Lucarne Opposée
·17 mars 2023
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·17 mars 2023
Il y a cinquante-deux ans aujourd'hui, Boca Juniors et le Sporting Cristal s'affrontent en Copa Libertadores. Un choc qui débouche sur un triste record, celui du plus grand nombre d'expulsions.
Mercredi 17 mars 1971, la Bombonera. La phase retour du Groupe 1 va débuter, Boca Juniors accueille le Sporting Cristal. Ce match oppose deux champions nationaux. Les Xeneizes ont décroché le championnat argentin 1970 en battant en finale Rosario Central au Monumental. Sous la direction de José María Silvero, Boca peut nourrir quelques ambitions continentales au vu de son effectif qui compte par exemple Silvio Marzzolini, le meilleur arrière gauche de l’histoire de l’Argentine qui dirigera Diego vers son premier titre national en 1981, Julio el Negro Meléndez, l’un des plus grands centraux de l’histoire du Pérou, Rubén Suñé idole absolue chez les Azul y Oro, qui sera l’auteur quelques années plus tard d’un but mythique face à River, ou encore Ángel Clemente Rojas, dit Rojitas, l’une des plus grandes légendes du club. Ce Boca est donc un monstre, l’un des favoris au titre alors que les quatre dernières éditions de l’épreuve ont été remportées par des Argentins, Racing en 1967, et Estudiantes qui reste sur trois titres consécutifs.
Dans ce Groupe 1 figurent un autre Péruvien, l’Universitario de Juan José Muñante, Percy Rojas, Roberto Challe ou encore Juan Carlos Oblitas, et le Rosario Central de Ramón Quiroga qui deviendra célèbre en 1978 dans les cages péruviennes, d’Aldo Pedro Poy dont la tête plongeante de 1971 est encore inscrite dans la légende du peuple canalla et de Daniel Killer, futur champion du monde. Après trois journées, tout reste encore à faire même si Boca n’a déjà plus le choix à l’heure d’accueillir Cristal. Les deux équipes sont à la deuxième place, avec trois points, derrière le leader Universitario. Autant dire que celui qui s’imposera se replacera dans la course à la qualification, d’autant que la veille, les Cremas ont partagé les points avec Central. De son côté, le Sporting Cristal peut s’appuyer sur l’une de ses meilleures équipes de l’histoire. Champion sortant au pays, il compte dans ses rangs des joueurs tels qu’Alberto el Jet Gallardo, Alfredo el Flaco Quesada, Orlando Chito de la Torre, Ramón el Cabezón Mifflin, Fernando el Cóndor Mellán, el Doctor Eloy Campos, Roberto Tito Elías ou encore Luis Rubiños. Le tout, dirigé par Sabino Bártoli. Deux semaines plus tôt, Cristal a disposé de Boca à la maison et arrive à la Bombonera en grande confiance. La Bombonera reste le théâtre de deux grandes histoires vécues à quelques mois d’écart. En 1969, elle a été le lieu du fameux Estudiantes – Milan qui s’est terminé dans la honte par sa violence et les conséquences qui s’en sont suivies. Quelques mois plus tard, le Pérou de de Héctor Chumpitaz et Teófilo Cubillas y a sorti l'Argentine de la course à la Coupe du Monde 1970 sur un but d’ Oswaldo Cachito Ramírez.
Près de deux ans plus tard, c’est donc un nouveau match couperet pour les Argentins qui se présente. Boca doit s’imposer, la tension est palpable. Côté péruvien, le match est particulier, il est l’un des premiers de l’histoire à être retransmis en direct par satellite. Cristal présente le même onze que celui qui s’est imposé deux semaines plus tôt. Les Celestes se procurent la première situation par Gallardo, enchaînent avec une autre belle situation pour Mifflin avant qu’Orbegoso ne convertisse au score la domination des Rimenses en trompant Sánchez juste à la fin du premier quart d’heure. La stupeur est alors grande, elle ne dure qu’un temps. En trois minutes, Boca reprend ses esprits et retour le match. Madurga bute sur Rubiños, Coch a suivi et égalise à la 22e. Cent-quatre-vingt secondes plus tard, Rojas est servi au cœur de la défense adverse, pivote et fusille le portier des Celestes. Boca vire en tête à la pause, Cristal éprouve de grandes difficultés à se montrer menaçant.
