Affaire Negreira : chronique de l’un des plus importants scandales de l’histoire du sport | OneFootball

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Le Journal du Real

·21 mars 2023

Affaire Negreira : chronique de l’un des plus importants scandales de l’histoire du sport

Image de l'article :Affaire Negreira : chronique de l’un des plus importants scandales de l’histoire du sport

Un nombre impressionnant de choses ont été dites et écrites ce dernier mois sur le BarçaGate. De nouvelles informations ont régulièrement été révélées, mettant à chaque fois un peu plus en exergue l’ampleur du scandale. C’est l’occasion de revenir sur la genèse de cette affaire, d’établir une chronologie des événements les plus importants la concernant et d’évaluer les conséquences qu’elle a eu et aura non seulement pour LaLiga et ses équipes, mais également pour le monde du football en général.

Le système de dopage mis en place par la RDA, l’affaire OM-VA, l’affaire Festina, les Tour de France remportés par Lance Armstrong alors qu’il était dopé, le Calciopoli, l’affaire Negreira, ou le Barçagate, vient malheureusement s’ajouter à la liste des plus grands scandales de l’histoire du sport. Le premier exemple cité est le seul événement comparable en termes de durée. En effet, l’ex-République démocratique allemande, de 1970 jusqu’en 1989, a mis sur pied un système de dopage de ses athlètes qui participaient aux Jeux olympiques, remportant pas moins de 519 médailles, dont 192 d’or entre 1968 et 1988.


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La longévité de cette pratique illégale est bien le seul point commun avec l’Affaire Negreira. L’ex-RDA était un État au sens du droit international public et ses agissements, bien qu’injustifiables, ont été effectués dans le contexte de la Guerre froide et ont cessé à la chute du mur de Berlin. Il était donc logique que leur pratique aussi pernicieuse que spécieuse ait été révélée au monde entier après la réunification allemande.

Les faits les plus importants de l’Affaire Negreira

Le vendredi 10 mars 2023, la Fiscalía Provincial de Barcelona a porté plainte contre le FC Barcelone. Elle a été reçue par le juge d’instruction principale de Barcelone.

Cette plainte fait suite au travail d’enquête débuté en 2021 sur DASNIL 95 SL et révélée par les médias mi-février. DASNIL 95 SL est une entreprise de José Negreira, ancien arbitre et Vice-Président du Comité technique des arbitres entre 1994 et 2018. Cette enquête trouve sa source dans une inspection fiscale qui a permis de mettre en lumière le paiement par le FC Barcelone de la somme rondelette d’1,4 million à DASNIL 95 entre 2016 et 2018.

D’après toutes les investigations réalisées, le club catalan a payé 1,4 million d’euros pour des conseils d’arbitrages entre 2016 et 2018, donc durant 3 saisons, à l’entreprise DASNIL 95 SL. Si on divise les paiements, le Barça a donné 532,728,02 euros l’année 2016, 541,752 euros en 2017 et 318,200 euros pour 2018.

Le problème vient du fait que Negreira ait utilisé une entreprise faussement inscrite au nom de son fils comme paravent pour recevoir les paiements, alors que l’entreprise était en réalité la sienne En effet, les rapports arbitraux pour lesquels il a été rémunéré étaient inexistants. Au jour d’aujourd’hui, il se dit qu’ils étaient uniquement verbaux et que le Barça était son unique client. Dès que Negreira a cessé d’avoir de l’influence au sein du Comité technique des arbitres, le club catalan l’a abandonné.

Le FC Barcelone justifie ces paiements en arguant qu’ils avaient comme dessein que les arbitres officiant pendant les rencontres de leur équipe soient neutre ou qu’ils n’arbitrent pas en faveur de leurs adversaires.

Nonobstant le fait que les paiements sous enquête aient pris fin en 2018, l’administration fiscale ignore encore combien de paiements ont été effectués exactement. Toutefois, il est estimé qu’ils ont peut-être commencé à l’époque de la présidence de Joan Gaspart, c’est-à-dire entre 2002 et 2003. Pour sa part, Bartomeu assure qu’ils ont débuté en 2001 même s’ils ont stoppé durant un laps de temps entre 2002-2004, selon Football Leaks.

