A Mostar, le stade sous Bijeli Brijeg est une question politique qui divise | OneFootball

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Le Corner

·18 mars 2021

A Mostar, le stade sous Bijeli Brijeg est une question politique qui divise

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Bâtit entre 1956 et 1958, le stade sous Bijeli Brijeg connait d’abord les fastes années du célèbre Velež Mostar, un des clubs les plus populaires de Yougoslavie. Entre 1992 et 1995, la guerre fait rage et Mostar se déchire entre Croates et Bosniaques. Par la suite, un imbroglio politique donne finalement le stade au club croate de la ville, le Žrinjski Mostar forçant le Velež à déménager. Beaucoup de personnes s’indignent de voir un des clubs phares de Yougoslavie perdre son stade, alimentant un peu plus la rivalité qui fait du derby de Mostar, une des rencontres les plus bouillantes d’Europe.


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Situé sur le flanc ouest de la Neretva, dans la partie dite « croate » de la ville, le Stadion pod Bijelim Brijegom, littéralement le stade sous Bijeli Brijeg (quartier attenant au stade), possède 9000 places. Fut une époque où il pouvait se targuer d’être le deuxième plus grand stade de Bosnie-Herzégovine avec ses 25 000 places. Seul le Stade Asim-Ferhatović-Hase (stade olympique) du FK Sarajevo (37 500 places) le devançait. Malgré ce lifting demandé par l’UEFA, on voit que le stade a du vécu avec un béton fissuré et des structures métalliques rouillées. Pour y accéder vous passez devant le cimetière commémoratif des Partisans. Ces résistants antifascistes devenus la composante principale de l’armée yougoslave sous Tito. Cependant, on s’aperçoit très vite que les ultras du Žrinjski ont des aspirations différentes. Le monument aux morts est entaché de symboles oustachis. Ces militants nationalistes croates contrôlaient la Croatie en 1941 avec le soutien des Nazis. Autour du stade et dans le quartier légèrement en hauteur de Bijeli Brijeg d’où il tire son nom, les graffitis à la gloire du club et des oustachis sont pléthore, bien loin des convictions du rival : le Velež Mostar.

La naissance d’une rivalité

Le Velež Mostar tire son nom d’une montagne à l’Est de la ville connue localement pour arrêter les nuages faisant de Mostar une ville très ensoleillée. Le club est célèbre pour refuser toutes les formes de division. Fondée en 1922 sous l’impulsion de Gojko Vukovic, un ferblantier (qui travaille le fer blanc) et figure du syndicalisme révolutionnaire local, le club rassemble les ouvriers de la ville. Très vite, en 1925, l’équipe se pare de la couleur rouge. Lors d’un tournoi en l’honneur du poète et fondateur de plusieurs journaux, Safvet – Beg Bašagić (1870-1934), le Velež affronte le Žrinjski fondé en 1905, qui tire quant à lui son nom d’une famille de notables croates. Peu avant le début du match les joueurs du Žrinjski demandent aux joueurs du Velež de retirer leur maillot rouge. Les Rodjeni (les nés) refusent de le faire entrainant quelques échauffourées. La rivalité est née ! Le 3 septembre 1940, les autorités du royaume des Serbes, Croates et Slovènes interdisent le Velež à la suite d’une manifestation ayant mal tournée dans laquelle des joueurs et des fans du club se trouvent. Durant la Seconde Guerre mondiale certains membres s’impliquent dans la lutte contre le fascisme. Neuf joueurs obtiennent le statut de héros national dont seulement un revient vivant.

Les années fastes du Velež Mostar

Réautorisé après la guerre, c’est quelques années plus tard que l’histoire du Velež s’accélère. Entre 1955 et 1992, le club ne quitte plus l’élite du football yougoslave. En 1958 la construction du stade sous Bijeli Brijeg se termine donc avec l’aide de volontaires. Le Velež Mostar brille mais ne gagne pas face aux quatre ogres de l’époque que sont l’Etoile Rouge de Belgrade, le Partizan Belgrade, le Dinamo Zagreb et le Hajduk Split. Avec seulement deux Coupes de Yougoslavie (1981 et 1986) et une Coupe des Balkans en 1981, le Velež brille plutôt par sa qualité de formation et son jeu dit romantique. Ainsi, la pelouse de Bijeli Brijeg apprécie dans les années 1970, le trio Dušan Bajevic (attaquant), Enver Marić (gardien) et Franjo Vladić (milieu) qui mène deux fois le club à la 2ème place du championnat yougoslave. Bijeli Brijeg a aussi connu une campagne européenne d’anthologie en 1974-1975 avec un quart de final malheureusement perdu face à Twente malgré une victoire 1-0 au match aller. Les clubs français apprécient également les joueurs formés au Velež puisque le gardien Ivan Ćurković rend de loyaux services à l’AS Saint-Etienne (1972-1981) tandis que Vahid Halilodžić fait la gloire du FC Nantes entre 1981 et 1986. En 1992, la guerre de Bosnie-Herzégovine éclate. Les joueurs du Velež Mostar foulent la pelouse du stade sous Bijeli Brijeg pour la dernière fois le 15 mars 1992. Ils s’en vont sur une victoire 2-0 contre le FK Zemun.