Au retour des vestiaires, les Rimenses tentent de revenir mais laissent des espaces, offrant à Boca l’opportunité de tuer le match. Les Xeneizes n’en profitent pas, la pression des Celestes s’intensifie notamment grâce au duo Gallardo – Orbegoso. Arrive alors l’inévitable : Quesada perce, trouve Elías qui sert Gallardo. El Jet frappe soudainement, Sánchez ne peut que repousser et Gonzales Pajuelo qui a suivi n’a plus qu’à pousser le ballon au fond, le Sporting Cristal vient d’égaliser. Boca n’a alors plus qu’une vingtaine de minutes pour marquer un troisième but qui le replacerait dans la course à la qualification. Le match gagne en intensité, chacun se rend coup pour coup, footballistiquement d’abord. Mais le score n’évolue pas alors que les minutes défilent. À six minutes de la fin, Roberto Rogel se laisse tomber dans la surface mais n’obtient pas le penalty tant espéré de la part de l’arbitre uruguayen, Alejandro Otero. La décision du charrúa provoque la fureur d’Ángel Clemente Rojas qui s’en prend au Cóndor Mellán qui venait récupérer le ballon. Le match bascule alors dans la folie la plus totale.
Alejandro Otero raconte : « Le match n’avait rien de particulier, à l’exception de la formidable pression du public de Boca. Tout était normal comme n’importe quel match de Copa. Il n’y avait pas eu de brutalités ni de frictions entre les joueurs. Le public n’avait pas non plus dépassé les bornes. Il n’y avait qu’un joueur qui pouvait me compliquer la tâche, c’était Rojitas. Sur une action, quand le central a pris le ballon, il l’a frappé. Plusieurs joueurs ont discuté et j’ai vu Suñé s’approcher de Gallardo et le menacer. Gallardo a supplié pour qu’il ne le frappe pas mais Suñé l’a frappé. Gallardo a répliqué, c’est ainsi que la bagarre a débuté. J’ai expulsé dix-huit joueurs, tous sauf Meléndez et les deux gardiens, même si je me suis rendu compte en voyant ensuite les images que Sánchez avait pris part à celle-ci. J’ai ensuite mis fin à la rencontre, la police nous a ensuite évacués. Une fois aux vestiaires, un haut gradé est venu me voir pour me dire que j’étais l’unique responsable de ce qu’il venait de se passer. Je pensais que les joueurs s'étaient battus, pas moi, mais apparemment il pensait différemment. Il a indiqué que je devrais être détenu et à partir de là tenu au secret. Ils m’ont emmené au poste de police, m’ont interrogé avant que je puisse retourner à l’hôtel. Une fois revenu à Montevideo, Eduardo Rocca Couture, le trésorier de la CONMEBOL, m’a dit que je n’avais commis aucune faute ». Sur le terrain, les joueurs péruviens se ruent alors sur Rojitas pour lui reprocher son comportement, Rubén Suñé décide alors de s’en prendre à Alberto Gallardo, le frappe. Ce dernier raconte : « C’est un cauchemar que je n’oublierai jamais. Quand Suñé me poursuivait, j’étais persuadé que je ne sortirais pas vivant du terrain. Lorsque la colère de Rogel a éclaté, les fans ont crié « frappez, frappez ! ». J’étais près de Quesada qui est tombé et sur le point d’être piétiné par Suñé, je lui ai prié de ne pas le faire, sa réaction a été de me poursuivre. J’ai reculé, cherché à lui échapper et finalement j’ai pu le frapper au visage. Les policiers m’ont immédiatement entouré, j’ai couru aux vestiaires ». La bagarre est alors inévitable. Coch agresse Mellán, il est pris à partie par cinq joueurs péruviens, Suñé tente ensuite de frapper Quesada au sol, Gallardo surgit de nouveau et le blesse. Les coéquipiers du boquense s’en prennent alors à l’attaquant celeste, dont la vie est sauvée par l’intervention des forces de l’ordre qui l’isolent.