Un Negreira en cache un autre

La principale personne impliquée dans cette affaire est Javier Enriquez, le fils de Negreira. Ce dernier était très proche des arbitres. Il a presque agi comme un médiateur pour eux et il souhaitait bien les connaître. M. Enriquez était également impliqué dans le Comité technique, appelait les arbitres, et leur indiquait dans quel hôtel il se trouvait.

Le fils de Negreira exerçait les fonctions d’entraîneur et de psychologue pour les arbitres de LaLiga. Il connaissait donc parfaitement chaque trait et facette de leur personnalité, ce qui lui permettrait de déterminer s’ils étaient susceptibles de correspondre aux attentes du FC Barcelone.

Accusations et parties concernées par l’affaire Negreira

Le FC Barcelone est le premier acteur de ce scandale et l’entité à laquelle elle porte le plus préjudice. Le club catalan risque de subir une procédure judiciaire similaire à celle à laquelle avait été confrontée la Juventus de Turin. Cette dernière avait entraîné sa relégation en Série B. Ce scandale de truquage de décisions arbitrales est plus connu sous le nom de Calciopoli ou « Moggigate ».

En outre, la commission des arbitres est également impliquée. Bien que le Comité arbitral se soit complètement désolidarisé de Negreira et de ses agissements, le risque de graves sanctions à son encontre en cas de confirmation de soupçons n’est pas improbable, tant s’en faut.

Les faits récemment révélés sont contraires aux statuts de la Fédération espagnole de football, notamment à son article 22 relatif aux droits et obligations fondamentales. Ce dernier stipule que tout manquement d’une équipe aux normes éthiques et morales existantes peuvent entraîner sa relégation. Cependant, la possible prescription des faits pourrait permettre au FC Barcelone d’échapper à toute sanction.

Le Séville FC monte au créneau et crée un effet domino inattendu

Le 20 février dernier, le Séville FC a émis un communiqué officiel dans lequel il « souhaite montrer sa préoccupation et son indignation face aux informations communiquées par les médias chaque jour sur le Cas Negreira« .

Quelques heures plus tard, l’Espanyol de Barcelone émettait un communiqué similaire : « L’Espanyol de Barcelone est inquiet devant les informations publiées dans divers médias sur le Cas Negreira. Quand bien même le cas se trouve dans la phase de l’enquête, les possibles conséquences pour notre compétition, les clubs qui la composent et les organismes affectés seraient tellement graves qu’elles nécessitent des mesures exceptionnelles à l’heure d’établir ce qu’il s’est réellement produit et en cas de besoin, établir les responsabilités correspondantes dans le cadre national et/ou international« .

Ces deux communiqués constituent un moment charnière dans le Barçagate, car ils ont entraîné des conséquences aussi importantes qu’inattendues. Toujours le 20 février, Javier Tebas, Président de LaLiga, s’est exprimé en demandant à ce que Joan Laporta s’explique sur les agissements de son club et lui a enjoint à démissionner de son poste s’il n’était pas en mesure de le faire. Ces déclarations effectuées le même jour que les deux communiqués contrastent, et c’est un euphémisme, avec les propos que M. Tebas tenait plusieurs jours auparavant. En effet, dès sa première réaction suite à la révélation de l’affaire, l’avocat espagnol avait été catégorique : aucune sanction de son association ne serait prise contre le FC Barcelone.

Le jour suivant, coup de tonnerre : 40 des 42 clubs de première et deuxième division espagnoles ont émis un comuniqué au travers de LaLiga. Dans celui-ci, ils considèrent que « le Cas Negreira est d’une extrême gravité, sont profondément inquiets et travaillent activement afin de clarifier toutes les irrégularités qui ont pu se produire autour de l’affaire Negreira« .