Un stade qui change de camp pendant la guerre

Jusque là, la multiethnicité de Mostar faisait sa force, mais la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995) détruit une grande partie de la ville et son unité. Le stade et le célèbre Stari Most (vieux pont) sont touchés. Très vite, la ville se polarise. L’est de la Neretva est sous contrôle bosniaque quand l’ouest est sous contrôle croate. Banni par Tito juste après la Seconde Guerre mondiale pour avoir participé au championnat fasciste pendant la guerre, le HŠK Žrinjski Mostar renaît de ses cendres en 1992. Il accapare ensuite le stade sous Bijeli Brijeg qui se situe dans la partie croate de la ville. Après le conflit, Mostar se reconstruit peu à peu sous l’œil vigilant de la communauté internationale. La municipalité de Mostar ouest s’empresse alors d’attribuer le stade au Žrinjski. Plus tard, elle leur attribue un bail de 110 ans pour l’exploitation du stade.

Le stade sous Bijeli Brijeg à l’ère du Žrinjski

Après l’avoir obtenu, le club le renomme le stade HŠK Žrinjski comme pour asseoir sa domination. Le championnat bosnien s’unifie quant à lui en 2002 après un championnat réunissant seulement les clubs croates et bosniaques. Avec le Željezničar Sarajevo, le Žrinjski Mostar est tout simplement le club le plus titré du championnat unifié avec 6 titres. Le FK Sarajevo est en passe de les rejoindre à la fin de la saison 2020-2021. Lors de la saison 2003-2004 le stade sous Bijeli Brijeg voit un certain Luka Modrić tout juste âgé de 18 ans, fouler sa pelouse. Il est alors prêté par le Dinamo Zagreb comme trois autres de ses coéquipiers. Il marque 8 buts en 22 matchs mais le titre leur échappe. C’est lors de la saison suivante que le stade sous Bijeli Brijeg découvre la gloire avec le Žrinjski. Désormais à l’aise financièrement, les dirigeants s’offrent alors les meilleurs joueurs du championnat. En 2007-2008, le club remporte la coupe nationale avant de glaner un deuxième championnat la saison suivante. Ils en remportent encore quatre autres sur les saisons 2013-2014, 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018. Sur la scène européenne, le stade sous Bijeli Brijeg ne connait pas de campagne flamboyante. Effectivement, le Žrinjski Mostar est éliminé à chaque fois lors des tours préliminaires.

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La situation politique de la ville depuis la guerre

Pour comprendre pourquoi la situation autour du stade n’évolue pas, il faut faire un petit point sur la situation politique de la ville. Le Stari Most est reconstruit à l’identique en 2004. Cette même année, le haut représentant des Nations unies pour la Bosnie-Herzégovine, le Britannique Paddy Ashdown impose à Mostar une réunification de sa municipalité comme c’était le cas avant la guerre. En 2008 les toutes premières élections municipales de la ville de nouveau unifiée prennent place. Néanmoins, tout ne se passe pas comme prévu. En effet, en 2010, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine annule les mesures prises par l’ONU car elle les juge injustes. A Mostar, il y alors plus de Croates que de Bosniaques donc les élections ne seraient pas équilibrées. Par conséquent, le Parlement bosnien essaye de modifier les règles des élections mais n’y arrive pas. Mostar est à nouveau divisée. Les deux partis nationalistes bloquent la majorité des processus de décision et la corruption fait rage. Par la suite, les Etats-Unis et l’Union européenne pressent le Parlement bosnien pour résoudre le problème. Face à cette pression, le leader du Parti de l’action démocratique (SDA) Bakir Izetbegović et le leader de la Communauté démocratique croate (HDZ) Dragan Čović trouvent finalement un accord le 17 juin 2020. Après 12 ans, de nouvelles élections s’organisent donc pour le 20 décembre 2020 à Mostar. Malgré une petite poussée du parti démocratique Naša Stranka, la situation ne change pas vraiment et Mostar reste divisée.

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Malgré des demandes répétées pour rejouer dans son stade historique, le Velež Mostar retourne à Bijeli Brijeg uniquement pour des derbys joués à l’extérieur. A chaque demande, la municipalité croate invoque des raisons de sécurité pour justifier leur refus. Evidemment personne n’est dupe. Tout le monde sait qu’elle refuse uniquement pour des raisons politiques. Almir Taso, président de l’Assemblée du FK Velež, déclarait d’ailleurs à Al Jazeera Balkans en 2017 :

« Le stade sous Bijeli Brijeg est une question politique et je ne parlerais pas beaucoup de ce sujet. Il est malheureux que la politique interfère dans le sport, mais dans notre État, la politique interfère dans tous les pores de la vie sociale. Le stade sous Bijeli brijeg est un stade de la ville et tous les clubs de la ville devraient avoir la possibilité d’y jouer. Cependant, ce n’est pas la pratique en l’espèce ».

Aujourd’hui le Velež joue au stade Rodjeni anciennement stade Vrapići. Ce dernier est en cours de rénovation grâce au financement de ses nombreux fans également présents à l’étranger. Le stade pourra accueillir entre 9000 et 10000 supporters, dont la Red Army, le groupe ultra du club. D’un point de vue sportif, le Velež fait l’ascenseur entre la deuxième et la première division depuis la fin de la guerre notamment à cause de difficultés financières. Malgré les élections municipales du 20 décembre 2020, la ville de Mostar reste divisée. Le derby entre les deux clubs en est le symbole. Sportivement, le derby de Sarajevo est aujourd’hui plus qualitatif mais le derby de Mostar reste assurément le plus bouillant de Bosnie-Herzégovine.


Sources :

  • fkvelez.ba
  • hskzrinjski.ba
  • Antoine Gautier, « Footballskitrip #2 : Velež Mostar, une légende en reconstruction », Footballski,2018
  • Ibrahim Sofić, « Velež treći put pravi stadion, prvi put vlastiti », Al Jazeera Balkans, 2017
  • Mirsad Behram, « Ethnic Parties Reassert Grip on Bosnia’s Mostar at Landmark Election », Balkan Insight, 2020

Crédits photos : Icon Sport

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