La violence de la bagarre est sans comparaison, elle inclut la quasi-totalité des joueurs présents sur le terrain et entraîne plusieurs blessés : Suñé s’en tire avec sept points de suture, Eloy Campos avec une fracture du nez (et une perte de connaissance) et Mellán avec une commotion cérébrale. Ces trois joueurs sont hospitalisés, le reste termine au poste, ils n’en sortent que le lendemain après-midi à l’exception d'Orlando de la Torre, autorisé à quitter l’Argentine après avoir appris le décès de sa maman, comme il l’explique quelques années plus tard : « Je ne pourrais jamais oublier. C’est le moment le plus triste de ma vie, non seulement pour ce match mais aussi car j’ai perdu ma mère à cause de celui-ci. Elle regardait le match à Lima à la télévision et a tout vu quand je me suis retrouvé encerclé par plusieurs joueurs de Boca avant que je puisse me défendre en prenant le poteau de corner. Ce qu’elle a vu l’a impressionnée et elle a fait un arrêt cardiaque. Comment puis-je oublier ! À trois heures du matin, ils sont venus me chercher en cellule, c’était bizarre car personne ne devait être libéré. J’ai eu un pressentiment qui s’est amplifié une fois à l’hôtel quand ils m’ont dit que je devais partir immédiatement pour Lima car ma maman avait un souci de santé. En réalité, elle était déjà morte… ».
« Ce qu'il s’est passé ne répond à aucune logique », raconte Rubén Suñé. « On a perdu le contrôle quand nous nous sommes rendus compte que nous ne pourrions pas gagner ce match. Pour nous, une victoire était indispensable car le nul nous éliminait. Personne n’aurait pu penser que les choses allaient se compliquer. Avant le match, nous étions convaincus que nous allions gagner, à l’issue du premier acte aussi. Mais ils sont revenus et nous sommes devenus fous. Quand Rogel est tombé dans la surface, nous avons réclamé un penalty et comme nous le n’avons pas obtenu, on a frappé tout le monde. C’est pour cela que je dis que cela ne répond à aucune logique. On s’est battu à cause de notre impuissance à gagner ce match. Je me souviens que j’étais tellement fou que j’ai pourchassé Gallardo qui a eu peur. Et il avait raison car si je l’avais attrapé, je crois que je l’aurais tué. Par désespoir, il m’a repoussé en m’envoyant un coup de pied au visage, ça m’a rendu encore plus fou. Au milieu du tumulte, un type s’est mis entre nous deux, je l’ai projeté au sol. Une fois aux vestiaires, j’ai vu que c’était le commissaire. On a tous fini en prison, moi je suis allé à l’hôpital où j’ai reçu sept points de suture ». « C’est un souvenir inoubliable mais j’ai honte d’en parler » dit Coch, « c’est un énorme gâchis, la télé avait organisé une programmation spéciale, les scènes de bagarre ont été vues dans toute l’Amérique, je n’ai jamais vu de combat pareil sur un terrain. Quand tout s’est terminé, nous avons quitté le stade par une porte dérobée. Nous sommes allés au commissariat, tout le monde était là. On s’est regardé et on a souri ». Reste qu’au-delà des dix-huit expulsions, des arrestations et des trois blessés qui ont terminé à l’hôpital, ce Boca Juniors – Sporting Cristal a évidemment des conséquences.
Si le président péruvien, le général Velasco Alvarado, qui semble-t-il n’était pas devant son écran de télévision la veille, envoie un télégramme de félicitation aux joueurs du Sporting Cristal le lendemain matin, sur le plan sportif, la CONMEBOL fait ensuite tomber les sanctions. Suñé et Mellán prennent six matchs de suspension, Rogel, Rojitas, Cabrera, Eloy Campos, De la Torre, González Pajuelo et Gallardo quatre. Le 2 avril 1971, le comité de discipline de la fédération argentine amplifie quelques sanctions : Suñé est suspendu un an et demi, Rogel prend un an et quatre mois, Cabrera un an et deux mois, José María Silvero et Jorge Antonio Coch prennent un an. Boca décide de ne pas se présenter pour les deux derniers matchs du groupe, le Sporting Cristal prendra deux volées (4-0 à Rosario, 3-0 face à Universitario), tous deux quittent ainsi l’épreuve dès le premier tour. Une épreuve 1971 qui voit Estudiantes tomber et Nacional mettre fin à la domination argentine. Un temps seulement, car les années suivantes sont celles d’Independiente, celles de nouveaux scandales.
La légende veut qu’en décembre 1970, Héctor Rojas, astrologue argentin, avait annoncé pour l’année suivante « un grand scandale sportif à dimension internationale ». Ce 17 mars 1971, la plus grande bagarre jamais vue en Copa Libertadores donne ainsi lieu au record du plus grand nombre de cartons rouges distribués dans un match de la compétition. Et si les événements de l'Arena do Grêmio (bagarre générale et huit expulsions) pour le dernier match de Libertadores 2020 avant sa suspension sont venus la rappeler, le Stalingrado del fútbol reste heureusement unique.
Première mise en ligne le 17/03/2020, mis à jour le 17/03/2023