À partir de cet instant, le paradigme a définitivement changé. Le seul club n’ayant pas participé au communiqué en sus du club accusé est le Real Madrid. L’éternel rival certes. Mais également le club partenaire du projet de la Super Ligue. Finalement, le plus grand club de l’histoire du football a attendu que les instances civiles se saisissent de l’affaire pour indiquer qu’elle s’y impliquerait si un juge acceptait la plainte de Fiscalía Provincial de Barcelona, ce qui est désormais chose faite. Désormais, c’est la Fiscalía anticorrupción qui sera chargée de la suite de l’enquête, compte tenu du caractère exceptionnel de l’affaire.

La pratique entre le FC Barcelone et Negreira est insoutenable même si aucun arbitre n’a été rémunéré

Le FC Barcelone a payé presque 7.4 millions à Negreira entre 2001 et 2018 dont 750’000 versés par Joan Laporta à son fils. Toutefois, il existe des indices laissant croire que ces paiements ont déjà débutés dans les années 90.

Negreira a été Vice-Président de la CTA entre 1994 et 2018. Il était celui qui décidait quels arbitres étaient promus ou relégués et qui pouvaient arbitrer au niveau international. Les arbitres de LaLiga sont payés environ 400 000 euros par an (environ deux fois plus que ceux de la Premier League). En outre, le fils de Negreira a dirigé de nombreux camps d’entraînement pour les arbitres et était chargé, entre autres, de conduire les arbitres de LaLiga de l’hôtel au stade les jours de match.

Dans tous les championnats, il existe des arbitres qui ne peuvent pas être impartiaux à 100 % parce qu’ils ont une certaine proximité idéologique avec certaines équipes. Il ne s’agit pas d’un problème spécifique à l’Espagne. Dans un système équitable, ces arbitres, quelle que soit leur obédience, ne seront plus autorisés à arbitrer en première division au fil du temps parce qu’ils commettront trop d’erreurs en faveur ou à l’encontre de certaines équipes. Cela signifie que dans un système équitable, les choses s’équilibrent et qu’en fin de compte, la majorité des arbitres des divisions supérieures qui sifflent de manière équitable et impartiale restent en place.

Negreira a fait en sorte que ce mécanisme d’« auto-nettoyage du système », nous l’appellerons ainsi, ne puisse pas fonctionner. Pendant au moins 17 ans, il a décidé que les arbitres favorables au Barça ou contre le Real Madrid soient promus et que ceux qui commettaient des erreurs contre le Barça soient sanctionnés plus rapidement en étant relégués dans une division inférieure.

Dans un tel système, il n’est pas nécessaire de payer les arbitres individuellement. Il suffit de s’assurer que le plus grand nombre possible d’entre eux soit idéologiquement favorable au Barça ou défavorable au Real Madrid et il est certain que la compétition est biaisée.

Pourquoi le Real Madrid continue-t-il à être désavantagé ?

C’est vrai, les paiements ont pris fin en 2018. Nonobstant, il ne faut pas perdre de vue que les arbitres qui officient en Liga à cause ou grâce à Negreira ne sont pas soudainement devenus impartiaux juste parce que Negreira est parti.

Au contraire, nombre d’entre eux occupent aujourd’hui des postes importants au sein du Comité technique des arbitres. Clos Gomez (en tant qu’arbitre actif, il a arbitré 34 matches du Real Madrid : 20 victoires, 7 nuls, 7 défaites, 102 cartons jaunes, 8 cartons rouges), par exemple, est à la tête de la VAR en Espagne. Toutefois, dans un système impartial et intègre, cela s’équilibre à moyen et long terme, de sorte que chaque club subit approximativement le même taux d’erreur pour ou contre lui. Le système mis en place par Negreira sur instigation du FC Barcelone a modifié cet équilibre de manière significative pour le Barça.

De plus, malgré le fait qu’il ne fasse officiellement plus partie de l’organigramme du Comité technique arbitral, se pose la question de savoir s’il a pu garder une influence en son sein. Cette interrogation est légitime sachant qu’à la fin de la saison 2020, Negreira aurait envoyé un message au Barça affirmant « qu’il pouvait les aider avec la VAR« .

L’attitude suprenante de la RFEF

Ce dimanche, en réponse à l’article d’El Confidencial, la RFEF a publié un communiqué dans lequel elle affirme qu’il n’existait pas d’incompatibilité entre la fonction de Negreira et sa rémunération par un club faisant partie de la même Fédération, mais a souhaité mettre en exergue que cet état de fait n’empêchait pas qu’il y ait eu un conflit d’intérêt.

