de quitter le club. Le Brésilien va voir son président, le rendez-vous dure trois minutes et ils résilient le contrat à l’amiable. Le 1er octobre 2012, Alex n’est plus un joueur de Fenerbahçe. Seulement quinze jours après l’inauguration de sa statue à l’entrée du stade.
Alors, les supporters se rendent chez lui et campent devant sa maison durant onze journées. Alex s’adresse plusieurs fois aux supporters depuis sa fenêtre, quelques fois en pleurs. Il raconte lors d’une interview à la télévision : “un jour, un supporter de Galatasaray est venu devant ma maison avec des maillots de son club floqués à mon nom. Il m’a dit qu’il me respectait et voulait prendre une photo avec moi, bien que je sois son adversaire. C’était tout simplement incroyable“.
Le Brésilien finit par quitter Istanbul avec sa famille sous un tonnerre d’applaudissements à l’aéroport. Il signe un dernier contrat avec son premier club de Curitiba et y vit ses dernières années foot, avant de prendre sa retraite en 2014, à 37 ans.
Alex s’est très vite adapté à la Turquie, ce qui a fait que les supporters l’ont rapidement adopté. Evidemment, ses excellentes performances lui facilitent cette intégration. Mais le Brésilien est connu pour son respect, son calme et sa curiosité. Il raconte qu’il faisait même des recherches personnelles pour en apprendre davantage sur le pays dans lequel il vivait. Il faisait de son mieux pour adopter sa culture et la respecter. Alex apprenait le turc et ses enfants allaient à l’école en Turquie. Forcément, ces attentions le rendirent très sympathique aux yeux de supporters turcs (même adverses), très sensibles à ce genre d’efforts.
2012, Alex de Souza est toujours à Istanbul où il prend part à un derby bouillant face à Galatasaray
Néanmoins, lorsque les supporters apprennent en 2007 qu’Alex étudie les offres sur la table (Borussia Dortmund et Benfica) plutôt que de prolonger, il est sifflé par une partie du stade. Il finit par prolonger son contrat et Zico lui confie le brassard de capitaine pour sa quatrième saison au club. Un exemple vaut mille mots pour décrire ce qu’Alex représentait en Turquie. Un des amis du joueur raconte : “Un jour, nous étions au restaurant et un homme en smoking s’est mis à genoux devant Alex et lui a embrassé les pieds en disant – merci pour ce que tu fais, tu es tout pour nous“.
Alex de Souza est décrit par tous comme quelqu’un de profondément bienveillant, plus intéressé par le bonheur des autres que par le sien. Très loin de l’image sulfureuse que l’on se fait de certains footballeurs aujourd’hui. Souvent traité injustement durant sa carrière, il a marqué toute une génération par son football, aussi bien en Turquie qu’au Brésil.
Crédits photos : Getty Images