Elle a tenu à rappeler que les arbitres ne sont pas des professionnels et qu’ils disposent de la possibilité d’exercer une activité lucrative en dehors de l’arbitrage, dans les limites fixées tant par le règlement que par la loi. Dans ce sens, il n’existerait pas d’incompatibilité en ce qui concerne M. Negreira étant donné qu’il n’avait pas de relation de travail avec la RFEF.

Cependant, selon la RFEF, l’incompatibilité juridique ne doit pas être confondue avec la notion de conflit d’intérêts. Si l’activité exercée par M. Negreira révélée par le Parquet avait été connue récemment, il aurait été possible d’affirmer qu’il y avait un conflit d’intérêt manifeste, contraire aux règles déontologiques de la RFEF, assure la Fédération.

Le code d’éthique de 2015 aurait permis de sanctionner Negreira

Enfin, elle s’enorgueillit que l’actuelle équipe dirigeante de la RFEF ait mis en place, dès son arrivée, un régime d’incompatibilités réglementaires qui est venu s’ajouter à la liste des conflits d’intérêts prévus par le code de déontologie.

Il convient de préciser que le premier code d’éthique approuvé par le RFEF à l’époque de Rubiales ne l’a pas été dès son arrivée, mais en 2019, et ceci, grâce aux efforts de la Vice-Présidente de l’intégrité de l’époque, Ana Muñoz, une dirigeante qui a quitté la fédération en janvier 2020 en raison de désaccords avec la direction.

Le code de 2019 était très bon certes, mais pas meilleur que celui approuvé par Villar en 2015. En revanche, celui approuvé en 2021 n’est pas crédible. En effet, il ne contient que des principes et recommandations sans possibilités de sanctionner les comportements répréhensibles. Cet état de fait avait été critiqué par Ana Muñoz.

Comme mentionné auparavant, la RFEF s’enorgueillit d’avoir approuvé un code d’éthique, mais elle omet d’expliquer pourquoi, contrairement au code d’éthique de 2015, le code actuel ne contient pas d’infractions ni de sanctions attachées aux dites infractions. Celui de 2015 en contenait et aurait été applicable au cas Negreira s’il n’avait pas été abrogé, car il est antérieur aux infractions dont l’ancien arbitre est accusé. En revanche, ni le code de 2019, ni celui de 2021 ne lui sont applicables.

En outre, contrairement au code disciplinaire en vigueur actuellement au sein de la RFEF, le code d’éthique de 2015 établit un délai de prescription de 10 ans et les cas de corruption sont imprescriptibles (art. 12).

Nonobstant, comme l’a récemment rappelé Estrada Fernández, l’admission récente de la plainte par le juge catalan interrompt la prescription. Il sera donc possible de sanctionner les acteurs de cette affaire s’ils venaient à être reconnus coupables d’infractions à la loi.

Enfin, nous nous permettons de souligner que les principales victimes de ce malheureux procédé sont les joueurs qui ont porté les couleurs du FC Barcelone depuis 2003. Même s’il est vrai que LaLiga, le football et le sport en général pâtiront assurément de ce nouveau scandale, les joueurs mentionnés devront vivre avec un goût amer de leur passage au FC Barcelone.

En effet, même si ce scandale n’enlève rien à leurs qualités et leurs succès, toute personne qui s’intéresse au sport en général ne manquera pas de minimiser ce qu’ils ont accomplis, et même de considérer que les trophées qu’ils ont remportés n’ont que peu ou pas de valeur.

* La Fiscalía Provincial de Barcelona est un organe étatique catalan chargé d’enquêter sur les les délits et de dénoncer les auteurs 3présumés desdits délits aux juges des tribunaux compétents.

* *La RFEF est la Fédération royale espagnole de football. C’est l’association qui regroupe les clubs de football d’Espagne, organise les compétitions nationales ainsi que les matchs internationaux de l’Equipe d’Espagne de football.

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